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il peut arriver des pluies depuis qu'on l'a moiffonné, & la durée de ces pluies exige des travaux qu'un beau temps fuivi épargne; il faut après les pluies tourner les javelles affez fouvent comme on ne fuit pas en tout pays la même méthode pour récolter, il ferviroit peu d'indiquer les petites précautions que l'on prend contre les longues pluies; fouvent tous les foins & toute l'attention des propriétaires ne peuvent empêcher qu'il ne germe plus ou moins. Quand le bled n'eft que mouillé, fi le temps devient chaud & fec, le mal fe répare aifément; mais s'il germe considérablement, c'eft un mal irremediable; la qualité du Grain en fouffre beaucoup ; le pain qu'on en fait, n'eft ni beau, ni fain, ni bon, à peine même eft-il mangeable. On peut cependant, à force de diligence, diminuer un peu le mal il ne feroit pas impoffible de conferver de tel bled, comme on le verra par la fuite; mais je penfe qu'il vaut mieux s'en défaire fi on le peut.

Quelque peine qu'on fe donne pour récolter le froment en bon état, ce feroit une peine prefqu'inutile fi on ne pouvoit le loger convenablement. Par cette raison il s'en corrompt toutes les années une grande quantité : le payfan l'enferme dans des arches bien closes, il y eft trop entaffé; les vapeurs qui s'en exhalent ne pouvant fe répandre, fe concentrent dans le tas. Mettez du froment dans une cuve, fur-tout peu après la moiffon; quelque bien qu'il foit recueilli, & quoique la cuve foit ouverte, on fentira au bout de quelque temps, fi on n'a foin de le remuer en y fourrant la main, une chaleur plus ou moins confidérable, & une légere humidité; quelque temps après il prend une odeur vineufe, qui devient enfuite aigre, & fent le moifi; en un mot ce grain fermente, il n'eft plus propre à faire du pain; quelquefois même la volaille n'en veut plus.

Si on veut le garder fain, il faut avoir un grenier d'une jufte étendue, capable de contenir un peu plus de bled qu'on n'en a, afin de pouvoir de temps à autre lui faire changer de place & balayer la pouffiere à chaque fois. Il convient qu'il ait une certaine hauteur, afin qu'en le jetant, il retombe avec un peu de violence qui en fépare la pouffiere; de bonnes fenêtres, pour renouveller l'air, en les ouvrant quand le temps eft beau, & qui puiffent être fermées exactement quand l'air eft humide ou chargé de brouillards.

En l'introduifant dans le grenier, on doit avoir foin de ne point trop le refferrer il convient au contraire de lui donner autant d'étendue qu'il eft poffible & de ne le raffembler que peu-à-peu le fond du tas étant bien fec, le haut courra moins de danger. Je n'ai vu que rarement qu'il fe gâtât pendant les grands froids; ce n'eft qu'aux approches du printemps, quand les greniers commencent à fe réchauffer; alors on doit être fur fes gardes, cribler & remuer tout le tas. L'œil du maître y eft néceffaire : il faudra réitérer ces opérations plus ou moins fréquemment, fuivant le befoin on peut en juger par la couleur, par l'odeur, on peut auffi le connoître au toucher, & quelquefois il fuffit de le voir même d'affez loin.

Si quelqu'un remue le tas ou s'il y fait des creux avec la pêle ou avec une mefure, & fi le bled eft fec, en tombant dans le creux, il s'arrangera d'une maniere uniforme, il prendra une furface liffe & unie : le contraire arrivera s'il y a beaucoup d'humidité. 11 feroit affez difficile de bien dépeindre cette différence, la vue ou l'expérience la fera beaucoup mieux

connoître.

Le tems auquel le bled demande le plus d'attention, eft entre la moisson & les femailles. Ceux qui le battent dans les granges, profitent des mauvais temps pour battre le Grain qu'ils deftinent à femer, parce qu'ils ne peuvent travailler alors hors de la maifon; & fouvent il eft battu plufieurs femaines avant qu'on l'emploie; alors il s'échauffe très-facilement; fi on ne prend des précautions, on le verra bientôt éprouver tous les fymptômes que nous avons décrits. Semé dans cet état, il levera clair, il ne pouffera qu'avec peu de vigueur, il fera plus foible en hyver, les plantes qui en naîtront fe reffentiront immanquablement du peu de foin que l'on a eu du Grain dont elles font formées. J'en parle d'après ma propre expérience. Il faut le mettre dans un lieu aéré fi on veut prévenir ce mal, lui donner autant de place que l'on peut, ou l'étendre très-clair, le remuer & le cribler, mettre en ufage tout ce qui peut en diminuer l'humidité, & multiplier ces précautions en raifon de l'humidité du temps & de l'année. Jufqu'ici j'ai fuppofé que la récolte n'avoit pas été exceffivement malfaite la faifon eft quelquefois fi dérangée au temps de la moiffon, qu'on eft réduit à ferrer le Grain en très-mauvais état; il peut arriver que les cultivateurs, pour le conferver, foient obligés à le fécher ou dans des fours ou en l'expofant au foleil. Je n'ai pourtant jamais vu le cas arriver pendant plufieurs années, que j'ai eu occafion d'observer ce qui fe paffoit dans une maison où il y a eu conftamment du bled au-delà de ce qu'on y en confommoit, & où l'on a pu le faire vieux toutes les fois qu'on l'a voulu, à l'aide de ces petites précautions triviales dont on a parlé & que perfonne n'ignore. Mais enfin le cas peut arriver, & il eft vraisemblablement arrivé plus d'une fois qu'il a fallu y en ajoûter d'autres; & ces opérations affez praticables fur une petite quantité de Grains, feroient très-pénibles & à-peu-près impoffibles ou du moins exceffivement difpendieufes fur de grands greniers Il a fallu imaginer des moyens plus expéditifs pour fécher Le Grain & en chaffer cette humidité qui le corrompt.

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Le premier que j'ai appris qui en ait fait ufage, eft un négociant Anglois, Horfe Haing Hufbandry, dont parle le célébre Tull dans fon Traité de la nouvelle culture. Cet homme étoit du comté d'Oxford & d'une fortune très-médiocre; avec peu de chofe il commença un petit commerce de bled qu'il pouffa fort loin dans la fuite. Comme on tient en Angleterre que le prix moyen du froment eft de cinq fchellings le boiffeau (il pese plus de 60 livres & fait un peu plus de trois boiffeaux de Paris, ) il avoit foin de ne faire aucune emplette que lorfqu'il étoit au-deffous de ce prix,

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& il le gardoit jufqu'à ce qu'il pût le vendre plus chérement. Il comprit que la corruption du Grain devoit fon origine à un excès d'humidité, & qu'il ne pouvoit rien faire de mieux pour la confervation, que de le fécher; il fit ufage pour cela d'un four tout femblable à celui dont on se fert pour fécher le malt, ( c'eft le nom qu'on donne à l'orge préparée pour faire la biere.) Il ne l'échauffoit jamais au-delà du degré de chaleur que le foleil peut donner dans les plus beaux jours d'été jamais il n'y laiffoit fon froment plus de douze heures, & jamais moins de quatre. Pour choisir entre ces extrêmes fans aucune regle fixe, il fe conduifoit par les lumieres que la réflexion, jointe à une longue expérience, lui avoit fournies. En 1726, cet homme fe trouva dans fes greniers cinq mille quarters (ce font huit boiffeaux) de bled ainfi préparé, qu'il pouvoit vendre 12 fchellings le boiffeau, pendant qu'il n'en avoit payé que 3 fchellings. Par cette préparation, fon bled acquéroit une qualité fort fupérieure au bled ordinaire, qui le faifoit préférer à tout autre par les boulangers de Londres. Il prétendoit auffi que la même opération délivroit fon bled pour toujours des calandres ou charansons, & il affuroit d'avoir éprouvé que ce froment pouvoit germer & produire même la feptieme année, après avoir fubf l'opération dont on vient de parler. L'auteur de ce récit ajoûte, que cet homme, en continuant fon négoce, put laiffer à fes héritiers 40000 liv. fterling, quoiqu'il eût commencé par peu de chofe.

Cer effai qui lui réuffit si bien, n'étoit pas une invention nouvelle ; c'étoit fimplement appliquer un moyen tout trouvé à un ufage nouveau: il eft fujet à quelques embarras. De favans hommes plus phyficiens que lui, & capables d'approfondir avec fuccès toutes les fciences, n'ont pas jugé audeffous d'eux d'étudier avec le plus grand foin, tout ce qui avoit rapport à l'économie rurale, & de faire part au public de leurs découvertes. Cette attention mérite bien la reconnoiffance des contemporains & des races futures, & doit les faire envisager avec raison comme des amis de l'humanité & des bienfaiteurs du genre-humain. Tâchons de raffembler ici un précis de ce qu'ils ont publié généreufement fur ce fujet.

Ils font partis du même principe que cet Anglois dont on vient de parler; que le froment renferme confidérablement d'humidité, quand on le porte du champ dans la grange; que cette humidité jointe à la chaleur, quand on l'entaffe plus épais qu'il ne faut, y excite certaine fermentation fuivie d'une corruption plus ou moins prompte.

M. du Hamel qui n'avance rien fans preuve, juftifie ces principes par des expériences. Il renferma de beau froment nouveau dans des bouteilles de verre bien bouchées; l'humidité qui s'en échappoit, parut bientôt aux parois intérieures des bouteilles, & le grain qu'elles renfermoient, se moifit. Il pesa en 1745 certaine quantité de froment de la récolte précédente, & après l'avoir expofé pendant 12 heures à la chaleur d'une étuve, dans laquelle il fit monter la liqueur du thermometre de M. de Reaumur à 50

Tome XX.

Tit

degrés au-deffus de o, il y perdit un huitieme de fon poids; preuve qu'il s'en évapora quantité d'eau.

Examinez un tas de froment peu de jours après qu'on l'a mis en grange, quelque fec qu'il foit, il prendra une moiteur qu'on fentira au toucher: le paylan de nos quartiers appelle cette époque la fueur du bled. Enfin j'ai conftamment vu que le froment battu peu après la moiffon, donnoit, à quantité de paille égale, plus de Grain ou plus de mefures de Grain, que celui qu'on differe de battre jufqu'au commencement de l'hyver. Je n'en ai jamais pris de note qu'une feule fois; 120 gerbes battues immédiatement après la moiffon pour femer, donnerent 128 mefures; le refte qui ne fut battu que pendant le cours de l'hyver, ne rendit qu'une mefure par gerbe; preuve que le Grain s'étoit refferré, & tout d'un temps dépouillé d'une partie de cette humidité malfaifante, qui faifant fermenter le Grain, en occafionne la corruption.

De ces expériences, il leur étoit aifé de conclure que le moyen le plus fûr pour la confervation du bled, étoit de le fécher en l'expofant à une chaleur mefurée dont l'expérience leur. découvriroit le degré,

Ils l'ont trouvé en effet par des moyens très-ingénieux. Ils ont imaginé des fourneaux de conftruction nouvelle, des cribles plus propres à en écarter la pouffiere & les autres impuretés que ceux qui étoient en ufage, des foufflets pour introduire avec force de l'air frais dans les plus grands tas de Grain, & des greniers capables d'en contenir une plus grande quantité que d'autres fans comparaifon plus vaftes, & à l'aide de tous ces moyens réunis, en garantiffant le Grain de corruption, de le garantir auffi du ravage des infectes & de la voracité de ces petits animaux qui dévaftent fi fouvent les grands greniers.

Je prends le froment au fortir de la grange après qu'on l'a battu & vanné: on ne le loge pas dans les greniers avant que d'avoir fubi ces opérations, qu'on ne fait point par-tout de la même maniere: en plufieurs endoits, on jete au vent le Grain battu avec des pêles, faites exprès pour cet ufage; ailleurs on emploie le van feul; d'autres font fuccéder le van aux pêles, pour achever ce que celles-ci ont commencé. On ne manie point non plus par-tout les vans de la même maniere. Il n'eft pas de notre fujet d'examiner ces différentes méthodes ou de chercher quelle eft la moins coûteufe, la plus facile & la plus efficace; quelle qu'on emploie, elle ne nettoyera jamais le bled parfaitement & dans un degré fuffifant pour pouvoir être confervé avec avantage, fi on ne fait rien de plus. La pouffiere qui y refte attachée, attire & entretient l'humidité; elle la communiqueroit au Grain & nuiroit à la beauté & à la qualité du pain qu'on en feroit.

Par cette raison, la nouvelle méthode recommande l'ufage des cribles qui enlevent, du moins en partie, la pouffiere mêlée parmi le Grain, outre que cette opération même en l'aérant contribue quelque peu à le

515 deffécher. I eft plufieurs fortes de cribles, il en eft qui ont la forme de plans inclinés, compofés de fils-de-fer rangés parallelement; ce font les plus communs, chacun les connoît, & il feroit inutile de les décrire : ils expédient plus que tout autre, & fuivant que les fils-de-fer font plus ou moins éloignés les uns des autres, ils diminuent auffi plus ou moins la quantité de Grain que l'on y fait paffer. Ce déchet dégoûte quantité de gens d'une précaution fi néceffaire, & il faut avouer que fi le crible peut aider à rendre le froment, j'ai trouvé que ce qu'il ajoute au prix, ne dédommage pas de la quantité qu'il fait perdre. Cette premiere opération ne fuffit pas toujours; quelquefois la pouffiere eft fimplement mêlée avec le Grain; d'autres fois elle y eft comme collée; c'eft le cas du bled carié; la pouffiere qu'on y voit s'attache à une espece de foie ou de poils très-déliés que les Grains ont à un de leurs bouts. Le crible ordinaire y opere peu; le bled paroît noirci avant que d'y être jeté ; il en reffort à-peu-près dans le même état.

Mais il en est une autre efpece auffi de fil-de-fer, qui a la forme de cylindre ou de cône tronqué, traverfé par un axe folide, auquel eft attachée une manivelle tournée par un bras robufte. La grande agitation qu'on donne au froment, qui y eft renfermé & qu'on y fait entrer par une trémie, dont on peut élargir ou rétrécir l'iffue à difcrétion, le choc des Grains qui fe heurtent les uns les autres & frappent avec violence les fils-de-fer qui les contiennent, le mouvement qu'excite dans l'air celui de la machine, tout cela en détache la pouffiere en grande partie, le froment en fort toujours avec un plus bel ail: en réitérant l'opération on en remarquera toujours mieux le bon effet; il faut quelquefois en venir à le laver, tant cette pouffiere eft tenace.

On emploie encore une troifieme forte de crible qui renferme une espece de moulin à vent; il eft formé par des mailles de fil-de-laiton, & placé horizontalement ou à-peu-près; le bled y tombe par une trémie : du premier crible le bled tombe fur un fecond, dont les mailles font plus ferrées : fous les cribles eft une roue avec des ailes fort larges, qu'on fait tourner à l'aide d'une manivelle; les fecouffes qu'elle donne à tout le corps de la machine, favorifent le paffage du froment par le crible, & le mouvement des ailes forme un courant d'air affez fort pour chaffer au loin la balle, les brins de pailles & en général tout corps moins pefant que le bled: ce font là tout autant de meubles néceffaires à un grenier confidérable. Toutes ces différentes manœuvres diminuent confidérablement l'humidité fi fatale au Grain que l'on cherche à conferver, & pourroient peut-être fuffire dans les années où le bled a été parfaitement récolté; dans d'autres temps elles ne fuffiroient pas, elles ne feroient que diminuer le mal ou recuJer un peu l'altération qu'un excès d'humidité produira toujours dans le

Grain.

On a trouvé que pour le mettre en pleine fureté, il falloit joindre à

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