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Alors les intérêts de la balance politique n'étoient pas connus, ce n'étoit pas une fcience profonde comme aujourd'hui; ainfi nous ne réclameronspoint fur l'efpece des guerres utiles, des exemples auffi anciens; mais I'hiftoire des deux derniers fiecles nous en fourniroit quelques-uns, s'il en étoit befoin. La guerre de trente ans qui défola l'Allemagne, finit dès que les differentes religions, qui y étoient intéreffées, crurent trouver une fureté de balance; & la grande guerre de 1701 a ceffé de même dès que les acteurs principaux de cette ligue formidable ont crû pouvoir fe repofer fur les expédiens & les précautions propres à guérir leurs craintes bien ou mal entendues fur le danger de l'équilibre de l'Europe. Il restera feulement à favoir fi l'efprit de paix n'a pas été trop long-temps à prévaloir? mais c'eft une queftion de fait, étrangere à notre fujet; tenons-nousen au difcours de Tit. Quintius que nous venons de citer.

La guerre eft toujours un fléau. Celle qui fait le moins de malheureux en fait toujours trop, & bien des fouverains pourroient adopter le difcours que Racine, dans fon Andromaque, prête à Pirrhus.

J'ai fait des malheureux fans doute, & .... Ainfi il eft contraire à l'efprit de paix de multiplier fans néceffité les calamités de guerre. Il en eft de forcées à la vérité, & auxquelles les regles de la guerre affujettif fent les pays qui en font le théâtre; mais quiconque fubordonnera fes premiers mouvemens ou les préjugés vulgaires aux maximes de probité de Grotius fur cette matiere, en épargnera beaucoup, & fera honneur à l'humanité en la refpectant dans fes pareils. Les anciens, même dans les fiecles les moins policés, nous ont, en ce genre, donné des exemples de générofité qui ont autant contribué à immortalifer Alexandre & Scipion, que leurs plus glorieux faits d'armes. Le concours des hiftoriens à les louer, nous fait voir que ce n'étoient pas les vertus d'un feul homme. Qui les fait louer, en fent néceffairement le prix, & en eût vraisemblablement fait autant.

A quoi fert en effet, fans raifon de guerre forcée, de dévafter un pays pour cela feul que le fort des armes en a fait un pays ennemi; de facrifier à fon injure le refpe&t dû à l'âge, la commifération due à l'enfance, & l'honneur du fexe; d'abandonner les villes au pillage & à la fureur du foldat; de livrer les chofes faintes à la profanation & à la licence? Sont-ce là les confeils de l'efprit de paix qui feul doit diriger les opérations de guerre ?

C'eft une maxime qui paffe pour vérité de droit public, qu'il faut regarder tous traités comme réfolus par la prife des armes. On peut dire en effet que l'agreffeur femble s'y foumettre, & que la partie léfée entre en quelque droit de fe croire quitte de tout envers l'agreffeur; mais eft-il conforme à l'efprit de paix de s'en faire un point de fyftême invariable? Cette maxime définie ne pourroit être adoptée que par ceux qui voudroient

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fe procurer un droit légitime d'abufer de la victoire. L'intérêt public la doit profcrire.

En effet, quand les traités ont été arrêtés, ils ont été eftimés fuffifans à la fureté publique comme à la fureté particuliere. Ils ont pu cependant ne l'être réellement pas, & la Guerre qui les fuit en feroit ou pourroit quelquefois en être une efpece de preuve; mais il ne faut pas conclure de là, que ces traités infuffifans en quelques points le foient en tous. Une Puiffance a pu ne pas trouver affez d'avantage, ou trouver du préjudice à les obferver, il peut ne s'y être pas trouvé un frein fuffifant pour la retenir ou l'arrêter fi c'eft une Puiffance ambitieufe. Que peut-il naître de là, felon l'esprit de paix? La néceffité de les rectifier, d'y ajouter ce qui pouvoit y manquer dans les vues de la balance politique. Mais font-ils dans le cas de devoir être abandonnés, comme s'ils n'avoient jamais exifté? Les changemens peuvent porter fur des claufes particulieres; les claufes générales n'en doivent pas être fufceptibles. La pratique générale de toutes les nations, &, pour ainfi dire, de tous les âges, doit être fur cela notre bouffole. Or, qu'y trouvons-nous, malgré le défavantage & la variation des fuccès pour ou contre? Une répétition exacte de ces grands traités, qui forment, pour ainfi dire, une loi permanente dans la fociété générale des hommes. Qui voudroit, en prenant les armes, fe propofer d'oublier tout ce qui auroit pu être fait & ftipulé auparavant, pour former un fyftême nouveau de ftipulation, courroit rifque de prolonger long-temps les malheurs de la Guerre, avant que d'avoir fait adopter fon fyftême par les autres Nations. Il y a fur ces fortes d'énonciations là une espece de religion refpectable en elle-même, & que l'ancienneté des dates doit avoir confacrée. Qui voudroit, par exemple, dans le fyftême actuel de l'Europe, anéantir les traités de Weftphalie, feroit-il bien fenfé, & ne feroit-il pas plutôt un novateur dangereux dans l'ordre politique?

Il ne feroit pas plus raifonnable ni plus conforme à l'efprit de paix, de vouloir retrancher tout ce que les traités précédens auroient pu accorder à une nation dont on auroit à fe plaindre. Les événemens de Guerre peuvent décider du plus ou du moins; mais il eft bien difficile & bien rare qu'ils foient affez décififs pour faire tout perdre.

Voilà, ainfi que nous l'avons annoncé, ce qui regarde les principes. Il y auroit bien des conféquences à tirer; mais nous nous renfermerons dans une feule qui en contient elle-même bien d'autres, dont nous traiterons en leur place ailleurs: c'eft qu'il faut pour ouvrir les voies de réconciliation, profiter de l'inftant où les événemens de Guerre peuvent nous avoir approchés de notre but. Telle puiffance, pour avoir, par une espece d'ivreffe ou d'entêtement, manqué le moment ou voulu en abufer, s'eft trouvée enfuite, par des revers inattendus, conduite bien loin de fes premieres espérances C'eft ordinairement le châtiment de l'ambition, de l'avidité, ou même fimplement de l'humeur; car les Etats en font fufcepti

bles, ainfi que les particuliers. Elle eft dans les premiers bien plus dangereufe, & fujete à bien plus d'inconvéniens. D'ailleurs, à parler fenfément, qu'eft-ce qu'une ville prife ou une bataille gagnée donne quelquefois à une Puiffance qui a voulu abufer de fes avantages? Qu'une puiflance fatiguée par des échecs militaires veuille encore tenter un dernier effort & le hafard d'une campagne, pour fe mettre en état d'obtenir des conditions. plus fupportables, rien de plus fimple. Le hafard, ou ce qu'on nomme ainfi, eft une reflource aux malheureux. Le calcul peut fe trouver jufte en fa faveur; il l'eft rarement pour ceux qui, fans néceffité, prolongent les calamités de la Guerre. Nous difcuterons ailleurs plus au long quel peut être le moment de Guerre le plus favorable pour travailler à rentrer dans l'état de paix, fans compromettre les avantages de la victoire.

Des Guerres offenfives & défenfives.

LA Guerre peut être de l'une de ces deux efpeces, foit par la nature

de fon objet ou par le ton de fes opérations, ainsi que nous l'explique le chevalier Follard dans l'excellent commentaire qui accompagne fa traduction de Polibe.

La Guerre offenfive & la Guerre défenfive demandent des mesures toutes différentes, en ce qui regarde fes opérations; ce font les événemens, ou plutôt c'eft ordinairement l'habileté du général qui décide de fon caractere; caractere qui par conféquent peut varier à tous les inftans.

Le calcul des mefures pour la Guerre offenfive ou défenfive eft purement eftimatif ou conjectural, parce qu'il eft rare que l'on puiffe favoir affirmativement la mefure, foit des obftacles & de la réfiftance que l'on aura à effuyer, ou des forces que l'on aura à craindre s'il s'agit d'une Guerre défenfive quoiqu'en cette derniere efpece on puiffe y voir un peu plus clair. C'est pour cela que nous avons, à l'occafion de la durée des Guerres, établi la néceffité de la fupériorité dans les forces.

Le choix du moment de l'éclat, s'il s'agit d'une Guerre offenfive, eft l'ouvrage de l'habileté ou de l'intelligence politique, pour n'attaquer que lorfque toutes les difpofitions font faites, & les mefures convenables folidement prifes, &, s'il fe peut, avant que l'ennemi puiffe être en- force. C'eft ce qui ne peut aujourd'hui fe faire avec fuccès que par l'entretien exact, en temps de paix, des forces militaires, & de tout ce qui eft néceffaire à la Guerre, au moins de l'efpece des chofes qui ne font point fujetes au dépériffement.

La façon de faire la Guerre des anciens, & le peu de chofes qu'ils avoient à préparer pour entrer en campagne, leur facilitoit bien les agreffions fubites; elles font aujourd'hui, par les contraires, devenues bien difficiles, à moins, que la puiffance qui fe trouve attaquée n'ait dormi d'un fommeil bien léthargique, ce qu'on ne peut guere fuppofer.

Tout le monde alors étoit, pour ainfi dire, foldat pendant le cours d'un nombre d'années fixes, après lequel on recevoit fon congé, & l'on alloit fufpendre fes armes au temple. On n'avoit befoin que de convoquer; le général étoit toujours nommé, du moins chez les Romains: un moment raffembloit & mettoit tout en marche. C'est à cette célérité que les Romains ont dû leurs premiers agrandiffemens; & l'hiftoire, au contraire, nous préfente prefque généralement fans fuccès ces préparatifs dûs au fafle afiatique, qui fembloient pourtant annoncer la conquête du monde. Mettons vis-à-vis l'un de l'autre Alexandre, rapide dans fes mouvemens, Darius & Porus, pouvant à peine remuer la foule d'hommes qu'ils traînoient après eux, & les chofes de fuperfluité dont leurs mœurs leur faifoient des befoins. Nous frémiffons, pour ainfi dire, des préparatifs de Cyrus & d'Artaxercès, & nous rougiffons de leur inutilité.

Les mesures de prévoyance font tout à la fois aujourd'hui militaires & du reffort de la négociation; il ne s'agit ici que de la premiere егресе.

Si la puiffance offenfive eft du nombre des puiffances majeures, elle a ordinairement moins d'efforts nouveaux à faire, foit à caufe de la difproportion de la puiffance menacée, foit parce que toute puiffance majeure bien gouvernée, a toujours un grand fond de forces fubfiftant, qui, après avoir fait fa confidération dans l'état de paix, lui laiffe moins à ajouter lorfqu'elle veut en faire ufage, ou qu'elle doit paffer à un état de Guerre. C'eft auffi ce qui fait qu'elles font les plus dangereufes pour l'équilibre, fi malheureusement elles font régies par un efprit de conquête ou d'ambition.

Comme la Guerre offenfive porte toujours l'effort des armes au dehors, & qu'elle en éloigne le théâtre, elle entraîne auffi-bien des confidérations de précaution; car s'il y a beaucoup d'avantage à ne pas faire la Guerre fur foi, il faut bien des chofes pour fe le procurer, & plus encore pour le foutenir. Tel eft de connoître la nature & les reffources du pays, fes principales pofitions, la force de fes places, la direction & la profondeur de fes eaux courantes, la fituation & l'impénétrabilité, pour ainsi dire, de fes marais, l'étendue de fes forces, les endroits qui peuvent procurer des campemens affurés d'où l'on ne puiffe être déplacé, & d'où l'on puiffe au contraire protéger, foit fes places ou fes communications. Objet important pour les fubfiftances, ainfi que pour les retraites en cas de befoin; car tout général qui ne calcule que fur la préfomption des fuccès heureux, eft fujet à fe tromper, ou du moins s'y expofe; & ne pouvant répondre des événemens, il eft communément perdu, faute de s'être précautionné pour les cas de malheur. C'eft en quoi excelloit le grand Turenne dès fa premiere jeuneffe militaire, & ce que n'avoit appris qu'à fes dépens fon éleve Crequi, fur le compte duquel, s'il eût vécu plus long-temps, on auroit vu vérifier le jugement de fon premier maître.

Rome long-temps trop refferrée pour pouvoir faire la Guerre fur elle-même, & trop fouvent agreffeur depuis pour ne pas porter fes armes au dehors, avoit appris à exceller dans le genre de Guerre offenfive; mais fon hiftoire militaire nous fournit peu d'exemples de ces retraites illuftres qui ont immortalifé quelques capitaines Grecs. Les Romains ne favoient, pour ainfi dire, que vaincre de force & marcher en avant. La fermeté dans le combat, la patience & le génie pour les fieges, furent leurs talens principaux.

Les Grecs, qui fouvent avoient eu leurs propres foyers à défendre, étoient peut-être plus profonds & plus fins dans la fcience de la Guerre; & en tout, on ne peut s'empêcher de reconnoître entre ces deux peuples un caractere & une méthode de Guerre totalement différens.

En général, les talens militaires varient dans la proportion des occafions qui les ont pu former. Une nation maritime fera mieux la Guerre de mer. Une nation accoutumée à la Guerre de terre, s'entendra mieux à l'attaque & à la défense des places, à fortifier ou à foutenir des poftes.

Il fera vrai auffi que comme chacun porte fon caractere en tout genre de chofes & d'affaires, chaque nation devra être, à la Guerre, conduite différemment. Cela n'échappera point aux obfervateurs exacts & réfléchis. Il eft des nations avec lesquelles il faut toujours attaquer; d'autres qui excellent à fe défendre. Les unes peuvent être expofées fans rifque aux befoins & à la peine; les autres ne valent & n'ont de courage qu'autant qu'elles font dans l'abondance & même dans la fuperfluité. Il en eft qui font incapables de foutenir les mouvemens vifs & forcés; d'autres enfin les foutiennent avec courage quand ils ont un objet de gloire qui flatte leur goût.

La Guerre défenfive par la nature de fon objet, demande d'autres genres de mesures & de talens que la Guerre offenfive; & les gens du métier font même convenus affez généralement qu'il faut encore plus de science militaire pour la défenfive. Il y en a une premiere raifon évidente. Quiconque attaque, a le choix des opérations ou des entreprises; il fuffit qu'il choififfe bien d'après les obfervations que nous venons d'indiquer au commencement de cet article. Celui qui projette une défenfive, a un bien plus. grand nombre de combinaisons à faire.

Connoître la quantité des forces dont on eft menacé, les endroits par lefquels on peut être attaqué, les attaques les plus dangereufes, foit par le mal ou l'embarras qu'elles peuvent occafionner, foit par la foibleffe des moyens de réfistance, les moyens & les pofitions par lefquels on eft für de pouvoir arrêter fon ennemi, fans être obligé de fe ruiner foi-même pour fufpendre fes progrès, reffource ordinaire des ignorans; préparer des mefures de diverfion par lefquelles on forcera néceffairement fon ennemi à rétrograder, ainfi qu'Annibal avoit fait, que Scipion fit à fon tour, & que Mithridate se propofoit de faire; favoir fe tenir maître des rivieres; ne

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