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in tems où il se trouvoit dans une extrème perplexité, au sujet de ce qui venoit de lui être fait, il ne pouvoit qu'écrire en général & confusement dans l'embaras où il étoit, & se referoit pour une relation plus distincte & plus particuliere, à ce qu'il enverroit par une personne qu'il promettoit de dépêcher de Madrid peu de jours après. Vous concevrez facilement, Monfieur, que Sa Majesté, avant que d'être exactement & entierement informée du fait dans toutes ses circonstances, ne pouvoit se déterminer sur la réponse qu'Elle feroit touchant une affaire fi delicate & fi importante, qui interesse fi fort non seulement la Gloire & la Dignité de cette Couronne, mais aufsi celle de tous les Souverains, fans même excepter Sa Majesté Catholique. Cette personne étant depuis arrivée, & le Roi en ayant eu pleine information, j'ai présentement ordre de vous communiquer les sentimens de Sa Majesté sur une affaire aussi desagréable.

Pour venir au fait, je dois commencer par vous dire, que Sa Majesté ne prétend pas que les Ministres publics puissent proteger des personnes qui font au service de Princes chez qui ils resident, ou qui sont accusées de quelque crime contre eux : & Sa Majesté a remarqué avec plaisir, que son Ambassadeur n'a jamais eu une telle pensée, comme il paroit évidemment par la conduite de Mr. Stanhope envers le Duc de Ripperda, lorsqu'à fon retour de sa Maison de campagne, il letrouva inopinement chez lui, avec l'Ambassadeur de Hollande. Son Excellence commença par faire les perquiations nécessaires, pour être

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parfaitement informée du cas; commme, dans quelle situation il étoit à l'égard de Sa Majesté Catholique, & quelles raisons l'avoient porté à chercher cet azile, afin qu'elle pût mieux regler sa conduite à cette occasion, & juger s'il étoit convenable de lui permettre de refter dans sa Maison.

La premiere question que Mr. Stanhope lui fit, & qui effectivement étoit la plus effentielle, fut, s'il avoit encore quelque Emploi fous Sa Majesté Catholique, ou fi en quelque maniere que ce fût, il étoit encore a fon service? A quoi le Duc répondit que uon; que la veille Sa Majesté, à sa requifition, l'avoit entierement remercié & dechargé de tous ses Emplois. La seconde question que Son Excellence lui fit, fut, s'il avoit quelque lieu de croire qu'il fût en disgrace & mal dans l'esprit du Roi d'Espagne, ou s'il aprehendoit que Sa Majefté Catholique eût dessein de le charger de quelque accufation, & de le faire poursuivre pour quelque crime ou malversation, qu'il auroit commis dans fon Ministère; parceque, dans l'un ou l'autre cas, il ne trouveroit aucun encouragement, moins en core aucune protection de la part de Son Excellence? Le Duc lui répondit que, bien loin d'être disgracié, & encore moins soupçonné, ou en danger de se voir accusé d'aucun Crime, le Roi d'Espagne avoit eu la bonté de lui accorder une penfion de trois mille Pistoles par an, en recompense de ses services; &, s'apercevant que ce qu'il lui avoit dit n'avoit pas fait fur l'esprit de Son Excellence toute l'impreffion qu'il en esperoit, il lui montra une Lettre originale, dont je joins ici la copie,

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& par laquelle le Marquis de la Paz lui marque au nom de Sa Majesté Catholique, que, fuivant ce que le Duc lui-même avoit désiré, Sa Majesté confentoit qu'il se démit de ses Emplois, & lui faisoit la faveur de lui accorder une pension de trois mille Pistoles par an, jusqu'à ce qu'Elle l'employât à l'avenir à fon service, de la maniere dont cela lui paroitroit le plus convenable. Tout cela n'ayant pas encore fatisfait son Excellence, elle voulut favoir les motifs qu'il avoit pour venir lui demander la protection de sa Maison. Le Duc répliqua que ce n'étoit par aucune crainte de quelque violence de la part de Sa Majesté Catholique, de qui il venoit de recevoir une marque auffi évidente de sa faveur & de sa bonté, que la pension qu'Elle lui avoit accordée; mais qu'il craignoit pour sa vie, à cause de la malice inveterée de ses Ennemis, & la rage & la fureur de la Populace qui ce même jour-là avoit insulté ses Domestiques, & déclaré publiquement que la nuit elle iroit attaquer sa Maison, & le déchirer en pièces.

Quoique la susdite Lettre du Marquis de la Paz fût plus que suffisante pour convaincre Mr. Stanhope, que le Duc de Ripperda n'étoit ni au service du Roi Catholique, ni soupçonné d'aucun crime, mais qu'au contraire Sa Majesté Catholique venoit de lui donner des marques toutes recentes de sa bonté ; cependant Mr. Stanhope, toujours foigneux de ne rien faire qui pût être desagréable au Roi d'Espagne, ne voulut point promettre à ce Duc une retraite dans sa Maison, sans en donner auparavant connoiffance à Sa Majesté Catholique, & fans être informé de ses sentimens fur ce sujet. Il engagea premierement Mr. de Ripperda à envoyer par écrit au Sécretaire d'Etat les motifs de sa retraite, & le lendemain, 16. du même mois, son Excellence eut à cette occafion audience du Roi Catholique Après lui avoir fait un rapport exact & fincère de tout ce qui s'étoit passfé entre lui & le Duc, Mr. Stanhope fut affez heureux d'être affuré par la propre bouche de Sa Majesté Cutholique, que sa conduite ne lui avoit point déplu, quelque raison qu'Elie eût d'être mécontente du Duc de Ripperda, pour s'être réfugié dans la Maiton d'un Ministre étranger. Le Roi Catholique ajouta que le Duc avoit demandé un paffeport pour pouvoir se retirer en Hollande; mais qu'il ne pouvoit le lui accorder, jusqu'à ce qu'il lui eût remis divers papiers de consequence pour son service, qu'il avoit entre ses mains; & Sa Majesté exigea de Mr. Stanhope de lui promettre, qu'il ne permettroit point au Duc de s'échaper de sa Maison, jusqu'à ce qu'Elle eût fait faire une liste de tous ses papiers, & qu'Elle les eût envoyé chercher, ce qui devoit se faire le lendemain. Mr. Stanhope y confentit, & engagea sa parole pour garder fureinent la personne du Duc de Ripperda: C'étoit là tout ce que le Roi d'Espagne lui avoit demandé. L'approbation de Sa Majesté Catholique à tout ce que Mr. Stanhope avoit fait, ne peut être plus fortement confirmée, que par la lettre dont je joins ici une copie, que le Marquis de la Paz lui écrivit le même jour, & dans laquelle il lui dit, que Sa Majesté Catholique avoit une entiere confiance dans la parole que fon Excellence lui avoit donnée pour garder le Duc de Ripperda dans

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sa Maifon: Et il lui apprend qu'il avoit été résolu, pour plus grande fureté, de poster quelques Soldats dans le voisinage & les avenues de fa Maison; l'assurant en même tems, que dans cette démarche il n'y avoit pas la moindre méfiance de la part de Sa Majesté, par rapport à son Excellence; mais que ce n'étoit uniquement que pour prendre une plus grande précaution contre les entreprises que le Duc pourroit faire pour s'échaper.

Mr. Stanhope donc, en consequence de ce que le Roi Catholique lui avoit fait l'honneur de lui dire dans l'audience qu'il venoit d'avoir de Sa Majesté, ayant donné sa parole au Duc de Ripperda qu'il pouvoit rester dans sa Maifon, auffi long-tems qu'il n'entreprendroit point de s'évader, ne pouvoit retracter cet engagement, que par ordre du Roi son Maitre, & nulle autre personne au monde n'avoit droit de l'en décharger. Ainsi personne ne peut nier, qu'après tout ce qui s'étoit paffé de part & d'autre, la force dont on s'étoit servi pour enlever ce Duc de la Maison de Son Excellence, sans en avoir auparavant obtenu, ou du moins demandé le confentement de Sa Majesté Britannique, doit être regardée comine une infraction du Droit des Gens.

Vôtre Excellence verra que vôtre Cour même étoit de cette opinion, par les lettres du Marquis de la Paz à Mr. Stanhope, du 18. & 21. du même mois, dont je joins auffi des copies ici. Il paroit par ces lettres, quoique le Roi Catholique eut commencé à concevoir de l'inquiétude du séjour du Duc de Ripperda dans la Maison de Son Excellence, que cependant tout ce que Sa Majesté Catholique avoit

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