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dre amour pour la religion, soutinrent que la motion de l'évêque de Nancy blessait la dignité de l'Eglise, et firent décréter que, par respect pour la religion, l'assemblée passait à l'ordre du jour.

On reprit la question des ordres religieux, et l'on se hâta d'arriver au résultat désiré.

L'abbé de Montesquiou n'avait rien dit pour prévenir le décret de suppression; il parla pour le formuler. Persuadé que la majorité ne reviendrait pas sur une détermination bien arrêtée, il feignit d'entrer dans ses vues, et proposa un projet de décret qui, en laissant à la conscience individuelle l'exercice de sa liberté et aux religieux le droit de cohabitation, éclipsait le vœu aux yeux de la loi, et le renfermait dans le sanctuaire de la conscience que la loi ne peut et ne doit jamais forcer. Il était conçu en ces termes :

ART. I. L'assemblée nationale décrète que la loi ne reconnaîtra plus les vœux solennels de l'un et de l'autre sexe.

II. Qu'elle ne mettra aucun empêchement à la sortie des religieux de l'un et de l'autre sexe, et que la puissance ecclésiastique n'en connaîtra que pour le for intérieur. III. Que tous ceux qui voudront rester dans les cloîtres seront libres d'y demeurer.

IV. Que les départements choisiront pour les religieux qui voudront y demeurer des maisons commodes.

V. Les religieuses pourront rester dans les maisons où elles sont aujourd'hui, l'assemblée les exceptant de l'obligation où seront les religieux de réunir plusieurs maisons en une seule. (1)

Ce projet semblait conserver des égards pour l'huma

(1) Moniteur univ., 1790, séances du 12, 13 et 14 février.

nité, et réserver à d'autres temps le soin de réparer une grande injustice. Le protestant Barnave s'en aperçut, et, pour ne laisser aucun regret à l'intolérance, il formula à son tour le projet suivant :

« L'assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, que les ordres et congrégations religieuses sont et demeureront à jamais supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi à l'avenir, se réservant l'assemblée nationale de pourvoir au sort des religieux qui voudront sortir de leurs cloîtres. »

Le projet de Montesquiou, en laissant quelque liberté à la conscience, sauvait un peu plus l'honneur de l'assemblée; celui de Barnave remplissait mieux ses vues. Elle mit le premier en délibération, et adopta le second par voie d'amendement.

La droite, qui avait toujours défendu dans l'assemblée la cause de la justice, eut encore à défendre celle de la loyauté française. Par l'organe de M. d'Espréménil, elle évoqua sur la faction toute la honte qu'elle avait prétendu éviter. Des murmures, des huées, des cris ignobles partirent alors des galeries et des bancs de l'opposition; mais le noble orateur les flétrit par une de ces réponses dont une grande âme a seule le secret : « Il vous sera plus possible, leur dit-il, de défendre et d'appuyer un article contraire aux principes que de m'empêcher d'en attaquer un contraire à ma conscience. »>

L'abbé d'Eymar à son tour eut le courage de faire entendre la voix des provinces et de rappeler les vœux qu'elles avaient exprimés dans leurs cahiers; mais la majorité fit décréter que l'assemblée n'entendrait aucune réclamation; et, pour prévenir ou étouffer d'autres déclarations du même genre, elle précipita le vote définitif; et

malgré les protestations de la droite, qui refusa de prendre part à cette décision, elle changea en décret la motion du calviniste Barnave et l'adopta sous la forme suivante:

« L'assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, que la loi ne reconnaîtra plus de vœux solennels monastiques des personnes de l'un et de l'autre sexe: déclare en conséquence que les ordres et congrégations religieuses sont et demeureront supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi d'autres à l'avenir. »

L'assemblée nationale exceptait provisoirement de cette mesure les maisons chargées de l'éducation publique et les établissements de charité, qui ne tardèrent pas à subir le sort commun. (1)

Ainsi le parti de l'assemblée qui, par le nombre et souvent par la violence, dominait toutes les discussions, et que formaient des hommes tous désavoués par la religion catholique, délibérant sur une matière en dehors de sa compétence et au dessus de ses attributions, contre les vœux presque unanimes des provinces de qui les députés tenaient leurs pouvoirs, sans intelligence de la question agitée, contre les réclamations des évêques de l'assemblée, des prêtres orthodoxes et de tous les nobles catholiques qui siégeaient avec eux, sur des prétextes étrangers à la question, adopta contre les ordres religieux un décret de suppression proposé par un protestant.

Voilà les souvenirs auxquels on nous renvoie quand nous voulons jouir de la liberté de conscience; voilà les débats et le décret qu'on invoque contre la religion pour lui défendre de recueillir quelques chrétiens sous un même toit, dans une communauté de prières.

(1) Moniteur univ., ibid.

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Plusieurs évêques publient en faveur des religieux proscrits des mandements ou des lettres pastorales, que condamne l'assemblée constituante, mais auxquels le Souverain Pontife unit ses plaintes. La constance des communautés religieuses console l'Église, et irrite la faction qui a supprimé l'état monastique et qui a recours à de basses manœuvres pour augmenter le nombre des apostats.

L'arrêt de proscription que l'assemblée constituante venait de porter contre les ordres religieux répandit la consternation et l'effroi dans les rangs du clergé orthodoxe. De pieux prélats en gémirent devant Dieu, et concentrèrent au fond de leur cœur une douleur dont ils ne rougissaient point, mais qu'ils croyaient prudent de ne pas manifester; d'autres, animés d'un zèle éclairé, crurent que se taire dans de pareilles circonstances c'était trahir l'Eglise, au gouvernement de laquelle Dieu les avait préposés. En effet, des hommes téméraires venaient de porter une nouvelle atteinte aux droits sacrés du SaintSiége et de l'épiscopat; leur arrêt sacrilége forcément publié dans toutes les maisons religieuses allait jeter dans le trouble ou l'affliction les réguliers les plus fervents, tromper l'ignorance de plusieurs, livrer la conscience des autres à une cruelle perplexité et tenter la faiblesse d'un grand nombre d'individus qui, depuis longtemps

infidèles aux règles de leur état, n'attendaient qu'un prétexte pour délivrer de leur présence les maisons dont ils faisaient la honte et les tourments. Il fallait donc protester contre les usurpateurs, consoler, encourager et affermir dans leur vocation les religieux dignes de leur profession, éclairer et diriger la conscience des ignorants et des faibles, faire gronder sur les apostats les foudres de l'Eglise, et prévenir les fidèles contre le scandale de leur conduite. Ce devoir, plusieurs évêques le comprirent et s'en acquittèrent avec un zèle égal à la gravité des circonstances.

L'archevêque d'Auch adressa aux religieux et aux religieuses de son diocèse une lettre touchante où, rappelant avec douleur l'acte inique dont ils étaient victimes, il élevait leurs pensées et leurs espérances vers le ciel, les exhortait avec la tendresse d'un père à bénir avec lui les desseins impénétrables, mais toujours adorables de la Providence, à rester fidèles à la vocation sainte à laquelle Dieu avait daigné les appeler et à tous les devoirs qu'ils s'étaient eux-mêmes imposés par amour pour JésusChrist.

L'évêque de Toulon montra la même bonté, la même sollicitude pour cette portion privilégiée de ses ouailles; mais il déploya plus de sévérité contre ceux des réguliers de son diocèse qui se croiraient autorisés par le décret de l'assemblée à manquer aux engagements qu'ils avaient pris avec le Seigneur. Dans un mandement qu'il publia à cette époque, le zélé prélat mettait à côté des principes de l'Eglise sur la profession religieuse les anathèmes terribles lancés par elle contre les apostats, et les évoquait tous sur la tête des religieux qui ne craindraient pas de les mériter.

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