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qui font un trafic des remedes contre les maladies, & des moyens pour entretenir la fanté. Les Tartares peu fufceptibles de réforme, n'ont fait que changer le nom des anciennes erreurs ; & tout ce qui infecta la raison des anciens Germains, fe présente aujourd'hui fous un afpect nouveau.

Je ne toucherai que fuperficiellement l'hiftoire militaire des Germains. Après avoir mis leur gloire à s'exterminer eux-mêmes, ils tournerent leurs armes contre l'étranger. Leurs premieres expéditions furent dans les Gaules, où ils fe rendirent les maîtres de tout le pays d'entre l'Elbe & le Rhin, & fur-tout de la Belgique, dont Augufte dans la fuite fit deux provinces fous le nom de Belgique fuperieure & intérieure. La facilité de leurs premieres conquêtes, leur infpira l'audace d'attaquer les Romains & de réduire en cendres la capitale du monde; on vit alors s'allumer cette guerre mémorable, qui fit couler tant de fang, & qui ne fut terminée que par la difperfion & le maffacre des Teutons & des Cimbres. Les défaites de ces deux peuples n'abattirent point le courage des autres nations Germaniques. Les nouveaux ravages qu'ils exercerent dans les Gaules, forcerent les habitans à implorer le fecours des Romains. Célar chargé du foin de cette guerre, fut d'abord étonné d'avoir à combattre un ennemi, qui vivoit dans le dédain du luxe & des voluptés, qui n'avoit d'autre métier que la guerre, & d'autres richeffes que fes armes. Les dépouilles des bêtes tuées à la chaffe les couvroient pendant la nuit & leur servoient d'habits pendant le jour. Contempteurs des métaux qu'ils méprifoient comme les femences ou les alimens de tous les vices, on ne les voyoit point fouiller dans les entrailles de la terre pour en tirer l'or que la nature prévoyante y a caché il leur paroiffoit plus beau de fe procurer des fubfiftances les armes à la main, que d'attendre les productions incertaines de leur fol.

Arioviste appellé par les Auvergnats, fe vit bientôt à la tête d'une armée de cent vingt mille hommes : le général Romain, trop foible pour arrêter ce torrent, eut recours à la négociation dont l'orgueil d'Arioviste empêcha le fuccès. Mais ce chef des Barbares qui ignoroit l'art de négocier, fut malheureux à combattre. Céfar, vainqueur, l'obligea de repaffer le Rhin. Les autres Germains établis en deçà du fleuve, craignirent_d'éprouver la même deftinée & ce fut pour prévenir leur perte qu'ils firent une ligue avec les Belges & plufieurs autres peuples de la Germanie : leurs forces réunies formoient une armée de deux cents quatre vingt mille combattans. Cette milice trop nombreuse ne pouvoit trouver des vivres fuffifans. Céfar jugea à propos de temporifer, & au-lieu d'employer la force, il fema la divifion & la jaloufie parmi ces différens peuples. Cet effaim difperfé fut facile à détruire, & chaque canton trop foible pour réfifter, fut obligé de mettre bas les armes & de foufcrire aux conditions prefcrites par le vainqueur. Les Nerviens, foutenus des Artefiens & de plufieurs autres nations, aimerent mieux tenter la fortune que d'accepter des conditions humiliantes. Leur fierté fut punie par leur défaite. Céfar

Tome XX.

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trouva en eux des ennemis dignes de lui: la réfiftance fut fi opiniâtre, que de foixante mille Nerviens, il ne s'en fauva que cinq cents. Les Eburons qui étoient arrivés trop tard pour combattre, furent attaqués dans leur marche, & trop foibles pour oppofer de la résistance, ils fe rendi- rent fans tenter le fort d'un combat trop inégal. Tous ces lâches captifs furent mis à l'encan & vendus comme efclaves.

Les Sueves étoient les peuples les plus belliqueux de la Germanie : divifés en plufieurs tribus, ils occupoient une grande étendue de pays, où inacceffibles aux invasions étrangeres, ils alloient au loin chercher des ennemis fans s'informer de leur nombre: ils tenoient leurs affemblées dans d'épaiffes forêts, où pour fe rendre les dieux propices, ils immoloient une victime humaine : toutes les nations trembloient au bruit de leur nom : plufieurs peuples qu'ils avoient chaffés de leurs poffeffions implorerent l'affiftance de Céfar, qui cherchoit des alliés pour en faire des efclaves. Après la mort de ce dictateur, Augufte, fon fucceffeur, fit marcher douze légions contre les Sicambres, les Tin&teres & les Ufipetes. Lollius chargé de cette guerre, fut vaincu dans le premier combat; mais ayant reçu un nouveau renfort, il répara la honte de fa défaite. Les Sicambres obtinrent la paix, à des conditions qu'ils dicterent eux-mêmes.

Drufus qui dans la fuite porta le furnom de Germanicus marcha contre les Rhétiens, barbares qui tuoient tous les enfans mâles de leurs ennemis, dans l'efpoir d'en extirper la race: la deftinée des femmes enceintes dépendoit des décifions des devins, & lorfque ces impofteurs affuroient qu'elles portoient un fils dans leur fein, les Rhétiens les égorgeoient pour en tirer ces maffes à peine animées, qui tenoient un milieu entre le néant & la vie. Les femmes émules du courage des hommes, fe précipi toient en chantant dans la mêlée, ou confondues avec les autres combattans, elles donnoient à tous l'exemple de la plus tranquille intrépidité. Drufus après les avoir vaincus, marcha contre les Cattes, qu'il pourfuivit jusqu'à l'Elbe, les armes Romaines n'avoient point encore pénétré. Il érigea fur les bords du fleuve plufieurs monumens pour perpétuer la gloire de fon expédition. Il n'ofa en hafarder le paffage & ne pouvant conquérir, il ne s'occupa qu'à détruire. Les ravages qu'il exerça le rendirent l'exécration des nations Germaniques, qui employoient fon nom pour défigner la pefte & les autres fléaux de l'humanité. Tibere, quelque temps après, rendit tributaires tous les peuples, depuis le Rhin jufqu'à l'Ebre: les vaincus furent obligés de donner des filles pour garans de leur fidélité. Le refpect qu'ils avoient pour le fexe, étoit le frein le plus puiffant pour réprimer leur caractere inquiet & turbulent. Mais rien n'étoit capable d'étouffer en eux, le fentiment généreux de l'indépendance. Les Allemands, les Bructeres & les Caninefates, reprirent les armes, ne voyant d'autre alternative, ou que de mourir, ou de vivre libres. La fortune trahit leur courage, ils furent battus par Tibere qui pouffa ses conquêtes

jufqu'au-delà du Vezer. La défaite d'un peuple, étoit le prélude d'une nouvelle guerre dans un autre canton. Marobade donné en otage aux Romains reçut une éducation qui devint funefte à fes maîtres trop fier pour fléchir fous le joug de l'étranger, il conçut le projet d'être le libérateur de la Germanie. Il appelle fous fes drapeaux les peuples les plus belliqueux. Il étonne par fes vengeances ceux que la crainte avoit empêché de fe joindre à lui. Augufte, alarmé de la défection de fes alliés, lui offrit une paix d'autant plus honorable qu'il le laiffa l'arbitre des conditions. Parmi les légions que Tibere laiffa fur le Rhin, il y avoit un jeune Catte, qui comblé des bienfaits d'Augufte, fe reffouvint que fa patrie étoit fa premiere bienfaitrice. Inftruit que les Cattes & les Cherufques le demandoient pour marcher à leur tête, il paffa dans le camp de Marobade, fuivi d'un grand nombre de transfuges, & bientôt il fe vit affez puiffant pour balancer la fortune des Romains. Varus au premier bruit de cette révolution fait marcher fes légions, & dans fa marche il fe voit attaqué par un effaim de Barbares, dont la plupart avoient appris l'art de la guerre à l'école de leurs tyrans. Les Romains accablés par le nombre, font égorgés fans pitié; leur général lâchement abandonné, fe perce de fon épée pour ne pas furvivre à la honte de sa défaite. La nouvelle de ce défaftre plongea Rome dans la confternation. Augufte en perdit l'ufage de fa raifon, & dans fon délire, il s'écrioit, Varus, rends-moi mes légions. Rome alarmée, crut voir fes palais & fes temples réduits en cendres. L'on fit de nouvelles levées & l'on infligea même, peine de mort, à quiconque refuferoit de s'enrôler. Augufte mourut fans avoir tiré vengeance de cet affront. Tibere qui lui fuccéda, occupé à cimenter fa nouvelle puiffance, n'eut point l'ambition d'acquérir, & les légions du Danube & du Rhin fe revolterent. Ce feu auroit embrafé l'empire, fi Germanicus, qu'on vouloit proclamer empereur, avoit eu autant d'ambition que d'amour pour la vraie gloire. Sa douceur & fa modération calmerent les rebelles. Quoique ce prince eut tous les talens qui forment l'honnête homme & le héros, il eut fuccombé fous la puiffance de tant d'ennemis prêts à tout ofer fous les ordres d'Arminius. La jaloufie de Segefte, Germain très-puiffant, favorifa les progrès des Romains. Cet indigne citoyen aimant mieux être le premier esclave à Rome, que le fecond officier dans fa patrie, traversa tous les deffeins du héros Germanique, également redouté après fes défaites ou fes victoires. Il eut été le libérateur de fon pays fi la trahifon n'en eut délivré les Romains. Il fut lâchement affaffiné à l'âge de trente-fept ans. Les Germains pour perpétuer fa mémoire, conferverent fon nom dans leurs hymnes.

Les Germains vécurent en paix jufque fur la fin du régne de Caligula, qui marcha contre eux, avec une armée de deux cents mille combattans fans compter les gladiateurs & les comédiens; mais à peine fut-il entré fur leurs terres que, faifi d'une terreur panique, il retourna fur fes pas avec la même célérité que s'il eut effuyé une défaite. Les Germains jete

rent un nouvel éclat fous la conduite d'Italus, fils d'un pere, qui avoit trahi fa patrie pour fe vendre aux Romains. Elevé lui-même à la cour des empereurs & comblé de leurs bienfaits, il ne vit en eux que les tyrans de fon pays. Appellé par les Cherufques, il effaça bientôt la tache de fon origine; mais il ne combattit que pour faire triompher des ingrats, qui le dépouillerent du commandement & l'obligerent de fe réfugier chez les

Lombards.

Après la mort de Galba, l'empire parut pencher vers fa ruine. Civilis, Batave d'origine, faifit cette occafion pour tenter d'affranchir fa patrie. Ce digne Germain, pour mieux colorer fes deffeins, affecta d'être le partifan de Vefpafien, & fous ce prétexte, il convoqua les principaux chefs de fa nation dans un bois facre. Son éloquence naturelle les entraina dans la rebellion il fe forma une confédération de différens peuples, qui d'une voix unanime, le proclamerent chef de toute la Germanie, en l'élevant fur le bouclier militaire. Le maffacre général des marchands Romains, fut le prélude d'une guerre opiniâtre. Les deux premieres batailles que Civilis livra, furent deux victoires qui lui firent des alliés, de tous ceux qui retenus par une prudence timide n'avoient encore ofé fe déclarer. Fier de fes fuccès, il publie qu'il ne combat, ni pour Vitellius, ni pour Vefpafien; mais pour faire rentrer fon pays dans le privilege de fon ancienne indépendance. Tandis qu'il triomphe fur le Rhin, les Sarmates tiennent affiégées, les légions de Méfie & de Pannonie. Ce fut alors que pour la premiere fois, on vit des Romains quitter en corps leur drapeau, pour fe ranger fous les enfeignes du Barbare. Labeon, pour arrêter ce torrent, lui oppose une armée de Nerviens, de Tongres & de Betufiens. Civilis, ne vit que fes freres dans ces lâches Germains, armés contre lui; & quand il pouvoit les punir, il fe préfenta à eux, fur le pont de la Mofelle: dès qu'il les apperçut, il jeta fes armes dans le fleuve, & leur dit à haute voix, » Germains, c'eft pour la caufe commune, c'eft pour vous que je > combats, fi vous ne daignez point me reconnoître pour votre général, » permettez-moi de marcher fous vos enfeignes comme fimple foldat: ces paroles prononcées avec une mâle affurance, produifirent leur effet. Ces peuples abandonnerent les Romains & embrafferent la cause commune. Telle étoit l'intrépidité qu'il avoit infpirée à tous les Germains que Valentin, un de fes lieutenans, tombé au pouvoir des Romains, fut condamné à perdre la tête. Dans le temps qu'on lui lifoit fon arrêt, il apprend que fon pays venoit d'être fubjugué. Auffitôt il s'écrie, puisque mes concitoyens font efclaves, il n'y en a aucun qui ne doive envier mon fort, & auffitôt il pria de hâter fon fupplice. Les Romains défefpérant de terminer la guerre par les armes, entamerent une négociation : & la paix fut conclue à des conditions honorables pour les Germains. Les Bataves ne furent point traités en rebelles. Les Romains les regarderent comme des alliés utiles. Les autres peuples furent remis en poffeffion de leurs terres.

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Sous le regne du dernier des douze Céfars, les Daces foutenus des Marcomans, se répandirent dans les plus belles provinces de l'empire. Ce fut dans cette guerre que les tyrans des nations devinrent eux-mêmes tributaires, en le foumettant à payer une fomme annuelle à des barbares, qui menaçoient de réduire en cendres le Capitole. Trajan gagna les Germains par fes bienfaits, & ce fut d'eux qu'il fe fervit pour affranchir l'empire d'un tribut déshonorant, & pour réduire la Dacie en province Romaine. Quand les Germains n'eurent plus d'ennemis étrangers, ils tournerent leurs armes contre eux-mêmes, & pendant quarante ans, les cités furent déchirées par des guerres domeftiques; mais enfin, revenus de cette ivreffe impie, ils fe réunirent & formerent cette fameufe ligue, qui ébranla l'empire jufque dans fes fondemens. Ce fut ce qui donna naiffance à cet effaim de barbares, qui changea la face du monde, en lui donnant de nouveaux oppreffeurs qui fe rendirent malheureusement célébres fous le nom de Quades, de Vandales, de Sueves, de Goths, la plupart de ces peuples font tombés dans un oubli dont il eft difficile de les tirer. On ne peut déterminer quel en étoit le nombre & même le nom particulier de chacun: ces auteurs contemporains défignent quelquefois la même tribu par différentes dénominations. Les Francs font nommés indiftin&tement Sicambres ou Saliens, &c. Ainfi comme on n'a point de guides fideles, on eft fans ceffe en danger de s'égarer. Je ne ferai mention que des principales

tribus.

Les Cattes qui n'ont point tranfmis leur nom à leurs defcendans, étoient les peuples les plus puiffans de la Germanie; leur territoire s'étendoit depuis la rive droite du Rhin, jufqu'à la forêt d'Hircine d'Orient en Occident & depuis les fources du Mein, jufqu'au pays des Cherufques du Midi au Septentrion. Tacite nous apprend que les armées nombreufes qu'ils mettoient fur pied, contenoient autant de cavalerie que d'infanterie : c'étoit de tous les Germains le peuple le plus refpecté par fon amour pour la juftice. Ils ne favoient ni faire, ni fouffrir de violence, & quoiqu'ils euffent toujours les armes à la main, ils ne s'en fervoient que pour entretenir la paix & non pour la troubler. Leurs habitations fur des lieux élevés étoient faines, parce qu'elles n'étoient point marécageufes. C'étoit une chaîne de collines qui s'abaiffoit infenfiblement à mesure qu'on avançoit vers le centre du pays. La conftance des Cattes, à pourfuivre leurs deffeins, en affuroit le fuccès. Leur difcernement brilloit dans le choix de leurs généraux, qui juftifioient toujours qu'ils étoient dignes de commander. Le foldat docile & obéiffant ne défertoit jamais le drapeau : il étoit fon propre législateur & fe prefcrivoit lui-même une difcipline févere, que le général le mieux obéi, n'eut jamais ofé lui impofer. L'infanterie formée fur le modele de la légion Romaine, étoit péfamment armée. Chaque fantaffin portoit des provifions pour plufieurs jours, avec tous les outils néceffaires pour faire des retranchemens. Leurs guerres n'étoient point des

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