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alors leurs haines ceffoient ou reftoient fufpendues, & l'intérêt de leur gloire & de leur origine réuniffoit leurs forces contre l'ennemi commun; inftruits enfin par leur expérience, ils fentirent leur affoibliffement & la néceffité de refpecter leurs alliances, qui feules pouvoient donner de la ftabilité à leur fortune, & après avoir été foldats ils devinrent citoyens. Les engagemens devinrent plus facrés, & pour affermir l'union de toutes les fociétés, on en fcela les conventions avec des fermens. On établit des fêtes & des facrifices qui furent communs à toutes les républiques, & la religion fut mêlée à la politique; ils n'eurent plus befoin d'être armés pour défendre leurs héritages. Leurs chefs ou leurs Rois furent les feuls mécontens, leur puiffance limitée par les loix les réduifit à la condition de n'être que les premiers citoyens. Ils exigerent d'abord des habitans des villes, la même obéiffance qu'ils trouvoient à la tête de l'armée: dès qu'on s'apperçut de leur ambition, on chercha les moyens de la réprimer. Leur pouvoir fut reftreint & détruit; ils devinrent les fujets de la loi qui feule eut droit de commander.

Cette révolution particuliere à quelques villes, eut une influence générale, un enthousiasme généreux réveilla le fentiment de la liberté les peuples indépendans offrirent leur fecours aux autres qui voulurent s'affranchir de la tyrannie. Le fanatifme républicain fut une pallion nationale, & les Grecs, refpectant alors les droits de leur fraternité, fe feroient crus déshonorés fi quelqu'un d'entr'eux fe fut profterné fous le fceptre des rois. Toutes ces villes s'emprefferent d'entrer dans cette confédération qui affuroit les profpérités & leur indépendance; elles envoyerent des députés aux jeux établis à Olympie, à Corinthe & à Nemée où toutes offrirent les mêmes facrifices aux mêmes divinités. On convoqua des affemblées générales de la nation à Delphes & aux Thermopiles où l'on difcutoit les intérêts de la Grece, & les proteftations d'amitié faites en préfence du dieu de Delphes devenoient facrées. Le confeil des Amphictions, compofé de ce qu'il y avoit de plus éclairé & de plus incorruptible dans la nation, préfidoit aux deftinées publiques. Pacificateurs plutôt qu'arbitres des querelles, ils n'avoient point de force coercitive pour faire exécuter leurs arrêts, mais le refpe&t qu'infpiroit leur intégrité, leur donnoit plus de puiflance que s'ils euffent été à la tête de plufieurs légions.

Cette république fédérative affermit fa conftitution avant d'en avoir corrigé les vices. Les loix avoient été établies dans le tumulte des diffentions. La plupart avoient été dictées par le befoin du moment, & c'étoit dans le calme qu'il falloit les réformer. Mais on crut qu'il étoit plus avantageux de laiffer fubfifter quelques abus, que d'introduire des nouveautés qui font toujours des mécontens. Le vice de la légiflation se tint long-temps caché avant d'exercer des ravages. Les troubles excités par l'expulfion des Rois avoient élevé les courages, & quelques ambitieux mécontens de ne plus être tyrans fubalternes fous les Rois, furent chercher une nouvelle patrie.

Ces aventuriers formerent des établissemens qui inspirerent à d'autres le désir de fuivre leur exemple. Tous ceux qui étoient nés fans fortune, ou qui l'avoient renversée par leurs profufions, s'unirent pour aller envahir des pays riches & fertiles dont ils devinrent les dominateurs. Ces colonies devenues indépendantes de leurs métropoles, confervoient un tendre attachement pour elle. L'amour de la patrie ne fe fait jamais plus vivement fentir que quand on en est éloigné. L'Italie, l'Afrique, & fur-tout l'Afie mineure furent peuplées de ces colonies, qui tranfplantées dans une nouvelle terre, y porterent leurs arts & leurs vices. La Grece débarraffée de citoyens inquiets & turbulens, accablés de leur inutilité, & d'autant plus dangereux que ce n'eft que dans le trouble & la confufion qu'ils trouvent le moyen de réparer le vide caufé par leurs débauches. Ces émigrations, en affurant la tranquillité des villes, les laiffoient dans un état de langueur & de foibleffe, & en réprimant l'ambition des conquêtes, elles étouffoient le germe du courage qu'infpire la confiance de fes forces. Il n'eft donc pas étonnant que des républiques naiffantes, convaincues de leur impuiffance, aient été fans ambition, ce fut même leur obfcurité qui réprima dans leurs voifins le défir de les conquérir.

Quoiqu'elles n'euffent point de guerres étrangeres à foutenir, elles ne furent pas long-temps fans s'appercevoir qu'elles avoient dans leur conftitution une caufe de dépériffement. Les Magiftrats n'étoient que les dépofitaires & les miniftres de la loi, & comme on n'avoit point affez déterminé leur pouvoir, ils étoient fans ceffe expofés à la tentation d'en franchir les limites. Le citoyen qui vouloit bien respecter un chef, craignoit en obéiffant de faire l'aveu qu'il avoit un maître la nobleffe orgueilleufe de ses privileges infultoit au peuple qui fe croyoit formé d'une argile auffi pure qu'elle. Il n'y avoit point de rebelles dans les villes, & elles étoient peuplées de mécontens. Et s'il fe fut trouvé quelqu'ambitieux, la république fédérative eut eu la honte de ramper fous des tyrans. Quelques intelligences fupérieures, touchées des malheurs de leur patrie, fentirent la néceffité d'introduire une légiflation nouvelle; Lycurgue fut le premier qui ofa le tenter, & il réuffit. D'un affemblage d'hommes vils & obfcurs, il fit un peuple de héros, & fon exemple eut par-tout des imitateurs qui créerent des hommes, puifqu'ils leur donnerent des talens & des mœurs. Je n'entrerai point dans des détails qui appartiennent à l'histoire particuliere de chaque peuple. Je ne dois offrir ici que le tableau de la Grece en général. Les Grecs furent les peuples les plus religieux de la terre, fi l'on en excepte les Egyptiens dont ils emprunterent leur hiérarchie célefte: à mesure que leurs mœurs se corrompirent, & que leur raifon fur plus lumineufe, leur crédulité devint plus aviliffante. Tous les bienfaiteurs de la patrie eurent des temples, des facrifices & des prêtres. On vit même fumer l'encens pour des brigands & des courtifanes, célébres par leurs crimes & leurs débauches. Il femble que leur pays ne leur offroit point affez d'objets de leur culte, puifqu'après

avoir adopté toutes les divinités étrangeres, ils érigerent encore un temple au Dieu inconnu. Il est bien humiliant pour les fciences que les pays où elles ont plus répandu de lumiere, aient été le berceau & le trône de la fuperftition. On peut les juftifier en difant que les fauffes religions ont pris naiffance dans les âges de barbarie; quand une nation a commencé à s'inf truire, il s'eft élevé des fages qui ont fenti l'impoffibilité de la réforme ; d'autres plus audacieux ont combattu les erreurs populaires, & leur zele bienfaifant n'a trouvé que des ingrats & des perfécuteurs. Quelques-uns ont penfé que tout frein qui dirige les penchans vers le bien, doit être confervé, & qu'une erreur utile eft préférable à une vérité ftérile. Une politique barbare a adopté ce dernier fyftême qui eft le plus outrageant pour l'humanité qu'on craint d'éclairer pour la tenir plus affervie.

Les Grecs, perfuadés que leurs Dieux adorés dans de fuperbes palais, paroîtroient plus refpectables que dans d'humbles cabanes, leur éleverent des temples de marbre où l'art déployoit toutes fes richeffes. Celui de Diane à Ephese, foutenu de cent vingt-fept colonnes de foixante pieds de hauteur, avoit deux cents quarante-cinq pieds de long, & deux cents-vingt de large; celui d'Apollon à Milet ne lui cédoit point en magnificence. Cerès & Proferpine raffembloient leurs adorateurs à Eleufis, & Jupiter Olympien à Athenes. Tous les artiftes trouvoient dans ces temples un modele pour les trois ordres d'Architecture. Celui de Delphes eut le plus de célébrité, c'étoit-là que des prêtres impofteurs faifoient parler les ora- . cles, & favorifoient, par leurs menfonges, ceux qui favoient mieux les payer. Les Rois, tributaires de l'erreur, y envoyoient de riches offrandes, & le concours des nations venoit y offrir le fpectacle de la plus humiliante crédulité. Les Phocéens, moins fuperftitieux, en enleverent plufieurs fois les riches dépouilles, & plufieurs autres peuples fuivirent leur exemple. Toute la religion confiftoit dans les facrifices, les fêtes, les oracles, les arufpices & les augures.

Voici comme fe faifoient les facrifices. Deux hommes conduifoient la victime à l'autel, deux autres portoient, l'un un baffin & une aiguiere remplis d'eau pour laver les mains du facrificateur. L'autre portoit l'orge facré dans une corbeille on avoit foin de couper la langue de l'animal avant de l'introduire dans le temple, pour prévenir fes mugiffemens plaintifs qui auroient rendu le facrifice fterile. Le prêtre répandoit fur la tête l'orge facré, il coupoit un peu de poil du front qu'il jetoit dans le feu, & après avoir invoqué le Dieu, il la faifoit tomber fous la hache; les plus diftingués de l'affemblée avoient le privilege de l'égorger & de la dépecer. Certains morceaux étoient brûlés fur l'autel où l'on faifoit des afperfions de vin. Les entrailles rôties étoient abandonnées au peuple, mais les parties délicates étoient fervies fur la table du facrificateur & des prêtres. Pendant toute la cérémonie, le temple retentiffoit des hurlemens des dévots qui faifoient leurs prieres pour participer au facrifice.

Les fêtes étoient trop pompeufes pour ne pas intéreffer la multitude qui couroit au temple avec le même empreffement qu'au théâtre : une religion qui ne prefcrivoit ni dogmes à croire, ni le facrifice d'aucune paffion, ne devoit point trouver de rebelles. C'étoit des courses, des gymniques, des concerts & des poëmes, où tous difputoient le prix des talens. Quand on avoit terminé ces combats, on faifoit des proceffions où l'on portoit des étendarts fur lefquels étoient tracés les attributs du Dieu où de la Déeffe. Les vieillards & les femmes âgées précédoient la marche. Ceux qui étoient en âge de porter les armes, venoient après eux armés de lances & de boucliers. Toute la jeuneffe des deux fexes portoit des couronnes de fleurs, & des corbeilles où l'on mettoit les chofes deftinées aux facrifices & aux offrandes. C'étoit avec des témoignages de joie qu'on approchoit de l'autel des dieux, & quelquefois l'alegreffe dégénéroit en débauche; c'étoit fur-tout dans les fêtes de Bacchus qu'on fe livroit aux plus grands excès : ce héros qui ne parcouroit la terre que pour en être le bienfaiteur, voyagea dans la Grece où la reconnoiffance lui érigea des autels. On inftitua en fon honneur des fêtes dont les unes fe célébroient en automne & s'appelloient Lænéenes, & les autres au printemps font fameufes fous le nom de Dyonifiates. C'étoient des fpectacles pompeux où les poëtes dramatiques difputoient la palme du génie; les hommes couverts de peaux de bêtes fauvages, la tête couronnée de lierre & de pampre, portoient dans leurs mains des tyrfes, & faifant retentir l'air de cors & de tymbales, couroient comme des furieux faifis d'une yvreffe brutale. C'étoit par cet oubli de la raison, que le peuple étonné croyoit reconnoître en eux Pan, Sylene, & les Satyres. Les femmes plus effrénées encore difputoient aux hommes le privilege de s'avilir, & fe traveftiffant fous des formes bizarres, elles fouloient aux pieds la pudeur, & offroient le fpectacle de la plus monftrueufe débauche.

Les fêtes de Cérès, appellées Eleufines, étoient les plus folemnelles. On les célébroit tous les quatre ans, aux mois d'Août & de Novembre. Les étrangers n'avoient point le privilege d'y participer on s'y préparoit par des lotions, des facrifices & des cantiques facrés. On employoit mille preftiges pour inspirer une fainte horreur aux initiés dont les ténebres ébranloient l'imagination. Le bruit des tonnerres, la lueur des éclairs, l'apparition des fpectres étoient autant de refforts que les prêtres faifoient mouvoir pour répandre cette frayeur religieufe qui relevoit la majefté des myfteres; & rien n'affectoit davantage les organes, que certaines voix mugiffantes & fépulcrales qu'on regardoit pour autant de réponses des morts qu'on évoquoit des tombeaux. Quoiqu'un magiftrat préfidât aux cérémonies nocturnes, on prétend qu'on s'y livroit à bien des diffolutions & des fcandales. Mais cette affertion eft deftituée de vraisemblance, puifque les peres & les époux faifoient initier leurs femmes & leurs enfans. On eût puni de mort le profanateur qui eût divulgué les myfteres; & l'on infligeoit la même peine à quiconque fe mêloit avec les initiés fans l'être lui-même.

Tout ne fe paffoit pas dans l'enceinte du temple. Pendant les neuf jours, que duroit cette folemnité, on faifoit plufieurs proceffions pompeufes. La premiere étoit celle des corbeilles, ainfi nommées, parce que les femmes en portoient où étoient renfermées certaines chofes qu'un voile déroboit à la curiofité des profanes. La feconde s'appelloit la fête des flambeaux, parce que tous les initiés en portoient pour imiter Cérès cherchant fa fille Proferpine. La troifieme étoit plutôt une fcene d'extravagance qu'une cérémonie religieufe; on s'y livroit aux délires d'une joie effrénée. Tout retentiffoit dans la marche du bruit des concerts. On danfoit au fon des trompettes & des autres inftrumens propres à faire fortir l'ame au dehors. Les femmes, par des geftes lafcifs, provoquoient à la lubricité dont les feux fembloient les embrafer. Tant que duroit la folemnité, les débiteurs & les criminels étoient fous la protection de la loi; ç'eût été un facrilege d'attenter à la liberté d'un citoyen.

Les oracles faifoient une partie de la religion de la Grece; on en cherche en vain l'origine, on doit la dater du moment où les hommes ont eu la curiofité de déchirer le voile qui couvre l'avenir. C'étoit fur leur réponse qu'on fe déterminoit à la paix ou à la guerre. Les rois prirent foin d'accréditer cette impofture, parce qu'étant affez riches pour corrompre les prêtres, ils les faifoient parler à leur gré. Leur exemple contagieux féduifit la crédulité du peuple. L'oracle de Delphes dans la Phocide eut le plus de célébrité : c'étoit là qu'on interrogeoit Apollon-Pythien, dont la Prêtreffe qui rendoit fes réponses, étoit appellée Pythie : le temple étoit bâti fur une caverne d'où fortoit une exhalaifon que la Prêtreffe avoit le privilege exclufif de refpirer. Les vapeurs qui lui montoient à la tête, la faifoient entrer dans des fureurs convulfives, qu'on prenoit pour un tranfport prophétique, pour une yvreffe divine. Ses cheveux fe dreffoient, fes regards étoient farouches, fa bouche blanchiffoit d'écume, les mots qu'elle articuloit, n'offroient aucune idée; plus elle faifoit & débitoit d'extravagances, plus on la croyoit poffédée de l'efprit de la divinité. Les prêtres qui rendoient fes réponfes, leur donnoient une explication ambiguë & toujours favorable à leurs corrupteurs.

Les Augures & les Arufpices étoient d'autres impofteurs qui acheverent d'infecter tous les champs du Paganifme. Cette puérilité qui ufurpa le nom de fcience chez tous les peuples les plus éclairés, confiftoit à prévoir les événemens futurs par le chant & le vol des oifeaux, par l'appétit des poulets facrés & par les entrailles des victimes. Naiffoit-il un monftre? voyoiton la lune s'éclipfer? les yeux étoient-ils frappés de quelques phénomenes extraordinaires? les Augures & les Arufpices en tiroient des préfages pour l'avenir.

C'est au milieu des ténebres de ces fuperftitions, qu'on voit briller le flambeau des fciences & des arts. A peine les Grecs font réunis en fociété, qu'Homere déploie toutes les richeffès de la poéfie; peintre intéreffant &

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