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les mêmes qui ont été apportés de l'étranger: Se réfervant au furplus fa majefté, de donner des marques de fa protection spéciale à ceux de fes fujets qui auront fait venir des bleds étrangers dans les lieux du royaume où le befoin s'en feroit fait fentir: N'entendant fa majefté ftatuer quantà-préfent, & jufqu'à ce que les circonftances foient devenues plus favorables, fur la liberté de la vente hors du royaume. Déroge fa majesté à toutes loix & réglemens contraires aux difpofitions du préfent arrêt, fur lequel feront toutes lettres néceffaires expédiées. Fait au confeil d'Etat du roi, sa majesté y étant, tenu à Versailles le treize Septembre mil fept cents foixante-quatorze. «

Signé PHELY PEAUX.

On remarquera que, fa majefté fe refervant de ftatuer fur la liberté de la vente à l'étranger, lorfque les circonftances feroient devenues plus favorables, le principe des économiftes n'étoit pas adopté dans toute fon étendue, Quoi qu'il en foit, la nouvelle loi fut adreffée au parlement nouvellement rappellé, & elle occafionna les remontrances fuivantes.

REMONTRANCES du Parlement de Paris contre la liberté indéfinie du commerce des Grains,

SIRE,

>> Dans le grand nombre d'objets contenus dans les différens édits adreffés à votre parlement, fon attention s'eft arrêtée principalement fur ceux qui lui ont paru intéreffer de plus près le bonheur ou la fubfiftance de vos peuples. «

En reconnoiffant ce caractere d'humanité & de bienfaifance qui a diftingué tous les momens de votre regne, falloit-il que fon devoir ne lui permit pas de s'abandonner aux feuls mouvemens de fon refpe&t & de fa confiance en votre fageffe? Mais, Sire, c'eft cette fageffe même qui lui a preferit fa conduite; il a vu le danger des innovations qui fe préparoient, il n'a pas craint de s'exprimer avec franchife. «

» Il a efpéré que Votre Majefté daigneroit l'écouter avec bonté, comme il délibéroit fans paffion; & qu'un prince qui s'environnoit avec tant de foin des confeils de la vertu, accueilleroit auffi la vérité. «<

» Il ne s'attachera pas à combattre des opinions que le temps devroit avoir jugées. Il cherchera moins encore à pénétrer les motifs de ceux qui les protegent; la pureté de leurs intentions les éleve au-deffus des reproches. Mais, Sire, il eft un temps où l'abus du meilleur principe peut éga rer dans fes conféquences. «<

> On vouloit réformer, on innové, & la crife du moment eft fou

vent fuivie alors d'un mal encore plus grand parce qu'il devient irréparable. «<

» Sans remonter à des époques trop éloignées de nous; quatre cents ans d'une légiflation foutenue avoient entretenu l'abondance dans nos marchés. & la fureté dans notre commerce, pouvoit-on s'attendre qu'il viendroit un temps où ces réglemens cenfurés avec amertume, feroient rejetés comme des monumens de calamité, où l'homme obligé de lutter contre fes besoins, demande à la nature des fecours qu'elle lui refuse? Moment douloureux préparé le plus fouvent autrefois par les ravages de la guerre, amené depuis par la rigueur des faifons, & toujours tempéré par la fageffe du gouvernement. «

» Jetoit-on les yeux fur notre commerce, on voyoit l'induftrie françoise s'élever fur les ruines de la fervitude, fe réfugier dans le fein de ces corporations fages que le befoin avoit formées, que la politique avoit fourenues, prendre des accroiffemens plus rapides à mesure qu'elle s'éloignoit de fes fers, & enfin au milieu des entraves des privileges, mettre à contribution l'Europe entiere par la richeffe de ses manufactures & de les arts. «

» Cependant, Sire, un cri s'éleva; il fembloit qu'on fût fatigué d'un joug qui n'étoit importun que parce qu'il avoit été trop uniforme. On s'exagéra les maux auxquels il falloit remédier. On s'en fit un prétexte pour appeller la liberté. «

» Ce devoit être le plus puiffant ou le plus dangereux de tous les remedes? Le plus puiffant s'il frappoit directement fur le principe du mal, le plus dangereux fi, en le laiffant fubfifter, il fapoit dans fes fondemens un édifice fur lequel avoient repofé pendant tant de fiecles l'abondance & la fureté publique.

» Plufieurs épreuves infructueufes auroient dû éclairer fur les dangers de ce fyftême. Un dépériffement marqué dans l'agriculture avoit engagé François premier en 1535 à recourir à la liberté. Une fouffrance de neuf années le força à la reftreindre en 1644. Les termes de la loi ne font pas équivoques. (a)

«

(a) Comme par diverfes ordonnances; &c. foit expreffément inhibé & défendu à tous marchands & autres perfonnes quelconques d'acheter bled en verd, vendre, débiter ni acheter aucuns bleds ni autres grains ailleurs qu'ès marchés publics de notre royaume; toutefois cela a été fi mal obfervé depuis aucun temps en ça, que pour le jourd'hui, encore que d'aucunes fortes de grains y ait cette année, (grace à Dieu) affez grandes ubertés, l'on en a vu évidemment les prix fi exceffivement hauffés, que cela fait certaine & oculaire preuve de fautes & fraudes en ce commifes; à caufe defquelles nos fujets en plufieurs Etats font de ce tellement grévés & offenfés, que ceux qui ont quelque patrimoine & revenu n'en fauroient vivre, encore moins les artifans & menu peuple du labeur de leurs mains. Par ce moyen font contraints hauffer & augmenter les falaires & prix accoutumés de leurs ouvrages, vacations & peines, en danger de pis, s'il n'y étoit promptement pourvu.

Edit de François I, 1544. Fontanon, tome 1, p. 691.

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» Des réglemens plus ou moins tempérés fe fuccéderent jusqu'à l'époque de 1601 où Henri IV fit une nouvelle tentative pour établir la liberté. L'expérience détrompa bientôt ce grand prince, & dès ce moment les réglemens fe foutinrent fans interruption parce qu'ils devinrent de jour en jour plus néceffaires, à mesure que le commerce envahiffant fur la population des campagnes, livra à la direction des marchands des grains, la vie d'un plus grand nombre de citoyens. «<

>> On ne peut pas douter des heureux effets de cette adminiftration; & ne lui a-t-on pas attribué trop légèrement depuis les maux dont on se plaignit ?

«

» Quel étoit le mal en 1764? une culture moins étendue & plus négligée; c'en eut été un très-grand, s'il eut été tel qu'on fe le dépeignoit; mais la France cultivoit encore au-delà de fes befoins. Cela étoit fi vrai que l'erreur de tous les partifans de la liberté ne vint que de ce que cinq ou fix années d'abondance confécutives, avoient accuinulé dans les mains des cultivateurs des excédens multipliés, que la rigueur des réglemens exiftant, ou celle des adminiftrateurs de plufieurs provinces condamnoient à l'inertie, mais que des réglemens feuls pouvoient mettre en activité, afin que l'épuifement ne fuccédât pas fubitement à la richeffe. «<

» Falloit-il alors relever les terres de l'état de difcrédit où elles étoient tombées? Le mal tenoit encore à des caufes tout-à-fait étrangeres aux réglemens. <<

» Les emprunts multipliés de l'Etat avoient élevé à côté des fonds réels un nouveau genre de valeur qui déjà conftituoit le patrimoine d'une multitude de familles. «

>> Ces fonds fictifs avoient vis-à-vis des fonds réels un défavantage marqué, parce que ceux-ci repofoient fur une base inaltérable & certaine, tandis que les autres n'étoient affis que fur un crédit qui pouvoit s'épuiser lui-même en étendant trop loin fes engagemens. «<

» Mais dans un empire où le luxe a créé des befoins fans nombre, où l'on n'eft riche qu'autant que l'on jouit davantage, toute la faveur dut se porter vers ces fonds. «

» Tant que le crédit fut entier, les fonds réels baifferent, parce qu'un capital de cent mille francs placé fur l'hôtel-de-ville de Paris, favorisoit bien plus le luxe ou la pareffe que placé fur une terre de même valeur dont le revenu eft incertain, dont la perception eft difficile, & où les avances font coûteuses. «<

» Une opération brufque ne devoit pas tout-à-coup ramener l'équilibre, elle devoit reporter l'encouragement & la vie dans l'agriculture; mais n'étoit-il pas à craindre qu'elle ne portât l'affoibliffement & la langueur dans l'industrie? «

» Leurs intérêts font toujours oppofés, parce que l'une s'éleve au milieu de la cherté, & que l'autre ne croit qu'au milieu de l'abondance, «<

» Qui pouvoit mieux les concilier que des réglemens tempérés qui, toujours maîtres d'élever ou de descendre le prix des denrées premieres, les euffent foutenues dans la proportion où elles devoient être & avec la quantité des Grains exiftans, & avec les facultés de l'induftrie? »

» C'étoit ainfi que nos peres l'avoient fenti. S'ils regardoient la culture comme le principe de la vie des empires, ils regardoient l'induftrie comme celui de leur force. «<

Affurés par l'une de l'indépendance pour leurs befoins, ils attiroient par l'autre, les richeffes de l'étranger dans leur fein, ou foutenoient au moins avec avantage la concurrence de leur commerce. Les circonftances pouvoient indiquer des modifications néceffaires dans ces principes; le temps pouvoit avoir amené à fa fuite des abus à corriger. Peut-être des réformes euffent fuffi; mais on vouloit des changemens, la liberté fut établie. <<

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Qu'il foit permis, Sire, à votre parlement de rapprocher dans un tableau rapide les effets de l'une & l'autre légiflation. Ces réflexions préliminaires le conduiront à démontrer, finon les dangers de la liberté en ellemême, puifqu'elle exifte encore dans toute l'étendue de votre royaume, au moins l'impoffibilité de l'appliquer à la capitale. «<

"A ne partir que du commencement de ce fiecle, l'abondance, s'étoit fait fentir également dans toutes les provinces de votre royaume. On citoit les années 17c9, 1725, 1740, où la difette les avoit parcourues. Depuis douze ans de liberté, les inquiétudes ont été continuelles; & la comparaison n'eft pas égale. «

» Dans ces premieres époques défaftreufes, des hivers rigoureux avoient amené ces calamités. Dans les dernieres des faifons affez égales, quelquefois fécondes, rarement ftériles, fembloient tous les ans promettre à vos peuples une abondance qui s'évanouiffoit au moment de se réaliser. Trois ans n'étoient pas écoulés depuis la déclaration de 1764 que le prix du bled avoit été porté au-deffus de quarante livres. «

» Votre parlement averti par les cris des provinces, par les alarmes de la capitale, chercha tantôt par l'autorité de fes arrêts, quelquefois par la voie des représentations, à tempérer le mal qu'une liberté indifcrete avoit produit, ou à obtenir du trône la révocation d'une loi qu'il regardoit comme la fource de nos malheurs. Ses arrêts refterent fans exécution, ses repréfentations fans réponse. «

» L'autorité contrainte de changer à l'extérieur de principe, agit intérieurement contre elle-même. Des lettres patentes en 1770 rappelloient les précautions des anciens réglemens; elles venoient d'être enregistrées par votre parlement; fes difgraces ne lui permirent pas d'en fuivre l'exécution. «< Des lettres minifterielles la fufpendirent; comme fi ce fyftême enfanté par les contradictions ne devoit fe foutenir qu'au milieu des révolutions & des crifes. «

» Tels étoient, Sire, les caracteres auxquels la naiffance de ce fyftême devoit être marquée. Une variation néceffaire dans fes propres principes dès fon origine, & une cherté funefte qui par fa continuité, équivaloit pour la claffe indigente de vos fujets à une difette foutenue. «<

>> On ne tarda pas à s'appercevoir des motifs qui l'avoient fait adopter par l'administration. Ses reffources étoient épuifées; on ne pouvoit plus affeoir un furcroît d'impofition que fur les denrées de luxe ou de fantaifies; mais c'étoit les faire tomber. Il reftoit de l'affeoir fur les denrées de néceffité, ce qu'on ne pouvoit faire qu'en la faifant fupporter fur les propriétés. Il falloit qu'une fecouffe les préparât à fupporter une nouvelle charge, «<

» En foutenant l'augmentation du prix des Grains, on amena celle des fermes & du produit des terres. Auffi-tôt on força arbitrairement la perception des vingtiemes, on augmenta les Tailles & la foule d'impôts qui les accompagnent. «<

» Il étoit impoffible que le poids de ces nouvelles taxes ne refluât fur toutes les claffes des citoyens, parce que le propriétaire, déjà maître du prix de fes denrées par la liberté, devoit leur faire fupporter ces furcharges, «

» Le contre-coup fe fit bientôt fentir fur toutes les fortunes. Il retentit plus particuliérement fur le commerce; & peut-être, Sire, votre parlement pourroit-il, avec raifon, attribuer à cette révolution fubite les banqueroutes multipliées qui ont éclaté depuis quelques années dans les principales villes du Royaume & dans la capitale. «<

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Quant à la claffe indigente des confommateurs, elle ne pouvoit fe foutenir au milieu de ces élévations rapides du prix des denrées, que dans le cas où elle auroit pu fuivre cette progreffion dans fes falaires. «

» Le temps a démontré combien cette progreffion étoit illufoire dans fon principe, parce que le befoin vend fes bras à vil prix; plutôt que de les laiffer oififs; & quand cette progreffion fe feroit opérée, elle n'auroit été que fucceffive, tandis que l'accroiffement de la denrée étoit fubit. Et avoit-on calculé, Sire, ce qu'un moment de détreffe pouvoit porter de découragement & de douleur dans cette claffe infortunée qui n'a pour elle que fon activité, & la protection plus immédiate des loix? «

» Pourquoi, Sire, votre parlement craindroit-il d'infifter fur ces objets? Peut-être des temps plus heureux, une liberté mieux entendue rameneront cet équilibre qui a ceffé avec les réglemens, au moins a-t-il été démontré jufqu'à préfent que ce fyftême portoit avec lui un double vice, l'incertitude dans fon utilité & un arbitraire dans le prix de la denrée, qui pouvoit devenir le germe de tous les défordres. «<

» A quoi avoit-on reconnu l'utilité des réglemens? A l'abondance qui avoit régné jufqu'alors. A quels fignes devoit-on reconnoître celle de la liberté? A l'abondance, fi elle devoit porter dans la culture un nouveau

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