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Le curé Jallet, que le flambeau de la raison (ce sont ses propres expressions) avait conduit dans les rangs de l'opposition, à côté de Talleyrand, se présenta moins pour défendre les droits de la nation que pour attaquer la hiérarchie sacrée dont il ne méritait pas de faire partie. Son lourd discours était terminé par une série d'articles où se dévoilait tout entière l'âme avide et haineuse d'un prêtre apostat. Il y proposait d'assurer aux minis'res de son degré un commode entretien ; de surseoir à toute nomination aux bénéfices simples, aux abbayes, aux prieurés, et même aux évêchés; de supprimer les collégiales, les chapitres nobles, etc., comme contraires à l'Évangile... de ramener à leur institution primitive les chapitres des cathédrales, ou mieux de les supprimer, s'il se pouvait; quant au clergé régulier, cet homme, qui puisait ses inspirations dans la philosophie voltairienne, ou dans l'égoïsme, le jugeait fort inutile au monde et l'abandonnait à la juste économie de l'assemblée.

Le côté gauche avait espéré que l'effervescence des esprits et l'attitude menaçante des spectateurs glaceraient d'effroi les orateurs du clergé ; il n'en fut pas ainsi : l'illustre de Boisgelin, archevêque d'Aix, releva le gant jeté par les adversaires. Dans un discours élégamment écrit il montra les droits des églises, - les intérêts de la nation,

les devoirs du clergé. La pureté de sa diction, la politesse des formes, la douceur de sa parole, la modération de ses principes, quelques légères concessions commandèrent constamment le silence le plus profond et lui obtinrent même une certaine faveur sur les bancs de l'opposition.

Le fougueux Péthion, qui lui succéda à la tribune, n'eut pas les mêmes égards pour son auditoire : non seulement

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il le blessa par la rudesse des formes, mais encore par l'étrangeté de ses opinions. Son discours, tissu de pensées triviales et disparates, alliait la bouffonnerie à l'impiété, le comique à la méchanceté; il ne prouvait qu'une chose, c'est que son auteur était étranger à la question qu'il croyait traiter. Le côté gauche, craignant qu'un tel orateur ne compromit sa cause, le força par de fréquentes interruptions à mettre fin à une maladroite diatribe qu'il n'aurait pas dû commencer.

L'évêque de Nîmes daigna cependant répondre à Péthion; mais moins pour le réfuter que pour lui rappeler les éléments de la religion et les notions historiques les plus vulgaires sur une question qu'il n'entendait pas. Après M. de Balore, l'abbé de Montesquiou présenta en termes calmes et dignes de nouvelles réflexions sur le même sujet ; il reprit les plus fortes objections qu'on eût faites dans l'assemblée sur la propriété des biens ecclésiastiques, et fit à toutes une réponse péremptoire. La force de ces raisons causa dans l'assemblée un murmure de surprise et d'approbation. L'orateur, qui s'en aperçut, en profita pour faire ajourner à une autre séance la suite de la discussion. (1)

Ce délai sauva peut-être la cause des partis antireligieux. Les défenseurs du clergé avaient mis ses droits dans un si grand jour qu'il était impossible de les méconnaître; et un vote définitif aurait pu les confirmer si on eût été aux voix; aussi Mirabeau opina-t-il le premier pour que l'assemblée manquàt à la décision qu'elle avait prise à l'ouverture de la séance. Lorsqu'elle fut levée, les ennemis du clergé allèrent dévorer leur dépit

(1) Journal général de France, 1789, 3 novembre.

au Palais-Royal, et prendre entre eux des mesures propres à prévenir un nouvel échec. On jura d'emporter ce décret dans la prochaine séance, fallût-il égorger ceux qui l'avaient jusqu'alors combattu. Le 1er novembre on fit courir de nouveau les propos les plus injurieux contré le clergé; on répandit le bruit que la mort ferait expier leur refus aux députés ecclésiastiques si la motion de Mirabeau n'était pas adoptée. Le mot d'ordre fut donné aux agents du parti. Le 2 novembre, jour où le côté gauche avait résolu d'arracher ce décret, des milliers de bandits se rendirent avant l'heure au lieu des séances, armés de piques, de sabres ou de poignards. A mesure qu'ils voyaient arriver quelque député du clergé ils l'accablaient d'injures atroces, et, brandissant leurs armes à ses yeux, ils lui montraient avec un rire féroce les instruments qui devaient avoir raison de son vote s'il était contraire à la motion de Mirabeau. Ce jour-là les rangs du côté droit se trouvèrent éclaircis ; plus de cent des honnêtes députés qui y siégeaient n'eurent pas le courage d'assister à une séance d'où la liberté était bannie: la douleur, l'indignation ou l'effroi leur avait interdit l'abord de ce théâtre d'horreurs. Jamais au contraire on n'avait vu plus pressés les rangs du côté opposé. Forts de leur nombre, de leurs bandes armées, les adversaires du clergé semblaient cependant craindre encore la force de la vérité et l'éloquence des orateurs ecclésiastiques qui lui assurait toujours un triomphe complet quand elle était libre de parler. Pour éviter ce danger, le seul qu'ils eussent à craindre, ils s'emparèrent de la tribune, et en repoussèrent constamment les

(1) Journal général de France, 1789, 5 novembre.

avocats de l'Eglise. Des jansénistes, des apostats, des philosophes y montèrent tour à tour, et vomirent à l'envi contre les prêtres et les religieux les plus dégoûtantes injures. Mirabeau parla le dernier : il résuma toutes les objections faites au clergé, comme si elles étaient restées sans réponse, et les présentà avec d'autant plus d'assurance qu'il savait que personne n'aurait la liberté de lui répondre. Maury se leva plusieurs fois pour le réfuter; la parole lui fut toujours refusée (1). Mirabeau triompha cette fois, car il n'avait eu personne à combattre.

A cet acte de violence les ennemis du clergé en ajoutèrent un autre qui leur en assurait tout le succès; ils voulurent que le mode de voter dans cette affaire fût le plus favorable à la tyrannie et le plus redoutable à la minorité. Sur leur motion il fut arrêté qu'on procéderait à l'appel nominal afin que les députés opposés au décret fussent plus facilement signalés à la fureur des agents du Palais-Royal, et par conséquent moins libres dans leur vote. Cinq cent soixante-huit voix adoptèrent le décret, trois cent quarante-six le rejetèrent; quarante membres refusèrent de se prononcer. Si à ce nombre on ajoute les députés que de trop justes appréhensions avaient éloignés de cette séance, et ceux que des affaires personnelles ou d'autres causes imprévues avaient momentanément rappelés dans leurs provinces, enfin les votës arrachés par la frayeur à des cœurs timides, on réste convaincu que ce sacrilége fut moins le crime de l'ašsemblée nationale que du parti qui l'opprimait. (2)

(1) Journal général de France, 1789, 5 novembre.

(1) Un célèbre publiciste anglais, Burcke, examinant du point de vue politique cette mesure de l'assemblée nationale, a montré tout ce qu'elle

Louis XVI, déjà prisonnier dans son palais, fut forcé de donner à ce décret une sanction qui répugnait à ses principes religieux. Cet infortuné prince conservait encore dans le cœur de ses sujets assez d'amour pour leur rendre sacrée la sanction qu'il donnait aux décrets de l'assemblée, mais il n'avait pas assez de pouvoir pour ne sanctionner que des décrets justes et sages; et la faction environnait ses propres forfaits du respect qu'inspirait encore la bonté du roi.

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Après avoir fait décréter que les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation, les adversaires de l'Église entreprennent d'ôter à l'état religieux le droit d'exister et appuient leurs prétentions sur des arguments qui blessent également la religion, la saine politique et la liberté. Les orateurs du clergé soutiennent ces trois causes dans la défense de l'état régulier; mais la force et la violence leur enlèvent un succès dû à l'évidence de leurs preuves.

Dans le cours des débats relatifs aux droits de la nation sur les biens de l'Eglise, ses adversaires avaient souvent laissé échapper leurs pensées secrètes; Mirabeau, le plus habile d'entre eux, s'était toujours hâté de jeter un voile sur des desseins qu'il n'était pas encore temps de révéler. « Mon objet, avait-il dit, n'a point été de montrer que le clergé dût être dépouillé de ses biens ni que d'autres citoyens, ni que des acquéreurs dussent

avait d'antisocial et de tyrannique. Voir ses Réflexions sur la Révolution de France (traduit de l'anglais sur la 3e éd.), 3o éd,, p. 336 à 348.

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