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pareils par les grands avantages qu'ils procurent à leur patrie : les rois entre les rois, les miniftres entre les miniftres, les généraux entre les généraux, les premiers magiftrats entre les premiers magiftrats.

Mais, s'ils n'ont que des motifs très-communs dans leur conduite, ce ne font que des hommes illuftres que fi leur motif eft grand & vertueux, & leurs fervices également grands, ils paffent les hommes illuftres, ils font du nombre des Grands-honimes.

On voit donc que les premiers hommes de ces deux efpeces de profeffions, l'une fpéculative, qui regarde la grande augmentation du bonheur de toutes les nations en général; l'autre pratique, qui regarde la grande augmentation du bonheur d'une nation en particulier, peuvent feuls être nommés de Gra¬ds-hommes. Voilà donc les conditions fans lefquelles on ne fauroit être Grand-homme.

1o. Grand motif, ou, grand défir du bien public. 2o. Grandes difficultés furmontées, tant par la grandeur d'une ame courageuse, que par les grands talens d'un efprit jufte, étendu & fertile en expédiens. 3°. Grands avantages procurés au public en général, ou à la patrie en particulier.

Plus le bienfait eft grand, durable, étendu à un grand nombre de familles, difficile à procurer; plus aufli celui qui le procure fe diftingue entre les Grands-hommes. Delà on voit que fi Henri IV, roi de France, eût exécuté fon projet fi fameux & fi fenfé pour rendre la paix perpétuelle & univerfelle entre les fouverains chrétiens; il auroit procuré le plus grand bienfait qu'il foit poffible, non-feulement à fes fujets, mais encore à toutes les nations chrétiennes, & même, par une fuite néceffaire, à toutes les nations de la terre: bienfait dont toutes les familles vivantes futures euffent participé durant tous les fiecles à venir; bienfait qui enferme l'exemption de tous les maux que caufent les guerres civiles & étrangeres.

Il eft vifible qu'un pareil bienfait furpaffe infiniment les bienfaits dont la république Romaine étoit redevable à Scipion, parce qu'il ne procuroit de grands avantages qu'à la patrie; parce qu'il ne le lui procuroit qu'aux dépens des nations voifines; & parce qu'il ne laiffoit point de moyens propres pour prévenir les guerres civiles dans la république, au-lieu qu'Henrile-Grand, pour fon projet, eût pu tirer la France, fa patrie, pour tous les fiecles à venir, de toutes les guerres civiles & étrangeres.

Charles-Quint, par le grand nombre de guerres qu'il entreprit, & des fuccès qu'il eût dans fes entreprises, régna avec éclat : il furmonta donc durant la vie de grandes difficultés, tant par fon efprit que par fon courage; c'eft ce qui le fait fort diftinguer parmi les rois, & entre les empereurs, foit ceux qui l'ont précédé, foit ceux qui l'ont fuivi. Mais fut-il toujours équitable envers fes voifins? Fut-il toujours exact obfervateur des traités & de fes promeffes? Fut-il toujours bienfaifant envers fes peuples? Ne diminua-t-il pas, au contraire, fort fouvent par fes grands fubfides leurs revenus pour augmenter le fien. Il eft parvenu, à la vérité, par les

grandes difficultés qu'il a furmontées, au titre d'empereur illuftre, de grand empereur, entre les empereurs. Mais de-là au Grand-homme, c'eft-à-dire, au grand bienfaiteur des hommes en général, ou de fes fujets en particulier, il y a encore un espace prodigieux.

Ce n'eft ni la grande place, ni la grande puiffance qui fait le Grandhomme. Les empereurs, les rois, les miniftres, peuvent être des hommes très-médiocres, & même des hommes très-méprifables; témoin Néron, témoin Séjan. Sans les conditions effentielles que nous avons mifes ci-dessus, il peut y avoir de l'éclatant, du brillant dans leurs fuccès, & par conféquent rien de louable.

L'hiftoire nous a confervé la mémoire des généraux, des miniftres qui fe font fort diftingués entre leurs pareils; ils ont rendu de grands fervices à leur nation, en furmontant de grandes difficultés; mais vendoient leurs fervices le plus cher qu'ils pouvoient à leurs princes; ils vouloient de grands revenus; ils vouloient de grandes dignités; ils cherchoient moins l'honneur que les honneurs; ce font des hommes illuftres, j'en conviens; mais peuton jamais regarder comme de Grands-hommes, ceux qui n'ont jamais eu rien de grand, rien que de bas & de vulgaire dans leurs motifs? Je conviens que les Grands-hommes, en cherchant la plus grande utilité publique, avoient pour motif principal la gloire de faire plus que leurs pareils pour le bonheur des hommes; c'eft que pour être grand, ils ne ceffoient pas d'être hommes, & il faut que l'homme, comme toute créature raifonnable, ait une forte de plaifir pour premier reffort de fes entreprises; ils cherchoient donc le plaifir de la diftinction dans l'augmentation du bor.heur des autres: ils cherchoient la gloire; mais c'étoit la gloire la plus précieuse, c'eft-à-dire, la gloire la plus utile à la patrie.

Il eft bon d'observer que l'on peut être illuftre dans tel art, dans telle profeffion, fans être homme illuftre tout court. Lully, par exemple, a été illuftre dans la mufique; mais on ne dira jamais, quand on voudra parler avec jufteffe, que c'étoit un homme illuftre; c'eft qu'il ne travailloit que pour fa fortune, & que fa profeffion n'étoit pas illuftre, c'eft-à-dire, du nombre de celles où l'on puiffe rendre des fervices très-importans à la patrie.

Plutarque, avec fon fens exquis, n'auroit jamais commis la faute groffiere d'un de nos écrivains, qui a mis très-imprudemment parmi les hommes illuftres tout court, & à côté de M. de Turenne, des poëtes, des peintres illuftres, des aftronomes, des jardiniers, des graveurs illuftres, qui n'étoient ni Grands-hommes, ni hommes illuftres tout court; ce n'étoient que des hommes dont la profeffion n'étoit pas des plus utiles au bien public, & qui la plupart, n'avoient pour motif de leurs entreprises, que l'augmentation

de leur fortune.

L'homme jufte & bienfaifant ne laiffe pas de fe faire diftinguer entre ses pareils par fa vertu; les marques de bienveillance & d'estime qu'il re

çoit de ceux qui le connoiffent, font pour lui une forte de revenus de plaifir, qui font très-fenfibles aux ames bien nées. Mais s'il n'a pas des talens diftingués, il ne peut jamais paffer pour un homme illuftre.

Il y a donc une grande différence entre homme illuftre dans une profeffion non illuftre, & homme illuftre tout court, c'est-à-dire, dans une profeffion illuftre & importante à la fociété. Il y a donc de même une grande diftance entre homme illuftre & Grand-homme. Le Grand-homme eft toujours illuftre; mais l'homme illuftre n'est pas toujours Grand-homme. Et fi l'on y veut bien faire attention, les bons efprits de tous les temps & de toutes les nations, n'ont point eu d'autres idées, foit de la véritable grandeur de l'homme foit de la différence qui eft entre le Grandhomme & l'homme illuftre; elles fe font tranfmifes de fiecle en fiecle jufqu'à nous.

L

GREC E.

A Grece proprement dite ne renfermoit que l'Etolie, la Doride, la Béo..e, l'Attique & la Phocide. Dans la fuite on donna ce nom à l'Epire, au Peloponnefe, à la Theffalie, & même à la Macédoine qui composent aujourd'hui la partie Méridionale de l'Empire Ottoman en Europe. Elle eft bornée à l'Orient par l'Archipel, au midi par la mer de Candie, au couchant par la mer d'Ionie, & au nord par la Thrace & l'Illyrie. L'origine de fes habitans eft incertaine. Les interpretes de nos livres facrés à la faveur des étimologies, la découvrent dans les fils de Javan ou Ion. L'aîné nommé Eliza, difent-ils, donna fon nom à toute la contrée qui fut appellée Ellas. Cette interprétation eft fondée fur le nom de la ville d'Elides fur les champs Elifées, fur la riviere Eliffus. Dodanim, le fecond fils, ajoutent-ils, eut en partage le territoire de Dodone. C'est ainfi que l'Ecriture Sainte qui ne s'eft point propofé de fatisfaire une vaine curiosité, eft proftituée à la fable. Il est à préfumer que la Grece reçut fa dénomination de fes premiers oppreffeurs, ou des colonies qui y formerent des établiffemens, ou peut-être des productions de chaque canton. Les plus anciens écrivains les défignent par les nonis d'Argiens, d'Hellenes, de Danaens, d'Achéens, & rarement par celui de Grecs.

L'Epire, la province la plus occidentale, étoit habitée par les Moloffes, les Chaoniens, les Thefprotiens, & les Arcananiens qui formoient quatre peuples différens. Le Peloponnefe eft une prefqu'ifle qui ne tient au refte de la Grece que par un ifthme large de fix milles. C'étoit-là qu'étoit Sycione, le plus ancien Royaume de la Grece, & celui d'Argos fondé par Inachus. Ses principales villes étoient Corinthe qui donna fon nom à l'ifthme, Meffene, Pyle, Sparte, & Corone. Le Peloponnefe eft appellé aujourd'hui

la

la Morée. La Theffalie renfermoit les villes de Lariffe, de Pharfale, de Magnéfie, & de Démétriade. C'étoit là qu'étoit le vallon délicieux de Tempé arrofé par le Penée, & trois montagnes célébres dans la fable, Olympe, Pelion, & Offa. Les principales villes de l'Italie étoient Chalcis, Olenus, Lepante & Calidon. Les villes les plus connues de la Béotie étoient Orchomene, Thefpie, Cheronée, Thebes & Platée. L'Attique avoit Athenes, Mégare, Eleufis, Decelie & Marathon. La Macédoine avoit pour capitale Pella; fes autres villes étoient Epidamne aujourd'hui Durazzo, Apollonie, Egée, Olinthe, Edeffe, Acanthe, Theffalonique, & Stagire qui fe glorifie d'avoir donné naiffance à Ariftote. La Grece compte quatre différens âges le premier s'étend jufqu'au fiege de Troye, & appartient plutôt à la fable qu'à l'hiftoire; alors commence le fecond âge qui va jufqu'au regne d'Hidafpe; le troifieme, qui eft le bel âge de la Grece, fe termine à la mort d'Alexandre; le quatrieme enfin eft la vieilleffe de ce peuple fameux qui paffe fous la domination des Romains.

Le berceau de la Grece, comme celui des autres nations, eft enveloppé de tenebres, où la pudeur de l'hiftoire n'ofe pénétrer. La fable licentieuse a fuppléé à cette retenue, & fes menfonges agréables ont été adoptés comme des vérités. Les premiers habitans de cette terre fortunée, errans fans chefs & fans loix, ne s'arrêtoient que dans les lieux où ils trouvoient des fubfiftances. Les champs fans culture n'avoient point de poffeffeurs privilégiés. La terre étoit un patrimoine commun & fuffifant aux befoins de fes habitans. Les mers qui baignent les côtes de la Grece étoient infeftées de corfaires qui vivoient de leurs brigandages. Le droit des gens n'étoit fondé que fur la force; tous marchoient armés & vivoient dans un état de guerre. Les Grecs qui n'étoient ni cultivateurs ni commerçans n'avoient d'autre reffource que dans leurs fruits & leurs troupeaux; ils réunirent leurs forces contre l'ennemi commun, ils choifirent des chefs qui écarterent de leurs côtes ces brigands dont Minos avoit déjà purgé les mers, & qui furent enfin exterminés par ces héros aventuriers que la reconnoiffance publique mit au nombre des Dieux pour avoir fait expirer fous leurs maffues des hommes auffi féroces qu'eux. Tels furent les Hercules, les Jafons, les Thefées & tant d'autres dont les noms excitent encore aujourd'hui une idée d'héroïfme la force du corps, un courage brutal qui fe précipitoit dans le danger qu'il ne connoiffoit pas, un cœur inacceffible à la pitié caractérisoient l'homme de guerre on ne prenoit les armes que pour exterminer fon ennemi, & le vainqueur qui auroit été affez généreux pour lui pardonner, eut paffé pour pufillanime. C'étoit à la férocité, & à la foif du fang humain qu'on reconnoiffoit le héros. La fable qui a confacré leurs vertus & leurs vices, a pris foin d'embellir leurs traits pour nous faire partager fon admiration.

L'Attique fut la contrée qui la premiere renonça à la vie fauvage. Son terroir ingrat & ftérile n'offrit rien à l'avare cupidité des pirates. Défendue Tome XX. Cccc

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par fa pauvreté qui eft le plus fort rempart contre l'ambition, elle fervoit encore d'afile aux peuples qui s'y précipitoient pour se dérober aux fureurs des brigands. Alors le pays le plus difgracié de la nature fe vit furchargé d'habitans. Le befoin excita l'induftrie qui fit germer l'abondance au milieu des fables & des rochers. Ces peuples, en devenant plus nombreux, fentirent les commodités de la vie fe multiplier. Ils fe dégoûterent de la vie errante, & convaincus qu'il leur étoit avantageux de s'unir en fociété, ils cefferent d'être fauvages, pour vivre tranquilles fous la protection des loix & des magiftrats. Ils ne renoncerent point aux privileges de leur indépendance naturelle, ils ne fe dépouillerent que du droit d'en abufer. L'exemple de l'Attique devenue plus heureufe fans ceffer d'être libre, fut fuivi des autres peuples de la Grece qui fe mirent à cultiver la terre dont les productions variées leur fournirent des alimens plus délicieux que le gland dont ils s'étoient nourris; ils quitterent les antres pour habiter fous des cabanes, ils eurent des poffeffions à défendre; il fe forma des républiques qui n'étoient que des hameaux ou de viles bourgades, & le nom de patrie excita des fentimens délicieux qui jufqu'alors avoient été inconnus.

Une heureuse illufion féduifit tous les Grecs. Ils fe perfuaderent qu'ils avoient une origine commune, & cette chimere fut le principe de leur grandeur rapide il y eut entre eux une communauté de gloire & d'humiliations, de profpérités & de revers; cette idée introduite par le hafard feroit honneur à la politique du légiflateur d'une grande nation. La raison perfectionnée leur reprocha leur férocité; mais fon ouvrage refta longtemps imparfait, des nuances légeres ornerent la fuperficie des mœurs, mais le fond toujours inculte conferva fa groffiéreté primitive. Homere, en nous traçant le portrait de fes héros, ne nous donne pas une grande idée de l'aménité de leurs mœurs; ils vivoient dans un temps où le germe du génie avoit déjà fructifié : ainsi l'on peut dire que fi la Grece fut le berceau des arts, ils eurent des barbares pour inventeurs.

Que pouvoit-on attendre de ces fociétés naiffantes qui n'étoient que des affociations de brigands dont la politique brutale rappelloit l'état fauvage dont elles venoient de fortir. Toujours inquietes & turbulentes, elles s'abandonnoient aux impulfions fubites de leur crainte ou de leur cupidité. Plus elles étoient voifines, plus elles étoient acharnées à s'exterminer. La plus foible, chaffée de fes domaines, cherchoit de nouveaux établiffemens, & après avoir été forcée d'abandonner lâchement fes poffeffions, elle avoit affez de courage pour envahir celles des autres. Ce fut ainfi que les Beotiens, opprimés par leurs voifins, s'établirent dans la Cadmée, & les Héraclides dans le Peloponnefe; c'étoient des flots pouffés par d'autres flots. Ils donnoient le nom de féditions à toutes ces guerres cruelles, parce qu'étant tous de la même famille, ils les regardoient comme des querelles domeftiques enfantées par des haines paffageres & non par le défir des conquê tes. Ils n'appelloient guere que les hoftilités commifes contre l'étranger,

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