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qu'on veut y renfermer; qu'on plaçât dans l'entrepont un grand foufflet dont le porte-vent traverse le pont, pour aller s'ouvrir au-deffous des greniers, en faifant deux coudes, & qu'on eût foin, pendant la traversée, de le faire jouer tous les jours plus ou moins long-temps; après l'arrivée y faire tout ce qu'on fait fur terre au bled, que l'on veut conferver : & ceci eft furtout néceffaire à celui qu'on reçoit du dehors, car on ne peut favoir fi on l'a embarqué avec les précautions convenables, pour en prévenir l'altération quelque foin qu'on fe donne, il en fouffre toujours plus ou moins. Sans avoir vu pratiquer cette méthode, fans avoir eu occafion d'examiner la conftruction des étuves, des greniers de conftruction, des foufflets ou ventilateurs, inventés par l'auteur, il me femble que j'oferois répondre du fuccès & de l'utilité des confeils qu'il donne. Tout ce, fur quoi il pourroit me refter du doute, c'eft fi on ne pourroit pas fe paffer d'une partie des foins & des frais que cette méthode exige. Il doit en coûter pour la fuivre; la dépenfe effraie: ceux fur-tout qui n'ont qu'à peu-près le néceffaire, ne peuvent s'y réfoudre. M. du Hamel répond à cela plufieurs chofes; elles reviennent à-peu-près à ceci. Il eft certain que le bled fouffre du décher, en paffant par le crible, on ne peut le nier; mais une partie de ce qui en fort, ne vaut rien du tout c'eft gagner que de le perdre; ce qui eft bon, comme les menus Grains de froment, ne font pas perdus; ils valent moins que les gros Grains, on ne le nie pas; ils doivent donner plus de fon & moins de farine; mais fi on le vend moins, on doit vendre plus le Grain, dont on l'a féparé; il eft bon pour femer, & je fais par expérience qu'il peut très-bien réuffir. Quelques œconomes prétendent même qu'il vaut mieux que l'autre; fi cela eft, j'avoue que je n'en puis deviner la raison. L'étuve doit refferrer le Grain, & n'eft-ce pas une autre perte? Elle n'eft qu'apparente; un Grain humide nourrit moins; nous l'avons éprouvé depuis peu; ce fuc aqueux dont le Grain eft rempli, n'eft pas ce qui le rend propre à nourrir. Quand il en eft dépouillé, il rend plus de farine; elle eft meilleure, il se vend mieux, il peut être gardé jufques à ce que le bled fe vende cherement; par-là on fera dédommagé abondamment du déchet qu'il a fouffert, c'eft en quelque forte un mal néceffaire. Pour conferver le vin, il faut le tirer au clair, & il n'eft pas en état d'être gardé, qu'il n'ait fouffert beaucoup de déchet; un propriétaire fur-tout, s'il eft un peu novice, voit cette diminution avec chagrin; les ouvriers qu'il emploie, le confolent en lui difant: le vin ne croit qu'à la vigne; on peut en dire autant à ceux qui voient avec tant de regret la diminution de leur tas de bled. On doit être préparé à ce mal, en fe déterminant à le garder. Celui qui en a une quantité confidérable, fera bientôt payé de toutes fes dépenfes, & de la perte apparente qu'il fait; avec un peu de patience, il n'aura pas lieu de fe repentir d'avoir adopté la méthode que l'auteur lui confeille. Ceux qui en ont moins, peuvent en prendre une partie, & laiffer ce qui leur paroîtra trop difpendieux. Tous en général peuvent profiter jufques à un certain point de fes judicieufes leçons.

S. I I.

Du commerce des Grains.

JE E me propose d'examiner fi la liberté entiere, indéfinie & parfaite du commerce des Grains eft avantageufe à l'Etat..

Si j'entendois par la liberté le droit de vendre & d'acheter telle marchandise qu'il plaît à chacun; fans être gêné, ni par des reglemens, ni par des vifitations, ni par des longueurs; ce feroit, je crois, la définition qui feroit le plus au goût de ceux qui crient contre la gêne.

Si je ne me trompe, il y a deux fortes de vendeurs. Les uns qui débitent & fe débarrafient du fuperflu; les autres qui trafiquent en ufuriers de la derniere fubfiftauce & des befoins preffans du peuple.

Si j'entends par liberté du commerce celle de vendre le fuperflu à fa fantaisie, ce fera une définition jufte. Cette liberté n'a nul inconvénient ; car fi je ne fais que faire de mon abondance, fi perfonne n'en a un befoin extrême chez moi, je ne vois pas pourquoi je devrois la garder.

Si j'entends, au contraire, par liberté du cominerce, celle d'acheter une denrée déjà devenue chere pour la revendre avec ufure, je vois dans l'hiftoire par mille exemples, que ce commerce mene à de grands défordres, & à des révolutions défaftreuses.

II eft donc clair que la liberté du commerce roule fur l'abondance; car il eft de la derniere abfurdité de vendre ce dont on a befoin foi-même. Un Etat qui exporteroit fon bled dans la difette, reffembleroit à ces fauvages, qui vendent leur hamac le matin, & s'en repentent le foir.

Puifque l'abondance eft la bafe de la liberté du commerce, il faut donc, avant toutes chofes, fonger aux moyens de la faire naître. Les moyens font différens : le premier & le plus efficace, c'eft l'agriculture, le défrichement des lieux incultes; le fecond, eft l'importation des denrées étrangeres; le troifieme, c'eft le magafinage, ou les provifions.

Que l'agriculture foit le plus efficace des moyens & la bafe du commerce, c'eft ce que perfonne ne contefte. Mais on veut auffi nous perfuader que le commerce eft l'ame de l'agriculture: on nous dit, que pour encourager les cultivateurs, il faut bien payer leur befogne, & leur faire trouver du profit. Cela eft vrai dans le principe, mais faux par la conféquence qu'on en tire. On cherche ce profit dans le haut prix du bled. Ceux qui raifonnent ainsi, n'entendent guere le véritable intérêt des cultivateurs, & nous allons faire voir qu'ils n'ont pas bien vu les objets.

Le cultivateur vendra du bled, lorfqu'il en aura du fuperflu; il na vendra que l'excédent de fes befoins. Mais quand il confomunera luimême fes produits, il ne vendra rien du tout.

Supposez maintenant, & c'eft le cas de tous les cultivateurs, que cet excédent foit auffi grand ou auffi petit que vous voudrez, vous trouverez

toujours des pauvres qui ne cultivent qu'un, deux ou trois arpens en bled; vous trouverez des grand propriétaires, qui en cultivent des mas de dix, vingt, trente arpens, & même plus. Ces différences font variables à l'infini. Dans les mauvaises années, le pauvre n'aura aucun excédent, mais le riche en aura toujours, à caufe de la quantité d'arpens qu'il a eu foin de mettre en bled. C'eft donc ce dernier qui, dans les mauvaises années, pourra vendre feul.

Dans les années d'abondance, le riche & le pauvre auront prefque tous quelque excédent, ainfi ils feront tous vendeurs, & feront en concurrence les uns avec les autres, les uns plus, les autres moins.

Si donc vous voulez encourager le riche propriétaire dans les mauvaises années, lui qui eft feul maître du prix, il le vendra cher, parce qu'il n'a point ou peu de concurrens. Il vendra cher même aux pauvres cultivateurs. Vous n'encouragez ainfi que les propriétaires riches, qui ne font pas dans le befoin; le pauvre qui n'a point d'excédent à vendre, en eft découragé, parce que tout le poids de la cherté tombe fur lui. Or les grands & riches propriétaires compofent le plus petit nombre des habitans. Vous n'encouragez donc que très-peu de perfonnes. Ces gens vendant à haut prix un excédent, n'auront garde de le multiplier trop, de peur de faire baiffer le prix. C'est ainsi que tout monopoleur raifonne, mais fes fophifmes même font contre fon propre intérêt. Car je vais vous démontrer, que ce n'eft point le haut prix des denrées, qui est avantageux aux cultivateurs dans les mauvaises années. Je dis, dans les mauvaises années : il faut bien remarquer cela.

Premiérement. Si le grand cultivateur hauffe le prix du petit excédent qu'il vend aux autres, les travailleurs pour fubfifter, voudront hauffer auffi leur falaire. Or plus la main-d'œuvre devient chere, moins on trouvera de profit dans la culture des terres. Voyez l'hiftoire; comparez les fiecles antérieurs au nôtre; vous verrez clairement, que les hauffemens du prix de la main-d'œuvre a toujours fuivi celui des denrées.

Secondement. Si par exemple, la culture d'un arpent coûte 20 écus, à 25 batz l'écu valeur de Suiffe, & qu'il rapporte 25 mesures de froment il faut vendre la mefure 20 batz pour recouvrer vos dépenfes or en Suiffe un arpent coûte pour le moins 20 écus, & même davantage en frais de culture. Le froment à 20 batz eft cenfé un prix exceffif, & néanmoins le cultivateur n'y trouve pas fon compte.

Suppofons que cet arpent rapporte so mefures, vendu seulement à raison de 10 batz; cet arpent vous rapportera vos frais. Vendu à 10! batz, vous aurez écus de bénéfice; à 15 batz, vous en aurez rc. Le véritable profit du caltivateur doir donc fe trouver dans la grande quantité de fes récoltes, jamais dans le haut prix, qui n'eft qu'une fuite de l'indigence. Troifiémement. Le produit net d'un arpent ne pouvant pas paffer une certaine borne de fertilité, que la nature a donnée à chaque fol, c'est un

grand

grand avantage pour le cultivateur, s'il peut diminuer les frais de fa culture; or pour les diminuer, il faut que le foin, la paille, le bois, le fer, ainfi que la main-d'œuvre, foient à bas prix. Pour baiffer ces prix-là, il est néceffaire de les appliquer moins au luxe, & de les vouer préférablement à la culture de premiere néceffité. Ce profit-là, quoique le bled foit à un prix moindre, fera toujours avantageux au cultivateur, fans être à charge au peuple.

Une autre preuve que le haut prix n'encourage aucun cultivateur, c'eft que le laboureur connoiffant la viciffitude des temps & des faifons, il cultive toujours dans l'efpérance d'une riche moiffon. C'eft dans les années d'abondance qu'il peut payer fes dettes; c'eft dans la cherté du bled, qu'il fe trouve mal à fon aife; je les ai vu mettre alors leurs biens en décret, & leurs terres devenir de nulle valeur. Je les ai vu, au contraire, lorfque le bled étoit à bas prix, bâtir des maifons, élever du bétail, faire de l'amidon, creufer des fontaines. Ce font des faits dont j'ai été témoin, & je ne m'en rapporte à perfonne; car j'ai beaucoup vécu parmi les gens de la campagne.

Ce n'eft pas le bon prix qui les décourage, ni le haut prix qui leur fait du bien; mais une autre caufe leur fait pouffer des plaintes en temps d'abondance même; c'eft la difficulté de vendre leur bled pour argent comptant, même à bas prix voilà un mal réel, mais qui n'eft pas fans remede. C'eft bien à tort qu'on a confondu le bas prix avec l'impoffibilité ou le retardement de la vente; ce font deux chofes fort différentes. L'une eft un bien, l'autre un mal. Ce dernier eft ordinairement une fuite du bas prix, il eft vrai, mais auffi du peu de foin qu'on s'eft donné à faciliter au pauvre laboureur les moyens de délai, pour le mettre en état d'attendre le temps d'une vente plus profitable. Vous verrez plus bas que cette attente eft toujours utile en temps d'abondance.

Le fecond moyen de faire naître l'abondance, c'eft l'importation des bleds étrangers. J'appelle étrangers, les bleds qui de trois, fix, neuf, jufqu'à dix-huit & plus de lieues, font voiturés dans les lieux où l'on fent le befoin. Si le prix du bled étoit à 10 batz dans tel lieu, & à 20 dans un autre, ces deux endroits entreront en commerce, & le niveau fera 15 batz. Dans l'un il renchérira de 5 batz, & dans l'autre, il baiffera de batz. Ce fera un niveau parfait.

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Mais fi vous exportez du lieu où le bled eft à 10 batz jufqu'à ce qu'il monte jufqu'à 20, ce qui de fait arrive fouvent, car j'ai vu que le prix a doublé la même année; qui eft-ce qui ne voit pas que cette exportation eft la caufe de la cherté?

Si vous apportez dans un lieu de cherté du bled de toutes parts, un commerçant ne fachant rien de l'arrivée & de la fpéculation de l'autre, il peut baiffer jufqu'à 10 batz; les marchands de bled, frappés de la trop grande concurrence inopinée, feront forcés de vendre avec perte, plutôt Tome XX.

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que d'attendre à grands frais un temps plus profitable & toujours incertain. Ils ne retourneront pas; ils ne promeneront pas leur bled de marché en marché, parce que les frais, les péages, les contre-temps, les rifques, le décher, abforberoient tout leur profit. A tous ces défavantages se joint encore celui de réprimer la vente des bleds intérieurs. Voilà un vrai découragement pour le cultivateur, & ce découragement eft produit par la liberté du commerce même.

Le bled étant une denrée lourde, fujette à fe gâter facilement, étant toujours exposée en voitures à toutes fortes d'accidens, il ne doit pas être transporté en trop grande quantité, ni de trop loin, fur-tout en terre ferme. Il devient par-là même trop coûteux à la province qui en achete. Les nations devenues plus clairvoyantes fur leur vrai intérêt, fongent presque toutes à avoir chez elles autant de bled qu'il en faut pour leur propre consommation, & pour n'être aucunement affujetties à la dépendance.

En effet, cette importation eft toujours un moyen incertain; il ne faut que des guerres, ou des méfintelligences, ou des fyftêmes nouveaux, toujours variables dans les hommes, & l'importation des bleds étrangers effuyera mille obftacles, mille frais, mille inconvéniens imprévus, dont je ne voudrois pas faire l'énumération.

Et d'ailleurs, fi vous permettez l'importation, & qu'elle foit même facilitée par vos voifins, qui vous affurera que ces voifins, plus intelligens que vous, vous permettront chez eux la même facilité? Si votre argent & vos autres valeurs vénales, font une fois forties du pays pour une denrée entiérement diffipée, comment les ferez-vous revenir en cas que dans vos années d'abondance, votre commerce extérieur foit gêné. La liberté du commerce d'importation n'eft donc pas utile à un pays agricole. Il ne l'eft qu'à des pays ftériles, comme la Hollande.

Le troifieme moyen de conferver l'abondance, ce font les provifions. Comme un habile marchand ne vend jamais toutes fes marchandifes à la fois, c'eft-à-dire, qu'il ne les jette pas toutes en même temps dans le commerce pour ne les pas trop avilir, & qu'un banquier ne fe laiffe jamais prendre au dépourvu, de même les économes intelligens ne menent pas tout leur bled au marché. Il en eft peu qui ne faffent des réserves dans fes greniers.

Mais comme ces particuliers ne font pas tous en état de faire ces provifions, ni pour affez long-temps, ni affez nombreuses, il faut que quelqu'un les faffe, & fupplée au défaut de leurs facultés. Il faut de néceffité qu'il y ait des magafins de réferve, que l'on y jette la furabondance qui les incommode.

Sans ces réserves, le cultivateur eft forcé de vendre fon bled à bas prix pour payer des voitures & des provifions inutiles, afin de fortir ce fuperflu. Le marchand ne leur paye pas un fol de plus, parce que c'eft fur le bas prix qu'il veut gagner: voilà la premiere perte qu'ils font. En temps de

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