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bla s'être imposé cette mission il y apporta autant d'ardeur et d'emportement que La Chalotais, mais il rencontra plus d'obstacles. Il y avait dans le parlement d'Aix des hommes d'un caractère invincible, d'une conscience résolue et d'une sagesse profonde, qui, voyant où tendait ce mouvement, s'efforcèrent de l'arrêter. A leur tête était l'illustre président d'Eguilles. Ce magistrat déploya dans toute cette affaire une grandeur d'âme que n'étonnèrent jamais les violences de ses adversaires. Après avoir longtemps combattu avec des succès divers la majorité turbulente de son parlement, il accourut à Versailles pour défendre devant le trône la cause de la religion et de la monarchie compromises. Admis à l'audience du roi, il lui fit cette noble déclaration:

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S l'Église est constamment outragée par les jugements rendus contre l'Institut des Jésuites, le trône est encore plus directement attaqué par les deux principaux motifs qui ont porté leurs ennemis à leur destruction. Le premier de ces motifs a été visiblement d'ôter l'éducation des enfants et surtout des gens de qualité à un corps tout royaliste, pour la faire passer dans des mains toutes dépendantes des parlements, tels que seront des séculiers amovibles à la volonté des seuls magistrats locaux, et qu'on ne mettra et conservera dans leurs places qu'autant qu'ils inspireront à leurs élèves les principes de leurs protecteurs: d'où il suit que si ce système n'est pas détruit, dans six ans l'anglicisme le plus outré formera l'esprit de la moitié de la nation, pénétrera jusque dans les armées, jusque dans le palais de nos maîtres, et achevera enfin de tout perdre. Le second motif, tout aussi dangereux que le premier, a été d'étonner les au

tres corps du royaume par la chute effrayante de celui qui paraissait le plus inébranlable, et de leur faire sentir par là que la haine des parlements était plus à craindre que la protection du roi n'était à rechercher. » (1)

Ces avertissements ne furent point compris, et le grand magisrat qui les donnait revint, avec la gloire d'une généreuse entreprise, partager dans sa province les regrets de tous les bons citoyens et tenter de nouveaux efforts pour la cause de la justice. Mais son zèle excita la fureur de ses ennemis, et il fut enveloppé dans le complot tramé contre l'innocence : les mémoires qu'il fit pour la défendre furent brûlés dans tous les ressorts de son parlement, avec les mandements des évêques, et lui-même, au dénouement de ce drame mémorable, fut dépouillé d'une partie de ses biens et condamné à l'exil.

Les magistrats jansénistes ou philosophes ne rencontrèrent pas dans les autres parlements une opposition moins consciencieuse. A Toulouse, à Bordeaux, à Perpignan, à Rouen et à Rennes même, une imposante minorité protesta contre la cabale avec un courage que rien ne put ébranler. Les cours souveraines de Franche-Comté, d'Alsace, de Flandre et d'Artois protestèrent en masse contre les violences indécentes des fractions tumultueuses des autres parlements, et déclarèrent hautement que les religieux persécutés étaient, non seulement innocents des crimes qu'on leur imputait, mais encore les sujets les plus fidèles du roi et les plus sûrs garants de la moralité des peuples. Ces provinces, plus récemment unies à la France, n'avaient pas encore subi l'influence du jansénisme et de la philosophie.

(4) Proyart, Louis XVI détrôné avant d'être Roi, 2o part., p. 184.

La Lorraine, heureuse sous le gouvernement de Stanislas, ne s'occupa alors des Jésuites que pour les défendre et assurer le maintien de leurs droits. Mais, soutenue par l'audace du crime et par la connivence du ministère, la cabale ne recula point devant une opposition si énergique.

Le parlement de Paris précipitait l'affaire à son terme : le 1er avril 1762, ainsi qu'il l'avait déclaré une année à l'avance, il fit fermer les colléges des Jésuites; et par cette opération il satisfit un des premiers vœux de la philosophie, qui était d'ôter à la religion l'éducation de la jeunesse. D'Alembert se félicitait de cet événement avec son cher et illustre maître, en des termes qui laissent planer une terrible responsabilité sur les auteurs de leur joie : « Quant à nous, disait-il, malheureuse et drôle de nation, les Anglais nous font jouer la tragédie au dehors, et les Jésuites, la comédie au dedans. L'évacuation du collége de Clermont nous occupe beaucoup plus que celle de la Martinique. Par ma foi, ceci est très sérieux, et les classes du parlement n'y vont pas de main morte. Ils croient servir la religion, mais ils servent la raison sans s'en douter; ce sont des exécuteurs de la haute justice pour la philosophie, dont ils prennent les ordres sans le savoir; et les Jésuites pourraient dire à S. Ignace: Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font......

<< Ecrasez l'infâme, me répétez-vous sans cesse : eh, mon Dieu, laissez-la se précipiter elle-même à sa perte; elle y court plus vite que vous ne pensez. Savez-vous ce que dit Astruc ? Ce ne sont point les jansénistes qui tuent les Jésuites, c'est l'Encylopédie, mordieu, c'est l'Encyclopédie. Il pourrait bien en être quelque chose, et ce ma

roufle d'Astruc est comme Pasquin, il parle quelquefois d'assez bon sens. Pour moi qui vois tout, en ce moment, couleur de rose, je vois d'ici les jansénistes mourant l'année prochaine de leur belle mort, après avoir fait périr cette année-ci les Jésuites de mort violente, la tolérance s'établir, les protestants rappelés, les prêtres mariés, la confession abolie, et le fanatisme écrasé sans qu'on s'en aperçoive. » (1)

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CHAPITRE TROISIÈME.

Le Souverain Pontife, les évêques de France et l'assemblée générale du clergé protestent contre les entreprises des parlements, et défendent la juridiction de l'Église touchant les ordres religieux, attaquée dans la Compagnie de Jésus.

Les maux que le philosophisme voyait dans un avenir si riant et si prochain apparaissaient à la religion dans toute leur horreur. Le vicaire de Jésus-Christ, inquiet et attentif, semblait apercevoir derrière la Société qu'on renversait un épouvantable torrent de malheurs qui frémissait devant cet obstacle. Pour prévenir le débordement dont la France était menacée, Clément XIII ne cessait de réveiller l'attention de Louis XV et de remuer son indolence par le spectacle des désordres qui s'avançaient si nombreux et si effrayants sur le royaume très chrétien (2). Mais ce prince fit au Souverain Pontife les réponses évasives que lui dicta son conseil, et laissa tran

(1) Corresp. de Voltaire avec d'Alembert, 1762, 14 mai. (2) Voir 1er vol. des Documents, 2o cahier.

quillement l'impiété préparer à la France des maux dont il espérait ne pas être la victime.

La voix du Saint-Père trouva au sein de l'Église de France un écho plus fidèle. Les évêques français, témoins des efforts réunis des philosophes, des jansenistes et des gallicans parlementaires, pour détruire là Compagnie de Jésus, prévirent aussi que cette entreprise n'était que la mise à exécution d'un plan d'attaque contre l'Église; et, dans cette persuasion, ils élevèrent, pour la plupart du moins, de fortes réclamations contre les empiétements de la magistrature, qu'ils adressèrent ou au roi, où aux magistrats eux-mêmes, ou aux peuples confiés à leurs soins. Les lettres qu'écrivirent alors les évêques d'Uzès, de Lodève, de Grenoble, du Puy, de Castres, etc., resteront comme un éternel monument de leur sagesse, de leur science et de leur sollicitude pastorale. Le clergé de France, alors extraordinairement assemblé à Paris pour les intérêts temporels de l'État, se préoccupait plus encore des besoins de l'Église, lorsqu'il reçut de Clément XIII un bref touchant, où le saint Pontife entrait avec les membres de l'assemblée dans des dé tails dont ils étaient tous également affligés; il y rappelait, en peu de mots, les causes qui avaient amené les choses au point où elles en étaient, s'arrêtait douloureusement sur les événements actuels et semblait y lire les calamités qu'ils préparaient à la religion et à la monarchie. (1)

L'assemblée générale partagea les alarmes du Souverain Pontife, et, fidèle à ses devoirs, elle déposa au pied du trône les mêmes plaintes et les mêmes douleurs. (2)

(1) Ce bref se trouve dans le 1er vol. des Documents, 2o cahier. (2) Procès-verbal de l'assemblée de 1762, et fèr vol. des Documents, 2e cahier.

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