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Leurs voluptés n'étoient que les befoins de la nature gròffiere & non ce fentiment délicat qui produit une délicieuse ivreffe.

Les premieres guerres qui firent connoître les Germains, ne furent que des invafions paffageres fur les terres de leurs voifins. Il arrivoit quelquefois qu'une tribu prenoit les armes pour exterminer un autre tribu; mais c'étoit un feu éteint auffi-tôt qu'allumé. Ces républiques quelquefois divifées fe rangeoient fous le même drapeau, lorfque la liberté publique étoit menacée ainfi la conftitution de ces républiques étoit fédérative. Ce peuple guerrier fe précipitoit dans les dangers avec cette férocité ftupide qui femble avoir fa fource dans l'ignorance du péril. La poéfie souvent profanée par la licence de la fatyre, ne déployoit fes richeffes que pour élever des monumens à l'héroïfme, ou pour folliciter, dans des cantiques facrés, les faveurs du Dieu des batailles. La Germanie, ainfi que toutes les contrées de la terre, eut des poëtes avant d'avoir eu des orateurs, parce que l'imagination eft auffi prompte à s'allumer que le jugement eft lent à fe former. Mars & Mercure étoient l'objet de leurs hymnes. Ils marchoient à l'ennemi en chantant les louanges des guerriers morts pour le service de la patrie; c'étoit en célébrant les vertus des héros qu'ils allumoient le courage de la milice. Cette mufique, dont les paroles étoient auffi rudes que les airs, paroiffoit approcher le plus de la perfection, à mesure qu'elle imitoit le cri de certains oifeaux. Plus les voix étoient difcordantes, plus elles étoient propres à frapper de terreur l'ennemi. C'étoit un bruit effrayant plutôt qu'une harmonie qui, fans flatter l'oreille, étourdiffoit le foldat fur le danger. Les Germains, quoique toujours armés pour attaquer ou pour fe défendre, fembloient renaître de leurs cendres. Leur terre enfantoit fans ceffe des combattans. La fécondité des femmes réparoit les pertes de la guerre. C'eft ce qui a fait appeller ce pays officina hominum. Quoique infatigables ils n'avoient qu'un excès de courage qui s'éteignoit après un premier effort. Un travail long & opiniâtre fatiguoit leur patience; endurcis contre le froid, ils fe laiffoient abattre par la chaleur. Leur taille gigantefque, leur regard farouche en impofoit à l'ennemi, & il falloit fe familiarifer avec eux pour s'accoutumer à les contem pler fans étonnement & fans crainte.

L'infanterie fans épée n'avoit pour armes, que la lance & le javelot avec un bouclier fait d'un bois fort léger. Elle combattoit confondue avec la cavalerie dont elle égaloit la viteffe. Chaque tribu ou chaque cité fourniffoit cent jeunes gens d'élite dont on compofoit l'armée de la nation. Les chevaux, fans avoir une forme élégante, étoient extrêmement vigoureux, & fembloient ne refpirer que la guerre. Le bruit des armes, loin de les épouvanter, leur infpiroit une ardeur nouvelle. Chaque corps fe rangeoit fous l'étendard de fon pays, fur lequel étoit peint un animal farouche ou quelques oifeaux carnaffiers. Les armées n'étoient point compofées du rebut de la nation, comme chez plufieurs peuples modernes où, parmi cent

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mille combattans, on n'en compte pas un cent qui aient droit de propriété. Le titre de foldat étoit la plus noble décoration du citoyen, & pour être enrôlé dans la milice, il falloit être éprouvé par le courage ou par quelque action d'éclat. Les femmes & les enfans fuivoient leurs peres & leurs époux fous la tente & dans le camp. Ce fpectacle, loin d'amollir leur courage, leur infpiroit l'audace de tout ofer, pour fouftraire à la mort ou à l'esclavage les objets de leur tendreffe & les fruits de leurs amours. Le général, pour donner l'exemple de l'intrépidité, combattoit toujours dans les premiers rangs, & s'il venoit à périr, le foldat regardoit comme un opprobre le privilege de lui furvivre. La fuite n'avoit rien de déshonorant, pourvu qu'on revint à la charge avec un nouvel acharnement; mais la perte du bouclier étoit punie par la flétriffure & la dégradation. Celui à qui ce malheur pouvoit être reproché, étoit frappé des anathêmes de la religion. Alors rebuté des Dieux & des hommes, il étoit exclu des facrifices & de la fociété civile. La vie lui devenoit un fardeau dont il fe débarraffoit en s'étranglant lui-même : toutes les. fois qu'on fe préparoit à une guerre nouvelle, on faifoit courir une fleche dans les différens cantons, & ce fignal avertiffoit de prendre les armes.

Quoique la religion des Germains ne fut qu'une idolâtrie groffiere, elle étoit dégagée de ces abominations où fe livrerent les peuples les plus éclairés. Ils admettoient l'immortalité de l'ame, dogme qui eft le plus ferme rempart des fociétés contre la licence. Mais cette vérité fi noble & fi utile étoit défigurée par des acceffoires, qui montroient qu'elle leur avoit été plutôt infpirée par le défir naturel de toujours exifter, que par le résultat du raifonnement. Ils faifoient confifter la félicité éternelle dans le plaifir groffier des fens. Leur efpoir le plus doux, étoit de s'enyvrer de biere dans le féjour de l'immortalité, & de s'y défaltérer dans les crânes larges & profonds de leurs ennemis. Le foleil, la lune, & les étoiles, furent l'objet de leur culte primitif, mais lorfque des raifons de politique ou de commerce les eurent liés avec les Romains & les Gaulois, ils en adopterent les divinités & les rites facrés. Convaincus de la grandeur de l'Etre fuprême, ils auroient cru l'avilir en le représentant fous des figures. Ils ne lui confacroient point de temples, & ils regardoient l'univers entier comme le fanctuaire où il vouloit être adoré. C'étoit dans les bois facrés qu'ils célébroient leurs myfteres, & chaque Dieu avoit fon bocage particulier; plus ces retraites étoient épaiffes & filentieufes, plus elles paroif-. foient propres à infpirer cette falutaire terreur qui réprime le vice des penchans. C'étoit-là, qu'ils dépofoient les dépouilles & les crânes de leurs ennemis, dont ils faifoient des offrandes au Dieu de la guerre. Le facerdoce ne compofoit point un ordre particulier dans l'Etat. Chaque chef de famille étoit prêtre & facrificateur. Les rois dans leur cité tenoient le fceptre & l'encenfoir. Les femmes étoient également admifes au miniftere facré. Les prêtreffes des Cimbres, dès qu'elles appercevoient un ennemi, s'élan

çoient fur lui, & l'exterminoient à coup de hache; enfuite elles obfervoient fes entrailles palpitantes pour prédire des profpérités ou des revers; elles tiroient encore leurs préfages du chant & du vol des oifeaux, du pas & du henniffement du cheval, & elles avoient foin d'en élever dans leurs bocages facrés. Les baguettes divinatoires étoient d'un grand usage pour lire dans l'avenir.

Le facerdoce donnoit la plus grande autorité à ceux qui en étoient revêtus, ils avoient le privilege de battre & de charger de chaînes ceux qui ne leur étoient pas agréables. L'innocent, ainfi que le coupable, étoit enveloppé dans ces châtimens arbitraires. Les prêtres, pour autorifer leur arrêt, n'avoient qu'à dire que les Dieux l'exigeoient ainfi. Quoique les Germains n'euffent point de fimulacres de la divinité, ils en portoient les fymboles dans les proceffions; c'étoit ainfi que chez les Scythes l'épée repréfentoit le Dieu de la guerre; c'étoit ainfi que les Hébreux conduifoient quelquefois dans le camp l'arche d'alliance. Comme le culte dépendoit de chaque pere de famille, il ne pouvoit être uniforme. Les Sunnons, tribu des Sueves, s'affembloient dans des forêts ténébreufes où l'on immoloit des victimes humaines. Ces lieux fecrets infpiroient tant de vénération, que c'eût été une espece de facrilege, que de fixer les regards fur eux. Celui qui vouloit participer au mérite du facrifice, n'entroit que lié dans la forêt. Cette attitude humiliante, étoit un aveu de fa foibleffe devant le Dieu qu'il venoit adorer. Si quelqu'un des initiés faifoit une chûte, il ne pouvoit fe relever fans être traité de profanateur, & s'il ne se retiroit en rampant, il étoit puni de la peine infligée aux facrileges. Un autre tribu connue fous le nom de Naarvale, exigeoit que fes prêtres fuffent vêtus d'un habit de femme; de tous les arbres, le chêne étoit le plus refpecté, & l'on n'offroit point de facrifices, fans avoir couvert l'autel des feuilles & des branches de cet arbre. Ils avoient la coutume barbare de faire combattre un prifonnier de guerre avec un de leurs braves, & celui qui fortoit vainqueur du combat, fourniffoit à fa nation le préfage d'une prochaine victoire. Dans toutes les affemblées de religion, il falloit être armé pour avoir le privilege d'y être admis. Les Germains, avoient un fi grand refpect pour leurs femmes, qu'ils croyoient appercevoir en elles quelque chofe de divin. C'eft pourquoi ils leur confioient le foin de leurs af faires domeftiques, & quelquefois l'adminiftration publique. Il n'eft donc pas étonnant qu'ils les admiffent au miniftere facré.

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Les Germains, ainfi que les Sueves & les Danois, avoient la fuperftition de conferver dans leurs maifons de petites figures environ d'un pied de hauteur, qui repréfentoient quelques magiciens enchaînant la fortune, réglant les événemens. C'eft de-là qu'a pris naiffance la fuperftition toujours fubfiftante, de cueillir fous un gibet une certaine plante qui reffemble à de la mandragore, & qu'on affure être formée de l'urine d'un pendu. Ceux qui alloient l'arracher, ufoient d'une grande précaution: car on

étoit perfuadé qu'avant de quitter la terre, elle pouffoit un fi grand cri, que celui qui l'arrachoit, tomboit mort à ce bruit. Enfuite on attachoit cette plante à la queue d'un chien noir. On attribuoit à cette racine, bien des propriétés. Elles procuroient, dit-on, des accouchemens fans douleur, elles rendoient fécondes les femmes ftériles. Elles donnoient la fanté & les biens. Et le plaideur qui en portoit fur lui, fe rendoit les juges favorables. Elles révéloient encore à certains poffeffeurs privilégiés-tous les fecrets de l'avenir, & par un fimple mouvement, elles leur prefcrivoient des regles de conduite. De fi fages conducteurs s'achetoient fort cher. Des charlatans facrés en faifoient un commerce fcandaleux, & comme rien n'eft mieux payé que les artifans de l'erreur, on voyoit des imbécilles épuifer leur fortune, pour fe procurer ces dieux lares ou domeftiques. Les dévots ne fe bornoient point à les prier. Ils les tenoient enfermés dans une caffette de prix, où ils repofoient mollement fur de la laine ou de la foie. On les purifioit tous les famedis dans un bain de lait ou de vin. Ils étoient fervis à table comme des hôtes diftingués, & lorfqu'on fe difpenfoit de ce devoir, ils pouffoient des cris comme des enfans preffés par le befoin: c'étoit à les parer que les dévots faifoient éclater leur magnificence. Et toutes les nouvelles lunes, on les changeoit d'habits. Quand le chriftianifme fe fut élevé fur les débris de l'idolâtrie un refte de ces fuperftitions infecta les champs de l'évangile, & malgré les foudres de l'é glife, on en voit encore des traces chez les hommes ignorans & groffiers.

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Les Germains dans les folemnités donnoient des feftins, où l'on fervoit les mêts les plus rares. Après avoir partagé les viandes, dont on laissoit aux Dieux la portion la plus délicate, on s'enyvroit en leur honneur. On découvre encore chaque jour dans les tombeaux, les vafes, les couteaux, & les uftenfiles dont on fe fervoit dans ces orgies. On conjecture que ce fut des Lectifternes, des Grecs, & des Romains qu'ils emprunterent, ce feftin religieux qui étoit en ufage chez les Scythes. De toutes les fuperftitions la divination étoit la plus accréditée : c'étoient les femmes fur-tout, qui avoient la réputation d'exceller dans les fortileges & les maléfices. Le refpe&t qu'elles avoient infpiré pendant leur vie, les fuivoit jufques dans leur tombeau, & plufieurs partagerent, après leur mort, les honneurs qu'on rendoit aux Dieux. Voici quelles étoient les principales divinités des Germains.

Tuiffon fut le premier objet du culte religieux; il paffa pour être le fils de la terre, fans doute parce qu'il fut un aventurier dont on ignoroit l'origine. On lui attribuoit l'invention de l'écriture & de l'alphabet, avant que Cadmus en eut fait préfent à la Grece. Il polit les mœurs des Germains, il inflitua des loix & des rites facrés. La reconnoiffance publique le plaça au rang des Dieux. Mannus fon fils, dont tous les peuples Germains prétendent être defcendus, fut fon fucceffeur au trône, & partagea les honneurs de fon apothéofe. Dans les folemnités, on chantoit des hymnes en vers, où leurs bienfaits étoient célébrés. Lorfque par leurs relations

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avec les étrangers, les Germains introduifirent des nouveautés dans leur culte, ils eurent des ftatues & des fymboles bizarres. La figure appellée Chrodo, repréfentoit un vieillard couvert d'une robe, qui ne laiffoit cevoir que fes pieds: il avoit la tête nue, & dans fa main gauche, il tenoit une roue, & dans la droite une corbeille de fleurs & de fruits, if avoit la tête nue, & étoit appuyé fur un grand poiffon. On comptoit encore fept autres divinités. Proavo étoit un Dieu qui préfidoit à la juftice, dans les marchés publics. Il tenoit dans une main une pique, & dans l'autre un écu d'armes. Porevith veilloit fur les dépouilles enlevées à l'ennemi. Cette idole avoit cinq têtes fur les épaules, & une fixieme fur la poitrine. Le piéd'eftal de fa ftatue étoit orné de piques, de lances, de javelots & de poignards. Suantovith, que quelques-uns confondent ave Mars, étoit vêtu d'une cuiraffe, & avoit quatre têtes. Rodigaft armé d'une pique avoit un aigle fur la tête, & une tête de bœuf fur la poitrine. La déeffe Siva étoit représentée dans une parfaite nudité. Ses cheveux flottans lui defcendoient jufqu'aux genoux. Elle préfidoit à la fanté, & quelquesuns reconnoiffent à fes traits la mere de l'Amour. Enfin la déeffe Flyas qu'on repréfentoit couverte d'un manteau, & tenant un lion dans fa main gauche, & une torche allumée dans la droite.

Chaque canton de la Germanie eut fes héros qui reçurent les honneurs de l'apothéofe. A l'exemple des autres nations, elle eut fon hercule on raconte que ce fut un roi des Boïens, qui, pendant fa vie triomphante fut la terreur de fes voifins, & les délices de fes fujets. Il avoit pris le lion pour fon fymbole, & après fa mort il fut adoré comme le Dieu de la guerre; on n'alloit jamais à l'ennemi fans l'invoquer, & fans célébrer fes louanges. Chaque canton eut fes héros, & un objet particulier de fon culte. Irminful fut le Dieu des Saxons. Radagaife celui des Herules. Barin roi des Francs, reçut auffi les honneurs divins. Chaque ville avoit fes Dieux protecteurs. Lunebourg adoroit la lune, Jupiter Ammon avoit fes autels dans Hambourg. Mafpurg étoit la ville de Mars. Chaque contrée ainfi que chaque ville, avoit fa divinité tutélaire : mais malgré cette diversité de culte, tous les peuples fe réuniffoient pour adorer Belbuch & Zéomebuch, dont l'un blanc étoit le génie bienfaifant, & l'autre noir étoit refpecté comme l'auteur des maux, qu'il pouvoit caufer ou prévenir. Il est une obfervation digne des philofophes. C'eft que plus l'on s'approche du Pôle, plus l'on trouve les anciens préjugés dominer fur les efprits. Dans ces temps où l'on vante les progrès de la raifon, on voit les habitans de la Norwege fe glorifier de l'empire qu'ils exercent fur les vents, & qui en font un commerce fcandaleux avec des étrangers plus imbécilles qu'eux. C'est encore la patrie des fortileges & des enchantemens. Certains peuples de Sibérie admettent des génies malfaifans, d'où dépend le fuccès de leur chaffe & de leur pêche, & il n'y a point dans ces affreux climats de fource plus abondante, que celles que la crédulité ouvre à ces impofteurs,

qui

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