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tous ces moyens le fecours de l'étuve, machine inventée en Italie par M. Intieri, & améliorée en France par l'illuftre M. du Hamel. On a compris en Italie, malgré la chaleur & la féchereffe du climat, qu'il feroit avantageux de deffécher le froment par un degré de chaleur qui pût en bannir l'humidité, mais fans gâter le Grain: ces étuves font de petits bâtimens faits de maçonnerie, furmontés d'une voûte, ou de menuiferie, mais fermés très-exactement par-tout, à la réferve de quelques ouvertures ménagées pour certains ufages, mais qu'on peut fermer quand on veut. On peut les échauffer par le moyen d'un poële comme le pratique M. du Hamel, & l'on peut y brûler du bois. M. Intieri échauffe la fienne avec un vafe de tole qu'il remplit de charbon ou de braise de boulanger bien allumée. On peut, en continuant le feu, entretenir cette chaleur auffi long-temps qu'on le veut, l'augmenter ou la diminuer, fi on le trouve à-propos, & en mesurer exactement le degré par le fecours d'un thermometre.

L'inventeur de cette ingénieufe machine comprit d'abord que pour donner au Grain une chaleur uniforme, & pour le deffécher plus promptement, il falloit qu'il eût le plus de furface qu'il feroit poffible, & que s'il étoit en tas fort profond, fon épaiffeur empêcheroit la chaleur de pénétrer partout, qu'une partie fe rôtiroit pendant que l'intérieur du tas conferveroit toute fon humidité. Pour obvier à cet inconvénient, M. Intieri place fon froment fur des tablettes, qui en contiennent trois à quatre pouces d'épaiffeur : & M. du Hamel loge le fien dans des tuyaux placés verticalement ; on peut les faire de fil-de-fer, mais ils coûtent affez cher, ou d'ofiers, qui foient affez ferrés pour ne pas laiffer fortir le Grain: ces tuyaux font placés à une certaine diftance les uns des autres, afin que l'air échauffé par le feu du poële, puiffe paffer librement la même précaution a été obfervée dans l'étuve de M. Întieri. Ces paffages ménagés à l'air, occupent une partie de l'efpace renfermé entre les parois du petit bâtiment, & en dérobent autant au bled qu'on y renferme; mais il en refte affez pour. loger dans celle de M. Intieri 225 pieds de froment: celle de M. du Hamel fans être plus grande, peut en contenir 372; & c'eft-fans doute un grand avantage : il auroit été incommode d'être obligé d'entrer dans le corps de l'étuve pour introduire le bled dans les tuyaux ou pour l'arranger fur les tablettes. Mais les inventeurs de la machine ont fu en arranger l'intérieur de façon qu'en verfant le bled dans une trémie par le haut du bâtiment, il va de lui-même se loger fucceffivement dans les tuyaux ou fur les tablettes qu'il doit occuper. Pour l'en retirer lorfqu'il eft fuffifamment fec, on ouvre une porte à couliffe par laquelle le bled s'écoule de luimême, & tombe par fa propre pefanteur dans des facs préparés pour le

recevoir.

Chacun voit bien que cette machine doit deffécher le bled qu'on y renferme; & comme on peut l'échauffer plus ou moins, quelle que puiffe être l'humidité du froment qu'on veut y renfermer, on viendra à bout

de la diffiper, en donnant à l'étuve un degré de chaleur fuffifant : mais fi l'on peut, par le fecours d'un thermometre, favoir jufqu'à quel point on échauffe l'étuve, (ce n'eft que par l'expérience qu'on peut venir à bout de rencontrer jufte, quand on veut déterminer jufqu'à quel degré), il faut faire monter la liqueur qui y eft renfermée pour deffécher toute forte de Grain autant qu'il eft néceffaire, fans pourtant le deffécher plus qu'il ne faut.

Je crois qu'on partira d'un principe bien für, en fuppofant que la chaleur de l'étuve ne nuira point au Grain, fi elle n'excede pas celle que le foleil communique au Grain dans les plus beaux jours d'été; elle fait monter le thermometre au soe degré ou environ; mais fi l'on eft fûr que la chaleur de l'étuve pouffée jufques-là n'endommagera pas le Grain, il n'eft pas fûr qu'elle deffeche fuffifamment de bled extraordinairement humide. Sans pouvoir donner des regles bien précises là-deffus, je crois qu'après un petit nombre d'effais faits avec quelqu'attention on viendra à bout d'agir à coup für, d'autant plus que ce degré fuffifant n'eft pas un point indivisible.

On s'affûrera qu'elle a été fuffifante, à l'œil, au toucher, à l'odeur & en le mettant fous la dent; s'il fe caffe comme le riz, il fera fuffifamment fec; s'il mollit deffous la dent fans fe rompre, on peut en porter un juge`ment contraire.

On peut, fans gâter le froment, lui faire éprouver une chaleur beaucoup plus forte. M. du Hamel s'eft convaincu par des expériences réitérées, que du Grain étuvé à 95 & même à 100 degrés du thermometre de M. de Reaumur, n'en étoit point altéré & qu'on pouvoit en faire du bon pain.

Le froment en paffant par l'étuve perd une partie de fon poids, en raison du degré d'humidité qu'il avoit. Notre illuftre auteur trouva en 1715 qu'il perdit un huitieme de fon poids; en 1742, il n'en perdit qu'un feizieme : ceci ne fignifie pas au refte qu'une mefure déterminée de froment étuvé, pese moins, même mesure remplie de froment qui n'aura pas effuyé l'opération; il fe trouve au contraire que le premier pefera plus, fans doute parce que les Grains fe refferrent & qu'il en entre un plus grand nombre dans la mesure on veut dire qu'une certaine quantité de Grain pefée en bloc avant que d'être étuvée, pefera plus qu'après.

J'ajoûterai ici une petite remarque, que ce n'eft pas la feule violence du feu qui procure la deffication; fi on l'entretient plus long-temps fans en augmenter le degré, elle fe fera plus complétement, & après qu'on a ceffé d'entretenir le feu, elle ira en augmentant jufqu'à ce que le bled foit abfolument refroidi.

Si ces opérations n'empêchent pas que le bled fur lequel on les a faites, ne foit propre à faire du pain auffi bon, auffi nourriffant & peut-être plus qu'avant de les avoir fouffertes, n'en pourroit-il pas réfulter un mal qui feroit de perdre la propriété de germer? Cette crainte n'est peut

autre

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être pas tout-à-fait deftituée de fondement. On tient communément que le bled vieux n'eft pas propre à être femé. Je crois en effet qu'il l'ett moins que le nouveau cependant j'ai éprouvé & vu éprouver même en grand, que le bled vieux peut réuffir, fi l'on a eu attention de le conferver en bon état; ce qui n'empêche pas que je ne préféraffe le nouveau quand la chofe feroit à ma difcrétion. M. du Hamel n'a pas voulu s'en tenir à des préjugés, il a fait plufieurs effais pour s'éclaircir & pour pouvoir éclairer fes lecteurs. Il mit dans une même étuve à part une petite quantité de froment vieux & nouveau, pour éprouver à quel degré de chaleur l'un & l'autre perdroient la propriété de germer; il en fema, qui avoit éprouvé 12 degrés & de chaleur d'autre qui avoit éprouvé 38 degrés, d'autre qui en avoit éprouvé 51. Dans tous ces cas le nouveau leva, mais le vieux ne parut point. Ceci fe trouve dans le Mémoire lú à l'Académie royale des fciences de Paris, le 23. Novembre, 2745.

M. du Hamel fit dans la fuite d'autres expériences. En confidérant que la germination des Grains eft probablement l'effet ou la fuite d'une fermentation intérieure, & que cette fermentation pouffée à un certain degré, eft auffi une caufe prochaine de l'altération qu'on craint & dont on cherche à fe garantir; il lui paroiffoit naturel d'en conclure que l'étuve feroit un moyen bien für de conferver les fromens, fi elle détruifoit en eux la propriété de germer. Certaines expériences fembloient favorifer cette conféquence. Au bout de trois ans le froment a prefque perdu la propriété de germer, & il eft alors beaucoup plus aifé à conferver que le bled nouveau. Il effaya donc fi l'étuve employée fur du froment nouveau, ne le dépouilleroit point de cette qualité. Il fema, dans cette vue, 16 Grains de froment non étuvés, le 28 de Mars; premier Juin suivant il n'y en eut que 7 de levés, ce qui montroit que la moitié de ce bled & • même plus, n'étoit pas propre à germer. On mit de ce même froment dans des affiettes, à la moitié de la hauteur de l'étuve, & le thermometre fut fufpendu à cette même hauteur. Quand la liqueur fut montée au 40. degré, on tira le froment de l'étuve, on en fema 16 Grains le 2e. Avril; le 10. de Juin il s'en trouva y de levés; d'où il fuit que ce degré de chaleur ne fait point de tort aux germes.

Le même froment ayant refté 48 heures dans l'étuve, on en fema 16 Grains le 4. Avril, & le 10e. Juin on en trouva cinq de levés ; & comme de celui qu'on n'avoit pas étuvé, il n'en étoit levé que 7 fur 16, on peut en conclure que le froment de l'épreuve dont il s'agit, n'avoit pas fouffert une grande altération pour avoir été mis trois fois 24 heures dans l'étuve échauffée à 40 degrés.

Le même froment ayant été remis à l'étuve, on augmenta la chaleur jufqu'à 55 degrés; alors on en tira un peu pour en femer 16 Grains; le 10. Juin, on en trouva 4 de levés; on le laiffa dans l'étuve 3 fois 24

heures; on en fema le 7e. Avril 16 Grains; le 10 de Juin on en trouva trois de levés.

Enfin, comme pendant toutes ces expériences, il y avoit du froment dans les tuyaux de l'étuve, on en prit au hafard 16 Grains qu'on fema le 7. Avril; le 10e Juin il y en avoit cinq de levés.

On voit par toutes ces expériences qu'un degré de chaleur qui auroit fuffi pour faire durcir des œufs, n'a pas été fuffifant pour détruire tous les germes du froment, quoiqu'il retarde beaucoup la germination.

De tout ce qu'on vient de dire, il en résulte que l'étuve, fi elle affoiblit les germes, ne les détruit cependant pas entierement; que le temps tout feul leur fait plus de mal que l'étuve, & qu'avant que de jeter en terre une grande quantité de bled vieux, il convient d'effayer en petit ce qui pourra en résulter; qu'en faifant l'expérience, il eft à propos d'imiter M. du Hamel, & de compter les Grains qu'on mettra en terre, pour favoir au juste combien il en périt & combien il en refte; au lieu qu'on fe contente d'en jeter fans attention des poignées en terre, qui ne laiffent pas de lever épais, parce qu'on en feme beaucoup trop & que peut-être il s'en perd beaucoup.

Je reviens à mon fujet. Après les expériences rapportées, je penfe qu'on n'hésitera pas à croire que le froment étuvé ne foit en état d'être confervé fort long-temps, fi on le renferme dans un lieu qui ne l'expofe pas à contracter de nouveau quelque humidité; ce qui pourroit arriver affez facilement, mais dont on peut fe garantir très-aifément auffi. Cependant quand vous l'aurez placé dans un lieu fec & aéré, il ne fera pas encore à l'abri de tout inconvénient; les fouris & les rats en confument beaucoup. Certains infectes y font encore plus de dommage; tels que les vers ou teignes, les charanfons & une efpece de chenille très-commune dans l'Angoumois que nous avons le bonheur de ne pas connoître ici, fans parler des oifeaux ou d'autres animaux qui pourroient s'introduire dans les greniers par la négligence des propriétaires; c'eft leur faute s'ils n'y pour

voient.

Pour commencer par les plus gros, qui font les fouris & les rats, il eft certain qu'ils font très-dommageables, & que toute la diligence imaginable ne fauroit en préferver tout-à-fait les greniers. Ils ont des ennemis qui leur font une guerre continuelle & qui ne les épargnent pas, ce font les chats; mais en leur laiffant une entrée dans les greniers, il peut arriver qu'on les ouvre à d'autres animaux, comme feroient les poules; & d'ailleurs les chats eux-mêmes en y faifant leurs ordures ne font guere moins dommageables, On a inventé des pieges ou des trappes de différentes efpeces pour les furprendre; on emploie des appâts empoifonnés pour les faire périr; mais ils font moins efficaces dans un grenier rempli de bon Grain, que par-tout ailleurs ces animaux ne quitteront pas une bonne nourriture pour s'attacher au poifon qu'on leur à préparé. Tous ces diffé

rens moyens ne font pas fans utilité, tous operent jufqu'à un certain point, mais ils ne peuvent pas en détruire la race. Après qu'on s'en eft débarraffé pour un temps, ils reparoiffent bientôt; on feroit heureux fi on pouvoit venir à bout d'en dégarnir un grenier pour toujours.

Les infectes font peut-être encore plus nuifibles: quand ils fe font une fois emparés d'un grenier, ils s'y multiplient prodigieufement, & ils font par leur grand nombre ce qu'on ne devroit pas, ce femble, craindre d'animaux fi petits. Quand l'air eft fort chaud, on voit quelquefois voltiger aux fenêtres des greniers quantité de papillons gris; les mâles s'accouplent avec les femelles, & celles-ci vont dépofer leurs œufs fur le tas de froment. Il fort de ces œufs un petit infecte du genre des teignes, qui a une tête écailleufe, deux ferres & fix pattes. Elles habitent dans le tas du froment & s'en nourriffent; elles filent certaine foie fur-tout lorfqu'elles font prêtes à fe changer en chryfalides, & cette foie joint tellement les Grains de froment les uns avec les autres, qu'ils forment une efpece de croute affez solide, qui a trois ou quatre pouces d'épaiffeur; fi on la rompt elle forme des efpeces de mottes ou de gâteaux dans lefquels on trouve des Grains dont la farine a été mangée, on y voit auffi des teignes en vie ou des chrysalides fuivant la faifon; d'autres fois on n'y trouve que des fourreaux vuides. Le défordre qu'elles caufent fe borne à la croute dont nous venons de parler; & quoiqu'elle n'ait que trois ou quatre pouces d'épaiffeur, cela fait un déchet confidérable. Et ce n'eft pas le feul tort qu'elles font au froment; elles alterent encore le bon Grain, en lui communiquant une mauvaife odeur que l'on appelle l'odeur de la mite.

Les charanfons font des infectes du genre des ícarabées; ils font plus pernicieux que les vers ou teignes dont nous venons de parler. Ils fe nourriffent auffi de froment dont ils font une grande consommation, mais fans lui communiquer de mauvaise odeur. Ils s'engourdiffent par le froid, qui ne les tue cependant pas; j'ai éprouvé qu'ils peuvent refter toute une nuit dans l'eau fans en mourir, la chaleur les a bientôt entiérement rétablis. Ils peuvent vivre long-temps fans manger, & il y a lieu de préfumer que cet infecte fe nourriroit de la chair des animaux. Car ceux qui couchent près des greniers où il y a des charanfons, éprouvent que leur morfure eft plus incommode que celle des puces; il eft probable auffi qu'ils mangent les teignes, car on n'en voit point ordinairement dans les greniers il y a beaucoup de charanfons. On remarque dans les baffes-cours que les poules qui ont mangé beaucoup de charanfons en meurent, & on affure que ces animaux qui ont la vie fort dure, leur percent le jabot.

On a cherché affez inutilement jufqu'ici des remedes ou des préfervatifs contre ces inconvéniens, on a invité les phyficiens à exercer leur fagacité sur ce sujet, & jufqu'ici il n'a rien paru de tout-à-fait fatisfaisant. Ce n'eft pas qu'on n'ait propofé diverfes recettes, les unes contre les teignes, d'autres contre les charanfons, mais l'expérience n'a pas conftaté le fuc

cès :

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