but. Il ne les donne pas pour des découvertes qu'il ait faites, ou comme le fruit de fes expériences. Il paroît que c'eft plutôt un recueil de maximes d'économie rurale, adoptées par les cultivateurs de fon temps. Nous ne tranfcrirons pas le long chapitre où il traite cette matiere: nous nous contenterons d'en donner un extrait. Quelques-uns veulent, dit-il, qu'on loge le grain dans des greniers de brique de trois pieds d'épaiffeur, voutés par le haut, inacceffibles au vent ou'à l'air, fans aucunes fenêtres; d'autres veulent que fi l'on y donne du jour, les fenêtres doivent être placées à l'orient d'hyver ou au nord; ils défendent qu'il y entre de la chaux qu'ils jugent très-ennemie du froment. Il cite d'autres auteurs, qui font d'un avis contraire, & qui recommandent des greniers de bois foutenus fur des colonnes expofés à l'air de tous côtés, & même par le fond, & du côté de terre : le célébre Varron étoit de ce fentiment. Des troifiemes, ajoute-t-il, répandent fur le froment, pour le conferver, une certaine quantité de fédiment d'huile, amurca, d'autres de la terre de Chalcide, ou de la craie. Il y a auffi à Olinthe & à Cerinthe dans l'ifle d'Eubée, une terre qui doit produire le même effet. On conserve aufli le froment dans des foffes, comme dans la Cappadoce & dans la Thrace, & l'on fait qu'aujourd'hui même en Sicile, dans quelques endroits de l'Italie & dans quelques-unes des provinces méridionales de France, on fuit la même méthode. Il paroît que l'auteur que nous venons de citer, regarde comme un article effentiel de barrer au Grain enfermé toute communication avec l'air extérieur. Frumento fi nullus fpiritus penetret, certum eft nihil maleficum. Il n'eft pas le feul qui ait ainfi penfé. Un auteur moderne, Pluche, Spec. de la nature, donne l'avis qu'on va lire : » dès les fix premiers mois qu'on a mis le froment dans le grenier, il conviendroit qu'on le remuât de 15 en 15 jours avec la pêle, pendant fix ou fept mois confécutifs, qu'on le fit paffer d'une place à l'autre en l'éparpillant, & qu'enfuite, pour empêcher l'action de l'air qui eft toujours à craindre, & l'entrée des charanfons, on jettât fur le tas un peu de chaux vive en l'étendant par-tout, qu'on y dif tribuât un peu d'eau, qui faifant fondre la chaux, y formât une espece de bouillie qui pût s'infinuer dans le tas du Grain, à la profondeur de deux doigts, & former avec le Grain de la furface une croute qui empêcherait le bled de s'éventer, de s'échauffer & de germer, » Après ce qu'il rapporte du bled trouvé dans la citadelle de Sedan, qui y étoit depuis 110 ans, & qui s'y étoit confervé malgré l'humidité du lieu, il ajoute que cette humidité avoit fait germer tout le tour du tas à plus d'un pied de profondeur; que les feuilles & les commencemens des tiges qui avoient déjà une certaine hauteur, manquant d'air, s'étoient pourris & rabattus fur leurs racines, & que de ce fumier conglutiné & defféché avec les Grains de deffous, il s'étoit formé une croute très-épaiffe, qui avoit confervé le refle du tas. "2 Je ne contefterai point la vérité des faits; peut-être avoit-on fait à ce Grain quelque préparation que je ne puis deviner; peut-être étoit-il naturellement plus fec & d'une autre qualité que celui que nous récoltons ici & dans les provinces de France du voifinage; peut-être la terre des creux où on l'enferme eft-elle plus feche auffi. Il paroît que les anciens prenoient des précautions pour en bannir l'humidité; peut-être a-t-elle quelque qualité femblable à celle d'Olinthe & de Cérinthe dont Pline parle. Mais enfin, je ne ferois pas tenté de l'effayer, même en petit, parce que ce remede ou préservatif me paroît étrangement cher. Que faut-il donc penfer de cette confervation du froment, qui certainement feroit très-avantageufe? Je crois que c'eft une chose toujours failable, mais quelquefois plus difficile que d'autres. On pourroit épargner du temps & du travail, en y penfant dès le temps de la moiffon. Du froment bien récolté fe confervera bien plus facilement, que celui qu'on amene dans les granges mal conditionné. 1o. On ne devroit le couper que quand il eft fuffisamment mûr; mais ceci eft équivoque. Tous les cultivateurs ne jugent pas de même de la matu rité du Grain. Plufieurs penfent que non-feulement on peut fans inconvénient le moiffonner, avant qu'il ait pris toute la dureté & toute la couleur qu'il peut prendre fur fon pied, mais qu'il eft avantageux d'anticiper un peu ce temps: & s'il faut en dire ma pensée, je crois avoir remarqué que le froment ainfi ménagé, donne du pain plus blanc que celui qu'on a laiffé durcir tout-à-fait avant que de le couper. Au-refte il fe pourroit auffi que cette différence eût d'autres caufes. La queftion n'eft pas nouvelle. Pline eft d'avis qu'il vaudroit mieux moiffonner deux jours trop tôt que deux jours trop tard: biduo celeriùs messem facere quàm biduo feriùs. Lib. XVIII. cap. 30. C'eft ici un des oracles ou apophthegmes ruftiques dont il parle plus d'une fois, & auxquels il voudroit qu'on déférât beaucoup. Ce différend n'eft pas encore jugé : mais quoiqu'il en foit, il eft intéreffant de le laiffer affez de temps fur le chaume pour pouvoir le ferrer bien fec. 2o. La paille feche plus vite que le Grain, il eft aussi très-intéressant qu'elle le foit; fi elle eft humide, elle fe corrompt & peut communiquer au Grain fa mauvaise odeur, ce qui n'arrive pourtant pas toujours. Mais fi elle eft bien feche, & fi l'herbe dont elle est toujours plus ou moins mêlée, eft fanée suffisamment, quand même le Grain ne feroit pas affez fec, il peut fe perfectionner au tas, fi on ne fe hâte pas de le battre. Perfonne ne niera que ce ne foit un préalable très-utile. Refert plurimum tempeftivitas condendi; loco cit. Malheureusement la chofe ne dépend pas toujours de nous: auffi je n'ai pas prétendu déterminer le temps qu'il faut laiffer le froment fur le chaume; il doit varier fuivant les circonftances. Le temps, quoique ferein, n'eft pas toujours également chaud; les javelles ne font pas toujours également épaiffes; le froment n'eft pas toujours également mûr; plus il eft humide, plus il faut de temps pour le fécher : it peut arriver des pluies depuis qu'on l'a moiffonné, & la durée de ces pluies exige des travaux qu'un beau temps fuivi épargne; il faut après les pluies tourner les javelles affez fouvent comme on ne fuit pas en tout pays la même méthode pour récolter, il ferviroit peu d'indiquer les petites précautions que l'on prend contre les longues pluies; fouvent tous les foins & toute l'attention des propriétaires ne peuvent empêcher qu'il ne germe plus ou moins. Quand le bled n'eft que mouillé, fi le temps devient chaud & fec, le mal fe répare aifément; mais s'il germe considérablement, c'eft un mal irremediable; la qualité du Grain en fouffre beaucoup; le pain qu'on en fait, n'eft ni beau, ni fain, ni bon, à peine même est-il mangeable. On peut cependant, à force de diligence, diminuer un peu le mal: il ne feroit pas impoffible de conferver de tel bled, comme on le verra par la fuite; mais je pense qu'il vaut mieux s'en défaire fi on le peut. Quelque peine qu'on fe donne pour récolter le froment en bon état, ce feroit une peine prefqu'inutile fi on ne pouvoit le loger convenablement. Par cette raison il s'en corrompt toutes les années une grande quantité : le payfan l'enferme dans des arches bien closes, il y eft trop entaffé ; les vapeurs qui s'en exhalent ne pouvant fe répandre, fe concentrent dans le tas. Mettez du froment dans une cuve, fur-tout peu après la moiffon; quelque bien qu'il foit recueilli, & quoique la cuve foit ouverte, on fentira au bout de quelque temps, fi on n'a foin de le remuer en y fourrant la main, une chaleur plus ou moins confidérable, & une légere humidité; quelque temps après il prend une odeur vineufe, qui devient enfuite aigre, & fent le moifi; en un mot ce grain fermente, il n'eft plus propre à faire du pain; quelquefois même la volaille n'en veut plus. Si on veut le garder fain, il faut avoir un grenier d'une jufte étendue, capable de contenir un peu plus de bled qu'on n'en a, afin de pouvoir de temps à autre lui faire changer de place & balayer la pouffiere à chaque fois. Il convient qu'il ait une certaine hauteur, afin qu'en le jetant, il retombe avec un peu de violence qui en fépare la pouffiere; de bonnes fenêtres, pour renouveller l'air, en les ouvrant quand le temps eft beau & qui puiffent être fermées exactement quand l'air eft humide ou chargé de brouillards. En l'introduifant dans le grenier, on doit avoir foin de ne point trop le refferrer: il convient au contraire de lui donner autant d'étendue qu'il eft poffible & de ne le raffembler que peu-à-peu: le fond du tas étant bien fec, le haut courra moins de danger. Je n'ai vu que rarement qu'il fe gâtât pendant les grands froids; ce n'eft qu'aux approches du printemps, quand les greniers commencent à fe réchauffer; alors on doit être fur fes gardes, cribler & remuer tout le tas. L'œil du maître y eft néceffaire : il faudra réitérer ces opérations plus ou moins fréquemment, fuivant le besoin on peut en juger par la couleur, par l'odeur, on peut auffi le connoître au toucher, & quelquefois il fuffit de le voir même d'assez loin. Si quelqu'un remue le tas ou s'il y fait des creux avec la pêle ou avec une mefure, & fi le bled eft fec, en tombant dans le creux, il s'arrangera d'une maniere uniforme, il prendra une furface liffe & unie : le contraire arrivera s'il y a beaucoup d'humidité. Il feroit affez difficile de bien dépeindre cette différence, la vue ou l'expérience la fera beaucoup mieux connoître. Le tems auquel le bled demande le plus d'attention, eft entre la moisson & les femailles. Ceux qui le battent dans les granges, profitent des mauvais temps pour battre le Grain qu'ils deftinent à femer, parce qu'ils ne peuvent travailler alors hors de la maifon; & fouvent il eft battu plufieurs femaines avant qu'on l'emploie; alors il s'échauffe très-facilement ; fi on ne prend des précautions, on le verra bientôt éprouver tous les fymptômes que nous avons décrits. Semé dans cet état, il levera clair, il ne pouffera qu'avec peu de vigueur, il fera plus foible en hyver, les plantes qui en naîtront fe reffentiront immanquablement du peu de foin que l'on a eu du Grain dont elles font formées. J'en parle d'après ma propre expérience. Il faut le mettre dans un lieu aéré fi on veut prévenir ce mal, lui donner autant de place que l'on peut, ou l'étendre très-clair, le remuer & le cribler, mettre en ufage tout ce qui peut en diminuer l'humidité, & multiplier ces précautions en raifon de l'humidité du temps & de l'année. Jufqu'ici j'ai fuppofé que la récolte n'avoit pas été exceffivement malfaite la faifon eft quelquefois fi dérangée au temps de la moiffon, qu'on eft réduit à ferrer le Grain en très-mauvais état; il peut arriver que les cultivateurs, pour le conferver, foient obligés à le fécher ou dans des fours ou en l'expofant au foleil. Je n'ai pourtant jamais vu le cas arriver pendant plufieurs années, que j'ai eu occafion d'obferver ce qui fe paffoit dans une maison où il y a eu conftamment du bled au-delà de ce qu'on y en confommoit, & où l'on a pu le faire vieux toutes les fois qu'on l'a voulu, à l'aide de ces petites précautions triviales dont on a parlé & que perfonne n'ignore. Mais enfin le cas peut arriver, & il eft vraisemblablement arrivé plus d'une fois qu'il a fallu y en ajoûter d'autres; & ces opérations affez praticables fur une petite quantité de Grains, feroient très-pénibles & à-peu-près impoffibles ou du moins exceffivement difpendieufes fur de grands greniers Il a fallu imaginer des moyens plus expéditifs pour fécher Le Grain & en chaffer cette humidité qui le corrompt. Le premier que j'ai appris qui en ait fait ufage, eft un négociant Anglois, Horfe Haing Hufbandry, dont parle le célébre Tull dans fon Traité de la nouvelle culture. Cet homme étoit du comté d'Oxford & d'une fortune très-médiocre; avec peu de chofe il commença un petit commerce de bled qu'il pouffa fort loin dans la fuite. Comme on tient en Angleterre que le prix moyen du froment eft de cinq fchellings le boiffeau (il pese plus de 60 livres & fait un peu plus de trois boiffeaux de Paris, ) il avoit foin de ne faire aucune emplette que lorsqu'il étoit au-deffous de ce prix, & & il le gardoit jufqu'à ce qu'il pût le vendre plus chérement. Il comprit que la corruption du Grain devoit fon origine à un excès d'humidité, & qu'il ne pouvoit rien faire de mieux pour la confervation, que de le fécher; il fit ufage pour cela d'un four tout femblable à celui dont on fe fert pour fécher le malt, (c'eft le nom qu'on donne à l'orge préparée pour faire la biere.) Il ne l'échauffoit jamais au-delà du degré de chaleur que le foleil peut donner dans les plus beaux jours d'été jamais il n'y laiffoit fon froment plus de douze heures, & jamais moins de quatre. Pour choifir entre ces extrêmes fans aucune regle fixe, il fe conduifoit par les lumieres que la réflexion, jointe à une longue expérience, lui avoit fournies. En 1726, cet homme fe trouva dans fes greniers cinq mille quarters (ce font huit boiffeaux) de bled ainfi préparé, qu'il pouvoit vendre 12 fchellings le boiffeau, pendant qu'il n'en avoit payé que 3 fchellings. Par cette préparation, fon bled acquéroit une qualité fort fupérieure au bled ordinaire, qui le faifoit préférer à tout autre par les boulangers de Londres. Il prétendoit auffi que la même opération délivroit fon bled pour toujours des calandres ou charanfons, & il affuroit d'avoir éprouvé que ce froment pouvoit germer & produire même la feptieme année, après avoir fubi l'opération dont on vient de parler. L'auteur de ce récit ajoûte, que cet homme, en continuant fon négoce, put laiffer à fes héritiers 40000 liv. fterling, quoiqu'il eût commencé par peu de chofe. Cet effai qui lui réuffit fi bien, n'étoit pas une invention nouvelle ; c'étoit fimplement appliquer un moyen tout trouvé à un ufage nouveau : il eft fujet à quelques embarras. De favans hommes plus phyficiens que lui, & capables d'approfondir avec fuccès toutes les fciences, n'ont pas jugé audeffous d'eux d'étudier avec le plus grand foin, tout ce qui avoit rapport à l'économie rurale, & de faire part au public de leurs découvertes. Cette attention mérite bien la reconnoiffance des contemporains & des races futures, & doit les faire envisager avec raifon comme des amis de l'humanité & des bienfaiteurs du genre-humain. Tâchons de rassembler ici un précis de ce qu'ils ont publié généreufement fur ce fujet. Ils font partis du même principe que cet Anglois dont on vient de parler; que le froment renferme confidérablement d'humidité, quand on le porte du champ dans la grange; que cette humidité jointe à la chaleur, quand on l'entaffe plus épais qu'il ne faut, y excite certaine fermentation fuivie d'une corruption plus ou moins prompte. M. du Hamel qui n'avance rien fans preuve, juftifie ces principes par des expériences. Il renferma de beau froment nouveau dans des bouteilles de verre bien bouchées; l'humidité qui s'en échappoit, parut bientôt aux parois intérieures des bouteilles, & le grain qu'elles renfermoient, fe moifit. Il pefa en 1745 certaine quantité de froment de la récolte précédente, & après l'avoir expofé pendant 12 heures à la chaleur d'une étuve, dans laquelle il fit monter la liqueur du thermometre de M. de Reaumur à 50 Tome XX. Ttt |