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pour les magafins des armées. L'argent pour les menues fournitures, comme le vin, le cochon, le bœuf, le mouton, le vinaigre, dont ils faifoient une grande confommation, fe levoit par chaque ville. par forme de capi

tation.

La diftribution étoit auffi fort économique; elle se faifoit par tête, & non en proportion de la dignité.

Toutes ces méthodes vraiment militaires, ont bien changé depuis. Aujourd'hui c'eft beaucoup faire que de faire prendre à une armée des pofitions qui lui procurent des fubfiftances commodes & abondantes. En général, les hommes étoient plus robuftes & mieux conftitués, & nous fommes tous les jours étonnés comment les corps humains pouvoient réfifter aux fatigues qu'ils effuyoient, aux charges qu'ils portoient dans leurs marches, au poids de leurs armures & à la mécanique de leurs engins de Guerre. Ouvrage que les hommes faifoient alors, & que les chevaux font à présent, pour ce qui représente aujourd'hui ces machines.

Ce n'est pourtant pas que, même dans ces temps-là, il n'y eût des peuples connus par la molleffe de leur vie & par leur infuffifance à foutenir de grandes fatigues, mais leur façon de faire la Guerre y étoit proportionnée. Ce n'étoit pas une Guerre méthodique, & pour ainfi dire pied pied, comme à préfent. Une multitude d'hommes armés fe raffembloit; on eût dit que c'étoit une colonie entiere qui fe transportoit. Comme il y avoit peu ou point de places fortifiées, on marchoit rapidement & fans obftacles. On alloit chercher fon ennemi; on se joignoit. Une grande & fanglante bataille décidoit de tout. Les vaincus fe difperfoient & laiffoient le champ libre au vainqueur.; fouvent la paix fuivoit immédiatement après. Il est encore parmi les peuples d'Afie un refte de cette façon de faire la Guerre; mais en Europe la méthode eft différente, & elle rend les Guerres néceffairement plus longues, par la difficulté de parvenir à des coups décififs. Parmi nous, la fupériorité reftera toujours à celui qui ménagera mieux les hommes. C'eft ce ton & cet état de fupériorité qui en impofe, & qui conduit le plutôt à la paix, parce qu'on fe hâte de ne plus lutter quand on ne le peut faire qu'avec défavantage. C'est la terreur qui défarme les plus foibles. C'est l'impreffion de ce fentiment qui rendit i prompte aux Romains la conquête de l'Italie, & qui marchant à leur tête lorsqu'ils porterent leurs armes au dehors, feur affujettit fi rapidement les contrées les plus reculées du monde connu. La façon de faire la Guerre des anciens étoit peut-être plus promptement décifive; mais pour rapprocher les faits femblables, c'étoit alors, comme aujourd'hui, celui qui tuoit le plus de monde & qui en perdoit le moins qui donnoit la loi. Ainsi la proposition fur l'utilité & l'avantage de la fupériorité des hommes, demeurera toujours vraie pour tous les âges, quoique par des moyens & des méthodes différentes.

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Rien n'eft plus propre à abréger la durée des Guerres que le choix in

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telligent & la rapidité des entreprises. Il eft au métier de la Guerre, com me en tout autre, une façon de perdre fon temps, elle éternise la Guerre. Portez-la au fein de votre ennemi, faites-le trembler pour ses propres foyers; attaquez-le par des coups décififs dans fon commerce, fi c'eft une nation commerçante, au lieu de vous borner fans néceffité de prudence à des opérations lentes & fucceffives, qui ne mettent votre ennemi en aucun danger preffant, & qui ne lui ôtent aucune de fes reffources effentielles, & vous verrez le flambeau de la Guerre éteint prefque auffitôt qu'allumé. La troifieme Guerre punique auroit-elle été la derniere, fi Rome, portant la Guerre aux portes de Carthage, n'eût attaqué la tête & détruit le centre qui foutenoit & animoit tous les refforts? Carthage n'eût jamais été vaincu ni par la Sicile ni par le côté de l'Espagne. Des réflexions fenfées fur les deux premieres Guerres puniques, fervirent à fe rectifier pour la conduite de la troifieme. Comment Mitridate vouloit - il venir à bout des Romains? N'étoit-ce pas en portant fes armes au sein de l'Italie, en faifant trembler le Capitole? II fentoit bien que c'étoit le feul moyen de faire rappeller ces légions qui préfentoient des chaînes aux deux bouts de l'univers, & que Rome réduite à fe défendre, ne fongeroit plus à troubler le repos des États éloignés.

Combien l'hiftoire moderne ne nous fournit-elle pas d'exemples de fieges de places peu néceffaires, & qui ont occupé des campagnes prefque toutes entieres? C'eft un temps prefque perdu, toutes les fois que de pareilles conquêtes n'ouvrent pas une grande carriere pour une campagne fuivante, ou qu'elles ne mettent pas en état d'établir des quartiers d'où l'on puiffe, en fortant, aller prendre des pofitions décifives, & empêcher l'ennemi de fe pouvoir former avec avantage.

Mais ce n'eft pas affez que le choix dans les opérations, il y faut encore la rapidité. Un premier fuccès eft prefque toujours perdu, fi vous laiffez refroidir l'ardeur des troupes, ou fi vous donnez à vos ennemis le temps de fe reconnoître. Ce n'eft que par des coups répétés que l'on entretient la terreur. De l'audace, fans s'écarter des regles de prudence & de prévoyance dans l'exécution, décide fouvent des événemens. Qu'est-ce ordinairement qu'une bataille gagnée, fi l'on n'en pourfuit pas les avantages, qu'un fantôme qui donne au général une gloire dont les troupes ont acheté ou payé une bonne partie. Toute l'antiquité s'eft réunie à reprocher le féjour de Capoue à Annibal. S'il eût marché droit à Rome, cette fiere maîtreffe du monde lui portoit fes clefs.

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C'est beaucoup pour un général que le talent des difpofitions pour une bataille, mais le fuccès en eft dû fouvent aux plus petites circonstances. Selon le fyftême du grand Turenne ne combattre jamais malgré foi prévoir & calculer l'avantage qu'on peut tirer d'une viftoire, le pourfuivre, y réuffir, ce font les coups de maître, & les feuls qui puiffent être décififs dans l'objet dont nous parlons. C'eft bien le cas où l'on peut ap

pliquer cet apologue des anciens, quand ils repréfentoient l'occafion chauve par derriere. En vain on la fuit, on tente inutilement de la faisir, & le fruit des fuccès fe trouve perdu.

Enfin, le choix du général influe pour beaucoup dans les moyens d'abréger la Guerre. Non-feulement il faut un homme capable du comman❤ dement, il faut encore qu'il foit propre pour le genre de Guerre que l'on a à faire, & pour le pays qui en doit être le théâtre. Tel fera bon dans un pays de poftes, qui ne fera pas fuffifant pour un pays découvert & étendu. Čes différentes natures de terrein doivent donner lieu à des dif férences dans le projet & dans les difpofitions.

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Toute précieufe que foit l'expérience acquife par de longs travaux, elle eft accompagnée d'infirmités, elle ne produira plus les mêmes avantages. Chacun projette en proportion avec ce que fes forces lui permettent d'exécuter. Toutes ces confidérations doivent entrer dans la délibération fur le choix d'un général, parce qu'elles influent fur la durée des Guerres.

Il faut auffi que les talens & les intentions s'y trouvent d'accord. Tel auroit pu, felon l'ordre de fes talens, faire des prodiges, qui ne les veut pas faire pour ne point abréger le temps de fon regne. Nous n'aurions plus rien à faire, difoit un grand capitaine François à quelqu'un qui le preffoit de pourfuivre une victoire. La foif de commander eft ordinairement preffante, & quoique ce foit une injuftice de la part des fubalternes, ou une façon de penfer que l'on adopte en partant de foi-même, communément on efpere plus de befoin que de la reconnoiffance.

Peut-être trouverions-nous dans le cours de l'hiftoire bien des Guerres prolongées fans néceffité par ce genre d'intérêt particulier : mais s'il eft à craindre, peut-être faut-il appréhender également un général intéreffé à avancer fa fortune par des coups d'éclat, qui ne produifent quelquefois d'autre effet que celui de facrifier beaucoup de monde à une ambition prématurée & ardente. Déréglement de l'efprit & du cœur, très- propre très-propre à prolonger les Guerres par les échecs que tôt ou tard il attire. Heureux quand on peut trouver un général qui joigne la probité aux talens, & qui foit conduit uniquement par un amour fincere des intérêts de fa patrie! Nous terminerons donc ce paragraphe en répétant qu'un miniftre bon citoyen ne doit négliger aucuns efforts pour fortir promptement des engagemens de Guerre auxquels il a pu être obligé de se prêter. Jamais ces efforts, quelque grands qu'ils foient, ne peuvent, en quelque genre que ce foit, coûter autant que des campagnes mollement conduites & prolongées inu

tilement.

De

De l'efprit qui, dans la Guerre, en doit diriger les opérations.

COMME nous n'admettons point les Guerres de pure convenance au

rang des Guerres légitimes, & que nous n'entendons jamais parler de celles de cette efpece, nous pouvons avancer comme une maxime certaine & invariable, que c'eft le feul efprit de paix qui doit diriger les opérations de Guerre. Cette maxime eft confacrée par l'autorité de Grotius dans fon fecond livre, & lui-même s'appuie fur le divin Platon, qui vouloit que les affaires de la Guerre fe rapportaffent à la paix.

Cet objet ou l'efprit de paix eft conforme à la loi naturelle. Les auteurs anciens les plus illuftres ont cherché à écarter tout ce qui pouvoit en éloigner, en faifant connoître le prix de la paix. C'est ainfi que Titelive dit pacem etiam qui vincere poffunt volunt, & qu'il fait dire par Titus Quintius, que la colere & l'espérance font, en Guerre, deux mauvais confeillers.

Sallufte voulant déprécier, pour ainfi dire, l'idée d'honneur qu'on pourroit vouloir attacher à la Guerre, fimplement comme Guerre, dit, en parlant d'elle, incipere cuivis, etiam ignavo licet, deponi cùm vidores velint.

Qui attaque fimplement pour attaquer, ne peut pas être conduit par cet efprit, car fi c'étoit fon guide. il ne prendroit point les armes, puifqu'il les prend fans néceffité, ou fans ce genre d'utilité relative à la balance de l'Europe.

Mais fi l'on fait une guerre néceffaire pour la défenfe de fes propres foyers, ou pour le foutien de fes droits reconnus ou légitimes, le bon fens veut que nous foyons contens dès que nous avons pourvu à notre fureté ou à nos droits.

Si nous tirons l'épée pour protéger des alliés avec lefquels nous fommes liés par des garanties, nous ne devons point avoir d'objet plus preffant que celui de nous voir, par leur fatisfaction, libérés de nos engagemens.

S'il s'agit d'une guerre utile pour l'affermiffement de l'équilibre, comme c'eft l'efprit de paix qui, par une fage prévoyance, nous met les armes à la main, c'eft ce même efprit de paix qui doit nous conduire ou nous arrêter dans le choix des moyens les plus propres à remplir entiérement cet objet; & qui dans ces différens cas va plus loin, ne peut que rendre fes intentions fufpe&tes.

Delà plufieurs principes à établir & plufieurs conféquences à tirer qui demandent à être développées.

Abréger le temps de la guerre, ce que nous confidererons ici fous un autre point de vue que nous n'avons fait dans le paragraphe précédent, ou en épargner les calamités autant qu'il eft poffible parce que d'après le fyf

Tome XX.

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tême de Grotius, il faut qu'il y ait dans la conduite des hommes, en état de paix & de guerre, une égalité de principes qui doit confifter à faire en guerre le moins de mal qu'on peut, & en paix, le plus de bien qu'il eft poffible; à quoi il ajoute qu'il eft en temps de guerre, un droit de juftice & d'équité qui doit prévaloir fur le droit de rigueur : enfin ne regarder comme annullés les traités qui fubfiftoient, qu'autant que cela n'écarte pas les moyens de rentrer dans l'état de paix, ou qu'autant qu'il eft néceffaire pour mieux pourvoir à la fureté publique & particuliere: Tels font, à peu près, les principes que nous peut dicter l'efprit de paix dont nous voulons parler.

Si nous venons d'établir la néceffité d'abréger la durée des guerres, ça été relativement à leurs effets, toujours difpendieux & ruineux quand le terme s'en prolonge. Ici nous en devons faire un objet de principe, parce que c'eft pécher contre la bonne foi & contre l'intérêt public, que de faire la guerre plus long-temps qu'on n'y eft obligé pour en remplir l'objet.

Attaqués injuftement dans nos poffeffions ou dans nos droits parvenons à châtier ou à humilier l'agreffeur, nous le mettons dans P'impuiffance de tenter de nouvelles entreprises. L'objet eft alors rempli.

Nos alliés font attaqués, nous volons à leur fecours, nous forçons leurs ennemis à les fatisfaire; nous doit-il refter alors quelqu'intérêt à prolonger la guerre? Avons-nous même, comme auxiliaires, à moins qu'il n'y ait eu quelque ftipulation particuliere, quelque chofe à prétendre quand nous n'avons fait que remplir des engagemens de garantie que nous aurions pu nous trouver dans le cas de réclamer nous-mêmes, & que nous aurions trouvé à redire qu'on eût voulu nous faire acheter par des convenances particulieres? Ce feroit réellement vendre la juftice, & faire acheter l'exécution de nos paroles.

Dans le cas d'une guerre utile, dès que nous trouvons des furetés contre les malheurs qui ont frappé les yeux de notre prévoyance, nos motifs ceffent, & nos défiances, portées trop loin, feroient peut-être le fignal d'une ambition particuliere qui nous écarteroit de ce qu'exige l'efprit de paix.

Rome naiffante, attaquée dans fes foyers, repouffoit l'ennemi, le défarmoit; elle n'avoit rien de plus preffé que de l'affocier à fes intérêts en n'en faifant qu'un même peuple avec elle; fouvent la même année la voyoit prendre & dépofer les armes; & rien ne lui a peut-être plus fauvé le démérite d'être réellement un peuple conquérant.

Si, pour foutenir des alliés ou des peuples fous fa protection, fes légions fe portoient aux extrémités du monde, à peine les avoitelle vengés ou rétablis, elle fe faifoit un devoir de rappeller à leurs quartiers les troupes qu'elle en avoit fait fortir pour acquitter fes engagemens.

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