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de ces attaques en détruisait tout l'effet, ils les bornèrent aux réguliers, qu'ils montrèrent comme gens tout au plus propres à labourer la terre, et aussi incapables qu'indignes de diriger les consciences. Ils s'efforcèrent de leur enlever la confiance et l'estime des évêques; et l'on vit dès lors quelques prélats, séduits ou complices, épouser avec tant de chaleur la cause de ces intrigants, qu'ils la soutinrent contre le Saint-Siége. Dans quelques diocèses, les réguliers, spécialement les Capucins et les Jésuites, furent blâmés, interdits, anathématisés avec un éclat qui réjouit les ennemis de la religion, et jeta les fidèles éclairés dans la désolation, et les simples dans le trouble et les perplexités. Le résultat de ces scandales fut d'éloigner des sacrements tous ceux qui y cherchaient la force et la persévérance.

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Lorsque les Jansénistes eurent fait quelques adeptes dans les congrégations religieuses, surtout dans celle de l'Oratoire (1), ils eurent l'espoir d'y trouver de nouveaux appuis, et résolurent de mettre la division entre les divers ordres réguliers, afin de paralyser leur influence, s'ils ne parvenaient point à les rallier sous leurs drapeaux. La Compagnie de Jésus sembla rester le seul corps d'armée contre lequel ils dressaient leurs batteries. Le mot de Jésuite fut leur cri de guerre, et sous ce nom, qui leur promettait l'impunité, ils attaquèrent à outrance l'Église, le Saint-Siége, l'épiscopat, le clergé séculier et régulier, tous les catholiques. Sous prétexte d'attaquer la doctrine des Jésuites, ils combattirent dans des nuées

(1) On a remarqué avec beaucoup de justesse que les ordres religieux dont le général résidait auprès du Souverain Pontife ont été les plus fidèles à l'unité catholique, parceque, par ce canal, ils recevaient de sa source le véritable esprit de l'Église.

de pamphlets, de factums, de libelles, la doctrine de l'Église, que les Jésuites se faisaient gloire de défendre.

« Il y a longtemps qu'on est sur la défensive, s'écriait du fond de la Hollande un Bénédictin apostat; il faut attaquer les Jésuites de front, les dénoncer à l'Église dans les formes, et que les ordres de Saint-Benoît, de Saint-Dominique, des Chanoines réguliers, des Carmes, des Pères de l'Oratoire, et en un mot tous ceux qui suivent la doctrine de S. Augustin et de S. Thomas, se réunissent et mettent à leur tête les docteurs et les ecclésiastiques qui ne se sont pas laissé entraîner par la cabale nombreuse et puissante des Jésuites, mais surtout le peu d'évêques qui, en France, ont conservé la pureté de la foi..... C'est avec toutes ces forces qu'il faut attaquer la secte jésuitique, pour la dissiper entièrement. » (V. De Viaixnes, 3° Mém. sur les prop. des Jans., p. 2.)

L'épiscopat français ne s'y laissa pas tromper; et la vigoureuse résistance qu'il opposa aux entreprises d'une secte qui prétendait, par un mot de convention, mettre en défaut son zèle et sa science, fit retomber sur ellemême l'injure dont elle avait essayé de le flétrir.

<< Telle est la mode du parti, disait Fénelon. A l'entendre, les Jésuites font tout sans eux, le fantôme d'une hérésie imaginaire disparaîtrait en un moment; ils font tous les mandements des évêques, et même toutes les constitutions du siége apostolique. Qu'y a-t-il de plus absurde et de plus indigne d'être écouté sérieusement que des déclamations si outrées ? » (1)

D'ailleurs les jansénistes trahissaient leur doctrine à mesure qu'ils la développaient. A qui pouvaient-ils dire,

(1) Fénelon, Examen de l'écrit intitulé: Réponse du Cardinal de Noailles au Mémoire que le Roi lui a fait l'honneur de lui donner. § IX.

si ce n'est à leurs partisans, qu'ils n'en voulaient qu'aux Jésuites, lorsqu'ils propageaient par tous les moyens possibles un système de religion qui tendait à détruire la véritable? Ainsi, sous prétexte de combattre un corps religieux, ils attaquèrent l'infaillibilité de l'Église pour en décliner l'autorité; ils en nièrent la visibilité pour avoir le droit de ne la reconnaître nulle part. Ils rejetèrent la suprématie du Pontife Romain; empruntèrent à Luther et à Calvin les ignobles qualifications que ceux-ci lui avaient données. Ils ne respectèrent pas plus la dignité épiscopale quand leurs intérêts ne les forcèrent pas à la modération. Après avoir égalé les évêques au Souverain Pontife, ils les mirent au rang des simples prêtres, et donnèrent aux uns et aux autres une égale juridiction et les mêmes attributions. Bien plus, ils dépouillèrent l'Église enseignante du pouvoir des clefs, et les déposèrent entre les mains des simples fidèles; et poussant jusqu'à l'indécence et au ridicule les conséquences de leurs principes, ils attribuèrent à différentes classes du corps des fidèles, les priviléges les plus sacrés de l'église enseignante : aux défenseurs des causes civiles, ils donnèrent le droit de faire des consultations et de porter des sentences improbatoires contre tout ce que le pape et les évêques pourraient entreprendre en faveur de l'Eglise de Jésus-Christ. Ils proclamèrent les parlements comme les gardiens de la foi et les juges naturels de la religion. Ils donnèrent aux princes temporels le droit inaliénable de convoquer les conciles généraux à l'exclusion du pape et des évêques, et aux femmes le pouvoir de célébrer les saints mystères et d'administrer les sacrements.

Ces étranges prétentions furent foudroyées; mais leurs auteurs y restèrent fidèles et les défendirent avec

un fanatisme qui tenait de la fureur. Leur opposition à la bulle Unigenitus les jeta dans de nouveaux excès; ils en appelèrent à un futur concile dont ils ne voulaient point, soutinrent leur appel par des moyens avilissants, et tombèrent enfin jusqu'aux convulsions et aux farces de Saint-Médard.

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CHAPITRE SECOND.

La Compagnie de Jésus est assaillie par le jansénisme, la magistrature, la philosophie, la franc-maçonnerie et par les spéculateurs politiques.

De pareils spectacles faisaient rire l'Europe, mais ils n'affaiblissaient point l'influence de la secte qui les donnait. Elle pénétra jusque dans les monastères dont l'entrée ne lui était pas interdite par la régularité, y recruta ses plus habiles et ses plus chauds défenseurs, et y prépara ces nombreuses défections qui, plus tard, affligèrent l'Église. Elle envahit des congrégations entières, dont elle parvint à ternir la gloire jusqu'alors sans mélange, et fit de nombreux prosélytes dans les rangs inférieurs du clergé (1). La magistrature française, que distinguèrent toujours la science et la gravité, comptait alors dans son sein quelques-uns de ces hommes qui, joignant l'audace au génie de l'intrigue, des passions haineuses à l'art de les cacher sous l'apparence du bien public, savent intéresser à leur cause les qualités généreuses d'un corps entier, et le précipiter en masse dans

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(1) Fénelon, OEuvres complètes (Paris, de l'imp. de Lebel, 1822), t. XII, p. 605.

des voies où l'on ne rencontre ni la modération ni la justice. Ce fut à des hommes de ce caractère que s'adressa le jansénisme; il en trouva plusieurs décidés à mettre au service de sa cause et leurs propres talents et la puissance magistrale. Le projet n'était pas difficile : les doctrines janséniennes avaient, avec les traditions des parlements, un air de fraternité qui fit illusion aux membres les plus intègres de ces corps illustres. Ceuxci généralement voués dès lors, peut-être à leur insu, à une secte qui compromettait leur gloire, et trompés sans doute par une apparence de justice à laquelle seule ils auraient voulu sacrifier, épousèrent les intérêts du jansénisme, et les défendirent avec ardeur contre tout le clergé orthodoxe. Il aurait fallu qu'une main vigoureuse les arrêtât sur la pente fatale où la plus insidieuse des hérésies venait de les placer; mais alors l'autorité royale était entre des mains incapables de la faire respecter. Louis XV traînait dans la volupté la gloire d'une jeunesse sans tache, et perdait, dans les plaisirs, la force de faire un acte de vigueur en faveur des principes religieux, qu'il n'avait pas cessé d'estimer; il n'avait plus que des velléités que les parlements éludèrent toujours. Malgré les avis des plus sages d'entre leurs membres, ils cédèrent à l'impulsion que leur avaient donnée quelques intrigants; ils se servirent du glaive des lois pour satisfaire la vengeance d'un parti qu'ils étaient chargés de réprimer, et se mirent, pour lui plaire, à régenter l'Église, à changer sa discipline, à forcer le clergé d'administrer les sacrements à qui ils voulaient, et de justifier ceux que l'Église condamnait. Les évêques opposèrent à ces empiètements inouïs une résistance calme mais forte. Cette opposition, commandée par le devoir,

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