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tranquillité publique, qu'il faut mettre à l'abri de la néceffité de recevoir impunément des loix.

En effet, toute Puiffance qui pourroit être dans le cas de ne rien craindre, feroit néceffairenient fort à craindre elle-même; car c'eft la comparaifon du mal qu'on peut recevoir avec celui que l'on peut faire, qui décide prefque toujours des rapports politiques. Un Etat dont les frontieres font ouvertes & mal affurées, fera plus timide que celui qu'on ne peut attaquer qu'en renverfant des boulevards bien défendus. Au contraire, un Etat abondant en hommes & en guerriers, s'expofera plus aifément au hafard des armes, parce que pouvant perdre plus qu'un autre, même en perdant, il perdra toujours moins. Une Puiffance riche en revenus & abondante en reflources, fe trouvera dans les mêmes proportions que nous venons de dire pour la richeffe en hommes; mais ce ne fera pas une raison de s'armer contre une pareille Puiffance, tant qu'elle n'annonce aucun abus de fes moyens; & de cela feul il ne pourra naître aucun titre de Guerre utile.

De même, l'étendue des poffeffions ne fuffira pas feule pour décider de ce que pourra craindre l'équilibre, & pour caractérifer une Guerre utile. Leur pofition, leur force particuliere devront entrer néceffairement dans l'examen. Il eft des poffeffions à charge, foit par leur éloignement, foit par la difficulté de les foutenir; & telle puiffance avec une grande fuperficie d'Etats fera moins redoutable à l'équilibre qu'une autre. Nouvelle efpece de combinaison fur laquelle il faut encore prendre garde de ne fe pas méprendre.

La fageffe politique pourroit prévenir beaucoup de ces Guerres utiles foit en détournant des accroiffemens qui pourroient devenir funeftes à l'équilibre, foit en formant, même publiquement & fans myftere, des ligues défenfives qui, préfentant des obftacles à l'ambition & à l'abus de la puiffance, arrêteroient ces mêmes projets qu'on a fouvent tant de peine à rompre, quand on n'a pas fu les prévenir.

Comme les erreurs politiques du cabinet conduifent aifément aux Guerres phyfiquement néceffaires, l'indolence ou la léthargie politique, fur-tout dans les puiffances majeures, eft fouvent la caufe des Guerres utiles.

Lorsqu'il s'y mêle des intérêts particuliers, ces fortes de Guerres font embarraffantes à terminer, par la difficulté de prendre des points fixes qui fatisfaffent ces intérêts particuliers, & qui paroiffent fatisfaire auffi l'intérêt général, parce que rien n'eft plus eftimatif que l'opinion fur la balance. Quant aux intérêts particuliers, ils font ordinairement facrifiés ou aux événemens ou au défir de rentrer dans l'état de paix. C'a été fouvent le principe de la chûte des miniftres. Quant aux intérêts généraux, lorfque le temps de fe reconnoître eft venu, on fe trouve fouvent loin du but.

En effet, qu'importe quelquefois pour le raffermiffement de l'équilibre, que ce foit une puiffance ou une autre qui ait une ville ou un petit territoire de plus ou de moins? Et quand la querelle finit par-là, il arrive Tome XX.

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ordinairement qu'une Guerre que l'on a annoncée comme utile, que l'on a même cru qui le feroit, eft devenue la plus inutile du monde. Chacun a fait de grands efforts; un feul, c'eft-à-dire, le plus adroit ou le plus heureux, en a profité, & l'équilibre n'y a rien gagné.

Tels font les mal-entendus fort fréquens dans ce qu'on peut nommer les Guerres purement utiles, qui fouvent nuifant encore plus à l'équilibre qu'ils ne lui fervent, procurent, à très-peu, du bien fans proportion avec ce qu'ils ont mis au jeu, & font beaucoup de dupes.

En partant de notre même principe, la défense même fans engagement d'un ami, d'un voifin, doit tenir un rang principal dans la claffe des Guerres utiles, fur-tout lorfque la partie attaquée n'eft point une puiffance majeure qui auroit pu fe rendre fufpecte par des projets dangereux à l'équilibre. Mais dès que ce fera une puiffance d'Etat inférieur, fa confidération devient d'autant plus intéreffante pour l'équilibre, qu'on ne peut pas lui fuppofer des projets qui en foient deftructifs. Les plus grands efforts en pareille occafion, font toujours bien & utilement placés. C'eft-là le cas où même fans engagement, l'intérêt de l'opprimé ne doit point être regardé comme intérêt étranger, ni fa défenfe comme illégitime.

Il faudra encore confidérer fi une puiffance, par fa conftitution, par fa fituation, par fes maximes fondamentales, eft d'efpece à devoir, pour fa convenance, être guerriere ou conquérante, ou fi fes mouvemens, quand ils font fufpects, font l'ouvrage d'un miniftere paffager, parce que dans l'un ou l'autre cas les réfolutions utiles doivent être bien différentes.

Le premier cas confeille une union permanente & fuivie de tous ceux qui font à portée de mettre un frein à une telle puiffance.

Le fecond ne demande que des mesures momentanées, parce qu'il fuffit qu'il y ait une proportion entre le mal & le remede; & dans ce dernier cas il y a bien des reffources d'habileté de négociateur à épuifer avant que d'en venir aux réfolutions de Guerre. On attaque l'auteur du mal, & rarement il y réfifte.

Plufieurs puiffances moyennes réunies dans une Guerre eftimée utile, relativement à l'équilibre, me paroîtront pouvoir être moins fufpectes dans leurs intentions qu'une feule puiffance majeure qui armera en apparence pour le même objet, parce que la présomption doit être pour les foibles qui ont toujours moins à gagner que les autres dans les engagemens grands & hafardeux.

Comme on peut penfer plus ou moins jufte fur les caufes de Guerres utiles, & qu'il eft certain que le calcul fur l'équilibre eft prefque toujours eftimatif, on ne peut trop abréger les Guerres de cette efpece, parce qu'y ayant néceffairement des frais, & fouvent des pertes réelles, il feroit aifé de fortir des proportions juftes entre l'objet & les effets; que d'ailleurs il fuffit quelquefois pour contenir l'ambition, de lui avoir fait éprouver que l'on peut lui réfifter. Communément un gouvernement, pour peu qu'il foit

fenfé, ne renouvelle pas des tentatives fur lefquelles il a été corrigé une fois, fur-tout fi la correction a été forte, comme il y en a fouvent dans les événemens militaires.

Le plutôt alors que l'on peut rentrer dans l'état de paix, eft le mieux, foit pour réparer fes pertes, foit pour former des plans de conduite politique qui puiffent rendre l'état de paix permanent & affuré. On ne peut admettre à la Guerre d'autre but légitime, fans quoi ce feroit faire la Guerre uniquement par amour de la Guerre, & pour fatisfaire un efprit de gloire mal entendu & funefte à la fociété générale des hommes.

La feule définition de Guerre utile ne permet pas de la prolonger inutilement, puifque ce feroit fortir de fon objet, & qu'alors elle deviendroit Guerre de pure convenance. C'eft cette efpece d'excès qui donne ordinairement lieu à quelqu'une des puiffances unies, de fe féparer & de fe détacher, ce qui, à la vérité, termine bientôt la Guerre, mais d'une façon mauvaise pour tout le corps de l'alliance; & comme la paix, par ces fortes de dénouemens, devient, pour ainfi dire, forcée, la folidité des ftipulations fouffre toujours de l'empreffement que chacun a & marque avoir à fe réconcilier pour fe procurer des avantages particuliers, fouvent fort étrangers à l'objet primitif de l'alliance.

Nous en parlerons plus au long dans la fuite, pour faire fentir combien il importe de ne fe pas expofer à de pareils inconvéniens contraires à la faine politique, en même temps que nous indiquerons les moyens de les éviter, autant qu'il eft poffible; car il arrive auffi quelquefois des coups d'infidélité que l'on n'a pas pu ni dû prévoir, & qui changeant tout le fyftême & les objets d'une Guerre, changent par conféquent ceux de la paix. A ceux-là nous n'y favons point d'autre remede de prévoyance que de tâcher de bien connoître ceux avec lefquels on s'engage, & de leur rien demander au deffus de leurs forces.

Récapitulons l'intérêt bien évident de l'équilibre rend la Guerre légitime, au défaut d'autres moyens d'y pourvoir.

Il ne faut pas foupçonner légérement une puiffance d'y vouloir donner atteinte; fes forces apparentes ne font pas toujours une raifon fuffifante pour affeoir ce foupçon.

Il ne faut pas prolonger ce genre de Guerre au-delà du befoin démontré. Il n'y doit entrer aucun intérêt direct & particulier d'agrandiffement. Il est pour un gouvernement vigilant & actif dans fes opérations de cabinet, beaucoup de moyens de prévenir, fans Guerre, les atteintes dont l'équilibre peut être menacé.

En préparant publiquement des obftacles à l'ambition qui fe déclare, on l'arrête plus furement, & avec beaucoup moins d'inconvéniens que par la Guerre.

Des Guerres de pure convenance.

Nous avons amplement parlé ailleurs des Guerres de pure convenance.

(Voyez l'article CONVENANCE.) Nous en avons fait voir l'injuftice, & les dangers, les maux qu'elles produifent, & fur-tout, ce qui touche le plus les efprits ambitieux, le peu de fruit qu'on en retire communément.

De la durée des Guerres.

UN des grands inconvéniens de la Guerre, eft l'incertitude de fa durée.

Citò parantur, ferò deponuntur arma. Quelque heureufe qu'elle foit par fes événemens, elle est toujours ruineufe quand elle eft longue, parce que les reffources qu'elle épuife, ou ne fe réparent pas aifément, ou ne peuvent jamais être compenfées. Les rapides conquêtes d'Alexandre coûterent moins à la Macédoine, que les Guerres Puniques ou celle contre Mithridate, ne coûterent aux Romains. La perte multipliée des hommes ne peut être mise en balance avec quoi que ce puiffe être. Le gain d'une bataille fouvent ne paie pas une tête moiffonnée par le fer. Guftave demeuré dans les plaines de Lutzen, Turenne tué au plus beau de fes jours, furent même des victoires pour leurs ennemis battus. Ce font prefque toujours de ces pertes d'éclat qui ont produit les grandes viciffitudes dans le fort des armes; car fi les hommes ont, comme cela eft vrai, befoin d'être conduits, il est vrai auffi qu'ils ne font hardis ou dociles au commandement qu'en proportion de la confiance que leur infpire l'habileté de leurs chefs ou l'opinion qu'ils s'en font formée; car c'eft la même chose pour eux, jufqu'à ce qu'ils foient détrompés. C'eft pour cela que la chofe publique demande que le général ne foit pas foldat, finon dans ces cas de néceffité fi rares, où il s'agit de rétablir un défordre ou de ramener au combat des troupes ébranlées ou rebutées. Et Biron à la bataille d'Yvry, reprochoit avec raifon à Henri IV de faire toujours le Moufquetaire.

Le premier foin d'un gouvernement fage, obligé de faire la Guerre, doit donc être de la faire de maniere à en abréger la durée, autant qu'il eft poffible, & que les fuccès militaires le peuvent permettre.

Il eft plufieurs moyens pour parvenir à remplir ce grand objet; la fupériorité des forces, la confervation des hommes, le choix & la rapidité des opérations, & l'efpece des généraux.

Quant au premier moyen, ce n'eft pas affez de fe mettre en état de n'être pas vaincu. Des efforts médiocres tenant la fortune en balance, ne produifent rien de décifif dans les événemens, parce que bien qu'il y ait quelquefois des fuccès inefpérés & qui femblent, pour ainfi dire, tenir du miracle, communément les fuccès font proportionnés aux forces qui les produifent; c'est même une espece de néceffité mathématique; mais un concours de forces & de moyens fupérieurs met en état de tout ofer & de

ne rien craindre, de donner le ton à fes ennemis, & de fe porter par conféquent à des entreprifes décifives.

C'est en partant du même principe que le foin & la confervation des hommes influent effentiellement fur les moyens d'abréger la durée des Guerres.

Si quelque chofe peut faire pardonner à fon auteur l'invention de la poudre, c'eft que le prodigieux ufage que l'on a appris à en faire, tend à l'épargne des hommes. Il fuffit, pour être perfuadé de cette vérité, de comparer ensemble les détails de la milice ancienne & de la moderne. On eft toujours étonné du nombre prodigieux d'hommes qui périffoient dans les batailles, & l'on ne conçoit pas comment la population y pouvoit fournir.

Qui fait fi, fur-tout aujourd'hui, dans un fiege un millier de poudre n'épargne pas un millier d'hommes? Les Romains ne parvenoient à rendre leurs fieges moins meurtriers, que par le temps prodigieux qu'ils y employoient, & qu'exigeoient la conftruction & les approches des machines néceffaires à la confervation des hommes.

Il eft telle campagne qui, fans être meurtriere par les occafions, coûte un nombre prodigieux d'hommes par le défaut d'attention & la négligence (quelque caufe qu'elle ait) dans la fourniture des fubfiftances, & dans l'entretien & la manutention des hôpitaux, fur-tout dans les pays où l'air eft peu fain ou bien dans les faifons rigoureuses où les fatigues font plus grandes. Quoique nous n'ayons pas de détails bien circonftanciés des mefures que prenoient les anciens pour les approvifionnemens & pour le traitement des malades, nous en trouvons cependant affez pour favoir que les Romains y donnoient une attention particuliere. Si l'efpece des fatigues qu'ils fupportoient, nous fait préfumer qu'ils étoient plus robuftes, parce qu'il y avoit moins de luxe, ils ne pouvoient cependant pas être exempts de maladies. A la vérité, nous ne voyons point qu'ils euffent des hôpitaux établis & formés; mais nous apprenons par le troifieme Livre de Végece, que les Tribuns étoient chargés particuliérement de ce foin, & que les Romains comptoient moins pour la confervation des hommes, fur le fecours des médecins que fur le bénéfice des exercices réglés & non interrompus, & fur le choix & le fréquent changement des campemens, chofe qu'ils regardoient comme importante pour la fanté. Ce furent apparemment les befoins augmentés qui dans les derniers temps, donnerent lieu à l'augmentation des médecins dans les armées, puifque du temps de l'empereur Antonin il y en avoit un par chaque légion.

A l'égard de la fourniture des vivres, elle fe faifoit d'une façon fimple & peu coûteufe. Toutes les villes étoient tenues d'avoir des magafins. Chacune, lorfqu'il y avoit Guerre, faifoit voiturer fa quote part aux lieux indiqués, qui étoient ordinairement des endroits fortifiés, & le gouvernement faifoit payer ou remplacer en nature à chacune ce qu'elle avoit fourni

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