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étoit perfuadé qu'avant de quitter la terre, elle pouffoit un fi grand cri, que celui qui l'arrachoit, tomboit mort à ce bruit. Enfuite on attachoit cette plante à la queue d'un chien noir. On attribuoit à cette racine, bien des propriétés. Elles procuroient, dit-on, des accouchemens fans douleur, elles rendoient fécondes les femmes ftériles. Elles donnoient la fanté & les biens. Et le plaideur qui en portoit fur lui, fe rendoit les juges favorables. Elles révéloient encore à certains poffeffeurs privilégiés tous les fecrets de l'avenir, & par un fimple mouvement, elles leur prefcrivoient des regles de conduite. De fi fages conducteurs s'achetoient fort cher. Des charlatans facrés en faifoient un commerce fcandaleux, & comme rien n'eft mieux payé que les artifans de l'erreur, on voyoit des imbécilles épuifer leur fortune, pour fe procurer ces dieux lares ou domeftiques. Les dévots ne fe bornoient point à les prier. Ils les tenoient enfermés dans une caffette de prix, où ils repofoient mollement fur de la laine ou de la foie. On les purifioit tous les famedis dans un bain de lait ou de vin. Ils étoient fervis à table comme des hôtes diftingués, & lorfqu'on fe difpenfoit de ce devoir, ils pouffoient des cris comme des enfans preffés par le befoin: c'étoit à les parer que les dévots faifoient éclater leur magnificence. Et toutes les nouvelles lunes, on les changeoit d'habits. Quand le christianisme fe fut élevé fur les débris de l'idolâtrie, un refte de ces fuperftitions infecta les champs de l'évangile, & malgré les foudres de l'é glife, on en voit encore des traces chez les hommes ignorans & groffiers.

Les Germains dans les folemnités donnoient des feftins, où l'on fervoit les mêts les plus rares. Après avoir partagé les viandes, dont on laiffoit aux Dieux la portion la plus délicate, on s'enyvroit en leur honneur. On découvre encore chaque jour dans les tombeaux, les vafes, les couteaux, & les uftenfiles dont on fe fervoit dans ces orgies. On conjecture que ce fut des Lectifternes, des Grecs, & des Romains qu'ils emprunterent, ce feftin religieux qui étoit en ufage chez les Scythes. De toutes les fuperftitions la divination étoit la plus accréditée : c'étoient les femmes fur-tout, qui avoient la réputation d'exceller dans les fortileges & les maléfices. Le refpect qu'elles avoient inspiré pendant leur vie, les fuivoit jufques dans leur tombeau, & plufieurs partagerent, après leur mort, les honneurs qu'on rendoit aux Dieux. Voici quelles étoient les principales divinités des Germains.

Tuifton fut le premier objet du culte religieux; il paffa pour être le fils de la terre, fans doute parce qu'il fut un aventurier dont on ignoroit l'origine. On lui attribuoit l'invention de l'écriture & de l'alphabet, avant que Cadmus en eut fait préfent à la Grece. Il polit les mœurs des Germains, il inflitua des loix & des rites facrés. La reconnoiffance publique le plaça au rang des Dieux. Mannus fon fils, dont tous les peuples Germains prétendent être defcendus, fut fon fucceffeur au trône, & partagea les honneurs de fon apothéofe. Dans les folemnités, on chantoit des hymnes en vers, où leurs bienfaits étoient célébrés. Lorfque par leurs relations

avec les étrangers, les Germains introduifirent des nouveautés dans leur culte, ils eurent des ftatues & des fymboles bizarres. La figure appellée Chrodo, repréfentoit un vieillard couvert d'une robe, qui ne laiffoit appercevoir que fes pieds: il avoit la tête nue, & dans fa main gauche, il tenoit une roue, & dans la droite une corbeille de fleurs & de fruits, if avoit la tête nue, & étoit appuyé fur un grand poiffon. On comptoit encore fept autres divinités. Proavo étoit un Dieu qui préfidoit à la juftice, dans les marchés publics. Il tenoit dans une main une pique, & dans l'autre un écu d'armes. Porevith veilloit fur les dépouilles enlevées à l'ennemi. Cette idole avoit cinq têtes fur les épaules, & une fixieme fur la poitrine. Le piéd'eftal de fa ftatue étoit orné de piques, de lances, de javelots & de poignards. Suantovith, que quelques-uns confondent ave Mars, étoit vêtu d'une cuiraffe, & avoit quatre têtes. Rodigaft armé d'une pique avoit un aigle fur la tête, & une tête de bœuf fur la poitrine. La déeffe Siva étoit représentée dans une parfaite nudité. Ses cheveux flottans lui defcendoient jufqu'aux genoux. Elle préfidoit à la fanté, & quelquesuns reconnoiffent à fes traits la mere de l'Amour. Enfin la déeffe Flyas qu'on repréfentoit couverte d'un manteau, & tenant un lion dans fa main gauche, & une torche allumée dans la droite.

Chaque canton de la Germanie eut fes héros qui reçurent les honneurs de l'apothéose. A l'exemple des autres nations, elle eut fon hercule on raconte que ce fut un roi des Boïens, qui, pendant fa vie triomphante fut la terreur de fes voifins, & les délices de fes fujets. Il avoit pris le lion pour fon fymbole, & après fa mort il fut adoré comme le Dieu de la guerre; on n'alloit jamais à l'ennemi fans l'invoquer, & fans célébrer fes louanges. Chaque canton eut fes héros, & un objet particulier de fon culte. Irminful fut le Dieu des Saxons. Radagaife celui des Herules. Barin roi des Francs, reçut auffi les honneurs divins. Chaque ville avoit fes Dieux protecteurs. Lunebourg adoroit la lune, Jupiter Ammon avoit fes autels dans Hambourg. Mafpurg étoit la ville de Mars. Chaque contrée ainfi que chaque ville, avoit fa divinité tutélaire : mais malgré cette diversité de culte, tous les peuples fe réuniffoient pour adorer Belbuch & Zéomebuch, dont l'un blanc étoit le génie bienfaifant, & l'autre noir étoit refpe&té comme l'auteur des maux, qu'il pouvoit caufer ou prévenir. Il est une obfervation digne des philofophes. C'eft que plus l'on s'approche du Pôle, plus l'on trouve les anciens préjugés dominer fur les efprits. Dans ces temps où l'on vante les progrès de la raifon, on voit les habitans de la Norwege fe glorifier de l'empire qu'ils exercent fur les vents, & qui en font un commerce fcandaleux avec des étrangers plus imbécilles qu'eux. C'eft encore la patrie des fortileges & des enchantemens. Certains peuples de Sibérie admettent des génies malfaifans, d'où dépend le fuccès de leur chaffe & de leur pêche, & il n'y a point dans ces affreux climats de fource plus abondante, que celles que la crédulité ouvre à ces impofteurs,

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qui font un trafic des remedes contre les maladies, & des moyens pour entretenir la fanté. Les Tartares peu fufceptibles de réforme, n'ont fait que changer le nom des anciennes erreurs ; & tout ce qui infecta la raison des anciens Germains, fe préfente aujourd'hui fous un afpect nouveau.

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Je ne toucherai que fuperficiellement l'hiftoire militaire des Germains. Après avoir mis leur gloire à s'exterminer eux-mêmes, ils tournerent leurs armes contre l'étranger. Leurs premieres expéditions furent dans les Gaules où ils fe rendirent les maîtres de tout le pays d'entre l'Elbe & le Rhin, & fur-tout de la Belgique, dont Augufte dans la fuite fit deux provinces fous le nom de Belgique fuperieure & intérieure. La facilité de leurs premieres conquêtes, leur infpira l'audace d'attaquer les Romains & de réduire en cendres la capitale du monde ; on vit alors s'allumer cette guerre mémorable , qui fit couler tant de fang, & qui ne fut terminée que par la difperfion & le maffacre des Teutons & des Cimbres. Les défaites de ces deux peuples n'abattirent point le courage des autres nations Germaniques. Les nouveaux ravages qu'ils exercerent dans les Gaules, forcerent les habitans à implorer le fecours des Romains. César chargé du foin de cette guerre, fut d'abord étonné d'avoir à combattre un ennemi, qui vivoit dans le dédain du luxe & des voluptés, qui n'avoit d'autre métier que la guerre, & d'autres richeffes que fes armes. Les dépouilles des bêtes tuées à la chaffe les couvroient pendant la nuit & leur fervoient d'habits pendant le jour. Contempteurs des métaux qu'ils méprifoient comme les femences ou les alimens de tous les vices, on ne les voyoit point fouiller dans les entrailles de la terre pour en tirer l'or que la nature prévoyante y a caché il leur paroiffoit plus beau de fe procurer des fubfiftances les armes à la main, que d'attendre les productions incertaines de leur fol. Arioviste appellé par les Auvergnats, fe vit bientôt à la tête d'une armée de cent vingt mille hommes : le général Romain, trop foible pour arrêter ce torrent, eut recours à la négociation dont l'orgueil d'Arioviste empêcha le fuccès. Mais ce chef des Barbares qui ignoroit l'art de négocier, fut malheureux à combattre. Céfar, vainqueur, l'obligea de repaffer le Rhin. Les autres Germains établis en deçà du fleuve, craignirent d'éprouver la même deftinée & ce fut pour prévenir leur perte qu'ils firent une ligue avec les Belges & plufieurs autres peuples de la Germanie: leurs forces réunies formoient une armée de deux cents quatre vingt mille combattans. Cette milice trop nombreuse ne pouvoit trouver des vivres fuffifans. Céfar jugea à propos de temporifer, & au-lieu d'employer_la force, il fema la divifion & la jaloufie parmi ces différens peuples. Cet effaim difperfé fut facile à détruire, & chaque canton trop foible pour réfifter, fut obligé de mettre bas les armes & de foufcrire aux conditions prefcrites par le vainqueur. Les Nerviens, foutenus des Artefiens & de plufieurs autres nations, aimerent mieux tenter la fortune que d'accepter des conditions humiliantes. Leur fierté fut punie par leur défaite. César

Tome XX.

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trouva en eux des ennemis dignes de lui: la réfiftance fut fi opiniâtre, que de foixante mille Nerviens, il ne s'en fauva que cinq cents. Les Eburons qui étoient arrivés trop tard pour combattre, furent attaqués dans leur marche, & trop foibles pour oppofer de la réfiftance, ils fe rendirent fans tenter le fort d'un combat trop inégal. Tous ces lâches captifs furent mis à l'encan & vendus comme efclaves.

Les Sueves étoient les peuples les plus belliqueux de la Germanie : divifés en plufieurs tribus, ils occupoient une grande étendue de pays, où inacceffibles aux invafions étrangères, ils alloient au loin chercher des ennemis fans s'informer de leur nombre: ils tenoient leurs affemblées dans d'épaiffes forêts, où pour fe rendre les dieux propices, ils immoloient une victime humaine : toutes les nations trembloient au bruit de leur nom : plufieurs peuples qu'ils avoient chaffés de leurs poffeffions implorerent l'affiftance de Céfar, qui cherchoit des alliés pour en faire des efclaves. Après la mort de ce dictateur, Augufte, fon fucceffeur, fit marcher douze légions contre les Sicambres, les Tin&teres & les Ufipetes. Lollius chargé de cette guerre, fut vaincu dans le premier combat; mais ayant reçu un nouveau renfort, il répara la honte de fa défaite. Les Sicambres obtinrent la paix, à des conditions qu'ils dicterent eux-mêmes.

Drufus qui dans la fuite porta le furnom de Germanicus marcha contre les Rhétiens, barbares qui tuoient tous les enfans mâles de leurs ennemis, dans l'efpoir d'en extirper la race: la deftinée des femmes enceintes dépendoit des décifions des devins, & lorfque ces impofteurs affuroient qu'elles portoient un fils dans leur fein, les Rhétiens les égorgeoient pour en tirer ces maffes à peine animées, qui tenoient un milieu entre le néant & la vie. Les femmes émules du courage des hommes, fe précipi toient en chantant dans la mêlée, ou confondues avec les autres combattans, elles donnoient à tous l'exemple de la plus tranquille intrépidité. Drufus après les avoir vaincus, marcha contre les Cattes, qu'il pourfuivit jufqu'à l'Elbe, où les armes Romaines n'avoient point encore pénétré. Il érigea fur les bords du fleuve plufieurs monumens pour perpétuer la gloire de fon expédition. Il n'ofa en hafarder le paffage & ne pouvant conquérir, il ne s'occupa qu'à détruire. Les ravages qu'il exerça le rendirent l'exécration des nations Germaniques, qui employoient fon nom pour défigner la pefte & les autres fléaux de l'humanité. Tibere, quelque temps après, rendit tributaires tous les peuples, depuis le Rhin jufqu'à l'Ebre : les vaincus furent obligés de donner des filles pour garans de leur fidélité. Le refpect qu'ils avoient pour le fexe, étoit le frein le plus puiffant pour réprimer leur caractere inquiet & turbulent. Mais rien n'étoit capable d'étouffer en eux, le fentiment généreux de l'indépendance. Les Allemands, les Bructeres & les Caninefates, reprirent les armes, ne voyant d'autre alternative, ou que de mourir, ou de vivre libres. La fortune trahit leur courage, ils furent battus par Tibere qui pouffa fes conquêtes

jufqu'au-delà du Vezer. La défaite d'un peuple, étoit le prélude d'une nouvelle guerre dans un autre canton. Marobade donné en otage aux Romains , reçut une éducation qui devint funefte à fes maîtres: trop fier pour fléchir fous le joug de l'étranger, il conçut le projet d'être le libérateur de la Germanie. Il appelle fous fes drapeaux les peuples les plus belliqueux. Il étonne par fes vengeances ceux que la crainte avoit empêché de fe joindre à lui. Augufte, alarmé de la défection de fes alliés, lui offrit une paix d'autant plus honorable qu'il le laiffa l'arbitre des conditions.

Parmi les légions que Tibere laiffa fur le Rhin, il y avoit un jeune Catte, qui comblé des bienfaits d'Augufte, fe reffouvint que fa patrie étoit fa premiere bienfaitrice. Inftruit que les Cattes & les Cherufques le demandoient pour marcher à leur tête, il paffa dans le camp de Marobade, fuivi d'un grand nombre de transfuges, & bientôt il fe vit affez puiffant pour balancer la fortune des Romains. Varus au premier bruit de cette révolution fait marcher fes légions, & dans fa marche il fe voit attaqué par un effaim de Barbares, dont la plupart avoient appris l'art de la guerre à l'école de leurs tyrans. Les Romains accablés par le nombre, font égorgés fans pitié; leur général lâchement abandonné, fe perce de fon épée pour ne pas furvivre à la honte de fa défaite. La nouvelle de ce défaftre plongea Rome dans la confternation. Augufte en perdit l'ufage de fa raifon, & dans fon délire, il s'écrioit, Varus, rends-moi mes légions. Rome alarmée, crut voir fes palais & fes temples réduits en cendres. L'on fit de nouvelles levées & l'on infligea même, peine de mort, à quiconque refuferoit de s'enrôler. Augufte mourut fans avoir tiré vengeance de cet affront. Tibere qui lui fuccéda, occupé à cimenter fa nouvelle puiffance, n'eut point l'ambition d'acquérir, & les légions du Danube & du Rhin fe revolterent. Ce feu auroit embrasé l'empire, fi Germanicus, qu'on vouloit proclamer empereur, avoit eu autant d'ambition que d'amour pour la vraie gloire. Sa douceur & fa modération calmerent les rebelles. Quoique ce prince eut tous les talens qui forment l'honnête homme & le héros, il eut fuccombé fous la puiffance de tant d'ennemis prêts à tout ofer fous les ordres d'Arminius. La jaloufie de Segefte, Germain très-puiffant, favorifa les progrès des Romains. Cet indigne citoyen aimant mieux être le premier esclave à Rome, que le fecond officier dans fa patrie, traversa tous les deffeins du héros Germanique, également redouté après fes défaites ou fes victoires. Il eut été le libérateur de fon pays fi la trahison n'en eut délivré les Romains. Il fut lâchement affaffiné à l'âge de trente-fept ans. Les Germains pour perpétuer sa mémoire, conferverent fon nom dans leurs hymnes.

Les Germains vécurent en paix jufque fur la fin du régne de Caligula, qui marcha contre eux, avec une armée de deux cents mille combattans fans compter les gladiateurs & les comédiens; mais à peine fut-il entré fur leurs terres que, faifi d'une terreur panique, il retourna fur ses pas avec la même célérité que s'il eut effuyé une défaite. Les Germains jete

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