Page images
PDF
EPUB

France, & l'oppofition de l'empereur agitoient les cours Européennes. George, par la fageffe de fes négociations, rétablit la concorde entre les maifons d'Autriche & de Bourbon. Mais il fe vit entraîné lui-même dans une guerre fanglante. Les Anglois déclarerent la guerre à l'Espagne, plutôt par une fuite de l'empire qu'ils affectoient fur les mers & par un défir immodéré de dominer dans les deux hémispheres, que par aucun autre motif. Cette conteftation élevée au fond de l'Amérique, embrafa bientôt l'Europe entiere. Les Anglois eurent des fuccès fur mer, & ces fuccès foutinrent leur courage dans les échecs que leurs armes effuyerent fur terre & fur-tout à Fontenoi. Au fort de cette guerre, un rival qui fembloit réunir les vœux des puiffances Européennes à un parti nombreux dans l'Angleterre, menaça le fouverain & la nation. Le prince Edouard, fils aîné de Jacques III, plus connu fous le nom de prétendant ou de chevalier de S. George, vouloit recouvrer le patrimoine de fes peres. Après des fuccès éclatans la fortune l'abandonna. La guerre cependant continuoit d'embrafer les deux mondes. Enfin, l'épuisement des Anglois plutôt que le défir d'une reconciliation fincere leur fit accepter la paix que la France leur offroit. Elle ne fut pas de longue durée. Une nouvelle conteftation élevée entre l'Angleterre & la France, au fujet des limites de l'Acadie, arma les deux nations l'une contre l'autre. Chacune fe fit des alliés, & l'Europe entiere fut en proie aux horreurs de la guerre. George II, n'en vit pas la fin, étant mort le 25 Octobre 1760. Politique habile, il fut faire aimer fon empire d'un peuple qui ne fait guere être gouverné.

Réflexions politiques fur les affaires d'Angleterre pendant les premieres années du regne de George I, & fur les mécontentemens parmi les Anglois qui en furent les fuites. (a)

ON n'a jamais vu parmi les Anglois une joie plus univerfelle, que lorfque le roi George eft monté fur le trône; tout le monde, pour ainfi dire, étoit prévenu en faveur d'un prince, fi renommé pour fa fageffe & pour fa modération, & on n'auguroit que du bien de fon regne; on fe flattoit que Sa Majefté trouveroit le moyen de mettre fin à tous ces différens de parti, qui avoient fi long-temps défiguré la face du gouvernement d'Angleterre, & que l'on verroit confpirer & les Whigs & les Torys au bien général de la nation. Les Whigs, qui avoient eu le deffous du temps de la feue reine, croyoient avoir mérité la faveur du nouveau roi, par le zele qu'ils avoient témoigné en diverfes rencontres pour la fucceffion pro

(a) Ces réflexions, préfentées au roi dont elles examinent la conduite, nous ont paru mériter une place dans cet ouvrage, quoiqu'elles regardent le commencement de ce fiecle.

teftante, & les Torys, qui fe trouvoient dans la poffeffion des charges, elpéroient de pouvoir s'y maintenir, en fe comportant comme de bons & fideles fujets; ou que, fi on dépoffédoit quelques-uns, ce ne feroit que ceux qu'on foupçonneroit avec raifon d'être dans les intérêts du prétendant, ou ceux dont les confeils & la conduite avoient donné d'ailleurs un jufte fujet de plainte à la maifon de Hanover. En un mot, on peut dire, qu'à l'avènement du roi à la couronne, il y avoit tout lieu de croire que fon regne feroit heureux & tranquille, & fi on excepte les Jacobites, dont le nombre n'étoit pas alors fort confidérable, tous les autres Anglois paroiffoient être perfuadés, qu'ils trouveroient leur compte fous l'adminiftration d'un prince, qui, en gouvernant fes fujets en Allemagne, avoit déjà donné de fi grandes preuves de fon habileté & de fa juftice. D'où vient donc qu'il fe trouve à préfent tant de mécontens parmi les Anglois? Le roi ne poffede-t-il pas toujours les mêmes bonnes qualités, qu'il porta avec lui en Angleterre? N'a-t-il pas auffi la même envie de faire fleurir les nations qu'il gouverne? Oui fans doute; & cependant on ne fauroit nier que le nombre de fes amis dans les ifles Britanniques, ne foit confidérablement diminué depuis cinq ou fix ans.

Un tel changement arrivé dans la fituation des affaires de Sa Majefté, mérite bien qu'on en recherche les causes; mais, je ne fais s'il fera facile d'en alléguer, dont tout le monde demeurera également d'accord: car . d'un côté, je vois que les étrangers, pour la plupart, ne font que trop portés à imputer tous les mécontentemens des Anglois, à une inconftance & légéreté qu'ils croient particulieres à ceux de cette nation; par conféquent, ils jugeront peut-être, qu'il eft affez inutile d'en chercher d'autres raifons. D'un autre côté, les Anglois eux-mêmes font fi divifés, & fi animés les uns contre les autres, que ce qui plaît fouvent aux Whigs, par exemple, déplaît pour la même raifon aux Torys; & ce qui plaît aux Torys, déplaît aux Whigs: le moyen donc de les contenter tous; quoi qu'il en foit, comme j'ai une fincere affection pour les intérêts du roi, & comme je m'imagine qu'il pourroit être de quelque utilité pour fon fervice, fi on lui repréfentoit naïvement ce qu'il y a dans fa conduite, ou dans celle de fes miniftres, qui peut avoir donné lieu à cette aliénation des efprits, & à cette défaffection au gouvernement, qu'on remarque depuis quelque temps en Angleterre ; j'ai cru devoir hafarder cet écrit, & quoique j'aie réfolu de dire mes penfées un peu librement, j'efpere qu'on ne m'accufera pas de malignité; puifque je n'ai nulle autre vue en écrivant que de contribuer, autant qu'il m'eft poffible, à faire prendre des mesures qui à l'avenir pourront procurer à Sa Majefté tout l'agrément, & toute la fatisfaction qu'un prince doué de fi belles qualités puiffe mériter.

Je dirai donc en premier lieu, que je fuis du fentiment de ceux qui croient, que la conduite, qu'a tenue le feu baron Schutz en Angleterre, a fait un tort confidérable aux affaires de fon maître, & que la grande

[ocr errors]

diftinction que ce miniftre trouva à propos de faire entre les deux partis, des Whigs & des Torys, doit être regardée comme la premiere source des difficultés, que le roi a rencontrées dans fon gouvernement, depuis qu'il eft monté fur le trône.

On ne fauroit, je crois, nier, que les Torys n'aient concouru également avec les Whigs, au premier réglement qu'on a fait de la fucceffion proteftante, & qu'ils ne fuffent même alors autant perfuadés que les autres, que de ce réglement dépendoit la fureté de leur religion, & de la conftitution du gouvernement Anglois. Si quelque temps après on a vu du refroidiffement dans leur affection pour la maifon de Hanover, ou s'il y en a quelques-uns, qui ont véritablement tramé des deffeins pour renverfer la fucceffion, on prétend que cela doit être imputé à la maniere dont M. Schutz s'eft comporté à leur égard; & qu'on n'aura pas la peine à en convenir, pour peu qu'on faffe réflexion fur ce qui s'eft paffé en Angleterre, & à Hanover, pendant quelques années avant la mort de la feue reine. En effet, lorfque les Torys ont vu que d'un côté M. Schutz les évitoit, & les regardoit comme des gens fufpects, ou comme des Jacobites; & que de l'autre, il s'attachoit uniquement aux Whigs, comme s'il n'y eut eu que ceux qu'on nommoit ainfi, qui fuffent bien intentionnés pour les intérêts de fon maître, ils commencerent d'abord à fe récrier contre une telle partialité, & à fouhaiter que le miniftre de Sa Majefté en Angleterre changeât un peu de conduite; mais comme ils voyoient que leurs plaintes & leurs fouhaits à cet égard, ne leur fervoient de rien, & que M. Schutz ne revenoit pas de fes préventions; ils difent qu'il leur étoit alors affez naturel d'appréhender, que ce monfieur ne tâchât auffi de leur rendre de mauvais offices à Hanover, & qu'il ne donnât à cette cour-là, une idée auffi défavantageufe de leur parti, que celle qu'il paroiffoit avoir lui-même, ce qui avec le temps leur pouvoit être d'un très-grand préjudice; c'eft pour cette raifon entr'autres, qu'ils difent avoir projeté & propofé dans le parlement l'affaire de l'invitation, efpérant que, fi Son Alteffe Royale madame l'électrice fút alors venue en Angleterre, ils auroient pu trouver de bonnes occafions de la convaincre qu'ils ne cédoient aux Whigs, ni en zele, ni en affection pour les intérêts de la maifon de Hanover; mais les Whigs s'oppoferent à ce deffein d'appeller madame l'électrice, & comme ils étoient alors en poffeffion des charges du gouvernement, il femble qu'ils aient cru que leur principale affaire étoit de ménager les bonnes graces de la reine, & de ne point confentir à ce qui pût en aucune maniere déplaire à Sa Majefté : c'eft pourquoi ils parlerent par-tout du projet de l'invitation comme d'une chofe, qui pourroit caufer de la méfintelligence entre la cour d'Angleterre & celle de Hanover, & qui, bien-loin d'affurer la fucceffion comme prétendoient les Torys, la mettroit plutôt en danger. Ils trouverent auffi le moyen de faire entrer M. Schutz dans leurs vues, & on ne fauroit niér, que ce miniftre n'ait

beaucoup

beaucoup contribué à faire échouer l'affaire de l'invitation. Cependant, quelques années après, on a vu que ces mêmes Whigs, lorfqu'ils n'étoient plus dans les emplois, ont fouhaité auffi ardemment, qu'avoient fait auparavant les Torys, que quelqu'un des princes de la maifon de Hanover fût appellé en Angleterre; & on a vu de l'autre côté, que les mêmes Torys, qui avoient tant prêché la néceffité de l'invitation, ont changé de langage dès qu'ils fe font crus affurés des bonnes graces de la reine: preuve, mon avis, que, ni les uns, ni les autres n'ont férieufement fouhaité la présence de l'héritier préfomptif en Angleterre, que lorsqu'ils ont espéré d'y trouver leur avantage particulier. Quoi qu'il en foit, les Torys parurent être fâchés d'avoir manqué leur coup par rapport à l'invitation; ils en blâmerent fort M. Schutz, & témoignerent même dès ce temps-là de n'être pas entiérement fatisfaits de la cour de Hanover, qui approuvoit & foutenoit la conduite de fon miniftre; ce qui felon eux, étoit prendre parti avec leurs adverfaires les Whigs. Je puis ajouter, que leurs mécontentemens à cet égard auginenterent beaucoup, lorfqu'ils ont vu que les repréfentations, qu'on faifoit de temps en temps de leur part à Hanover, ne produifoient que peu d'effet. M. Creffet, M. Poley, & mylord Winchelsea avoient tous tâché, dit-on, de donner une idée plus favorable des Torys, que celle qu'on avoit tirée des lettres & des relations de M. Schutz; mais en vain, on continuoit toujours à fe défier de ceux de ce parti, & à les regarder comme des gens moins bien intentionnés que les autres. Mylord Rivers fut envoyé après, & il eut ordre non-feulement de donner de nouvelles affurances de l'affection, & de l'amitié fincere de la reine, mais aussi de faire tout ce qu'il pouvoit, pour induire les princes de la maifon d'Hanover à avoir meilleure opinion des Torys, & à être perfuadés, que les nouveaux miniftres de Sa Majefté Britannique, étoient auffi fermement attachés aux intérêts de Leurs Alteffes que les anciens. On prétend, que ce miniftre ne réuffit pas trop dans fa négociation; & on prétend avoir remarqué, que ce fut vers le temps de fon envoi, que les miniftres d'Hanover ont commencé à prendre de plus fortes liaisons avec les Whigs qu'auparavant, & qu'ils paroiffoient même régler leur conduite, par rapport aux affaires d'Angleterre, felon les avis qu'ils en recevoient. On allegue pour preuves de ces liaisons, & de la préférence qu'on donnoit aux Whigs, le mémoire de M. le comte de Bothmer, & ce qui s'eft paffé touchant le Writt du duc de Cambridge, comme auffi la facilité, qu'ont témoigné beaucoup de gens à la cour d'Hanover, d'ajouter foi aux bruits malicieux qu'on y faifoit répandre au défavantage de la reine, & de ceux qui la fervoient. Il ne faut pas douter, que cette conduite des miniftres de la cour d'Hanover, n'ait beaucoup déplu aux Torys; & il peut bien être, que quelques-uns des plus vifs, parmi les gens de ce parti, aient donné à entendre, qu'ils n'auroient pas été fort fachés, qu'on eût trouvé les moyens de priver Sa Majefté, & les princes de fon augufte maison,

Tome XX.

A aa

de leur droit de fuccéder à la couronne de la Grande-Bretagne; mais avec tout cela, on outre fort la chofe à mon avis, quand on dit, que tous les Torys, auffi-bien que tous les miniftres de la feue reine, ont confpiré enfemble, avant la mort de cette princeffe, pour renver fer la fucceffion, & pour introduire le prétendant en Angleterre. J'avoue franchement, que je n'ai pas vu de raifons, qui doivent m'induire à imputer au corps des Torys un tel deffein, & ce feroit, il me femble, trop manquer de charité que de les en fuppofer coupables, fans preuves. Non, je fuis persuadé, que la plupart des Torys, auffi-bien que les Whigs, ont vu prendre poffeffion du trône avec joie; non-feulement parce qu'ils n'avoient point d'autre parti à prendre, qui fût compatible avec la religion, & la liberté de leur pays, mais auffi parce qu'ils efpéroient que Sa Majefté raccommoderoit en peu de temps, ce que la conduite partiale & paffionnée de M. Schutz, & de quelques autres avoit gâté. J'ofe dire de plus, que même de ces Torys, qu'on croyoit les plus coupables, il y en avoit beaucoup qu'on eût pu ramener, & rendre de bons fujets du roi, pour peu qu'on s'y fût appliqué : & ce qui me le fait dire, c'eft qu'il m'a toujours paru, que la plupart des Torys, qui paffoient pour être Jacobites du temps de la feue reine, ne l'ont pas tant été parce qu'ils regardoient le droit héréditaire comme une chofe facrée ou inviolable, ni parce qu'ils croyoient que la perfonne du prétendant fût à préférer à celle du roi George, que parce qu'ils appréhendoient que Sa Majefté, dans la diftribution qu'elle feroit des charges & des avantages du gouvernement, auroit plus d'égard aux Whigs, qu'à ceux de leur parti; mauvaise raison, je l'avoue, & telle que de vrais patriotes auroient honte d'alléguer; mais, s'il m'eft permis de le dire, ces patriotes font préfentement affez rares en Angleterre; & je ne fais fi on en trouve plus parmi les Whigs, que parmi les Torys. Quoi qu'il en foit, je crois, qu'on court toujours rifque de fe tromper en fait de raifonnement politique, lorfqu'on fuppofe que les hommes en général agiront, par d'autres principes que par amour-propre; ainfi je puis, il me femble, conclure que M. Schutz a fait un tort confidérable aux affaires de fon maître, lorfqu'il a trouvé à propos de ne ménager qu'une forte de gens en Angleterre ; & lorfque par fes paroles & par fes actions, il a donné lieu aux Torys, de croire qu'il n'y auroit rien à efpérer pour eux, fous le gouvernement des princes de la maifon de Hanover; hinc ille lachrymæ, c'eft-là, à mon avis, la premiere fource du mécontentement des Torys, & leur mécontentement peut bien les avoir portés à dire, ou à faire des chofes, dont la cour de Hanover n'avoit pas trop lieu d'être contente.

Au refte, quelque mal fatisfaits que fuffent les Torys, avant l'avènement du roi à la couronne, il eft certain, que leurs mécontentemens depuis ce temps-là, font augmentés au double; & je ne fai fi on doit beaucoup s'en étonner, lorfqu'on confidere de quelle maniere les miniftres Anglois fe font conduits depuis quatre ans, & combien les mefures, qu'ils

« PreviousContinue »