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fion ennemie. La fortereffe neuve, qui fut conftruite par le roi de Pruffe, eft à l'oppofite de l'ancienne fur la montagne dite Schæferberg, & la riviere de Neyffe les fépare. Il eft aifé de fe faire entendre d'une fortereffe à l'autre au moyen d'un porte-voix. La nouvelle, outre le mérite de la régularité & d'une exécution fupérieure, a celui de la fituation la plus avantageufe; on y eft auffi abreuvé par un puits, qu'on a taillé à grands frais dans le roc, & dont l'eau eft fort bonne. Entre l'ancienne & la nouvelle fortereffe, on a on a pratiqué une éclufe, moyennant laquelle tout le terrein du milieu & une partie des environs peut être inondé. La ville en ellemême est très-forte aujourd'hui, & l'on peut avancer en général, que fous fon nouveau maître elle eft devenue beaucoup plus propre, plus réguliere & plus élégante. On y compte 400 maifons indépendamment de plufieurs fauxbourgs, qui portent les noms de Frankenftein, d'Angel, de marché aux chevaux & de Neulændel. Les jéfuites occupoient l'églife paroiffiale, dans laquelle on révere une image miraculeufe. Le college & le féminaire occupés ci-devant par des jéfuites, font tout près de la paroiffe. En 1742 on a bâti dans la rue de Frankenstein, près de la porte, une églife Luthérienne à l'ufage de la garnifon & des autres habitans de cette religion, Hors de la ville on trouve dans le fauxbourg, nommé le marché aux chevaux, une églife & un couvent des freres mineurs fous le vocable de Notre Dame des fables. Les cordeliers ont un couvent & une église devant la porte de Frankenstein, où l'on voit auffi un hopital avec une églife. Les fermes des fauxbourgs tombent partie aux gentilshommes & aux bourgeois de la ville, partie aux maisons religieufes. Il y a auffi deux grands moulins royaux, & près du couvent des cordeliers fe trouvent deux grands magafins de grains & de farine avec une boulangerie. Les habitans de la ville font aifés; les bourgeois & manans dépendent du magiftrat. Il y eut anciennement dans ce lieu un bourg appellé Lucca; mais le roi Henri I y fit bâtir la ville de Glatz en 936; cependant différens indices font fufpecter l'authenticité de la charte, que Kahlo a inférée dans les mémoires. de ce comté. La ville fut fouvent dévastée & réduite en cendres, parce qu'elle étoit une pomme de difcorde entre les Polonois & les Bohémiens. En 1015 & 1033 elle fut ravagée par des embrafemens fortuits; en 1056 elle fut prife & brûlée par l'empereur Conrad, & les incendies de 1463, 1469 & 1524 ne lui furent pas moins funeftes. Parmi les différens fieges, qu'elle a effuyés, celui de 1622 par l'empereur Ferdinand II & fes alliés fut le plus rude. En 1742 les Pruffiens la prirent par capitulation; les Autrichiens s'en emparerent en 1760.

GLOIRE, f. f. L'éclat de la bonne renommée.

L'ESTIME eft un fentiment tranquille & personnel; l'admiration, ua mouvement rapide & quelquefois momentané; la célébrité, une renommée étendue; la Gloire, une renommée éclatante, le concert unanime & foutenu d'une admiration univerfelle.

L'eftime a pour bafe l'honnête; l'admiration, le rare & le grand dans le bien moral ou phyfique; la célébrité, l'extraordinaire, l'étonnant pour la multitude; la Gloire, le merveilleux.

Nous appellons merveilleux ce qui s'éleve ou femble s'élever au-deffus des forces de la nature ainfi la Gloire humaine, la feule dont nous parlons ici, tient beaucoup de l'opinion; elle eft vraie ou fauffe comme elle. Il y a deux fortes de fauffe Gloire; l'une eft fondée fur un faux merveilleux; l'autre fur un merveilleux réel, mais funefte. Il femble qu'il y ait auffi deux efpeces de vraie Gloire; l'une fondée fur un merveilleux agréable; l'autre fur un merveilleux utile au monde : mais ces deux objets n'en font qu'un.

La Gloire fondée fur un faux merveilleux, n'a que le regne de l'illufion, & s'évanouit avec elle telle eft la Gloire de la profpérité. La profpérité n'a point de Gloire qui lui appartienne; elle ufurpe celle des talens & des vertus, dont on fuppofe qu'elle eft la compagne elle en eft bientôt dépouillée, fi l'on s'apperçoit que ce n'eft qu'un larcin; & pour l'en convaincre, il fuffit d'un revers, eripitur perfona, manet res. On adoroit la fortune dans fon favori; il eft difgracié, on le méprife mais ce retour n'eft que pour le peuple; aux yeux de celui qui voit les hommes en euxmêmes, la profpérité ne prouve rien, l'adverfité n'a rien à détruire.

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Qu'avec un efprit fouple & une ame rampante, un homme né pour l'oubli s'éleve au fommet de la fortune; qu'il parvienne au comble de la faveur, c'eft un phénomene que le vulgaire n'ofe contempler d'un œil fixe; il admire, il fe profterne; mais le fage n'eft point ébloui; il découvre les taches de ce prétendu corps lumineux, & voit que ce qu'on appelle fa lumiere, n'eft rien qu'un éclat réfléchi, fuperficiel & paffager.

La Gloire fondée fur un merveilleux funefte, fait une impreffion plus durable; & à la honte des hommes, il faut un fiecle pour l'effacer : telle eft la Gloire des talens fupérieurs, appliqués au malheur du monde.

Le genre de merveilleux le plus funefte, mais le plus frappant, fut toujours l'éclat des conquêtes. Il va nous fervir d'exemple, pour faire voir aux hommes combien il eft abfurde d'attacher la Gloire aux caufes de leurs malheurs.

Vingt mille hommes dans l'efpoir du butin, en ont suivi un feul au carnage. D'abord un feul homme à la tête de vingt mille hommes détermi

nés & dociles, intrépides & foumis, a étonné la multitude. Ces milliers d'hommes en ont égorgé, mis en fuite, ou fubjugué un plus grand nombre. Leur chef a eu le front de dire, j'ai combattu, je fuis vainqueur ; & l'univers a répété, il a combattu, il eft vainqueur: de-là le merveilleux & la Gloire des conquêtes.

Savez-vous ce que vous faites, peut-on demander à ceux qui célébrent les conquérans? Vous applaudiffez à des gladiateurs qui s'exerçant au milieu de vous, fe difputent le prix que vous réservez à qui vous portera les coups les plus fûrs & les plus terribles. Redoublez d'acclamations & d'éloges. Aujourd'hui ce font les corps fanglans de vos voifins qui tombent épars dans l'arene; demain ce fera votre tour.

Telle eft la force du merveilleux fur les efprits de la multitude. Les opérations productrices font la plupart lentes & tranquilles; elles ne nous étonnent point. Les opérations deftructives font rapides & bruyantes; nous les plaçons au rang des prodiges. Il ne faut qu'un mois pour ravager une province; il faut dix ans pour la rendre fertile. On admire celui qui l'a ravagée; à peine daigne-t-on penfer à celui qui la rend fertile. Faut-il s'étonner qu'il fe faffe tant de grands maux & fi peu de grands biens?

Les peuples n'auront-ils jamais le courage ou le bon fens de fe réunir contre celui qui les immole à fon ambition effrénée, & de lui dire d'un côté comme les foldats de Céfar:

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De l'autre côté, comme le Scythe à Alexandre: » Qu'avons-nous à démê»ler avec toi ? Jamais nous n'avons mis le pied dans ton pays. N'eft-il pas » permis à ceux qui vivent dans les bois d'ignorer qui tu es & d'où D tu viens? "

N'y aura-t-il pas du moins une claffe d'hommes affez au-deffus du vulgaire, affez fages, affez courageux, affez éloquens, pour foulever le monde contre fes oppreffeurs, & lui rendre odieufe une Gloire barbare?

Les gens de lettres déterminent l'opinion d'un fiecle à l'autre; c'eft par eux qu'elle eft fixée & tranfmife; en quoi ils peuvent être les arbitres de la gloire, & par conféquent les plus utiles des hommes ou les plus per

nicieux.

Vixere fortes ante Agamemnona

Multi; fed omnes illacrymabiles
Urgentur, ignotique longa

Node: carent quia vate facro.

Horat.

Abandonnée au peuple, la vérité s'altere & s'obfcurcit par la tradition;

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elle s'y perd dans un déluge de fables. L'héroïque devient abfurde en paffant de bouche en bouche d'abord on l'admire comme un prodige, bientôt on le méprife comme un conte furanné, & l'on finit par l'oublier. La faine poftérité ne croit des fiecles reculés, que ce qu'il a plu aux écrivains

célébres.

Louis XII difoit : » Les Grecs ont fait peu de chofes, mais ils ont enno» bli le peu qu'ils ont fait par la fublimité de leur éloquence. Les Fran»çois ont fait de grandes chofes & en grand nombre; mais ils n'ont pas » fu les écrire. Les feuls Romains ont eu le double avantage de faire de » grandes chofes, & de les célébrer dignement. " C'est un roi qui reconnoît que la Gloire des nations eft dans les mains des gens de lettres.

Mais, il faut l'avouer, ceux-ci ont trop fouvent oublié la dignité de leur état; & leurs éloges proftitués aux crimes heureux, ont fait de grands maux à la terre.

Demandez à Virgile quel étoit le droit des Romains fur le refte des hommes, il vous répond hardiment.

Parcere fubjedis, & debellare fuperbos.

Demandez à Solis ce qu'on doit penfer de Cortès & de Montezuma, des Mexiquains & des Espagnols; il vous répond que Cortès étoit un héros, & Montezuma un tyran; que les Mexiquains étoient des barbares, & les Efpagnols des gens de bien.

En écrivant on adopte un perfonnage, une patrie; & il femble qu'il n'y ait plus rien au monde, ou que tout foit fait pour eux feuls. La patrie d'un fage eft la terre, fon héros eft le genre-humain.

Qu'un courtifan foit un flatteur, fon état l'excufe en quelque forte & le rend moins dangereux. On doit fe défier de fon témoignage; il n'eft pas libre mais qui oblige l'homme de lettres à fe trahir lui-même & fes femblables, la nature & la vérité?

Ce n'eft pas tant la crainte, l'intérêt, la baffeffe, que l'éblouiffement, l'illufion, l'enthoufiafme, qui ont porté les gens de lettres à décerner la Gloire aux forfaits éclatans. On eft frappé d'une force d'efprit ou d'ame furprenante dans les grands crimes, comme dans les grandes vertus; mais là, par les maux qu'elle caufe; ici, par les biens qu'elle fait car cette force eft dans le moral, ce que le feu eft dans le phyfique, utile ou funefte comme lui, fuivant fes effets pernicieux ou falutaires. Les imaginations vives n'en ont vu l'explofion que comme un développement prodigieux des refforts de la nature, comme un tableau magnifique à peindre. En admirant la caufe on a loué les effets: ainfi les fléaux de la terre en font devenus les héros.

Les hommes nés pour la Gloire, l'ont cherchée où l'opinion l'avoit mife. Alexandre avoit fans ceffe devant les yeux la fable d'Achille; Char

les

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les XII, l'hiftoire d'Alexandre : de-là cette émulation funefte qui de deux rois pleins de valeur & de talens, fit deux guerriers impitoyables. Le roman de Quinte-Curce a peut-être fait le malheur de la Suede; le poëme d'Homere, les malheurs de l'Inde; puiffe l'hiftoire de Charles XII, ne perpétuer que fes vertus!

Le fage feul eft bon poëte, difoient les Stoïciens. Ils avoient raison : fans un efprit droit & une ame pure, l'imagination n'eft qu'une Circé, & l'harmonie qu'une firene.

Il en eft de l'hiftorien & de l'orateur comme du poëte: éclairés & vertueux, ce font les organes de la juftice, les flambeaux de la vérité : paffionnés & corrompus, ce ne font plus que les courti fans de la profpérité, les vils adulateurs du crime.

Les philofophes ont ufé de leurs droits, & parlé de la Gloire en maîtres. >> Savez-vous, dit Pline à Trajan, où réfide la Gloire véritable, la Gloire » immortelle d'un fouverain? Les arcs de triomphes, les ftatues, les temples même & les autels, font démolis par le temps; l'oubli les efface » de la terre: mais la Gloire d'un héros, qui fupérieur à fa puiffance » illimitée, fait la dompter & y mettre un frein, cette Gloire inaltérable » fleurira même en vieillisfant.

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» En quoi reffembloit à Hercule ce jeune infenfé qui prétendoit fuivre » fes traces, dit Seneque, en parlant d'Alexandre, lui qui cherchoit la » Gloire fans en connoître ni la nature ni les limites, & qui n'avoit pour » vertu qu'une heureuse témérité? Hercule ne vainquit jamais pour lui» même; il traverfa le monde pour le venger, & non pour l'envahir. » Qu'avoit-il befoin de conquêtes, ce héros, l'ennemi des méchans, le » vengeur des bons, le pacificateur de la terre & des mers? Mais Alexan»dre, enclin dès l'enfance à la rapine, fut le défolateur des nations, le » fléau de fes amis & de fes ennemis. Il faifoit confifter le fouverain bien » à fe rendre redoutable à tous les hommes; il oublioit que cet avantage » lui étoit commun non-feulement avec les plus féroces, mais encore avec » les plus lâches & les plus vils des animaux qui fe font craindre par » leur venin, «<

C'eft ainfi que les hommes nés pour inftruire & pour juger les autres hommes, devroient leur préfenter fans ceffe en oppofition la valeur protectrice & la valeur deftructive, pour leur apprendre à diftinguer le culte de l'amour de celui de la crainte, qu'ils confondent le plus fouvent.

Il fuffit, direz-vous, à l'ambitieux d'être craint; la crainte lui tient lieu d'amour il domine, fes vœux font remplis. Mais l'ambitieux livré à luimême, n'est plus qu'un homme foible & timide. Perfuadez à ceux qui le fervent qu'ils fe perdent en le fervant; que fes ennemis font leurs freres, & qu'il eft leur bourreau commun. Rendez-le odieux à ceux même qui le rendent redoutable; que devient alors cet homme prodigieux devant qui tout devoit trembler? Tamerlan, l'effroi de l'Afie, n'en fera plus que

Tome XX.

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