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avoir procuré? Il femble que non. Et, fi je ne me trompe, on en doit imputer la caufe à la conduite du miniftere, particuliérement à la sévérité avec laquelle on traita ces malheureux, qui avoient été faits prifonniers à Preston & ailleurs. Je ne voudrois pas exténuer en rien le crime des rebelles, ils méritoient fans doute de porter la peine de leur entreprise folle & téméraire : mais d'un autre côté, quand on confidere combien le roi étoit de foi-même porté à la clémence, & combien il étoit à préfumer que l'exercice de cette vertu royale, dans la conjoncture dont je parle, auroit pu contribuer à l'affermiffement du trône de Sa Majefté, & à captiver le cœur des Anglois; on a lieu de s'étonner, que les miniftres aient fi peu penché à la miféricorde. S'ils ont cru de bonne foi que les emprifonnemens, les exécutions, & les confifcations des biens, étoient des moyens plus efficaces pour ramener les ennemis du roi, que n'auroit été un acte de grace, ou une amniftie générale, l'événement a fait voir que leur croyance étoit mal fondée; puifqu'il eft certain que le prétendant a préfentement plus d'amis en Angleterre, fans comparaifon, qu'il n'avoit du temps même de la rebellion. Il y a des gens qui ne font pas difficulté de dire, que les miniftres Whigs dans cette rencontre, auffi-bien que dans plufieurs autres, ont facrifié le bien du roi, & du royaume à leurs paffions, ou à leurs intérêts particuliers, & on foutient cette accufation par les particularités fuivantes. En premier lieu, on dit que rien n'étoit plus facile que de fupprimer la rebellion dans fon commencement, lorfque le comte de Mar n'avoit avec lui qu'un petit nombre de montagnards, fans armes & fans difcipline, auffi-bien que dénués d'argent, mais que les miniftres ne croyoient pas devoir fe priver fi-tôt d'un bon prétexte pour lever des troupes, & pour achever la ruine des 1orys, qu'ils vouloient faire regarder, & traiter comme des fauteurs, & comme des complices des rébelles. C'est pour cette raifon, dit-on, que l'on tarda tant à envoyer du fecours au duc d'Argyle, & que ce feigneur fut obligé de livrer bataille à l'ennemi à forces inégales, au grand péril de l'Etat. En fecond lieu, on dit que les miniftres firent fufpendre l'acte de habeas corpus, comme on l'appelle, pour nulle autre raison que pour pouvoir mieux s'affurer de ceux parmi les Torys, qui ne les accommodoient pas; & en effet, pendant quelque temps après la fufpenfion de cet acte, on a vu que les meffagers du roi furent occupés à courir par le royaume, & à mener dans les prifons plufieurs perfonnes de diftinction, qui, quoique marquées dans la lifte noire des Whigs, ne laiffoient pas d'être regardées dans leurs provinces comme de fort bons patriotes, & nullement difpofés à troubler la tranquillité publique. Et on ne peut pas douter, que les exactions & les avanies, auxquelles tant de gens innocens fe trouverent expofés à cette occafion, par la haine ou la jaloufie des miniftres, n'aient augmenté de beaule mécontentement du peuple Anglois. En troifieme lieu, on prétend que les miniftres Whigs, en confeillant au roi de céder fes droits fur les

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biens confifqués des rebelles, n'ont eu en vue que leur propre établissement, & l'avantage de leurs créatures. Ils favoient, dit-on, que le provenu de ces biens ne feroit pas d'un grand fecours, foit pour payer les dettes de la nation, foit pour foutenir les frais extraordinaires du gouvernement, & ce qui pourroit faire croire, que leur deffein n'a pas été de faire appliquer les confifcations à de tels ufages, c'eft que, lorfqu'on repréfenta à un certain fecrétaire d'Etat que les biens des rebelles, particuliérement en Ecoffe, ne produiroient que très-peu d'argent, n'importe, ditil, il y en aura toujours de quoi mettre quelques-uns de nos amis en quartiers francs, aux dépens de nos ennemis. Il vouloit dire, qu'on fe propofoit de faire des biens confifqués un fonds, pour payer & entretenir les commiffaires d'inquifition, nommés par le parlement, & que, fi on pouvoit par-là s'affurer de quelques fuffrages dans la chambre baffe mettroit peu en peine du refte. Si les miniftres avoient été moins intéresfés, ils auroient fu indiquer une autre maniere de difpofer des biens confifqués, qui étoit plus digne du roi, & plus convenable auffi, fi je ne me trompe, à fes intérêts. Les femmes & les enfans des rebelles étoient fans contredit des objets de compaffion; & quoique, felon la rigueur des loix, ils n'euffent rien à prétendre, cependant quand on examine la chofe avec un efprit d'équité, on ne fauroit guere s'empêcher de dire, que le fort de ces pauvres gens étoit à plaindre; puifqu'ils ne fouffroient que pour la faute d'autrui. Et, fi on eut employé une partie des biens de leurs peres, ou de leurs maris, à les garantir de la mifere, & du défefpoir où ils ont été réduits, je crois, que la nation Angloife en général, l'auroit vu plus volontiers, qu'elle ne voit à préfent manger & confumer ces biens par des créatures des miniftres, qui n'en ont pas befoin. En quatrieme lieu, on reproche aux miniftres Whigs la maniere peu humaine, dont on traita les rebelles qui avoient été faits prifonniers à Prefton. Ces pauvres gens-là n'avoient mis bas les armes, qu'après que le général, qui commandoit les Troupes du roi, leur eût donné lieu d'efpérer le pardon de leur crime, & ils fe flattoient fans doute qu'on auroit quelque égard à cette circonftance. Mais on leur fit bientôt voir qu'ils s'étoient trompés. Le général fut obligé de fe rétracter de fa parole donnée, & on procéda contre les prifonniers avec beaucoup de rigueur. On les tint quelque temps à Prefton, où ils furent expofés à toute forte de mifere, & d'incommodités; enfuite on les mena en triomphe à Londres, on les diftribua/dans les diverfes prifons de cette grande ville, & on les y laiffa manquer de tout. Mylord's Derwentwater & Kenmore eurent la tête tranchée, malgré la forte interceffion qu'on avoit employée en leur faveur, & plufieurs autres auroient apparemment fubi le même fort, fi les miniftres n'avoient pas été un peu intimidés, par l'effet qu'avoit produit parmi le peuple l'exécution de ces deux feigneurs, que je viens de nommer. Enfin, on prétend en cinquieme lieu, que l'amniftie, qu'on publia fi tard & avec tant d'exceptions, doit être

regardée comme une preuve convaincante que les miniftres Whigs, dans leurs procédures par rapport aux rébelles, ont agi plutôt par paffion, que par aucun jufte égard, foit pour les intérêts du roi, foit pour la tranquilÎité du royaume.

ans,

Mais fans vouloir trop m'arrêter à ce qu'on pourroit reprocher aux miniftres, touchant leur conduite par rapport aux rebelles, j'obferverai feulement; que par-là, auffi bien que par les autres démarches dont j'ai parlé, ils avoient caufé un mécontentement fi grand & fi général, qu'ils fe crurent obligés de fonger à quelque moyen de prévenir les fuites, qui en pourroient naître à leur défavantage, & au défavantage de ceux de leur parti. Pour cet effet, ils mirent fur le tapis un bill pour la continuation du parlement au-delà du terme qui lui étoit prescrit par les loix. Ils jugeoient que, fi on convoquoit un nouveau parlement, pendant que le peuple Anglois étoit mal difpofé pour eux, les élections ne tomberoient pas fur leurs amis, & par conféquent qu'ils auroient de la peine à fe foutenir; c'eft pourquoi rien ne leur paroiffoit meilleur, que de faire enforte que le parlement, qui leur étoit dévoué, fût continué pendant l'efpace de fept afin qu'ils puffent avoir le temps de mieux s'établir, & d'abattre. leurs adverfaires. On eut beau repréfenter à cette occafion, que l'acte triennal, fait du temps du roi Guillaume, étoit regardé comme une loi fondamentale, & que ce feroit faire brêche à la conftitution du gouvernement, que de le caffer ou fufpendre, on eur beau alléguer que l'expérience du paffé avoit fait voir combien les longs parlemens font dangereux aux libertés de la nation, & combien en ce cas, il eft facile à des miniftres intereffés ou corrompus de fe faire des Créatures dans les deux chambres, qui approuvent leurs entreprifes, quelque préjudiciables qu'elles puffent être au bien de l'Etat. Enfin, on eut beau dire, que les membres de la chambre-baffe dans le préfent parlement avoient été choifis par les provinces, & par les villes du royaume, pour les repréfenter dans cette affemblée pendant trois ans feulement, & que, ce terme étant fini, ils ne pourroient plus être regardés comme les députés repréfentatifs du peuple d'Angleterre. Les miniftres ne s'arrêterent pas à ces fortes de confidérations & comme leurs amis étoient les plus forts dans la chambre des communes, auffi bien que dans celle des feigneurs, ils firent paffer à la pluralité des voix l'acte pour la continuation du parlement, pendant l'efpace de fept ans. C'étoit fans doute un grand point gagné pour eux, cependant de la maniere qu'ils s'y font pris jufques ici, il y a lieu de croire que leur adminiftration fera auffi peu goûtée à la fin des fept ans, qu'elle l'eft à préfent, & que leur chûte même fera immanquable, dès que la voix du peuple Anglois pourra être écoutée dans un nouveau parlement. En effet, voit-on qu'ils prennent foin de fe rendre populaires? Ont-ils témoigné par leurs actions depuis deux ans, qu'ils fouhaitent de bonne foi de remédier aux défordres, que leur premiere conduite avoit caufés? Ont-ils

marqué de grands égards pour l'honneur du roi ? Et les mefures qu'ils ont prifes par rapport aux affaires de dehors, ont-elles été telles que l'intérêt, & la gloire de la nation Britannique pourroient le demander? On ne peut pas le dire; & fi je ne craignois pas de trop groffir ces mémoires, il me feroit facile de prouver, que je ne leur fais pas tort à cet égard.

Mais ce n'eft pas aux miniftres Whigs feuls, qu'on doit imputer les mécontentemens, que l'on remarque depuis quelque temps parmi les Anglois: d'autres perfonnes y ont auffi contribué, entre lefquels on compte en premier lieu Mr. de Bernftorff, & Mr. de Bothmer, deux des miniftres Allemands, qui pafferent avec le roi en Angleterre, & dont les confeils, à ce qu'on croit, ont eu plus d'influence qu'il n'eut été à fouhaiter pour le bien des affaires de Sa Majefté. En effet, il y a beaucoup d'apparence, comme j'ai déjà remarqué, que ce fut principalement par l'avis de ces deux meffieurs, que le roi à fon avénement à la couronne s'eft tant déclaré en faveur des Whigs au préjudice des Tarys; & comme cette premiere démarche eft regardée avec raifon, comme le principe & la fource de beaucoup de mécontentemens, que l'on voit préfentement parmi les Anglois, on ne doit pas s'étonner fi on blâme tant ceux qui l'ont confeillée. Il feroit difficile, au refte, de dire précisément ce qui a pu induire monfieur de Bernstorff à donner au roi un avis fi peu conforme à la bonne politique; mais ce que je crois devoir remarquer à l'égard de ce miniftre, c'eft qu'avant qu'il paffat avec le roi en Angleterre, il n'étoit que fort médiocrement inftruit des affaires de ce pays-là, ou pour mieux dire, il n'en favoit que ce qu'il avoit tiré des informations très-partiales de fon beaufrere Mr. Schutz & de Mr. Robethon; deforte qu'arrivant en Angleterre plein de préjugés, il n'étoit pas fort furprenant qu'il prît le moins bon parti, ni qu'il confeillât au roi de fe fier uniquement aux Whigs, comme aux feuls Anglois, qui fuffent bien intentionnés pour la maifon de Hanover on n'étoit pas furpris, dis-je, de voir que Mr. de Bernstorff fe fût d'abord conduit de cette maniere; mais qu'il ait perfifté dans fes préventions après toutes les occafions, qu'un fejour de trois ou quatre ans en Angleterre, lui a pu fournir de fe mieux informer, qu'il ait continué d'être fous la direction, pour ainfi dire, d'un homme comme Mr. Robethon, & qu'il ait approuvé les mefures violentes & précipitées des chefs du parti Whig, c'eft ce qu'on ne peut pas fi bien concilier avec le caractere d'un miniftre habile & éclairé, tel qu'on nous a toujours dépeint Mr. de Bernstorff.

Quant à Mr. de Bothmer il avoit eu de bonnes occafions de connoître l'Angleterre, avant que le roi y paffat: mais il femble qu'il en ait peu profité. Et, foit qu'il ait manqué de pénétration, foit qu'on lui ait fait fentir la force de quelques motifs fecrets, comme fes ennemis ont publié, il eft certain, qu'il contribua beaucoup, par fes confeils, à faire mettre le gouvernement de Sa Majefté fur ce pied partial dont j'ai parlé, & par conféquent, on croit qu'il eft en quelque maniere refponfable, auffi bien que

Mr. de Bernstorff, de tous les mécontentemens, & de tous les defordres qu'une telle démarche devoit naturellement produire parmi les Anglois.

Mr. le baron de Goertz fut auffi un des miniftres Allemands, qui pafferent avec le roi en Angleterre; mais fes fentimens furent bien différens de ceux de fes deux collegues. Et quoique les confeils modérés qu'il donna, n'aient pas été fuivis, on doit pourtant s'en fouvenir à fon honneur, & à fa gloire, & à la honte de ceux qui les ont fait rejetter, & qui ont inventé & debité mille infames calomnies, pour décréditer un fi digne miniftres dans l'efprit de fon maître.

Pour ce qui regarde les autres perfonnes, qui accompagnerent le roi en Angleterre, il s'en eft trouvé de l'un & de l'autre fexe, dont la conduite a été blâmée, & qui non feulement, à ce qu'on prétend, fe font donné de grands airs, qui ne leur convenoient point; mais qui ont aufsi̟, abusé du crédit qu'ils avoient auprès de Sa Majefté; en faifant conférer des titres, & des emplois, à ceux qui leur en payoient de l'argent, & on ne peut pas douter, que la nation Angloife en général n'ait été fort scandalisée d'un tel trafic. Cependant, ce qui à mon avis peut en quelque forte excufer la conduite des Allemands & Allemandes à cet égard, c'eft la maniere baffe & fervile, dont on leur a fait la cour en Angleterre. En effet, n'eft-ce pas affez pour faire tourner la tête à des gens qui ne faifoient qu'une figure affez mince chez eux, de fe voir tout d'un coup tranfportés dans un Pays, où ce qu'il y a de plus diftingué, foit pour le rang, foit pour la qualité, rampe devant eux, & où on s'empreffe à l'envi de gagner leurs bonnes graces, par toute forte de careffes & de préfens. Faut-il s'étonner, fi un valet-de-chambre, ou même une perfonne plus confidérable, s'oublie dans une telle fituation? Faut-il s'étonner, fi une petite réfugiée s'imagine être quelque chofe, lorfqu'elle voit journellement chez elle les premiers pairs du royaume, qui lui témoignent les plus baffes complaifances, & qui lui parlent fans ceffe de fon grand mérite, & de la bonne opinion que le roi & les miniftres ont de fon mari? Pour moi, quand je confidere jufques à quel point on s'eft proftitué à cet égard, je ne fcaurois, je l'avoue tant blâmer la conduite peu modefte & intereffée de quelques étrangers & étrangeres, qui font venus dans la fuite du roi; il me femble, qu'on doit plutôt détefter ces efprits flatteurs, & mercenaires parmi les Anglois, qui fe font fervi fi honteufement de toutes les voies, capables d'infpirer aux bonnes gens de Hanover la vanité & la corruption.

J'aurois pu déduire toutes ces chofes plus au long; j'aurois pu ajouter quelques autres caufes des mécontentemens des Anglois; mais je veux efperer, que ce que j'en ai dit fuffira, pour convaincre toute perfonne équitable & défintéreffée, que ce n'eft pas fans raifon, qu'on fe plaint en Angleterre des mesures qui ont été prifes depuis l'avénement du roi à la couronne. Je veux efpérer, que le roi lui-même fera perfuadé que fes

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