Page images
PDF
EPUB

aucune juftice dans les procès qu'ils pouvoient avoir contre la nobleffe, tandis que les criminels eux-mêmes, ou leurs amis & parens, s'affeyoient fur les tribunaux. Il allégua deux exemples tout récens, de Cornelius Cotta & de Marcus Acilius, deux fénateurs du premier rang, coupables d'une concuffion fcandaleuse, & évidente, qu'on laiffa pourtant échaper par la corruption & la partialité de pareils juges.

Du Vignau rapporte un exemple remarquable de l'avarice, de la corruption, & des véxations de Cara Mustapha, grand-vifir. Après avoir levé les tributs de la Moldavie en bétail, principalement en chevres, on en mena de fi nombreux troupeaux à Conftantinople, que pour les débiter il força cette grande ville à ne manger pendant plufieurs jours d'autre viande que de chevre, jufqu'à-ce qu'il n'en reftât plus. Nuuman Bacha, de l'illuftre famille des Kuperli, grand-vifir du fultan Achmet qui fut dépofé, avoit plus de générofité. Ce prince extrêmement avare, qui n'avoit point d'entrailles pour fes fujets, avoit formé la réfolution de rompre la trêve avec le Czar de Mofcovie; il falloit, pour faire la guerre, lever de nouvelles taxes, plus pefantes que les ordinaires : le vifir en représenta d'abord l'impoffibilité, rien ne devant être levé fur les fujets que ce que la loi & leur prophete avoient prefcrit. Le vifir, s'appercevant que fon avis déplaifoit à Achmet, ajouta hardiment, que fi ce qu'il difoit n'étoit pas au gré de fa hauteffe, elle n'avoit qu'à choisir un autre vifir, plus ftylé aux artifices de l'oppreffion, tels que ceux qu'on avoit vû peu de temps aupa

ravant.

Quelque grand que foit le pouvoir des mandarins qui gouvernent les provinces de la Chine, il ne fuffit pas pour les foutenir dans l'exercice de leur charge, à moins qu'ils ne fe comportent avec bienveillance & amour du bien public, enforte qu'ils foient regardés comme les peres auffi bien que les Gouverneurs du peuple. Cela les oblige de chercher à enrichir leurs provinces & à en occuper les habitans d'une maniere qui leur foit utile › ils étendent comme cela leurs foins de tous les côtés & fur toute forte de gens. Une des occupations de ces grands mandarins eft auffi d'inftruire le peuple; ce qu'ils font avec beaucoup d'affiduité & de gravité, deux fois par mois: leurs difcours roulent fur les fujets les plus importans de la morale, fur tous les devoirs publics & particuliers, & cela dans un style clair & avec des raifonnemens à la portée des auditeurs, fans employer de terme fujet à l'ambiguité ou à la chicane, ou qui puiffe embarraffer la tête du pauvre peuple par des chimeres, des fubtilités, & un langage affecté.

On fuppofe que les mandarins, par ces fréquentes inftructions, forment l'ame & les mœurs du peuple, d'une maniere capable de prévenir les grands crimes; & s'il arrive qu'il s'en commette, le mandarin en eft refponfable; il eft pour le moins obligé à découvrir & à' punir les criminels: il perd même quelquefois fa charge, lorfque ces crimes fe commettent frẻ

quemment, par la feule raifon qu'ils font fréquens; car alors on fuppofe que cela vient de fon peu de foin à inftruire le peuple.

C'eft à de pareils réglemens que l'on attribue l'état floriffant des provinces de la Chine, royaume qui furpaffe toutes les nations de la terre en nombre d'habitans; comme leur gouvernement furpaffe tous les autres, à l'égard de la bonne politique, & par conféquent du bonheur des peuples; de forte qu'en comparaifon de l'antiquité & de la durée du gouvernement de la Chine, tous les autres Etats du monde femblent n'être que de trois jours. Difcours hiftoriques & politiques de THOMAS GORDON fur SALLUSTE.

LA

GR

GRAIN, f. m.

A culture, le commerce & la confervation des Grains font des objets qui intéreffent également l'économie domeftique & l'économie politique. Nous parlons ailleurs de la culture des divers fromentacés ou Grains par excellence; nous traiterons ici de leur confervation & de leur commerce.

L

S. I.

De la confervation des Grains.

E grand nombre d'expériences anciennes & nouvelles, ne permettent pas de douter que l'on ne puiffe conferver pendant long-temps le froment & les autres Grains qui fervent principalement à la nourriture de l'homme. On lit dans l'Hiftoire naturelle de Pline, que des feves confervées dans une grotte, durerent dès le temps de Pirrhus jufqu'à la guerre que Pompée fit aux pirates. Le même écrivain affure sur la foi de Varron, que le froment enfermé avec certaines précautions, peut durer 50 ans; le mil 100; on a des exemples plus récens. L'auteur du Spectacle de la nature nous apprend que l'an 1707, on ouvrit dans la citadelle de Metz un magafin de bled qui y avoit été fait en 1573, & qu'on en fit du pain qui fe trouva très-bon. Il dit encore que M. l'abbé de Louvois faifant un voyage dans les frontieres de la Champagne, vit dans la citadelle de Sedan, un amas de bled qui y étoit depuis 110 ans. Tout cela n'eft pas encore fi frappant que ce qu'on trouve dans Lambecius, qu'on garde dans la bibliotheque impériale de Vienne, une boëte remplie de bled, qui en 1664 avoit déjà plus de 300 ans d'antiquité, & que des écrits procurés avec les formalités néceffaires pour en conftater l'authenticité, & attachés à la boëte, font foi de la vérité du fait.

Quoiqu'il fervit peu de conferver fi long-temps de grands amas de Grains, & que l'on n'ait jamais vu de difette d'une auffi longue durée, il eft cependant vrai qu'on auroit lieu de fe féliciter, fi l'on connoiffoit un moyen für & praticable, fans être trop difpendieux, pour conferver dix à douze ans de bon Grain, qu'on auroit mis en provifion dans le temps qu'il eft très-abondant & à bas prix, pour fubvenir aux mauvaises récoltes qui, fans être communes ou fans durer fi long-temps, ne font rien moins qu'extraordinaires.

Pline que nous avons déjà cité, indique plufieurs moyens tendans à ce

509

but. Il ne les donne pas pour des découvertes qu'il ait faites, ou comme le fruit de fes expériences. Il paroît que c'eft plutôt un recueil de maximes d'économie rurale, adoptées par les cultivateurs de fon temps. Nous ne tranfcrirons pas le long chapitre où il traite cette matiere: nous nous contenterons d'en donner un extrait.

Quelques-uns veulent, dit-il, qu'on loge le grain dans des greniers de brique de trois pieds d'épaiffeur, voutés par le haut, inacceffibles au vent ou à l'air, fans aucunes fenêtres; d'autres veulent que fi l'on y donne du jour, les fenêtres doivent être placées à l'orient d'hyver ou au nord; ils défendent qu'il y entre de la chaux qu'ils jugent très-ennemie du froment. Il cite d'autres auteurs, qui font d'un avis contraire, & qui recommandent des greniers de bois foutenus fur des colonnes expofés à l'air de tous côtés, & même par le fond, & du côté de terre: le célébre Varron étoit de ce fentiment.

Des troifiemes, ajoute-t-il, répandent fur le froment, pour le conferver, une certaine quantité de fédiment d'huile, amurca, d'autres de la terre de Chalcide, ou de la craie. Il y a auffi à Olinthe & à Cerinthe dans l'ifle d'Eubée, une terre qui doit produire le même effet. On conserve aufli le froment dans des foffes, comme dans la Cappadoce & dans la Thrace & l'on fait qu'aujourd'hui même en Sicile, dans quelques endroits de l'Italie & dans quelques-unes des provinces méridionales de France, on fuit la même méthode.

Il paroît que l'auteur que nous venons de citer, regarde comme un article effentiel de barrer au Grain enfermé toute communication avec l'air extérieur. Frumento fi nullus fpiritus penetret, certum eft nihil maleficum. Il n'eft pas le feul qui ait ainfi penfé. Un auteur moderne, Pluche, Spect. de la nature, donne l'avis qu'on va lire: » dès les fix premiers mois qu'on a mis le froment dans le grenier, il conviendroit qu'on le remuât de 15 en 15 jours avec la pêle, pendant fix ou fept mois confécutifs, qu'on le fit paffer d'une place à l'autre en l'éparpillant, & qu'enfuite, pour empêcher l'action de l'air qui eft toujours à craindre, & l'entrée des charanfons, on jettât fur le tas un peu de chaux vive en l'étendant par-tout, qu'on y dif tribuât un peu d'eau, qui faifant fondre la chaux, y formât une espece de bouillie qui pût s'infinuer dans le tas du Grain, à la profondeur de deux doigts, & former avec le Grain de la furface une croute qui empêcherait le bled de s'éventer, de s'échauffer & de germer, »

Après ce qu'il rapporte du bled trouvé dans la citadelle de Sedan, qui y étoit depuis 110 ans, & qui s'y étoit confervé malgré l'humidité du lieu, il ajoute que cette humidité avoit fait germer tout le tour du tas à plus d'un pied de profondeur; que les feuilles & les commencemens des tiges qui avoient déjà une certaine hauteur, manquant d'air, s'étoient pourris & rabattus fur leurs racines, & que de ce fumier conglutiné & defféché avec les Grains de deffous, il s'étoit formé une croute très-épaiffe, qui avoit confervé le refte du tas. "

Je ne contefterai point la vérité des faits; peut-être avoit-on fait à ce Grain quelque préparation que je ne puis deviner; peut-être étoit-il naturellement plus fec & d'une autre qualité que celui que nous récoltons ici & dans les provinces de France du voifinage; peut-être la terre des creux où on l'enferme eft-elle plus feche auffi. Il paroît que les anciens prenoient des précautions pour en bannir l'humidité; peut-être a-t-elle quelque qualité femblable à celle d'Olinthe & de Cérinthe dont Pline parle. Mais enfin, je ne ferois pas tenté de l'effayer, même en petit, parce que ce remede ou préservatif me paroît étrangement cher.

Que faut-il donc penfer de cette confervation du froment, qui certainement feroit très-avantageufe? Je crois que c'eft une chofe toujours failable, mais quelquefois plus difficile que d'autres. On pourroit épargner du temps & du travail, en y penfant dès le temps de la moiffon. Du froment bien récolté fe confervera bien plus facilement, que celui qu'on amene dans les granges mal conditionné.

1o. On ne devroit le couper que quand il eft fuffifamment mûr; mais ceci eft équivoque. Tous les cultivateurs ne jugent pas de même de la matu rité du Grain. Plufieurs penfent que non-feulement on peut fans inconvénient le moiffonner, avant qu'il ait pris toute la dureté & toute la couleur qu'il peut prendre fur fon pied, mais qu'il eft avantageux d'anticiper un peu ce temps: & s'il faut en dire ma penfée, je crois avoir remarqué que le froment ainfi ménagé, donne du pain plus blanc que celui qu'on a laiffé durcir tout-à-fait avant que de le couper. Au-refte il fe pourroit auffi que cette différence eût d'autres caufes. La queftion n'eft pas nouvelle. Pline eft d'avis qu'il vaudroit mieux moiffonner deux jours trop tôt que deux jours trop tard : biduo celeriùs meffem facere quàm biduo feriùs. Lib. XVIII. cap. 30. C'est ici un des oracles ou apophthegmes ruftiques dont il parle plus d'une fois, & auxquels il voudroit qu'on déférât beaucoup. Ce différend n'eft pas encore jugé : mais quoiqu'il en foit, il eft intéreffant de le laiffer affez de temps fur le chaume pour pouvoir le ferrer bien fec.

2o. La paille feche plus vite que le Grain, il eft auffi très-intéreffant qu'elle le foit; fi elle eft humide, elle fe corrompt & peut communiquer au Grain fa mauvaise odeur, ce qui n'arrive pourtant pas toujours. Mais fi elle eft bien feche, & fi l'herbe dont elle est toujours plus ou moins mêlée, eft fanée fuffisamment, quand même le Grain ne feroit pas affez fec, il peut fe perfectionner au tas, fi on ne fe hâte pas de le battre. Perfonne ne niera que ce ne foit un préalable très-utile. Refert plurimum tempeftivitas condendi; loco cit. Malheureusement la chofe ne dépend pas toujours de nous: auffi je n'ai pas prétendu déterminer le temps qu'il faut laiffer le froment fur le chaume; il doit varier fuivant les circonftances. Le temps, quoique ferein, n'eft pas toujours également chaud; les javelles ne font pas toujours également épaiffes; le froment n'eft pas toujours également mûr; plus il eft humide, plus il faut de temps pour le fécher :

« PreviousContinue »