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lorsque des agents de l'assemblée arrivèrent à Montauban pour faire l'inventaire des biens meubles et immeubles de ces religieux, six cents femmes, armées de tout ce qu'elles avaient trouvé sous la main, vinrent prendre sous leur protection le couvent des Cordeliers, et s'opposèrent à l'opération des commissaires. Ceux-ci recoururent à l'autorité militaire; on leur envoya un détachement de dragons, auxquels se joignirent des bandes de calvinistes; ils commirent quelques actes d'hostilité qui irritèrent le peuple : celui-ci courut aux armes, s'empara de l'hôtel-de-ville, qu'occupaient les protestants, renversa tout ce qui opposait quelque résistance et obligea les dragons et leurs auxiliaires à chercher leur salut dans la fuite. Les succès du peuple lui amenèrent de nouveaux ennemis, et Montauban allait voir se renouveler les maux qui étaient encore écrits sur ses murailles en caractères de sang, lorsque la prudence du général chargé de l'assiéger sut amener un accommodement pacifique.

A la vue de ces manifestations, l'assemblée nationale aurait dû comprendre que ses innovations, loin d'avoir les sympathies des populations, blessaient au contraire profondément les convictions les plus chères et les plus plus respectables, et qu'à la faveur de ses décrets les passions mauvaises allaient mettre tout le royaume en combustion. Mais le sort en était jeté : la faction qui tyrannisait l'assemblée avait résolu la ruine de la religion catholique; elle l'avait préparée en lui enlevant l'appui des ordres religieux, en lui ravissant des biens qui assuraient l'indépendance de ses ministres et leur donnaient les moyens d'exercer l'influence de leur ministère; elle va maintenant consommer son œuvre en imposant au clergé la constitution avilissante qu'elle a inventée.

LIVRE

SIXIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

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La constitution civile du clergé, conséquence nécessaire et complément des atteintes portées jusqu'alors aux droits de l'Église, est décrétée par les membres de la gauche et rejetée par les évêques de la droite, qui lui opposent l'Exposition des principes sur la constitution civile du clergé.

Il serait plus facile de faire remonter vers sa source un fleuve rapide, ou d'arrêter dans ses immenses bonds un roc détaché du sommet d'une montagne escarpée que d'échapper aux conséquences d'une erreur ou d'une vérité posée en principe. La logique est toujours inflexible, et elle se trouve partout, jusque dans le désordre des passions, jusque dans le tourbillon des événements. La constitution civile du clergé, ce chaos de pouvoir et de juridiction où nous a conduits le fil de l'histoire, nous offre un trop déplorable exemple de cette vérité. Une magistrature ambitieuse, appuyée sur ce qu'elle appelait libertés de l'Eglise gallicane, avait prétendu que sa compétence s'étendait sur la discipline de l'Eglise; et, partant de sa prétention comme d'un principe incontestable, quoique toujours contesté, elle avait plus d'une fois exercé dans des matières religieuses un pouvoir usurpé: flattée dans ses excès par un parti hérétique, son ambition avait trouvé dans cette connivence une audace à

laquelle, nous l'avouons à regret, la partie même la plus saine du clergé français n'opposa pas des principes assez rigoureux, ni une résistance assez ferme. Les parlements poussèrent donc plus avant leurs incursions dans le domaine de l'Église; après s'être souvent opposés à l'exercice du ministère sacerdotal, ils prétendirent le régler; on les vit forcer des prêtres à prononcer au nom du ciel les paroles sacramentelles de l'absolution sur des hommes qui persistaient dans des erreurs condamnées par l'Eglise. Cette violence les entraîna tout naturellement dans le champ de la théologie: pour justifier leur conduite, ils alléguèrent que les opinions qui fermaient aux jansénistes les trésors de l'Eglise n'étaient point hérétiques; que ce reproche retombait sur les doctrines de leurs adversaires; et que le Souverain Pontife, en les proscrivant, avait suivi le mouvement d'une ambition haineuse et usurpé un pouvoir qu'il ne possédait pas. Le clergé orthodoxe s'éleva contre ces sacriléges prétentions; la résistance enflamma les colères des parlements; la religion catholique était trop respectée parmi nous; ils n'osèrent donc pas les décharger sur le clergé en général; ils se bornèrent à en persécuter les membres les plus intègres mais ils se déchaînèrent avec un emportement peu digne de leur caractère contre un corps religieux qui, créé pour la propagation de la foi et la défense des droits de l'Eglise catholique, n'avait jamais oublié une origine si pure. Les coups que leur vengeance voulait porter à cet ordre devaient atteindre l'Eglise elle-même qui l'avait inspiré et confirmé; mais les parlements espéraient que leurs attaques contre une corporation par · ticulière ne seraient regardées que comme une lutte de rivalité, une guerre isolée dont l'Eglise n'avait rien à

redouter. C'est pourquoi ils s'efforcèrent de cacher sous des prétextes spécieux les motifs véritables de leur animosité. Soit que leur intention restât couverte, soit que leurs prétextes fissent illusion, soit enfin qu'une jalousie secrète favorisât leurs opérations, ils purent au mépris des lois de l'Eglise et de la justice proscrire la Compagnie de Jésus, et lui faire expier par une ruine totale son attachement à l'Eglise romaine et son zèle pour les droits du Saint-Siége: les chants de triomphe du jansénisme et de la philosophie accompagnèrent sa chute; plusieurs membres du clergé la virent avec indifférence, peut-être même avec une secrète satisfaction; mais le souverain Pontife et les évêques de France les plus attachés à la chaire de Pierre comprirent toute la portée de cet acte d'iniquité, revendiquèrent les droits de l'Église, et protestèrent contre les empiétements de la magistrature. Mais les parlements étaient forts de toute la faiblesse du pouvoir; ils châtièrent de si justes reproches et s'abandonnèrent au torrent des conséquences qui s'échappaient de ces principes. Peu contents d'avoir attenté à l'existence d'une institution que sa nature et son origine mettaient sous la dépendance de l'Église, ils osèrent encore forcer le sanctuaire de la conscience et y exercer un sacrilége despotisme : les membres dispersés de cette société furent sommés par elle de renoncer aux engagements qu'ils avaient contractés avec Dieu, ou de choisir entre le parjure et l'exil: les enfants d'Ignace prirent la route de l'exil; mais leurs persécuteurs restèrent dans le domaine de l'Église qu'on leur avait laissé usurper.

Il était facile de prévoir qu'ils ne s'arrêteraient pas à ce point; mais qu'un jour viendrait, si l'on n'y prenait garde, qu'ils exerceraient sur toute l'Église des prétentions

dont ils avaient fait l'essai sur une corporation particulière. En effet, puisqu'ils avaient osé condamner des constitutions approuvées par l'Église, pourquoi ne prétendraient-ils pas juger et condamner la constitution de l'Église elle-même ? puisqu'ils avaient aboli des vœux que l'Église avait reçus, pourquoi n'étendraient-ils pas leur prétendue juridiction jusqu'aux engagements que l'on contracte avec le sacerdoce? puisqu'ils avaient exigé des religieux le serment de renoncer à une vocation que l'Église avait bénie et à la fidélité aux devoirs que cette vocation leur imposait, pourquoi n'exigeraient-ils pas de tous les prêtres le serment de trahir l'Église? pourquoi ne les obligeraient-ils pas à rompre le célibat? pourquoi ne dispenseraient-ils pas tous les humains de tout devoir, de toute obligation envers Dieu ? pourquoi enfin n'anéantiraient-ils pas le culte et la religion? Nous n'exagérons rien, nous ne faisons que déduire les conséquences inévitables d'une erreur posée en principe. L'imagination cependant reculerait devant de pareils excès si l'histoire que nous traitons ne nous en constatait la réalité.

L'assemblée constituante, qui avait concentré en elle tous les pouvoirs civils, s'était aussi arrogé l'autorité ecclésiastique : la spoliation du clergé était un élément de son système de finance, et la ruine de la religion catholique entrait dans son plan de réforme et de régénération. Les quatre articles, les libertés de l'Église gallicane, l'autorité de Fleury, les écrits de maître Pithou, la conduite des évêques quenellistes, l'exemple des parlements, les systèmes philosophiques, les principes calvinistes, telles furent les sources où ils puisèrent les arguments pour soutenir leurs prétentions. Le parti anticatholique, pour mieux cacher l'étendue de ses projets, s'attaqua d'abord

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