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Les hommes sages et impartiaux, considérant les ordres religieux dans leurs rapports avec l'Eglise et avec l'Etat, alléguaient en leur faveur d'autres motifs qui auraient éclairé un gouvernement moins aveuglé par ses préjugés. Celui dont Choiseul était l'âme avait arrêté la ruine de l'état monastique en France; et il s'opiniâtrait d'autant plus dans son entreprise, que ce projet était l'ouvrage de la passion. La commission, dont les principaux membres avaient le secret du ministère, le servait avec une hypocrisie qui ralentissait ses efforts, mais qui en assurait le succès.

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CHAPITRE QUATRIÈME.

Par un édit émané du conseil d'état, la commission fixe à vingt-un ans pour les religieux, à dix-huit ans pour les religieuses, l'âge requis pour l'émission des vœux, et diminue le nombre des monastères sur des prétextes semblables à ceux qui avaient motivé en Angleterre, sous Henri VIII, la suppression des communautés régulières.

Les réclamations nombreuses que souleva le projet de réforme firent comprendre aux commissaires que leur entreprise rencontrerait de sérieuses difficultés dans la conscience publique, et qu'ils susciteraient plus d'un embarras au gouvernement s'ils voulaient la braver. Ils se firent donc une de ces positions incertaines qu'improuvent toujours la justice et la franchise, et où la haine est ordinairement gênée dans ses exigences: placés entre le projet de détruire et la nécessité de le cacher, ils furent obligés d'agir dans leur intention et de parler contre leur pensée. De là ces inconséquences dans leurs paroles, ces contradictions qui ne révèlent ni un esprit droit ni même une âme loyale; ces protestations d'amour pour

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le bien général et ces sacrifices continuellement faits à des intérêts de parti; ces témoignages de respect pour les droits de l'Eglise et les atteintes qu'ils portaient à ses prérogatives dans toutes leurs opérations; ces hommages rendus tout haut à la religion et les attentats que, sous main, ils commettaient contre elle; ces professions d'obéissance filiale au Saint-Siége et ces actes de despotisme exercés au préjudice de ses droits; ces manifestations d'intérêt données aux corps réguliers et ces mesures vexatoires et tracassières prises contre eux; ces prétextes de les réformer et de les conserver et ce désir de les détruire; de là, en un mot, ce besoin de tromper l'honnêteté publique et de faire illusion à la piété. Tous les édits qu'ils dictèrent à l'autorité royale pour justifier et conserver leurs mesures portent ce caractère de duplicité : tous exposent des motifs dérisoires, et renferment des dispositions tyraniques.

La première question qui se présenta aux délibérations des commissaires fut la marche à suivre dans leurs travaux. La vénération qui entourait encore la plupart des communautés religieuses; les services que les évêques en retiraient; les bienfaits qu'elles répandaient sur les lieux où elles étaient situées; l'attachement que leur conservaient surtout les peuples de la campagne, défendaient à la commission des voies trop promptes et trop violentes et lui imposaient des précautions circonspectes et cauteleuses. Elle recourut donc aux expédients, et résolut d'adopter le système de destruction graduelle.

Elle commença l'exécution de son plan par trois mesures également fatales à l'état qu'elle devait réformer: elle arrêta de faire tenir les chapitres avec fracas; de rétablir la conventualité dans toutes les maisons reli

gieuses, et de reculer l'âge requis pour l'émission des vœux. Par le premier moyen elle mettait le désordre dans les communautés ; mais elle le cacha sous le prétexte qu'elle ne pouvait obtenir que des chapitres les renseignements nécessaires à sa mission; par le second, elle réduisait considérablement le nombre des communautés; mais elle affecta un grand zèle pour la discipline, pour l'office du chœur, pour tous les devoirs monastiques plus difficiles à observer dans les maisons peu nombreuses. La troisième mesure enlevait aux ordres religieux beaucoup de nouvelles vocations; pour la motiver, la commission prétendait que l'importance et l'indissolubilité des engagements religieux exigent de ceux qui les contractent assez de maturité dans le jugement pour prévenir tous les regrets ; et c'est pourquoi elle crut devoir fixer àvingt-un ans l'âge où l'on était assez mûr pour s'engager prudemment dans ces liens sacrés.

Ces résolutions arrêtées, la commission les fit consacrer par deux édits solennels: par le premier, publié le 3 avril 1767, elle excusait, sur des prétextes plus ou moins spécieux, les mesures violentes et tracassières qu'elle allait prendre contre l'état monastique, la tenue des chapitres, l'examen des constitutions, la suppression des maisons peu nombreuses, et d'autres fatals bouleversements (1); le second édit, triste et fameux monument des perfides intentions des commissaires, prescrivait en ces termes les dispositions que le premier avait fait pressentir:

(1) En voir un long extrait dans les pièces justificatives, no IV.

ÉDIT DU ROI CONCERNANT LES ORDRES RELIGIEUX.

(Donné à Versailles au mois de mars 1768.)

Registré en parlement.

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LOUIS, PAR LA GRACE DE DIEU, ROI DE FRANCE et de NaVARRE, à tous présents et à venir, SALUT. Nous nous sommes toujours fait un devoir, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, de faire éprouver les effets de notre protection à ceux de nos sujets qui, animés d'un désir sincère de la perfection, se consacrent à Dieu par des vœux solennels de religion, et qui, en renonçant ainsi aux emplois extérieurs de la société civile, ne cessent pas de lui rendre les services les plus importants, par l'exemple de leurs vertus, la ferveur de leurs prières et les travaux du ministère auxquels l'Église les a associés. Mais plus la profession religieuse est sainte et utile, plus l'affection que nous portons à ceux qui l'embrassent doit exciter notre vigilance sur tout ce qui peut affaiblir la discipline monastique, au maintien de laquelle est attachée la conservation des ordres religieux. Et, quoique nous ayons la satisfaction de voir dans notre royaume un nombre considérable de religieux offrir le spectacle édifiant d'une vie régulière et laborieuse, il n'en est pas moins de notre devoir d'écarter avec soin tout ce qui pourrait introduire dans les cloîtres le regret et le repentir, y altérer l'esprit primitif des règles qui y ont été sagement établies (1), et y amener, avec le relâchement, tous les malheurs qu'il entraîne. C'est dans cet esprit que nous nous sommes toujours fait rendre compte de tout ce qui est

(1) Pourquoi donc les réformer?

émané jusqu'ici de l'autorité ecclésiastique et du pouvoir souverain dans une matière si importante; et nous avons reconnu que l'une et l'autre avaient eu principalement en vue d'assurer par des épreuves et des précautions la vocation de ceux qui s'engagent, l'obéissance, qui est le nerf de la discipline, par des lois sages et précises, et l'exécution des règles par la réunion et l'impression puissante des exemples. La fixation de l'âge auquel on pourrait être admis à la profession religieuse nous a donc paru devoir être le premier objet de notre attention comme le moyen le plus propre de prévenir les dangers d'un engagement prématuré. Si cet âge a varié dans notre royaume; si, dans des temps éloignés, l'enfant offert par ses parents dès l'àge le plus tendre était censé irrévocablement engagé; si, dans d'autres temps, cet engagement n'a été jugé réel qu'après un consentement formel donné dans l'âge de la réflexion et de la maturité; si, dans la suite, les ordonnances d'Orléans et de Blois ont successivement retardé et avancé l'époque de la profession religieuse, ces divers changements, dont nous avons pesé les causes et les effets, nous ont convaincus que cette époque, variable suivant les temps et les circonstances, avait besoin d'être de nouveau déterminée par notre autorité (1); et nous avons cru qu'il

(1) L'autorité d'un conseil d'Etat peut-elle détruire ce qu'a fait l'autorité d'un concile œcuménique? Or le concile de Trente, dont l'édit ne daigne pas même parler, avait fixé à dix-huit ans pour les hommes, à seize pour les filles, l'âge requis pour l'émission des vœux. L'art. XXVIII de l'édit de Blois, qui fut comme une promulgation des décrets du concile de Trente, adopta cette mesure pour le royaume, et révoqua entièrement l'édit d'Orléans, qui défendait la profession religieuse aux garçons avant vingt-cinq ans, et aux filles avant vingt ans. L'édit de Blois eut sans

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