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gnement et la privation des sacrements, les poussait dans l'inaction ou dans le désespoir en soutenant que la grâce opérait toute seule en ceux à qui elle était donnée, et que ce privilége ne s'accordait qu'aux élus.

Il laissa cette doctrine en héritage à ses disciples, qui ne s'en départirent jamais. Ils ne furent pas moins fidèles aux moyens aussi peu louables qu'il leur apprit à mettre en usage pour la soutenir et la répandre.

Le premier fut de traiter en hérétiques et en pervers les prêtres qui ne suivaient ni sa doctrine ni sa morale. Sous sa plume ceux qui, fidèles à la voix de l'Église, enseignaient que le chrétien doit donner à la grâce le concours de sa volonté, furent transformés en pélagiens; ceux qui ne rendaient pas inaccessibles les sacrements de la pénitence et de l'Eucharistie et qui, toujours selon l'esprit de l'Eglise, en favorisaient l'usage et la fréquentation, devinrent des moralistes relâchés. Et, afin de ne pas indisposer le clergé orthodoxe contre lui, il le désignal tout entier sous la dénomination collective de jésuites, parceque ces religieux, voués par état à seconder l'épiscopat et tout le clergé séculier dans l'exercice de leur zèle et dans les fonctions du ministère, étaient le plus attachés à la doctrine et à l'esprit de l'Église romaine. (1) Le pélagia

(1) On lit dans un ouvrage composé par de Monbron et intitulé: Disquisitio historico-theologica, an Jansenismus sit merum phantasma, part. 1, c. 14, p. 139 et suiv., l'attestation suivante: «Nos Marcus a Nativitate Virginis, provincialis carmelitarum provinciæ Turonensis, hoc scripto declaramus, quod ann. 1652 et 1654 D. de Razilly, vir nobilis Turonensis testatus nobis sit, interfuisse se circa ann. 1620 colloquio cuidam virorum in ecclesia spectabilium, inter quos erant Dominus Duvergier, cui nomen deinde fuit abbati Sancyrano, et Dominus Jansenius, dein Iprensium in Flandria episcopus. Proponebat in eo colloquio D. Duvergier ut ne fideles regularium templa adirent tam frequenter, optimum factu fore

nisme et la morale relâchée étaient incompatibles avec les vertus d'un chrétien et avec les qualités d'un honnête homme; c'est pourquoi, au dire de l'abbé de Saint-Cyran, les Jésuites étaient coupables et fauteurs de tous les crimes qu'il est possible à l'homme de commettre et d'imaginer. Nous n'en reproduirons pas la liste; elle forme un énorme volume in-folio dans les œuvres de ce sectaire, et ses disciples l'ont si souvent reproduite et accompagnée de tant de commentaires, qu'ils en ont formé des bibliothèques entières. Au reste, il l'avait trouvée déjà toute dressée dans les ouvrages des calvinistes et des luthé

si ecclesiastici, qui administrandis sacramentis dabant operam, praxi uterentur ei opposita, quæ id temporis usurpabatur a regularibus, pœnitentiæ vero sacramentum difficile redderent, eucharistiæ autem ut usus rarior esset, efficerent. Jansenio consultum non videbatur in religiosos omnes simul insurgere, sed initium, aiebat, sumendum esse a Jesuitis; neque enim difficile futurum demonstrare perversam esse eorum de gratia doctrinam, et sopitas de ea re sub Clemente VIII concertationes restituere. In eum finem librum se conscripturum addicebat, quo Jesuitarum doctrinam impeteret, quem suspicio est eum esse qui deinde prodiit in publicum hoc insignitus titulo: AUGUSTINUS, etc.

Priorem agebam in conventu nostro Turonensi cum Dominus de Razilly priusquam obiret, sui etiamnum apprime compos ac conscius, quæ de illo colloquio ante commemoraverat, iterato testatus est esse vera. Sed et hæc eadem narrarat patri Nicolao a Visitatione prædecessori meo eodem in munere Prioris, subjeceratque edixisse se viris istis, non placuisse sibi ea consilia aut colloquia, quippe in quibus nihil agebatur aliud, quam ut passioni suæ atque utilitati inservirent. In quorum fidem has propria manu scriptas signavi, et signari curavi per assistentem nostrum, atque insuper sigillo officii nostri munivi. Actum Turonibus, 29 julii 1687.

Suit l'attestation de l'assistant. Ce témoignage se trouve confirmé dans la Bibliotheca Carmelitana, par D. De Villiers. t. 2, coll. 322 et seq., et dans la Brevis notitia de Phantasmate Jansenismi (édition d'Augsbourg, 1782, p. 5). —On pourrait ajouter la relation d'une autre réunion de Jansénistes, par Fillau, qui rapporte des projets semblables.

riens, qui étaient dans les mêmes dispositions que lui à l'égard des Jésuites et de l'Église elle-même.

Une mauvaise cause ne se soutient que par de mauvaises raisons; il semble qu'avant d'entrer dans la voie où les engageait leur maître, les disciples de l'abbé de SaintCyran aient voulu s'excuser de celles qu'ils apporteraient pour la défense de la leur.

Antoine Arnaud, le Mélancthon du parti, composa d'abord, dans ce dessein, une Dissertation selon la méthode des géomètres pour la justification de ceux qui emploient en écrivant, dans de certaines rencontres, des termes que le monde estime durs. Ces précautions prises, le parti se donna le droit d'emprunter à la haine les calomnies les plus odieuses et les injures les plus dégoûtantes. Ce fut toujours sur ce ton et par ces moyens qu'il poursuivit l'entreprise de son chef.

Arnaud, un des premiers, écrivit des volumes à l'appui des opinions de Saint-Cyran sur les sacrements de pénitence et d'Eucharistie. Comme lui, il réduisait à la pénitence publique les dispositions qu'il fallait y apporter. Il ne se proposait cependant pas de faire revivre toutes les pénitences publiques en usage dans les premiers siècles de l'Église ; il les bornait à la privation du sacrement de l'Eucharistie, le plus à portée de tous les fidèles. Si, après plusieurs années de privation et d'attente, un chrétien voulait enfin sortir d'une pénitence que le respect pour les sacrements lui avait imposée, Arnaud l'y retenait par amour pour la perfection religieuse.

L'ouvrage d'Arnaud en enfanta beaucoup d'autres du même genre, ou plutôt il fut reproduit sous mille formes différentes par le parti qui le répandit avec profusion dans toute la France; et partout où ces livres étaient

goûtés, on désertait les tribunaux de la pénitence, les autels et même les temples.

D'autres disciples de Saint-Cyran, donnant à sa doctrine de plus amples développements, soutinrent que l'absolution ne peut s'accorder qu'une seule fois dans la vie ; qu'il suffit de se confesser à Dieu; que les simples laïques peuvent entendre les confessions, en laissant à Jésus-Christ la sentence d'absolution; que la privation volontaire de l'Eucharistie est aussi efficace que le sacrement lui-même, etc. (1). Il en était qui, comme le diacre Paris, le saint du parti, soutenaient qu'un chrétien justifié par le baptême ne pouvait plus retomber que par miracle dans la disgrâce de Dieu (2), et que le baptême donnant au sacrifice de la croix toute son efficacité, par une application individuelle, il était inutile de le renouveler sur nos autels (3). Aussi vit on, dans le parti, les plus saints de ses prêtres s'abstenir de la célébration du saint sacrifice avec autant de scrupule que les plus fervents des laïques en mettaient à s'éloigner des

sacrements.

Les calvinistes reconnurent là leurs principes, et ils se réjouirent de la nouvelle recrue que l'école de SaintCyran fournissait à leur cause et à leurs projets. Elle leur donna bien d'autres preuves de connivenee. En effet, lorsque la Compagnie de Jésus, victime d'une intrigue hérétique, allait être réhabilitée dans ses droits

(1) Le Traité de piété composé par M. Hamon, pour l'instruction et la consolation des religieuses de Port-Royal, est rempli de ces paradoxes. (2) Dans son Eclaircissement sur la stabilité de la justice chrétienne, etc., qui se trouve dans le tom. 2 de son Explic. de l'Epit. aux Rom., après le chap. 6, p. 298.

(3) Ibid.

par Henri IV, des ministres protestants, réunis en congrès à Grenoble, avisèrent au moyen de conjurer le fléau qui menaçait leur secte. «<lls y convinrent que si les « Jésuites étaient rappelés comme l'on bruit, la cause « ne reçût jamais tant d'échec à Moncontour, Jarnac et << Saint-Denis ; que de nécessité nécessitante, il fallait se « jeter à la traverse, trouver quelque invention, la fureter « sous terre, n'en fùt-il point; qu'il était assez loisible . de mentir, calomnier, faire et contrefaire, dire et dé<< dire en telles occasions fondamentales de l'Église ; que « dès à présent un beau moyen se présentait à leurs « yeux, à savoir, de faire courir sous main force papiers « volants, les chargeant ores d'une chose, ores d'une « autre, et que cela fût dru et menu comme grêle, pour avoir plus d'effet et rendre la chose plus croyable..... « Sur quoi, d'une commune voix, fut arrêté qu'il serait «< ainsi fait, confessant tous ingénument et sans contra« diction que, ou il fallait perdre les Jésuites, ou que les « Jésuites perdraient leur religion (1). » Les enfants de Calvin, comme l'on sait, furent rarement infidèles à ces projets ; les disciples de Saint-Cyran ne s'en écartèrent pas davantage; ils l'exécutèrent même avec plus d'habileté.

Pour donner du crédit aux principes de leurs chefs sur les sacrements, ils attaquèrent la doctrine contraire, c'est à dire celle de l'Église, et traînèrent dans la boue tous ceux qui l'enseignaient et la suivaient. Ils représentèrent aux chrétiens comme des hommes intéressés, hypocrites, hérétiques, scélérats, les directeurs de leurs consciences. Mais comprenant que la généralité même

(1) Les Contredits au libelle intitulé Hist. not. du P. Henry, j., brûlé à Anvers, par Ségurie Vouëen, 1602, p. 22 et suiv.

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