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miniftres, tant Anglois qu'Allemands, lui ont donné des confeils qui n'étoient pas les plus convenables à fes intérêts, & que, pour remédier aux défordres caufés par de tels confeils, une conduite différente de celle qu'on a tenu jufques ici fera néceffaire. Pour peu que Sa Majefté se serve de fes lumieres, & de fon bon difcernement, elle trouvera, je m'affure, qu'ils n'étoient, ni pour fa gloire, ni pour la tranquillité de fon regne, de fonder fon gouvernement fur une partie de fes fujets à l'exclufion des autres; & que fes miniftres, en confeillant cette démarche, aufli bien par les autres mefures, dont j'ai parlé dans ces mémoires, ont facrifié les intérêts de leur patrie à leurs paffions, & à leur ambition.

GERMANI E.

LA Germanie fut connue fous cette dénomination avant d'avoir eu des relations avec les Romains; ainfi c'eft une erreur de prétendre trouver l'étymologie de fon nom, dans la langue latine. Les Germains fe glorifioient d'être indigenes, c'eft-à-dire, d'être fortis du fein de la terre qu'ils habitoient. Man, fils de Tuifton, premier né de cette mere commune, eut plufieurs enfans qui donnerent leur nom aux Ingenoves, aux Hermiones & aux Iftenoves, que les Marfes, les Gambres, les Sueves & les Vandales reconnoiffoient pour leurs ancêtres, Quand on refléchit fur les inclinations belliqueufes de ces peuples, on a droit de croire que le nom de Germaine eft compofé du mot Ger & de celui de Man, qui fignifie homme de guerre. Il eft bien difficile de déterminer les bornes de cette région, parce que l'étendue occupée par les différentes tribus, dépendoit de leurs défaites ou de leurs victoires. La nation triomphante envahiffoit les poffeffions des vaincus, & fouvent le plus foible fe rangeoit fous le drapeau de celui qui pouvoit le protéger ou qui lui paroiffoit le plus redoutable. Les anciens écrivains font fouvent mention d'un même peuple fous différens noms, fans marquer les limites qui le féparoient de fes voifins, Comme aucune ville n'avoit un district certain, l'étendue des poffeffions d'une nation étoit auffi mobile que fa fortune. En général, on s'eft fervi des mers, des fleuves & des montagnes, pour affigner à chaque canton des bornes naturelles. Malgré cette viciffitude, on eft convenu de donner le nom de Germanie à tout le pays qui fe rend des rives de la Viftule, à celles du Rhin d'orient en occident, & des extrémités de la mer Baltique, jufqu'au Danube, du nord au midi.

On confond quelquefois les Sarmates avec les Germains; parce que ceux-ci en firent la conquête. Ainfi la Germanie renfermoit la Pruffe, la Pologne, une partie de la Hongrie, l'Allemagne proprement dite, une

partie de la Scandinavie, le Danemarc, les Provinces-Unies, les Pays-Bas, la Flandre, la Lorraine, l'Alface & la Suiffe.

Il eft impoffible de déterminer de quelles contrées partirent les premieres colonies qui vinrent y fonder des établiffemens. Ceux qui font voyager les enfans de Gomer, jufqu'à l'extrémité du globe, dans un temps où la terre couverte de bois n'avoit point de routes tracées, croient voir en eux les ancêtres des Germains. Les favans font partagés fur l'origine de ce peuple. Les uns prétendent que les Gaulois ont peuplé la Germanie, & d'autres affurent que des colonies, forties des extrémités du nord, fe font répandues dans les Gaules & dans l'Espagne. Il est plus vraisemblable que tous ces peuples étoient Celtes d'origine, comme on en peut juger par la conformité de leur religion & de plufieurs de leurs ufages. Il eft plus effentiel de faire connoître leur légiflation & leurs mœurs. C'eft des peuples fauvages que les nations policées doivent prendre des leçons pour fe rapprocher de

la nature.

Les mœurs des Germains leur tenoient lieu de loix. Tous les enfans recevoient une éducation guerriere. L'amour de la patrie étoit le premier fentiment qu'on tâchoit de leur inspirer. Destinés à vivre dans un état perpétuel de guerre, on allumoit leur courage, en leur rappellant fans ceffe la gloire de leurs ancêtres, morts pour la défenfe de la patrie, & dès qu'ils commençoient à fe connoître, ils ne diftinguoient plus leurs intérêts de ceux de cette mer commune; les armes qui avoient fervi aux braves guer riers, étoient une récompenfe dont on honoroit la valeur naiffante, & qui infpiroit l'émulation de leur reffembler. Les femmes s'élevant au-deffus des foibleffes de leur fexe, s'armoient du bouclier & de l'épée pour venger la mort de leurs peres, de leurs époux & de leurs enfans. Enfin la patrie étoit regardée comme une mer affectueufe & bienfaifante dont l'ambition généreuse follicitoit les regards. Chaque pere de famille étoit monarque dans fa maifon. Législateur & miniftre de la loi, il pouvoit infliger peine de mort à fa femme convaincue d'adultere. Il y eut peu d'exemples de ces vengeances barbares, parce qu'il y eut peu de femmes coupables. Une éducation laborieufe & févere affuroit l'innocence des mariages. Les filles élévées, par des meres vigilantes, menoient une vie active qui les fortifioit contre la féduction. On leur donnoit pour dot des armes dont elles fe fervoient avec gloire, des bœufs & des chevaux pour les befoins domeftiques. Les veuves, conftantes dans leur premier amour, paffoient rarement dans les bras d'un nouvel époux. Il y avoit même quelques tribus où les fecondes noces imprimoient la flétriffure d'incontinence. La poliga mie étoit autorisée par la loi. Mais peu ufoient d'un privilege qui eft un attentat contre la nature, & qui en variant les plaifirs multiplie les befoins. L'on n'avoit recours à l'indulgence de la loi, que quand la premiere femme étoit frappée de fterilité. La haute idée que les Germains avoient d'eux-mêmes, avoit introduit cet ufage, & ils croyoient ne pouvoir dé

dommager

dommager la patrie de leur perte qu'en créant des hommes nouveaux pour la défendre. Le premier devoir des meres étoit d'allaiter leurs enfans & l'on eut regardé comme une marâtre celle qui par l'intérêt de fa beauté ou de fes plaifirs fe fut difpenfée de cette obligation impofée par la nature. Une vie active, l'ignorance des commodités recherchées les rendoit infatigables & leur procuroit des enfantemens fans douleur. Le nouveau né étoit plongé dans un fleuve ou dans une fontaine d'eau vive, & en devenant citoyen du monde, on lui apprenoit à fupporter les fouffrances qui font l'appanage de l'humanité. Les champs n'avoient point de poffeffeurs privilégiés. La terre leur paroiffoit le domaine de tous, & c'étoit dans l'affemblée nationale qu'on affignoit à chaque famille la portion qui fuffifoit à ses befoins. C'étoit ainsi qu'en détruifant l'intérêt perfonnel, on prévenoit cette baffe cupidité qui enfante les vices & les crimes: il eft vrai que l'induftrie, manquant d'alimens n'étoit point excitée par l'espoir des récompenfes. La qualité de bon foldat étoit plus honorée que l'affemblage de tous les talens.

Le gouvernement de la Germanie n'étoit point uniforme. Chaque canton avoit fa police particuliere; des hommes qui vivoient dans une indépendance réciproque les uns vis-à-vis des autres, laiffoient aux dieux le foin de punir les offenfes particulieres & les délits publics. Les miniftres facrés, qui préfidoient aux délibérations de la nation affemblée, avoient feuls le droit exclufif d'infliger des peines aux coupables; quoique la loi fut fort indulgente & modérée dans les châtimens, il étoit des fautes qu'on puniffoit avec plus de févérité que des crimes. Les traitres & les déferteurs étoient condamnés à la mort. La lâcheté étoit regardée comme un attentat contre la patrie, & celui qui en avoit laiffé appercevoir quelque témoignage, étoit traîné dans la fange, dont la fouillure étoit le fymbole d'un cœur vil & flétri. Des châtimens fi féveres femblent contradictoires avec l'indulgence de la loi pour l'homicide qui étoit expié par une fimple amende de bétail. Cet abus avoit fon principe dans l'idée qu'il étoit plus glorieux d'être fon propre vengeur que d'attendre une réparation d'un arbitre. La vengeance d'une injure étoit regardée comme le témoignage d'une ame fiere & généreufe: ce préjugé entretenoit le courage national, & fouvent prévenoit les offenfes. La loi, dans ces fortes de cas, autorifoit les combats particuliers, & celui qui en fortoit vainqueur étoit réputé innocent, parce qu'on étoit perfuadé que les dieux favorifoient toujours le parti le plus jufte. Cette façon de juger a été une erreur commune à tous les barbares. Les Germains, fimples dans leurs mœurs, fe livroient rarement aux crimes que le luxe a introduit chez les peuples policés. Quand on eft fans besoins, on eft fans tentation. Mais quand une fois ils fortoient des bornes du devoir, leurs écarts étoient des atrocités. Les nations civilifées mettent de la modération dans le crime. Tout eft excès chez le barbare.

Les Germains, comme le refte des hommes, étoient un mélange de
Tome XX,
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grandeur & de foibleffe, de vices & de vertus. La frugalité leur étoit naturelle. Des mets communs & mal affaifonnés, ne pouvoient les provoquer aux excès. Mais s'ils étoient fans luxe & fans délicateffe dans leurs feftins, ils buvoient avec intempérance, & lorfqu'une fale ivreffe avoit égaré leur raifon, des querelles enfanglantées fuccédoient aux plaisirs de la fête. Ce peuple détaché des biens étoit poffédé de la plus baffe cupidité dans les jeux de hafard. Cette paffion dégénéroit en fureur, & pour l'affouvir ils vendoient leur bétail, leurs femmes & leurs enfans. Quand ils avoient tout perdu, ils jouoient jufqu'à leur liberté. Un feul coup de dé faifoit paffer les hommes jaloux de leur indépendance, dans la plus humiliante dégradation.

Quelques tribus avoient des rois qu'elles proclamoient en l'élevant fur un bouclier au milieu de l'affemblée. Cette dignité n'étoit point héréditaire, & même dans quelques cantons elle étoit amovible. Ce titre étoit la récompense de la fageffe, de la capacité & de la valeur. Dans les républiques, on créoit un chef, mais ce n'étoit que dans les temps de guerre, & alors fon pouvoir étoit illimité. Dès que le calme étoit rétabli, il n'avoit plus de prérogatives & rentroit dans la claffe de fimple citoyen. Le devoir des rois étoit de veiller à la police intérieure, & de juger les différens qui s'élevoient dans la cité, de conférer le droit de citoyen aux enfans qui, depuis cette aggregation, n'appartenoient plus à leur famille, mais devenoient les enfans de l'Etat. Ces rois, plus refpectés par leurs mœurs que par leur pouvoir, ne paroiffoient jamais en public, fans être parés de leur lance & de leur bouclier. Cet attachement pour leurs armes étoit fi vif qu'ils ne les quittoient point, même pendant leur fommeil, & il est vraisemblable que c'est par leurs exemples que plufieurs nations modernes perpétuent la coutume extravagante de marcher toujours armés au milieu de leurs concitoyens pacifiques. Les attributs militaires étoient le plus grand ornement de ce peuple guerrier, même dans les affemblées nationales dans les facrifices & dans les autres cérémonies religieufes. Les intérêts publics étoient difcutés en préfence de tout le peuple affemblé. Tous citoyens convoqués donnoient leurs fuffrages fur la paix ou la guerre, fur le choix des magiftrats, fur les peines & les châtimens qu'on devoit infliger aux criminels & aux perturbateurs de la tranquillité publique. Les magiftrats étoient plus integres qu'éclairés; mais comme la chicane n'avoit point encore indiqué de routes obliques, la droiture du cœur étoit plus néceffaire que les lumieres de l'efprit. On ne connoiffoit de bon & d'honnête que ce qui avoit été pratiqué dans tous les temps par la nation; & par une fuite de ce préjugé, la police n'étoit fufceptible, ni de réforme,`ni de relâchement. C'étoit en frappant le bouclier de fa lance que chacun donnoit fon fuffrage. La voix de l'homme conftitué en dignité n'avoit pas plus de poids que celle du citoyen le plus obfcur. Les funérailles n'offroient point cette pompe dont la vanité des vivans mafque fon insensi

bilité pour les morts; les convois reffembloient à une marche militaire Les armes & le cheval du mort qu'on enterroit avec lui en faifoient tout l'ornement. C'étoit avec un fimple gazon qu'on couvroit la tombe du héros. La toile, le marbre & l'airain n'étoient point employés à perpétuer la mémoire des morts. Le fouvenir de leurs actions étoit un monument qu'on élevoit dans les cœurs. Tandis que les femmes & les filles manifeftoient le faste de la douleur, il s'élevoit des poëtes & des orateurs qui célébroient les vertus & les fervices du mort pour inviter les vivans à lui reffembler. Les arts de luxe & d'agrément n'éclofent que dans le fein de l'abondance. Les Germains bornant leurs défirs dans la poffeffion des chofes de premiere néceffité ne s'occuperent que des moyens d'exifter & de prévenir l'oppreffion. Ils fabriquoient des armes pour la guerre & pour la chaffe, ils forgeoient des chaînes pour les vaincus, & des inftrumens pour le la bourage. Le culte qu'ils rendoient aux aftres auroit dû favorifer leurs progrès dans l'aftronomie. La féduction de leurs yeux leur fit croire que le ciel, dont ils craignoient la chute, étoit une voûte où les étoiles étoient attachées pour éclairer le monde. Ils n'avoient aucune idée de leur grandeur, ni de leur distance, ni de leurs mouvemens périodiques. La terre qu'ils adoroient comme la mere commune des hommes, ne leur étoit connue que par fa fuperficie.

Ils ne pénétrerent jamais dans fes entrailles pour en contempler les va→ riétés. Quoiqu'audacieux navigateurs, ils ne s'expofoient point au caprice des mers pour fe procurer les productions des autres climats, à moins qu'ils n'y fuffent follicités par des befoins urgens. Ils avoient des manufactures de toile & d'étoffes groffieres dont ils faifoient des vêtemens fans élégance, & moins propres à former leur parure, qu'à les garantir des rigueurs du froid & de l'incommodité de la grêle & de la pluie. Les femmes, pour vêtement, n'avoient qu'une chemife de lin qui laiffoit leur gorge, leurs bras, & leurs mains à découvert. L'ufage de l'or, de l'argent & du cuivre monnoyés, leur fut abfolument inconnu. L'éclat des vafes d'or & d'argent, dont les Romains leur firent un funefte don, porta la corruption dans leur cœur. Leur commerce, qui étoit tout intérieur, fe faifoit par échange, ils avoient une averfion invincible pour les maifons qu'ils regardoient comme des tombeaux ou des prifons; ils ne pouvoient comprendre comment des hommes libres pouvoient fe réfoudre à vivre fous des toits qui fembloient n'être deflinés qu'à renfermer des efclaves. Ils préféroient aux édifices les plus pompeux, la demeure d'un bois ou le voisinage d'une fontaine. La plupart habitoient dans des antres confondus avec leur bétail. Les palais de leurs rois n'étoient que de viles cabanes. Ainfi l'architecture ne fut pas même, dans fon enfance, parmi ces habitans des forêts. La pudeur, qui eft l'affaifonnement du plaifir, fut un fentiment ignoré. Infenfibles aux intempéries des faifons, la nudité rebutante les familiarifoit avec tous les objets qui irritent les défirs à mefure qu'ils font plus cachés.

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