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partageât leurs opinions et leurs projets; ils ne purent cependant pas alors en assurer le triomphe complet. Une opposition nombreuse soutint avec zèle les droits de la règle, et protesta hautement contre des délibérations prises contre leur gré, dans ce chapitre général. De Brienne en indiqua donc un autre dans la maison des Célestins de Paris, et se chargea cette fois de le présider. Afin de favoriser les prétentions des uns et prévenir les réclamations des autres, il ordonna d'opiner secrètement et par écrit. A la faveur de cette précaution, le P. Saint-Pierre, élu vicaire général dans le chapitre de Limay, put envoyer à Rome une supplique où, attribuant à tous ses confrères ses dispositions personnelles et celles de son parti, il demandait instamment la suppression des Célestins; mais le supérieur général de l'ordre, instruit par quelques-uns de ses plus dignes religieux et par M. de Beaumont, qui les favorisait, informa Clément XIV de l'état des choses.

Le pape, en présence de ces rapports contradictoires, prit un parti mitoyen qui lui parut propre à rendre justice à tout le monde; il chargea les évêques de France dans les diocèses desquels se trouvaient quelques maisons de Gélestins, d'en faire la visite, et de prendre acte des abus qu'ils y découvriraient (1). Soit que ces prélats agissent dans la pensée de l'édit de 1768, soit qu'ils fussent circonvenus par les réfractaires, soit que dans leur bref séjour dans ces monastères ils fussent frappés des abus toujours plus apparents que la vertu, ils dressèrent des procès-verbaux généralement peu

(1) Mémoire à consulter sur l'ordre des Célestins, par le P. Edme Grenot, suivi d'une consultation de Camusat d'Assenet, avocat, brochure de 49 pages in-4°; Paris, 1774.

favorables à l'ordre des Célestins. Sur ces rapports le pape procéda à la suppression des maisons particulières. Celles de Metz, de Sens, de Ternes, d'Ambert, de Vichy, du Colombier, d'Esclimont, de Villeneuve, d'Offremont, de La Châtre, de Rouen, de Limay, d'Amiens, de Lyon, (1) et d'autres encore furent successivement supprimées par des brefs du pape et des lettres-patentes du roi; en sorte qu'en 1779 l'ordre entier était presque éteint dans le royaume (2). Un arrêt du conseil d'État du 4 juillet 1778 désigna la maison de Marcoussy à ceux des Célestins qui voudraient continuer à vivre dans l'observance de leurs règles.

Tandis qu'on poursuivait la destruction des Célestins, la commission précipitait par d'autres moyens la ruine des Cordeliers et des Augustins. Ces deux ordres formaient chacun deux congrégations, qui avaient des usages et des réglements particuliers. De Brienne les força à se confondre et à se faire tout d'un coup à d'autres habitudes. Les Augustins de la province de Paris et les Grands-Argustins eurent ordre de se réunir le 5 mai 1771, d'arrêter le régime qui devait servir de principe à leur réunion. Le 10 septembre de l'année précédente, un arrêt du conseil d'État avait déjà rassemblé à Paris les députés des Cordeliers observantins et ceux des Cordeliers conventuels, avec injonction aux uns et aux au

(1) Le roi de Sardaigne revendiqua les biens des Célestins de Lyon, dont ses ancêtres avaient été les fondateurs. L'abbé de Périgord, depuis évêque d'Autun, écrivit alors un mémoire pour prouver que le clergé est vraiment propriétaire et que des biens ecclésiastiques ne doivent pas être abandonnés aux séculiers; or ce fut contre l'abbé de Périgord que Maury soutint la même thèse en 1789 dans l'assemblée constituante.

(2) Bullar. Roman. continuat., t. iv, p. 710 et seq.

tres de rédiger les articles préliminaires de l'union projetée. Une bulle fulminće l'année suivante consomma cette opération.

Plus de mille communautés supprimées, des ordres entiers abolis, le trouble introduit dans les autres, les instituts altérés et bouleversés, les vocations taries, l'état monastique ébranlé jusqu'en ses fondements, voilà ce que la commission avait fait en moins de six ans. Elle se félicita de son ouvrage, et obtint du roi un arrêt qui consacrât solennellement de si prompts et de si brillants succès. Le 1er avril 1773 parut donc un édit, ou plutôt un ordre du jour, qui, en rendant hommage au zèle des commissaires, louait la clarté, la précision, la sagesse des constitutions qu'ils avaient corrigées et mises dans un nouvel ordre, et prescrivait en trente-quatre articles de nouvelles mesures pour en assurer l'exécution. Or ces mesures, dans leur ensemble, ne tendaient à rien moins qu'à éteindre l'esprit de piété, à réprimer dans les cœurs les élans de la charité, à entraver l'autorité des supérieurs qu'on réduisait à la condition d'officiers de police, à établir dans toutes les maisons un indigne système d'espionnage et à les soustraire à la suprême juridiction du Pontife Romain. (1)

Cet édit fut le dernier acte de faiblesse que de Brienne arracha à Louis XV. Ce prince, jouet malheureux de la débauche, arrivé au bord de la tombe, sentit se ranimer en lui les instincts religieux qu'une vie si criminelle n'avait pas entièrement étouffés dans son cœur; il renvoya de son palais la comtesse Dubarry, qui avait succédé à la qualité et à l'infamie de la marquise de Pompadour, et se prépara

(1) Voir cet édit parmi les pièces justificatives, no V.

par un sincère repentir à recevoir les derniers secours de la religion qu'il avait outragée dans sa morale, moins par malice que par faiblesse. Il termina le 10 mai 1774, dans les plus atroces douleurs, une carrière d'opprobres et de désordres. Ses restes infects, embaumés dans des nuages de parfums, furent précipitamment enfermés dans un triple cercueil et jetés dans un carrosse de chasse que quatre coursiers rapides emportèrent à Saint-Denis, au milieu des ténèbres de la nuit. Tant de précautions ne purent préserver de tout outrage la mémoire de ce prince. Les témoins d'un convoi si peu royal insultaient à ces restes qu'on voulait dérober à l'horreur publique. Un d'entre eux prononça alors un de ces anathèmes qui sont toujours inhumains dans ces circonstances, mais qui malheureusement sont autorisés par les faits: «Va-t en, s'écria-t-il, va-t-en salir l'histoire. » (1)

Louis XV laissa à son successeur des désordres à réparer, de grandes fautes à expier et un trône sous lequel l'irreligion avait pratiqué une mine dont l'explosion ne se fit pas longtemps attendre. Le vertueux Louis XVI, victime vouée à la justice divine, y monta comme sur l'autel de son sacrifice et il y fit briller des qualités qui, dans des temps moins pervers, l'auraient placé à côté de ses plus illustres aïeux. Ces vertus seront sa condamnation au jour où l'impiété sera assez puissante pour briser son sceptre et sa couronne.

Mais n'anticipons pas sur les événements: reprenons la suite des sacriléges attentats qui évoquaient sur notre malheureuse patrie les foudres vengeresses de la Providence.

(4) Siècle de Louis XV, publié par Maton de La Varenne, t. 2, p. 442.

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Monseigneur de Beaumont, archevêque de Paris, et l'assemblée générale du clergé de 1775 protestent contre l'arrêt qui recule jusqu'à vingt-un ans pour les hommes et à dix-huit pour les filles l'émission des vœux, et présentent au roi des remontrances qui restent sans effet. L'assemblée de 1780 renouvelle les mêmes plaintes; mais ses efforts échouent devant les malheureuses circonstances qui amènent la convocation des états-généraux.

De toutes les plaies faites à l'état monastique parles mesures de la commission, la plus cruelle était celle qui en tarissait la vie jusque dans son principe. Depuis qu'on avait reculé jusqu'à vingt-un ans l'âge requis pour l'émission des vœux les vocations étaient devenues aussi rares que peu solides. Les religieux restés fidèles à leurs ordres respectifs, au milieu des secousses violentes qui les agitaient, disparaissaient de jour en jour et n'étaient point remplacés (1). Effrayés du vide qui s'élargissait autour

(1) En moins de dix ans cet article de l'édit avait fait subir à tous les ordres des pertes considérables; dans cet intervalle les Capucins perdirent douze cent cinq religieux et n'en reçurent que quatre cent quarante-six.

Les Grands-Carmes, qui à la publication de l'édit étaient au nombre de treize cent quarante-neuf, se trouvèrent réduits neuf ou dix ans après à mille quatre-vingt-dix-sept.

Dans le même espace de temps les Récollets de la province de Paris perdirent quarante-huit religieux, et sept novices seulement se présentèrent pour les remplacer.

L'ordre de Saint-Dominique comptait à peu près seize cent dix religieux; en 1775 il ne lui en restait plus que douze cent trente-six.

Pendant les sept premières années qui avaient précédé la publication de l'édit l'ordre des Augustins avait reçu cent dix religieux à la profession. Dans le courant des huit années suivantes il n'en reçut que trente

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