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faire les réglements nécessaires et en assurer l'exécu

tion. >>

Le rapporteur ajoutait qu'il était convenable de faire part au roi de ce projet, et de lui demander sa médiation pour en assurer le succès auprès du Saint-Siége.

L'assemblée adopta les conclusions de la commission, adressa dans ce sens une lettre au souverain pontife (1), et fit part au roi de ses délibérations (2). Elles furent soumises au conseil d'État, où dominait la pensée de Choiseul. Le roi répondit donc à l'assemblée par un décret qui révélait les secrets que Frédéric avait devinés, et réalisait le désir exprimé par La Chalotais dans son premier réquisitoire contre les Jésuites, ou plutôt contre l'état religieux, et par d'Alembert dans son libelle. En voici la teneur :

ARRÊT DU CONSEIL D'ÉTAT DU ROI DU 23 MAI 1766.

<< Le roi étant informé qu'il s'est introduit dans les monastères des ordres religieux établis dans son royaume plusieurs abus également préjudiciables à ces ordres mêmes, qui méritent la protection de Sa Majesté, à l'édification des peuples et au bien de la religion et de l'État ; et sa majesté s'étant fait rendre compte du mémoire qui lui aurait été présenté à ce sujet par les archevêques, évêques et autres ecclésiastiques députés à l'assemblée générale du clergé, qui se tient actuellement à Paris par sa permission, elle aurait jugé que le vrai moyen de connaître encore plus particulièrement ces abus, d'y apporter le remède le plus convenable, et de rappeler le

(1) Voir aux pièces justificatives, no II.
(2) Procès-verbal de l'assemblée de 1765.

bon ordre et la discipline dans ces monastères, était de prendre incessamment les avis de ceux qu'elle jugera à propos de choisir dans son conseil et dans l'ordre épiscopal, pour en conférer ensemble et lui proposer ce qu'ils estimeront nécessaire pour remplir entièrement ses vues à cet égard. A quoi voulant pourvoir: Oui le rapport et tout considéré : Le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne que ceux qu'elle jugera à propos de choisir et nommer dans son dit Conseil et dans l'ordre épiscopal s'assembleront incessamment sous les yeux de Sa Majesté, pour conférer ensemble sur tous les abus qui se sont introduits dans les monastères des différents ordres religieux de son royaume, et sur les moyens les plus efficaces d'y remédier et de rappeler le bon ordre et la discipline la plus régulière. A l'effet de quoi les généraux d'ordre, abbés réguliers, prieurs conventuels, gardiens, correcteurs, supérieurs, religieux ou chanoines réguliers, de quelque ordre ou profession qu'ils soient, seront tenus de leur remettre leurs statuts, constitutions, réglements généraux et particuliers, titres d'établissement et généralement tous mémoires, instructions, connaissances et éclaircissements qui seront jugés nécessaires par lesdits sieurs commissaires, ainsi et dans le temps qui sera par eux réglé et ordonné; Leur permet Sa Majesté d'appeler à leurs conférences telles personnes éclairées de l'ordre ecclésiastique et de celui des avocats, même d'en prendre dans l'ordre des religieux, lorsqu'ils le jugeront à propos, pour discuter lesdites matières et connaître leurs sentiments sur icelles; comme aussi d'ordonner que l'un d'eux ou telle autre personne capable qu'ils pourront commettre à cet effet, se transportera dans aucun desdits monastères pour recevoir

les plaintes des religieux, voir l'état des comptes, celui de la recette et dépense, assembler le chapitre et prendre toutes les connaissances dont ils auront besoin et que les supérieurs desdites maisons seront tenus de leur donner, et d'en dresser procès-verbal; et ce nonobstant tous priviléges et exemptions de quelque genre qu'ils puissent être. Exhorte sa Majesté et néanmoins enjoint à tous archevêques et évêques de son royaume d'envoyer auxdits sieurs commissaires incessamment leurs mémoires et avis sur l'état des monastères de leurs diocèses, sur les abus qui peuvent s'y être glissés et sur les réglements qu'il conviendrait de rétablir ou de remettre en vigueur, pour, le tout vu et examiné par lesdits sieurs commissaires, être par eux proposé à Sa Majesté tels réglements ou autres voies et moyens qu'ils aviseront bon être pour le bien de la religion, de l'État et desdits ordres; et, sur le compte qui en sera rendu à Sa Majesté, être statué, réglé ou ordonné ce qu'il appartiendra.

<< Fait au conseil d'État du roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le vingt-trois mai mil sept cent soixante-six. »

L'assemblée, justement alarmée des dispositions arbitraires de ce décret, expliqua de nouveau son intention au roi, et lui représenta « qu'elle était également convaincue de l'édification que donnaient à l'Église plusieurs ordres religieux, des services qu'ils étaient tous en état de lui rendre et de la nécessité de ramener à l'exacte observance des règles ceux qui s'en étaient écartés, et persuadée que le recours au Saint-Siége était le moyen le plus efficace pour rétablir la discipline dans les congrégations qui lui étaient immédiatement soumises; qu'il était même le seul qui put être canoniquement employé, s'il était nécessaire de faire quelques changements à leurs constitutions. » Elle suppliait

de nouveau Sa Majesté de seconder auprès du souverain pontife les sollicitations des évêques pour en obtenir le moyen de réforme qui leur paraissait urgent et nécessaire. Le roi promit tout ce qu'on voulut, et ne fit rien de ce qu'on demandait. Cédant à l'avis de son conseil, dont les membres subissaient eux-mêmes l'influence de Choiseul, il publia un nouvel arrêt (31 juillet 1766), par lequel il commettait l'exécution de l'arrêt précédent à dix commissaires choisis dans les rangs de l'épiscopat et dans le conseil d'État les premiers étaient le cardinal de La Roche-Aymon, archevêque de Reims; de Jumillac de Saint-Jean, archevêque d'Arles; Phélypeaux-d'Herbault, archevêque de Bourges; de Dillon, archevêque de Narbonne; de Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse. Les conseillers d'État qui furent adjoints à ces prélats étaient presque tous connus par l'exaltation de leurs maximes parlementaires, et quelques-uns par leur animosité contre le Saint-Siége et contre le clergé orthodoxe; c'étaient Joly de Fleury, Bourgeois de Boisnes, d'Aguesseau, d'Ormesson et Gilbert de Voisins, qui, étant décédé un an après, eut pour successeur Feydeau de Marville, conseiller d'État. Peu de temps après, deux des prélats nommés furent remplacés dans la commission par de Boisgelin, archevêque d'Aix, et de Cicé, archevêque de Bordeaux.

L'archevêque de Reims, avec de la noblesse dans le caractère, apportait dans ses rapports des ménagements et une condescendance qui ne répondaient pas toujours aux devoirs de sa dignité et n'entravaient jamais les démarches de la commission.

De Dillon, archevêque de Narbonne, était mieux fait pour représenter dignement le roi aux états de Languedoc,

dont il était le président-né, que S. François ou S. Benoît, dans une commission de religieux. Aussi ne voit-on pas qu'il se soit beaucoup occupé de cet objet. (1)

De Boisgelin, avec tous les talents qu'il développa plus tard à l'assemblée constituante, avec le zèle qu'il y manifesta pour les droits de l'Église dans le maintien d'un état consacré à la perfection évangélique, pouvait apporter à cette commission les intentions de l'ordre, et donner des conseils que la cour n'avait pas intention de suivre.

De Cicé, depuis garde des sceaux pendant la révolution, montra, par la sanction qu'il donna à des décrets constitutionnels et impies et par le repentir qu'il fit éclater, qu'il pouvait être trompé sur des projets dont il n'apercevait pas la portée. (2)

De Brienne, archevêque de Toulouse, avait le secret du ministre et celui des philosophes. Issu d'une famille illustre, mais déchue, de Brienne n'avait pas une fortune égale à la grandeur de son nom et à l'étendue de son ambition. L'espoir de satisfaire celle-ci et de relever celle-là lui inspira du goût pour l'état ecclésiastique, et il y entra avec le dessein formé d'arriver aux premières dignités de l'Eglise. Pendant le cours des études qui devaient l'y conduire, il se lia d'amitié avec l'abbé Morellet, Turgot et d'Alembert, et embrassa leurs idées avec plus d'ardeur que l'esprit du saint état auquel il se destinait. Mais, doué d'une grande souplesse d'esprit et habile dans l'art de cacher sa pensée sous des apparences trompeuses, il ne s'abandonna point à des démonstrations devant

(1) Barruel, Mém, pour servir à l'histoire du Jacobinisme, l. 1, c. 5. (2) Idem, ibid.

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