Page images
PDF
EPUB

ses premiers conseils, ce ministre se hasarda donc à proposer la dissolution des monastères ; et l'ouverture en fut reçue avec bienveillance par le roi, dont la soif des richesses ne le cédait en rien à l'amour du pouvoir; par les lords du conseil, qui se promettaient une part considérable dans les dépouilles, et par l'archevêque Cranmer, que son adhésion aux nouvelles doctrines engageait à poursuivre la destruction des établissements qui appartenaient aux plus constants défenseurs de l'ancienne foi. La conduite de l'opération fut confiée à l'habileté supérieure et à l'expérience du favori, qui entreprit de jeter le manteau du zèle religieux sur l'injustice de ses procédés.

..

"

<< Dans cette intention le chef de l'Église (anglicane) ordonna une visite générale de tous les monastères; on choisit des commissaires dûment autorisés, parmi les clients de Cromwell, et on les envoya, par paires, dans les districts particuliers, où ils durent exercer leurs talents et leur industrie. Les instructions qu'ils recurent respiraient la piété et l'esprit de réforme, et elles étaient modelées sur celles que l'on donnait dans les visites des légats et des évêques : si bien que l'objet de Henri ne parut aux hommes qui n'étaient pas dans le secret que le désir d'améliorer et de soutenir l'institution monastique, loin de songer à son abolition.

<«< Mais aux instructions publiques des visiteurs on ajouta des ordres secrets pour les engager à parcourir en premier lieu les petits couvents, afin d'exhorter les usufruitiers à remettre leurs possessions au roi, et, en cas de résistance, à réunir, dans chaque district, des informations qui pussent justifier la suppression de la confrérie réfractaire. Les visiteurs n'obtinrent aucun succès relativement à leur principal objet..... mais, de la réu

nion de leurs rapports, on fit un rapport général, que l'on présenta au parlement, où, tandis qu'on faisait l'éloge de la régularité des grands monastères, on dépeignait les moins riches comme livrés à la paresse et à l'immoralité....

« On présenta un bill, et l'on pressa son adoption dans les deux chambres : il passa, bien que ce ne fût pas sans opposition (1). » L'exposé des motifs de ce bill, cité par Cobbett, était conçu en ces termes : « Le genre de vie vicieux, déréglé, charnel et abominable, journellement mené et commis, dans tels prieurés, abbayes et autres maisons religieuses de moines, de chanoines et de nonnes rassemblés en iceux et en icelles au nombre de douze personnes, l'inconduite et le déréglement des chefs de ces établissements religieux, qui gaspillent, détériorent, détruisent et ruinent aussi bien leurs églises, monastères, etc..., que les ornements de leurs églises, leurs meubles et immeubles, et cela au grand déplaisir de Dieu tout puissant, au grand scandale de la religion et à la honte du roi et de son royaume, ont fait songer à prendre des mesures propres à réprimer des abus aussi criants. Depuis deux cents ans on s'est efforcé d'apporter quelques réformes honnêtes et charitables à une vie aussi inconvenante, aussi charnelle, aussi abominable, et cependant les améliorations que l'on a obtenues se réduisent à rien, ou à peu de choses. Au contraire, les vices qu'entraîne une pareille vie se sont encore augmentés; et, par une coutume aussi profondément vicieuse qu'atroce, un grand nombre de religieux de l'un et de l'autre sexe, formant ainsi de petites communautés, ont préféré apostasier que de

(1) Lingard, Histoire d'Angleterre, trad. par le chevalier de Roujoux (1826, chez Carié de La Charie, à Paris), t. vi, p. 341 et suiv.

se conformer aux préceptes de la religion. De sorte que, si on ne supprime point ces petites communautés, et si on n'a pas soin de transférer les religieux de l'un et de l'autre sexe qui les composent dans quelques-uns des grands et honorables monastères de ce royaume, et de les forcer à y vivre suivant les préceptes de la religion et à travailler à la réforme de leur vie, on ne doit espérer aucune répression ni aucune réforme de ce côté. Après avoir pesé attentivement ces différentes considérations, Sa Majesté très royale le roi, chef suprême sur terre, après Dieu, de l'Église d'Angleterre, étudiant journellement et considérant les progrès que la vraie doctrine el la vertu font dans ladite Église, à la seule gloire de Dieu et à son honneur, ainsi que pour extirper et détruire totalement les vices et les péchés, ayant connaissance de ces vérités, et s'étant bien informée de l'état des choses lors des dernières visites qu'elle fit dans ces monastères, et considérant aussi que plusieurs grands monastères du royaume où (grâces en soient rendues à Dieu) on suit d'une manière exemplaire les préceptes de la religion, manquent du nombre des religieux qu'ils devraient avoir, a cru bon de faire aux pairs laïques et ecclésiastiques, ainsi qu'à ses bien amés et féaux sujets les membres de la chambre des communes, du parlement actuel, un exposé des avantages qui ne peuvent manquer d'en résulter. Sur quoi lesdits pairs et lesdits membres des com. munes, après mûre délibération, déclarant que Dieu ne pourra voir qu'avec plaisir que les propriétés de ces petits établissements religieux, dont les revenus sont maintenant dépensés et gaspillés sans autre but que le soutien du péché, soient appropriés à d'autres usages plus convenables, et que ces religieux dont la conduite est si abo

minable, soient forcés à changer leur manière de vivre. »

« Viennent ensuite les dispositions législatives qui concèdent au roi et à ses héritiers la propriété de ces biens. >> (1)

Lorsque Henri VIII crut pouvoir se passer de ménagements, les religieux des grands monastères ne furent pas plus édifiants que ceux des petites communautés, et il se manifesta aussi une nécessité absolue de les détruire. « Les commissaires (nommés pour procéder à leur destruction, continue Lingard) choisirent d'abord les moyens plus doux de la persuasion... mais où manquait la persuasion on avait recours à la rigueur et à la crainte. 1o Le supérieur et ses moines.... étaient asservis à une surveillance minutieuse et vexatoire: on engageait chacun d'eux à accuser les autres, ou on le leur ordonnait; et de méchantes insinuations, des fables sans fondement, étaient soigneusement recueillies et enregistrées. 2o Les commissaires se faisaient représenter les comptes de la maison, comparaient la dépense aux recettes, scrutaient chaque article avec l'air du soupçon et le désir d'y trouver à reprendre, et demandaient la représentation de l'argent monnayé, de l'argenterie et des joyaux. 3° Ils faisaient des recherches dans les bibliothèques et les chambres particulières, examinaient les livres et les papiers; et la découverte de quelque opinion ou traité en faveur de la suprématie papale était regardée comme une preuve suffisante d'attachement aux ennemis du roi et de désobéissance aux statuts du royaume. Le résultat amenait générale

*

་་་

(1) Cobbett, Lettres sur l'histoire de la Réforme en Angleterre et en Irlande, lettre vi, vers le commencement.-On calcule que cet acte dissolvait environ trois cent quatre-vingts communautés. - Lingard, Ibid.

ment une accusation d'immoralité, de péculat ou de haute trahison.» (1)

La dispersion des communautés en était le châtiment ordinaire. Les communautés religieuses n'eurent pas en France un sort plus juste et plus heureux. Les commissaires, nommés pour les réformer, exercèrent dans les mêmes vues et à peu près de la même manière, la mission qu'ils avaient reçue sous les mêmes prétextes que ceux qui avaient motivé la mission des commissaires anglais; en sorte que, à part les noms propres, nous pourrions faire le récit des actes de ceux-ci en racontant les procédés de ceux-là; hâtons-nous de prévenir cependant à la gloire de la France que la commission dont Brienne était le principal agent rencontra une répulsion plus puissante dans les sentiments religieux des peuples et plus d'obstacles dans le zèle des membres les plus respectables du clergé.

CHAPITRE CINQUIÈME.

La commission, munie de divers édits du conseil d'état, supprime des communautés régulières, réunit des congrégations, abolit quelques ordres religieux et prépare la ruine des autres en bouleversant leurs constitutions et leurs usages.

Trois édits consécutifs avaient mis aux mains de la commission un pouvoir qui égalait même celui de l'Église; il s'appesantit bientôt sur tout l'état religieux. On fit naître des divisions dans les monastères dont la ruine était ar

(1) Lingard, ibid., p. 386 et suiv.

« PreviousContinue »