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ont jugé à propos de prendre, ont été peu propres à calmer, & à ramener des efprits, qui, comme j'ai remarqué, étoient déjà un peu aliénés de la Maifon de Hanover. Je prévois aifément, qu'en parlant ainfi, je cours rifque de paffer pour un partifan des Torys, & il n'arrive que trop fouvent en Angleterre, que, lorfqu'un homme n'approuve pas indifféremment tout ce qui eft dit, ou fait par un parti, il eft d'abord regardé comme étant du parti contraire; les neutres n'y trouvent point de place, & font traités, fi je l'ofe dire, plutôt en ennemis communs, qu'en perfonnes défintéreffées. Quoiqu'il en foit, je ne fais pas difficulté d'avouer, que je fuis du nombre de ceux qui croyent, qu'il y a eu des fautes des deux côtés, & comme je me fens fort éloigné d'approuver certaines démarches des Torys, auffi ne puis-je pas croire que les Whigs foient infaillibles, ni que les confeils, qu'ils ont donnés au roi, ayent été tels que le vrai intérêt de Sa Majefté, & le bien de fes royaumes paroiffoient le demander. J'ai déjà infinué, qu'à l'avénement du roi à la couronne, les Torys avoient espéré qu'on leur laifferoit quelque part dans l'adminiftration des affaires, & que ceux d'entr'eux qu'on pourroit croire bien intentionnés pour les intérêts de Sa Majefté, & capables en même-temps de la fervir, feroient maintenus dans la poffeffion de leurs charges, & de leurs emplois; on prétend auffi, que le roi eft parti de Hanover dans l'intention de faire la diftribution de fes graces, & de fes bienfaits, d'une maniere qu'aucun des deux partis ne pût avec raison y trouver à redire, & ceux qui connoiffent l'équité & la modération de ce prince, croiront facilement, que c'étoit-là fon deffein. Quel dommage donc qu'on l'ait détourné! Quel dommage qu'on lui ait confeillé des mefures, qui ne pouvoient guere manquer de produire les fuites qu'on en a vu naître, & qui en pourront encore produire de bien facheufes, à moins qu'on n'y remedie!

Il étoit, je l'avoue, bien naturel au roi d'avoir de la confiance dans des perfonnes, qui lui avoient été recommandées par fes miniftres, nonfeulement, comme les Anglois les plus affectionnés à fes intérêts, mais aussi comme les gens les plus capables de l'affifter de leurs confeils. On avoue auffi, que ceux que Sa Majefté choifit d'abord, pour le maniement de fes affaires en Angleterre, étoient pour la plupart des perfonnes d'un mérite fort diftingué mais fi je dis avec cela, qu'il a paru un peu trop d'emportement dans leur conduite, fi je dis, que la haine & l'animofité, qu'ils avoient contre les miniftres de la feue reine, ont eu quelque part aux premiers confeils qu'ils ont donnés au roi, je ne dirai, je crois, que ce que penfent préfentement les gens modérés, & en Angleterre, & ailleurs. En effet, s'ils n'avoient eu en vue que l'intérêt de Sa Majefté, le bonheur & la tranquillité de fes Etats, il eft à préfumer qu'ils s'y feroient pris d'une toute autre maniere qu'ils n'ont fait; ils avoient vu, qu'à l'avénement du roi à la couronne tous les Anglois, pour ainfi dire, ont paru être fatisfaits & contens; Whigs & Torys, fe font empreffés à l'envi de

témoigner leur joie, & de rendre leurs premiers hommages, fans qu'on pût dire, à en juger, felon les apparences, lequel des deux partis eut le plus de zele, & d'affection pour le fervice de Sa Majefté. On a cru, it eft vrai, que les proteftations des Torys en cette occafion, n'étoient pas fi finceres que celles des autres, & je le veux fuppofer falloit-il pour cela irriter, & pouffer à bout une partie auffi confidérable de la nation Angloife? La bonne politique ne demandoit-elle pas plutôt, qu'au commencement d'un regne, on ménageât tout le monde, & qu'on fongeât aux moyens de gagner, & d'attirer dans les intérêts du roi, ceux mêmes qu'on croyoit les moins bien intentionnés ? Il femble que, pour peu qu'on foit équitable, & défintéreffé, on doit dire que c'étoit-là le chemin qu'il falloit prendre; mais n'en déplaife aux chefs des Whigs, ils ne croyoient pas trouver leur compte dans ces fortes de ménagemens, & comme ils afpiroient non-feulement à la préférence dans l'eftime du roi, mais auffi à être les feuls difpenfateurs de fes bienfaits, ils ont apparemment jugé que, pour parvenir à ce but, il falloit néceflairement ruiner, & perdre de réputation tous ceux qui n'étoient pas de leur parti; c'eft pourquoi, contens d'avoir tout mis en ufage, pour rendre les Torys odieux auprès du roi & auprès du prince, non contens de les avoir fait dépouiller de leurs charges & de leurs emplois, ils voulurent encore que les principaux en fuffent punis comme des traîtres, & comme des gens qui avoient vendu à la France les intérêts de leur propre pays, auffi bien que du refte de l'Europe. On fit rechercher la conduite des miniftres, & des généraux de la feue reine; on les accufa de haute trahifon, & de quelques autres crimes; & on n'oublia affurément rien pour faire valoir ces accufations tant auprès des feigneurs qui en devoient juger, que parmi le peuple Anglois, qu'on excitoit de plufieurs manieres à regarder les Torys, comme des ennemis de la patrie, & de la fucceffion proteftante.

non

Je n'entre pas dans le détail de ce que les Whigs ont dit, pour foutenir leurs accufations contre les Torys; ni de ce que ceux-ci ont allégué pour fe juftifier. On a déjà vu plufieurs écrits de cette forte, de part & d'autre ; &, fi je ne me trompe, le monde raifonnable eft préfentement affez convaincu, que l'affaire des impeachments a été pouffée avec trop de violence, & que les crimes n'ont pas paru fi clairement d'un côté, que l'envie d'accufer de l'autre. D'ailleurs, en fuppofant que les Torys aient été coupables de la plupart des chofes qu'on leur a imputé, il ne s'enfuivra pas, qu'on doive approuver le procédé qu'on a tenu contr'eux. Perfonne n'ignore, que de toutes les vertus royales, la clémence eft celle qui attire le plus l'affection & les cœurs des fujets. On voit auffi dans l'hiftoire, que c'eft la pratique ordinaire des princes, de commencer leurs regnes par des actes d'amniltie & de grace. Le roi Jacques même, quelques défauts qu'il pût avoir d'ailleurs, lorfqu'on propofa à fon avénement à la couronne de noter ceux qui du temps de fon frere avoient opiné à

fon exclufion, dit, qu'il avoit pardonné tout ce qu'on avoit fait contre lui lorfqu'il étoit duc d'York. Il me femble donc, qu'on devoit, à plus forte raifon, s'attendre à une telle générofité d'un prince naturellement clément, & débonnaire comme le roi George & je fuis perfuadé, qu'on auroit pu s'y attendre, fans courir rifque d'être fruftré dans fon attente, fi Sa Majefté eut voulu fuivre fes propres lumieres, ou fi fes confeillers euffent été moins paffionnés ou moins intéreffés. Mais difons les chofes comme elles font, les Whigs étoient piqués du mauvais traitement, qu'ils prétendoient avoir reçu des miniftres de la feue reine, & ils voulurent s'en venger à quelque prix que ce fût; d'ailleurs ils croyoient qu'il étoit de leur intérêt de faire tellement abattre le parti des Torys, qu'il ne pût jamais fe relever, ni entrer en concurrence avec eux pour les charges du gouvernement, qu'ils vouloient poffeder feuls : l'occafion leur étoit favorable, & ils n'avoient, pour ainfi dire, qu'une feule difficulté à furmonter; qui étoit, que le roi leur paroiffoit un prince trop éclairé pour ne favoir pas diftinguer entre leur intérêt & le fien; de forte que de quelque beaux prétextes qu'ils puffent colorer leur deffein, il étoit à craindre que Sa Majefté ne découvrit le vrai motif qui les faifoit agir: ils prévoyoient bien que, pour peu qu'on les foupçonnât de ne chercher que leur propre établiffement, lorfqu'ils prétendoient avoir beaucoup de zele contre les ennemis du gouvernement, pour peu que le roi fût perfuadé que les Torys étoient moins criminels qu'on ne difoit, ou (fuppofé qu'il les crut coupables) pour peu qu'il eût inclination à leur faire grace du paflé, en ce cas dis-je, les Whigs prévoyoient que leur plan feroit gâté, & que quelques-uns de leurs adverfaires, dont on connoiffoit l'habileté & l'expérience, feroient mis dans les emplois. C'eft pourquoi ils fe fervirent de toute leur adreffe, pour faire croire au roi, & à ceux qui avoient le plus de crédit auprès de Sa Majefté, que les Torys étoient des gens, auxquels on ne pourroit jamais le fier, que leur malice contre la Maifon de Hano ver étoit invétérée, & que nul traitement favorable ne pourroit les gagner on foutenoit que leur conduite par rapport à la paix d'Utrecht, & les démarches qu'ils avoient faites en faveur du prétendant, étoient des chofes fi criminelles, que ceux qui avoient le moindre égard pour la juftice, ou pour l'honneur de la nation britannique, devoient tâcher de les en faire punir au plutôt, & que, jufques à ce qu'on l'eût fait, la perfonne du roi ne feroit pas en fureté, ni fon gouvernement affermi.

Il y a de l'apparence, que ces fortes de repréfentations, qu'une partie du peuple Anglois faifoit contre l'autre, n'auroient pas tant fait d'impreffion fur l'efprit d'un prince équitable comme le roi, fi elles n'avoient pas été appuyées par les confeils de Mr. de Bernftorff, & Mr. de Bothmer, deux miniftres Allemands qui pafferent en Angleterre avec fa majefté, & qui, étant eux-mêmes prévenus de longue main contre les Torys, ne négligerent apparemment rien, pour faire donner le roi dans leur préjugé.

Quoi qu'il en foit, il eft certain, que le plan des Whigs fut approuvé & fuivi, & par-là on peut dire, qu'on a troublé le plus beau commencement de régne, qu'on ait vu en Angleterre depuis cent ans.

J'ai déjà remarqué, qu'à l'avénement du roi à la couronne, on s'étoit flatté que fa majefté trouveroit le moyen de mettre fin à ces divifions de parti, qui ont été fi fatales au repos de l'Angleterre, & ceux de cette nation, qui ont véritablement à cœur les intérêts de leur patrie, ne fauroient affez regretter qu'on ait laiffé échapper une fi belle occafion de le faire. On ne fauroit affez regretter, que certaines perfonnes, par des motifs de paffion, ou d'intérêt, ayent détourné le roi de la réfolution, qu'il paroiffoit avoir prife, de fe conduire en pere commun de tous fes fujets, & en prince qui auroit égard au mérite perfonnel d'un chacun fans fe mettre beaucoup en peine duquel des deux partis, des Whigs & des Torys, on fût. En un mot, on ne fauroit affez regretter, que le roi, en déférant aux avis de fes miniftres, ait trouvé à propos de fonder fon gouvernement fur une partie de fes fujets à l'exclufion des autres, & quel que puiffe être le mérite des Whigs, j'ose bien dire, que fa majefté, en les regardant & en les traitant comme les feules perfonnes parmi les Anglois dignes & capables de la fervir, a donné dans une faute de gouvernement, qui a toujours produit de grands inconvéniens, & qui en produira toujours néceffairement, auffi long-temps que les hommes feront hommes.

Mais, on m'objectera fans doute ici, que le roi à fon avénement à la couronne, ne pouvoit pas prendre d'autres mefures que celle qu'il a prifes, qu'il le trouvoit dans la néceffité d'opter entre deux partis, qui ne pouvoient pas être alliés ensemble; & que, comme les Whigs paroiffoient avoir de meilleures intentions pour le fervice de fa majefté que les autres, il n'étoit que jufte auffi qu'on les préférât.

Quelque foin qu'on ait pris de faire valoir cette objection, je m'imagine, qu'elle paroîtra peu folide à ceux, qui voudront fe donner la peine d'examiner avec attention deux réflexions que je vais faire, & les conféquences que j'en tirerai.

Ma premiere réflexion eft, que dans un pays, où les mœurs font aussi corrompues qu'elles le font préfentement en Angleterre, un prince court rifque de fe tromper, s'il s'attend à trouver beaucoup de gens d'un zele défintéreffé pour fon fervice. J'ofe dire, que parmi les Anglois de diftinction, qui, par leur naiffance ou autrement, font en état d'afpirer aux charges & aux emplois, il ne s'en trouvera que peu qui témoigneront de l'affection pour un roi, ou pour fon adminiftration, à moins qu'ils ne puiffent efpérer d'en retirer quelque avantage particulier, & ce qui eft arrivé, depuis l'avénement de fa majefté à la couronne, doit être regardé, à mon avis, comme une preuve convaincante de ce que je dis à cet égard. La feconde réflexion que je fais, c'eft que, quelque animés que les deux partis des Whigs & des Torys paroiffent être les uns contre les au

tres, il s'en faut bien que la différence entre leurs principes, par rapport au gouvernement, foit auffi réelle que beaucoup de gens fe l'imaginent. On compte, il eft vrai, parmi les Torys certaines perfonnes, dont les écrits & les difcours favorifent le defpotifme; mais leur nombre eft peu confidérable, & il ne feroit pas jufte d'imputer à tout le corps des Torys les fentimens de quelques particuliers parmi eux, comme il ne feroit pas jufte non plus de mettre fur le compte de tous les Whigs les opinions de quelques gens de ce parti, qui roulent inceffamment dans leur cervelle certains projets républicains, & qui témoignent de l'averfion pour toute forte de gouvernement monarchique. Ce font-là les extrêmes de côté & d'autre, où peu de gens éclairés donnent préfentement en Angleterre : & ceux qui connoiffent bien la carte de ce pays-là, avoueront, je crois, fans difficulté, que les Anglois en général, foit qu'on les nomme Whigs, foit qu'on les nomme Torys, font affez contents de la forme de leur gouvernement, & ne fongent qu'à la maintenir de la maniere qu'elle est établie par les loix du pays. Les deux partis paroiffent avoir en cela le même but, & tout motif d'intérêt à part, on les entend auffi raifonner à peu près de la même maniere, tant fur les prérogatives de la couronne, que fur les pouvoirs du parlement, & les droits du peuple. Ils conviennent tous, que l'autorité fouveraine & législative en Angleterre réfide dans le roi, dans les feigneurs, & dans les communes conjointement; & que chacune de ces trois branches de la conftitution a une négative fur les autres, comme auffi plufieurs pouvoirs particuliers, qui font regardés comme des furetés réciproques pour le falut commun, & par le moyen defquels le gouvernement eft tellement balancé, qu'il femble qu'on foit affez garanti, d'un côté des entreprises ambitieufes du prince, & de l'autre, de la licence effrénée du peuple. Ils conviennent que le roi a le pouvoir de faire la guerre & la paix, de commander les milices & les troupes réglée du royaume, de convoquer, proroger, & diffoudre les parlemens, d'établir les officiers eccléfiaftiques, civils & militaires; en un mot, qu'il a tous les pouvoirs & prérogatives, qu'un bon & fage prince peut fouhaiter pour se faire aimer au dedans, & refpecter au dehors. Ils conviennent que la chambre haute a un droit de jurifdiction en dernier reffort, & fans appel; & que les feigneurs qui en font les membres, fans être liés par les fermens, ni par les formalités qu'on obferve dans les cours inférieures, tiennent la place, & des juges, & des jurés, & décident dans toutes les caufes portées devant eux, felon que leur dictent l'honneur & la conscience. Ils conviennent encore, que la chambre-baffe, qui repréfente les communes d'Angleterre, a non-feulement le pouvoir d'accorder des fubfides & de lever de l'argent, mais qu'elle eft auffi en droit d'informer & d'intenter accufation contre tous ceux qui caufent du défordre dans l'Etat, ou qui abufent de l'autorité que le roi leur a confiée. Enfin on peut dire, que les deux partis reconnoiffent également la juftice de ces

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