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irrita une magistrature qui s'était inconsidérément jetée hors de ses attributions, et que de nouvelles exigences entraînèrent dans les voies de la violence et de la persécution. Au lieu de réserver les prisons aux perturbateurs du repos public, les parlements les remplissaient de prêtres, de religieux, dont le crime était de rester fidèles à leur devoir et à l'Église. Les jansénistes triomphaient; le succès ne les endormit point. Ils crurent que le temps était venu de détruire une société qui acquérait chaque jour de nouveaux droits à leur haine. La Compagnie de Jésus n'avait pas fourni un seul adepte au jansénisme; elle lui avait au contraire suscité des adversaires infatigables.

Les évêques et les prêtres, qui étaient sous le coup de la persécution, avaient toujours trouvé dans cet ordre les appuis de leur cause. C'était pour la secte un prétexte de plus pour exercer contre les Jésuites la vengeance qu'elle ne pouvait pas encore décharger sur toute l'Église. Cette tactique la menait à son but, et préparait l'œuvre que Camus devait consommer. Les jansénistes se mirent donc à l'œuvre ne trouvant à reprendre dans l'Institut qu'ils voulaient perdre que son attachement à l'Église et son zèle à la défendre, ils le livrèrent à la calomnie et à l'injure; ils fouillèrent dans les livres de leurs premiers chefs, exhumèrent leurs sarcasmes, qu'ils accompagnèrent d'autres injures, et firent tomber sur la Compagnie les crimes innombrables qu'avait enfantés leur imagination.

Comme s'ils eussent éprouvé le besoin de se faire pardonner leur conduite, ils la justifièrent par des prédictions qui avaient la même origine et la même réalité que les forfaits de leur invention. Ils imaginèrent

donc une prophétie contre les Jésuites, et datèrent du commencement du seizième siècle l'existence qu'ils venaient de lui donner au milieu du dix-huitième. En voici le sens :

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« Dans le premier âge de leur existence, les Jésuites seront rusés comme des renards: astuti sicut vulpes. << Dans le second, ils se rendront redoutables comme des lions: terribiles ut leones.

« Dans le troisième, ils seront méprisés comme des chiens viles ut canes. » (1)

Pour des hommes qui croyaient à la fatalité, une prédiction était une loi; les jansénistes se montrèrent aussi dignes d'exécuter que d'inventer celle-ci. Un d'entre eux néanmoins, impatient d'arriver au résultat désiré, dressa contre les Jésuites (en 1753) un plan d'accusation qui devait les amener à la barre du parlement et nécessiter leur expulsion. L'évêque d'Auxerre, à qui le plan fut proposé par écrit, ne le trouva point assez habile, et jugea qu'il était plus prudent de ne pas changer encore de tactique (2). Ce prélat, un des appelants, continua donc à déprimer ces religieux dans ses mandements, et la foule des libellistes à les déchirer dans leurs pamphlets. De leur côté, les intrigants que le parti avait su gagner dans les parlements, continuaient d'arracher à ces corps de nouveaux arrêts contre les évêques et les prêtres qui refusaient aux hérétiques l'usage des sacrements.

(1) On trouve cette prétendue prédiction dans l'ouvrage du janseniste Billard de Lorière : Démonstration de la cause des divisions qui règnent en France (à Avignon, 1754), p. 174, livre où le Saint Siége et les évêques sont encore plus indécemment insultés que les Jésuites.

(2) Vie de M. de Caylus, évêque d'Auxerre, par l'abbé Dettey, t. 2, p. 395.

L'autorité royale ne semblait intervenir que pour donner lieu à de nouveaux scandales et développer la puissance de l'intrigue. La magistrature, qui comptait dans son sein des hommes si respectables, apprenait aux peuples à braver les rois et à mépriser les ministres de l'Église; et tandis que ses arrêts et ses réglements jetaient sur les choses saintes un injuste discrédit, les bruyantes querelles des jansénistes ébranlaient les convictions des fidèles, portaient dans leur âme le doute, précurseur de l'indifférence et de l'impiété ; le ridicule des convulsions et des scènes comiques de Saint-Médard, décorées du nom de miracles, rejaillissait sur les merveilles que Dieu a opérées à l'égard de son Église.

En dehors du jansénisme, et à la faveur de ses scandaleuses querelles, croissait un parti qui devait rallier tous les adversaires de la religion et de l'ordre.

Le philosophisme se présenta comme l'ennemi du culte et du dogme; des libelles résumés dans l'Encyclopédie avaient annoncé ses projets et effrayé la vertu. Forcé par l'indignation publique, il n'avait avoué ni son dessein ni ses œuvres, et ne s'était encore propagé qu'avec mystère; mais les jansénistes travaillaient pour lui, et il s'applaudissait en secret des maux que leur fanatisme causait à la religion. « La philosophie, dit d'Alembert, riait en silence de toutes ces disparates, et s'amusait de ce nouveau changement de scène (1), attendant avec patience l'occasion d'en profiter. Ceux d'entre les philosophes qui n'espéraient aucun fruit de ces querelles prenaient le parti plus sage encore de se

(1) La Sorbonne, quelque temps opposée à la bulle Unigenitus, venait de se déclarer pour elle.

moquer de tout; ils voyaient l'acharnement réciproque des jansénistes et de leurs adversaires avec cette curiosité sans intérêt qu'on apporte à des combats d'animaux ; bien sûrs, quoi qu'il arrivât, d'avoir à rire aux dépens de quelqu'un (1). » C'est tout ce que pouvait faire la nouvelle philosophie; incapable d'apprécier la gravité d'une question et de formuler un jugement sur les matières discutées, elle prenait le parti de rire; il eût été plus sage de prendre le parti de se taire. Quoi qu'il en soit, prenons acte de la déclaration du plus habile d'entre les philosophes; se moquer de tout, nier tout ce qui avait rapport à la religion, voilà les bases de leur système. L'ignorance et la légèreté lui promettaient de nombreux adhérents. Les philosophes n'eurent pour propager leur négation qu'à dessécher les sources de la science religieuse, qu'à renverser les convictions et à combattre par le ridicule les vérités qu'ils ne savaient pas attaquer par le raisonnement. Tel fut leur projet, tels furent leurs moyens.

Ce projet toutefois rencontrait de sérieux obstacles dans le clergé et dans les ordres religieux qui donnaient au clergé de zélés auxiliaires. La philosophie avait compris qu'il fallait détruire les uns pour ruiner l'autre.

Le parti philosophique, disait un illustre jurisconsulte, avait depuis longtemps formé le projet de frapper tous les ordres monastiques. Il était en effet facile de prévoir que le clergé séculier, absorbé par l'administration des paroisses, pourrait difficilement se livrer à la réfutation. des livres qui, à cette époque, inondaient déjà le monde. « C'était frapper au cœur le clergé régulier que d'a

(1) De la Destruction des Jésuites, p. 129.

battre une société qui jouissait, j'en conviens, d'un crédit immense, et qui compta dans ses rangs des savants et des écrivains distingués.

« Les jésuites avaient d'ailleurs commis le crime irrémissible d'élever les premiers la voix contre les maximes dangereuses que renferme l'Encyclopédie; les premiers, ils avaient signalé l'artifice de cette vaste composition où, après avoir exposé dans un article les plus saines doctrines, on n'oublie jamais de renvoyer à d'autres articles où ces principes sont combattus et détruits, ce qui laisse pour dernière et finale instruction, un doute éternel, une indifférence profonde, un pyrrhonisme ab、 solu. » (1)

L'éducation que donnaient les Jésuites à une nombreuse jeunesse élevait contre les projets des philosophes un obstacle plus sérieux encore. «Les Jésuites, d'autant plus aptes à l'œuvre singulièrement difficile de l'éducation de la jeunesse qu'ils s'y dévouaient par vertu et s'y formaient par état, occupaient les colléges des principales villes du royaume. C'était là qu'imbue des grandes vérités de la religion, et pliée à l'exercice des vertus par l'exemple toujours plus éloquent que le précepte, l'élite de la jeunesse française se prémunissait en même temps et contre les sophismes de l'impiété et contre les écarts du libertinage. Ce fut aussi à renverser cette barrière tutélaire qui tenait le jeune âge à l'abri de ses traits, que s'appliqua particulièrement le philosophisme; et, plus fort encore de ses intelligences auprès du trône que de

(1) M. Hennequin, plaidoyer dans l'affaire de l'Étoile. - Voltaire, Correspondance générale, 1758, 26 février. — D'Alembert, De la Destruction des Jésuites, p. 133 et suiv.

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