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du moins à la sévérité de leurs juges une apparence d'équité. Mais la vertu éprouvée des enfants d'Ignace déjoua partout ces coupables manœuvres.

Un membre cependant, sur plus de vingt mille individus, dont la Société se composait alors, fournit à ses ennemis l'occasion qu'ils voulaient faire naître. Le P. de La Valette, procureur des missions de la Martinique, espérant favoriser les progrès de la religion par des res sources temporelles, augmenta à l'insu de ses supérieurs majeurs, les biens et les revenus de cette maison; mais ses spéculations, trompées par un enchaînement de circonstances malheureuses, l'entraînèrent dans des dettes auxquelles des événements non moins sinistres ne lui permirent pas de faire face. Ses créanciers néanmoins étaient résolus d'avoir égard à des circonstances imprévues, et déjà ils prenaient avec les maisons de la Compagnie en France des arrangements amiables, lorsque les ennemis de l'Ordre, ayant eu vent de ces négociations bienveillantes, manœuvrèrent avec une incroyable activité, pour les jeter en pâture à la haine, et amener la Compagnie devant les tribunaux. (1) Par une suite d'intrigues perfides, le Parlement de Paris se trouva saisi de cette affaire. (2)

(1) Destruction des Jésuites en France, p. 18-19, dans le premier vol. des Documents.

(2) Témoin des déplorables suites de ce procès et éclairé par les événements sur l'intention de ceux qui avaient rompu les négociations confidentielles entamées entre la Compagnie et les créanciers, un de ceux-ci déposa ses regrets dans une lettre qu'il livra au public et où se lisaient les passages suivants : «Dans la suite ces préventions ( qu'on m'avait inspirées contre les Jésuites) ont été entièrement dissipées par diverses occasions que j'ai eues depuis ce temps-là de fréquenter les Jésuites et de

Les Jésuites, étrangers aux chicanes de la plaidoirie, au maniement des affaires mondaines et livrés aux fonctions du saint ministère, à l'éducation de la jeunesse, enfin à tous les devoirs sacrés de leur vocation, ne pou

les voir de près. J'appris enfin qu'on ne peut avoir de la défiance ou de la haine pour ces Pères que parcequ'on ne les connaît pas.

« Il y avait déjà quelque temps que j'avais été forcé de leur accorder mon estime, et que je leur étais sincèrement attaché, lorsqu'on leur suscita ces dernières affaires, dont les suites rapides ne peuvent qu'étonner l'Europe; leur malheur, loin d'affaiblir en moi les sentiments dont je viens de faire profession, n'a servi qu'à les augmenter. Et si je dois juger des autres par ce que j'éprouve moi-même, je puis assurer que leur proscription doit leur avoir fait plus d'amis solides que n'auraient jamais pu leur en faire le crédit et la puissance qu'on leur attribuait. Aussi je vois, si je ne me trompe, qu'on redouble de toutes parts les sentiments d'estime, de vénération et de respect qu'on avait eus pour eux jusqu'à présent.

« Lyon vient d'en fournir un exemple frappant: je me trouvais par hasard dans cette ville lorsqu'un de ces religieux mourut à l'hôpital, où il avait été obligé de se retirer (le P. Toussaint Bressond, longtemps maître d'études au collège de Lyon, mort saintement le 3 avril 1763). C'était un homme plein de piété, exact aux devoirs de son état, et qui, par un zèle bien louable, s'était consacré depuis plusieurs années à l'éducation de la plus tendre jeunesse. La mort de ce vertueux Jésuite, quoique précieuse devant Dieu, n'eût pourtant été aux yeux des hommes dans toute autre circonstance qu'un événement aussi obscur que l'avait été la vie qu'il avait menée jusqu'alors; mais proscrit et privé de tout secours, il est forcé d'aller finir ses jours au milleu des pauvres; aussitôt une partie de la ville est en mouvement, et l'on fait pour lui ce que personne ne se rappelle avoir vu faire pour aucun de ses confrères morts dans l'intérieur de eur maison. On court à ses funérailles comme à celles d'un saint persécuté et d'un confesseur de la foi. On se regarde comme heureux d'en rapporter quelque parcelle d'un pauvre vêtement.

« Les faiseurs de comptes-rendus crieront au fanatisme, mais ils n'en sentiront pas moins que ces marques de vénération sont sincères et que le peuple n'est point dupe, qu'il voit très bien quel est le véritable motif de la persécution suscitée contre les Jésuites. Ils verront que les arrêts qui ont détruit la Société en l'accablant de calomnies, n'ont pas pu détruire aussi aisément, dans l'esprit du public, l'estime et la vénération

vaient pas opposer à leurs adversaires cette dextérité, cette souplesse, cette astuce, ce talent d'embarrasser que connaissent si bien les hommes du métier; habiles dans les discussions théologiques, ils se trouvaient dépaysés, pour ainsi dire, sur le terrain de la politique et du barreau. Cette impéritie des affaires du siècle n'était certes pas une honte pour des hommes exclusivement consacrés à celles de Dieu; mais elle donna à leurs adversaires un avantage décisif. Les avocats des créanciers, tous pris dans les rangs du jansénisme ou de la philosophie, agrandirent les débats, étendirent les torts du P. de La Valette à toute la compagnie, et firent moins le procès à l'ordre lui-même qu'à ses constitutions. Après des débats qui eurent dans le monde un immense retentissement, le ministère public, par la bouche même de SaintFargeau, dont le fils devait dans la suite voter la mort de Louis XVI, porta une sentence de condamnation contre l'ordre de Saint-Ignace, et obligea toutes les maisons qu'il y avait en France à payer les dettes de celle de la Martinique. On séquestra quelque temps après les biens de ces divers établissements, mais les créanciers ne furent jamais remboursés de leurs frais. (1)

L'issue de ce procès fameux excita un enthousiasme frénétique parmi les jansénistes et les philosophes. Ce

que les Jésuites s'étaient acquises par l'étendue de leur zèle, la pureté de leur doctrine et la sainteté de leurs mœurs. Ils s'apercevront que ces sentiments n'ont fait qu'augmenter à la vue de la patience héroïque avec laquelle ces pères ont soutenu de si terribles épreuves. »

(Extrait de l'opuscule intitulé: Tout n'est pas fait, ou Lettre d'un créancier des Jésuites à M. ***, avocat au parlement, in-12, p. 2 et suiv.) (1) Voir sur cette affaire l'article du P. de La Vallette, dans la Biographie univ., par M, Artaud,

premier succès leur apprit tout ce qu'ils pouvaient contre la Compagnie de Jésus; et depuis lors, marchant d'attentat en attentat, ils ne suspendirent leurs coups que lorsqu'ils ne trouvèrent plus de victimes à frapper.

L'abbé de Chauvelin dénonça d'abord au parlement, comme des conventicules dangereux, toutes les confréries, toutes les congrégations, pour atteindre plus sûrement celles que dirigeaient les Jésuites. C'était cependant de ces assemblées paisibles et religieuses que l'homme public sortait toujours plus pénétré de ses devoirs, le riche plus généreusement sensible à la misère du pauvre, l'époux plus affectionné à son épouse, le fils plus soumis à ses parents, l'artisan plus affermi dans la probité, le sujet plus dévoué à son roi, tous plus amis de l'ordre public. (1) N'importe, l'accusation de l'abbé de Chauvelin fut accueillie, et un arrêt du parlement (2) défendit à des hommes irréprochables de se réunir pour prier Dieu en commun et s'encourager mutuellement à la vertu.

A côté de ces paisibles et pieuses réunions que le parlement dispersait, d'autres se formaient sans opposition et dans un but bien différent. La franc-maçonnerie, établissait alors dans toute la France des loges nombreuses où la révolution devait recruter des régicides et des bourreaux. Il

(1) Proyart, Louis XVI detrôné avant d'être Roi, 2o partie, p. 183 (édit. indiquée).

(2) Nous avertissons nos lecteurs que lorsque nous employons ce terme d'une manière absolue, nous n'entendons pas rejeter sur tout le corps les torts des jansénistes ou des philosophes qui y formaient une majorité turbulente. Qui ne sait que dans tous les parlements de France, il y eut une élite d'hommes respectables qui protestèrent toujours contre les actes d'iniquité auxquels les poussaient des passions véhémentes et opposées à leur caractère?

semblait que les parlements voulussent hâter les progrès d'un parti déjà si formidable en précipitant la perte d'une société capable de suspendre sa marche.

Enflammé par des succès si faciles, l'abbé de Chauvelin aborda enfin l'Institut dont l'existence l'importunait, et le dénonça au parlement de Paris. Les Jésuites de cette ville reçurent aussitôt l'ordre de déposer au greffe un exemplaire de leurs constitutions, dans l'espace de trois jours. Dès le jour suivant, le P. de Montigny, procureur de la province de France, satisfit aux injonctions du parlement. La Compagnie de Jésus était sauvée si ses règles devenaient de la part de ses juges l'objet d'un mûr et sérieux examen; mais on avait arrêté le parti de la proscrire ; il ne s'agissait plus que de trouver dans ces règles un prétexte spécieux.

Cependant le roi, informé de la démarche de son parlement, lui ordonna de surseoir pendant une année entière sur ses délibérations, et déclara que, voulant prendre lui-même connaissance de cette affaire, on eût à lui apporter sans retard l'exemplaire de l'Institut déposé au greffe du parlement. Les magistrats, dont ce faible monarque espérait déconcerter les mesures, lui portèrent l'exemplaire demandé et se pourvurent d'un autre. Ils incriminèrent tout dans l'Institut de S. Ignace; la sagesse vantée par Richelieu, la sainteté admirée par le monde chrétien, les règles dont l'observation avait formé tant de saints à l'Eglise, les brefs et les bulles des papes ; tout y fut condamné, proscrit comme pernicieux, jusque aux trois vœux de pauvreté, de chasteté, d'obéissance, qui sont comme l'essence de tout ordre religieux.

Des hommes qui réglaient leur vie sur un Institut si pernicieux ne pouvaient pas enseigner de saines doc

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