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principe d'encouragement & de vie. Et quelles époques citera-t-on dans cet efpace de douze années, où l'abondance ait été réelle? «

» Y avoit-il plus de culture? Il ne pouvoit en résulter de bénéfice pour l'état que de deux manieres: ou en entretenant une circulation plus active dans l'intérieur, ou en étendant nos relations avec l'étranger. «

» Dans le premier cas, puifque les progrès de la culture avoient été fenfibles, les Grains n'ayant jamais varié que dans des prix élevés, on devoit en conclure que ce fyftême pouvoit concilier une plus grande abondance avec les effets de la rareté, ou que cette concurrence qui devoit les faire defcendre, n'étoit qu'une chimere. «<

» Dans le fecond cas, nos ports, quelquefois ouverts prefqu'auffi-tôt fermés, ont démontré l'illufion d'un commerce nul dans les temps ordinaires, dangereux dans les temps de profpérité, parce qu'il faut à la fois le concours d'une abondance foutenue dans nos climats & d'une rareté extrême dans les royaumes qui nous environnent. Ce ne pouvoit donc jamais être qu'une branche de commerce incertaine, momentanée, qui pouvoit être faifie avec fruit fous l'empire des réglemens, mais qui, fous un fyftême deftructeur de toute police, pouvoit porter la fatiété chez nos voifins & laiffer la diferte dans nos murs. «<

C'étoit, Sire, en envisageant ce fyftême fous ce nouveau point de vue, comme deftructeur de toute police, qu'il étoit facile de fentir pourquoi les difettes antérieures à la liberté n'avoient prefque été accompagnées d'aucun trouble, tandis que les dernieres chertés avoient fucceffivement occafionné des mouvemens dans toutes vos provinces. Les peuples, tranquilles alors fous la protection des réglemens, n'accufoient que les faifons des malheurs, dont ils ont cru depuis qu'ils pouvoient accufer les regles de la nouvelle adminiftration. «<

Et c'eft après une expérience fi fàcheufe, après des crifes fi fréquentes, quand des alarmes encore nouvelles ont fait craindre que ce fyftême ne fut tour-à-tour, ou la caufe, ou le prétexte des troubles, que l'on pourroit livrer aujourd'hui la fubftance de la capitale à l'incertitude de tels principes. «

» Pourquoi, Sire, les réglemens fembloient-ils avoir réuni toute leur vigilance fur les approvifionnemens des villes? Pourquoi Votre Majefté ellemême en abandonnant à la circulation libre du commerce toutes les provinces & les villes de fon royaume, avoit-elle différé de prononcer fur le régime de la ville de Paris? c'eft que nos peres avoient fenti, c'eft que Votre Majefté fentoit elle-même que les villes forment une exception avec le refte des provinces, & Paris une exception avec toutes les villes. «

>> Sur quoi repofe l'exiftence des grandes villes? Sur deux bases également néceffaires: la fureté & le calme, la fureté qui appartient à chaque individu, le calme qui appartient à l'ordre général. «<

Qu'on fufpende un moment l'activité des loix qui les maintiennent, l'harmonie ceffe, les paffions plus dangereufes dans leur fein, parce

qu'elles y font plus excitées, portent l'inquiétude & le trouble dans l'intérieur des familles. Si le défordre tient à des causes générales, il prend encore des caracteres plus funeftes, parce qu'il fe communique avec plus de rapidité. Un mouvement populaire devient une émeute générale, & il faut alors que l'appareil de la terreur ramene une tranquillité qui ne repofe jamais mieux que fur l'autorité continue & vigilante de la loi. «

» C'étoit, Sire, parce qu'ils avoient pefé ces inconvéniens, que nos peres avoient multiplié les précautions dans l'intérieur des villes. Ils regardoient le befoin comme le premier mobile de tous les hommes: il confeille le crime au fcélérat, il excite l'indigent au murmure; le befoin eft réel, où il n'exifte que dans l'opinion, & dans ces deux cas, également funefte dans fes conféquences, il plonge dans le défespoir, ou tient le peuple dans l'inquiétude. On ne raisonne point fur les befoins, parce qu'ils tiennent à l'existence. Si la rareté eft venue de la rigueur des faifons, le défefpoir du peuple eft plus tranquille, puifqu'il fait qu'il fouffre avec tout le monde. «

>> S'il ne tient qu'à l'opinion, fon inquiétude eft agiffante, elle produit alors deux grands maux des précautions indifcretes de la part des riches, & par conféquent un ralentiffement dans la circulation qui nourriroit le pauvre. Il ne refte donc à ce dernier que le murmure ou la mort.

«

>> On fe feroit facilement convaincu de cette vérité, fi on avoit voulu jeter les yeux fur les caufes des différents defordres qui ont accompagné depuis douze ans les progrès de la liberté. «<

» On n'a jamais manqué de Grains; mais on a craint d'en manquer, & par un caractere particulier à ces fortes de matieres où l'avenir occupe autant que le préfent, on fe confole quand on fouffre, on eft impatient quand on craint de fouffrir. «

» Et, Sire, qu'un ralentiffement momentané dans le commerce, que des prix trop élevés, que des manœuvres particulieres fufpendent pour un moment ou faffent craindre une fufpenfion dans ce commerce de premiere néceffité; qui réparera le malheur du moment; & tempérera l'inquiétude de l'avenir? Faudra-t-il voir renaître fous le regne du plus bienfaifant, du meilleur des monarques, ces jours de confternation où la police civile avoit fait place à une police militaire, utile pour le montant, dangereufe à employer habituellement, parce qu'elle contient fans calmer, & fait appercevoir de trop près au peuple fa dépendance. «<

» Trois objets principaux avoient attiré l'attention des réglemens : la quantité des denrées, afin d'être affuré des fubfiftances de la capitale; la qualité, afin que des alimens mal-fains ne vinffent pas joindre encore de nouveaux principes de mort à ceux qu'un air moins falubre peut porter dans les individus qui l'habitent; & les prix, parce que les murmures ou la férénité du peuple ne peuvent naître que dans leur variation. «

» Sur qui maintenant repofera la vigilance fur ces trois objets? Les pou

voirs de la police enchaînés, ceux de vos cours anéantis par la nouvelle loi : qui viendra au fecours des citoyens s'ils ont à porter des plaintes devant elles, ou fur l'infidélité ou fur la mauvaise foi des vendeurs.

» Avant d'entrer dans l'examen de la question très-importante de favoir file commerce lui feul, fans infpecteurs qui le furveillent, fans réglemens qui le foutiennent, peut approvifionner également & abondamment la ville de Paris; qu'il foit permis, Sire, à votre parlement de mettre devant vos yeux les inconvéniens qui réfulteroient de la loi, fi la loi en porte les ger-mes en elle-même.

» Le commerce peut fe ralentir; & alors ou fon ralentissement fera progreffif, ou il fera fubit. «<

» S'il eft progreffif, l'inquiétude augmentera à mefure que les progrès du ralentiffement feront fenfibles. Un marché, où le Grain aura été cher, annoncera un marché où il le fera davantage. Les efprits, dans cette incertitude fatale, s'agiteront. On verra les fources de l'abondance prêtes à fe tarir, & les officiers de police feront alors fans activité on verra le mal fans qu'il foit permis d'y porter des remedes, il fera défendu de forcer les approchemens? Où fera-t-on fûr de les trouver. Balottés fans ceffe d'une province à une autre, l'intérêt aura approché les denrées de Paris, un intérêt plus grand les aura reportées dans d'autres provinces, & huit cents mille ames feront à la veille de périr, fans que l'on fache où trouver des fecours. «<<

» Si le ralentiffement eft fubit, il fe fera fentir par une rareté excessive; un premier marché offroit moitié en fus de ce qu'il falloit de fubfiftance; un fecond n'offrira que moitié de ce qu'il faut, parce que l'intérêt du marchand fera de ralentir les approchemens pour vendre avec plus d'avantage. Et qui pourroit, Sire, fe peindre, fans frémir, le défordre d'une multitude de citoyens fe difputant des alimens qui ne peuvent en nourrir que la moitié? Sans approvifionnemens dans l'intérieur, fans fureté d'approchemens autour de Paris, en fuppofant même qu'il ne fouffre qu'un jour qui peut calculer les maux qu'un jour de difette pourroit produire? Peutêtre.objecera-t-on que le commerce fe chargera de faire ces approvifionnemens, parce que fon intérêt le portera toujours où il y a le plus de confommation. Mais, Sire, ces approvifionnemens feront-ils jamais aufli fûrs qu'ils l'étoient fous l'autorité des réglemens? Les provifions combinées de trois marchés, n'affuroient, il eft vrai, qu'onze jours de fubsistance à la capitale; mais en cumulant avec elles les provifions que les communautés étoient forcées d'avoir dans leurs greniers, fuivant la déclaration de 1736, celles que les marchands alors infcrits à l'hôtel-de-ville, tenoient toujours à portée de Paris, & les denrées que les marchés confécutifs amenoient, c'étoit un approvifionnement qui ne pouvoit plus fe calculer parce qu'il s'alimentoit à mesure qu'il fe dépenfoit.

» Mais, Sire, en fuppofant que les approvifionnemens du commerce fufTome XX.

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fent auffi abondans, il ne fuffit pas qu'il y ait des Grains dans une ville auffi étendue que Paris; il faut que l'on foit fûr que depuis le plus riche confommateur jufqu'au malheureux qui n'a que fes bras, tout le monde puiffe en avoir, & la trop grande cherté eft la difette pour le pauvre. «

» Mais le commerce, ajoutera-t-on encore, établira une fi grande concurrence que les Grains defcendront aux prix où ils doivent être. «< » Sire, quand ces principes feroient auffi vains qu'ils font hafardeux, ne fe tromperoit-on pas encore dans les conféquences? «

» Paris eft un gouffre immenfe qui ouvre toutes fes portes aux campagnes qui les nourriffent. 11 en reçoit la vie. Il leur donne en échange fon argent & fon induftrie. Des communications faciles, des rivieres larges & navigables apportent dans fon fein les richeffes des provinces les plus fécondes; mais, Sire, il y a dans le commerce deux principes invariables; c'eft que s'il fe porte où il a plus d'avantage, il s'éloigne quand la concurrence eft trop forte, parce que l'avantage diminue. Ainfi, à ne confidérer Paris que fous ce point de vue, il attire & repouffe le commerce, parce qu'il offre l'avantage du bénéfice, & les dangers de la con

currence. «

» Quel fera l'intérêt du commerçant? Ce fera de connoître avec foin quel aura été le prix régnant dans les marchés de la capitale, afin de se décider à y porter fes grains, ou à les reterir dans fes greniers. D'après cette fpéculation, il les approchera fouvent fans les expofer; ainfi, nullité pour lors dans la concurrence. Il les expofera & les remportera fans les vendre, parce que le prix fera encore au-deffous de fes efpérances; nullité encore dans la concurrence. Et dès-lors moins il paroîtra des Grains dans les marchés, plus les prix en feront élevés, ainfi, Paris fera toujours à la merci, ou à la veille de cherté. «

» Le commerçant fera-t-il forcé de les vendre? Il ne peut l'être que dans deux cas. S'il craint ou une corruption prochaine, ou que les frais du tranfport n'absorbent fes bénéfices. «

» Dans le premier cas, il les vend quand il devroit les jeter, & c'est un crime ajouté à une avarice honteufe, crime d'autant plus affreux qu'il aura produit le mal, fans que les officiers de police aient été libres d'y remédier. S'il crait pour lui la perte des frais de tranfport, il faut que plufieurs marchands fpéculent en même temps de la même maniere, pour que la concurrence foit fenfible, & alors s'il y a diminution dans le prix, elle ne fera que momentanée. «<

» Il y a, Sire, un vice inhérent au commerce des Grains, vice qui n'a peut-être pas été affez fenti par les partifans du fyftême de la liberté, c'eft qu'à la différence de tous les autres commerces, le vendeur fait la loi à l'acheteur, parce qu'ici c'eft le befoin qui achete; & que le befoin ne calcule pas fur les prix, quand il eft extrême. Si des draps quelconques, pour rendre l'exemple plus fenfible, s'élevent à un prix exceffif, tous les

draps inférieurs auront un débit confidérable, que le manufacturier, dans la crainte de perdre & fes avances & fes façons, fera obligé de les defcendre à un prix où ils mériteront la préférence; mais dans le commerce des Grains, tous peuvent avoir la même valeur, parce que les Grains, même de la derniere qualité, font fans prix quand le befoin les évalue. «

Que réfulte-t-il, Sire, de ces réflexions? C'est que la concurrence ne s'êtablit jamais parfaitement, parce que tous les commerçans fpéculent de même, & qu'ils ont tous intérêt au renchériffement de la denrée. «<

» Il s'opere en la refferrant. Sans concert entre eux, fans intérêts combinés, par la fuite des mêmes fpéculations ils la refferrent tous; la concurrence devient fi foible, que fi elle produit quelque variation dans les prix, ce n'eft jamais que dans des prix élevés, &, fi l'abondance n'eft fenfible que quand elle eft continue, comment l'indigence foutiendroit-elle le poids d'une cherté habituelle? «

Oui, Sire, on s'eft aveuglé fur les avantages de ce fyftême fans en pefer tous les dangers. A-t-on fenti qu'en portant le découragement fur l'induftrie, il finiroit par frapper fur la population qui ne fe foutient que par l'aifance? «

>> On s'eft ébloui fur les richeffes de la capitale; mais a-t-on fenti que ces richeffes ramaffées dans un petit nombre de mains, ne réfluoient que par des canaux infenfibles fur cette multitude de citoyens que le luxe nourrit, ou dans l'intérieur de fes murs, ou dans les campagnes qui l'envi

ronnent? «<<

>> Comment veut-on que cette claffe la plus induftrieuse, la plus féconde fe reproduise au milieu de la fouffrance? Si tous les hommes apportoient, en naiffant, les mêmes facultés, les mêmes reffources, chargés feuls de leur existence, ifolés dans leurs befoins, ils fe fuffiroient à eux-mêmes; mais l'enfance exige des fecours, la vieilleffe demande qu'on la foulage; c'eft fur l'âge mitoyen que porte l'existence des deux autres. Si fes bras ne fuffifent pas à la fienne, il faut que les deux extrêmes périffent; que l'un s'éteigne dès le berceau, & que l'autre meure avant l'âge. «

» Et, c'eft, Sire, cette police curative, qui veilloit à la fubfiftance de tant de malheureux, qui va difparoître aujourd'hui pour faire place aux fpéculations intéreffées du commerçant, qui revend toujours plus cher qu'il n'a acheté, & qui, ne s'occupant que de lui, fubordonne à fon avantage celui de tous les autres. «

» Quand même cette concurrence fe réaliseroit, fuffiroit-elle pour établir un équilibre fûr & exact entre le prix des Grains & les facultés dé l'induftrie? C'eft toujours le premier commerçant qui fe préfente, qui décide du prix de la denrée. La concurrence de plufieurs autres peut la faire tomber; mais elle ne tombera jamais que dans la proportion du premier prix qui aura été fixé. S'il étoit trop haut, les marchands concurrents defcendront le prix de leurs denrées à un prix auquel il faudra foufcrire, puil

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