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beaucoup contribué à faire échouer l'affaire de l'invitation. Cependant, quelques années après, on a vu que ces mêmes Whigs, lorfqu'ils n'étoient plus dans les emplois, ont fouhaité auffi ardemment, qu'avoient fait auparavant les Torys, que quelqu'un des princes de la maifon de Hanover fût appellé en Angleterre ; & on a vu de l'autre côté, que les mêmes Torys, avoient tant prêché la néceffité de l'invitation, ont changé de langage, dès qu'ils fe font crus affurés des bonnes graces de la reine: preuve, à mon avis, que, ni les uns, ni les autres n'ont férieufement fouhaité la présence de l'héritier préfomptif en Angleterre, que lorsqu'ils ont espéré d'y trouver leur avantage particulier. Quoi qu'il en foit, les Torys parurent être fâchés d'avoir manqué leur coup par rapport à l'invitation; ils en blâmerent fort M. Schutz, & témoignerent même dès ce temps-là de n'être pas entiérement fatisfaits de la cour de Hanover, qui approuvoit & foutenoit la conduite de fon miniftre; ce qui felon eux, étoit prendre parti avec leurs adversaires les Whigs. Je puis ajouter, que leurs mécontentemens à cet égard auginenterent beaucoup, lorfqu'ils ont vu que les repréfentations, qu'on faifoit de temps en temps de leur part à Hanover, ne produifoient que peu d'effet. M. Creffet, M. Poley, & mylord Winchelsea avoient tous tâché, dit-on, de donner une idée plus favorable des Torys, que celle qu'on avoit tirée des lettres & des relations de M. Schutz; mais en vain, on continuoit toujours à fe défier de ceux de ce parti, & à les regarder comme des gens moins bien intentionnés que les autres. Mylord Rivers fut envoyé après, & il eut ordre non-feulement de donner de nouvelles affurances de l'affection, & de l'amitié fincere de la reine, mais auffi de faire tout ce qu'il pouvoit, pour induire les princes de la maifon d'Hanover à avoir meilleure opinion des Torys, & à être perfuadés, que les nouveaux miniftres de Sa Majefté Britannique, étoient auffi fermement attachés aux intérêts de Leurs Alteffes que les anciens. On prétend, que ce miniftre ne réuffit pas trop dans fa négociation; & on prétend avoir remarqué, que ce fut vers le temps de fon envoi, que les miniftres d'Hanover ont commencé à prendre de plus fortes liaisons avec les Whigs qu'auparavant, & qu'ils paroiffoient même régler leur conduite, par rapport aux affaires d'Angleterre, felon les avis qu'ils en recevoient. On allegue pour preuves de ces liaifons, & de la préférence qu'on donnoit aux Whigs, le mémoire de M. le comte de Bothmer, & ce qui s'eft paffé touchant le Writt du duc de Cambridge, comme auffi la facilité, qu'ont témoigné beaucoup de gens à la cour d'Hanover, d'ajouter foi aux bruits malicieux qu'on y faifoit répandre au défavantage de la reine, & de ceux qui la fervoient. Il ne faut pas douter, que cette conduite des miniftres de la cour d'Hanover, n'ait beaucoup déplu aux Torys; & il peut bien être, que quelques-uns des plus vifs, parmi les gens de ce parti, aient donné à entendre, qu'ils n'auroient pas été fort fachés, qu'on eût trouvé les moyens de priver Sa Majefté, & les princes de fon augufte maison,

Tome XX.

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de leur droit de fuccéder à la couronne de la Grande-Bretagne; mais avec tout cela, on outre fort la chofe à mon avis, quand on dit, que tous les Torys, auffi-bien que tous les miniftres de la feue reine, ont confpiré enfemble, avant la mort de cette princeffe, pour renverser la fucceffion, & pour introduire le prétendant en Angleterre. J'avoue franchement, que je n'ai pas vu de raifons, qui doivent m'induire à imputer au corps des Torys un tel deffein, & ce feroit, il me femble, trop manquer de charité que de les en fuppofer coupables, fans preuves. Non, je fuis perfuadé, que la plupart des Torys, auffi-bien que les Whigs, ont vu prendre poffeffion du trône avec joie; non-feulement parce qu'ils n'avoient point d'autre parti à prendre, qui fût compatible avec la religion, & la liberté de leur pays, mais auffi parce qu'ils efpéroient que Sa Majefté raccommoderoit en peu de temps, ce que la conduite partiale & paffionnée de M. Schutz, & de quelques autres avoit gâté. J'ofe dire de plus, que même de ces Torys, qu'on croyoit les plus coupables, il y en avoit beaucoup qu'on eût pu ramener, & rendre de bons fujets du roi, pour peu qu'on s'y fût pliqué : & ce qui me le fait dire, c'eft qu'il m'a toujours paru, que la plupart des Torys, qui paffoient pour être Jacobites du temps de la feue reine, ne l'ont pas tant été parce qu'ils regardoient le droit héréditaire comme une chofe facrée ou inviolable, ni parce qu'ils croyoient que la perfonne du prétendant fût à préférer à celle du roi George, que parce qu'ils appréhendoient que Sa Majefté, dans la diftribution qu'elle feroit des charges & des avantages du gouvernement, auroit plus d'égard aux Whigs, qu'à ceux de leur parti; mauvaise raison, je l'avoue, & telle que de vrais patriotes auroient honte d'alléguer; mais, s'il m'eft permis de le dire, ces patriotes font préfentement affez rares en Angleterre; & je ne fais fi on en trouve plus parmi les Whigs, que parmi les Torys. Quoi qu'il en foit, je crois, qu'on court toujours rifque de fe tromper en fait de raifonnement politique, lorfqu'on fuppofe que les hommes en général agiront, par d'autres principes que par amour-propre; ainfi je puis, il me femble, conclure que M. Schutz a fait un tort confidérable aux affaires de fon maître, lorsqu'il a trouvé à propos de ne ménager qu'une forte de gens en Angleterre ; & lorfque par fes paroles & par fes actions, il a donné lieu aux Torys, de croire qu'il n'y auroit rien à espérer pour eux, fous le gouvernement des princes de la maifon de Hanover; hinc illæ lachrymæ, c'eft-là, à mon avis, la premiere fource du mécontentement des Torys, & leur mécontentement peut bien les avoir portés à dire, ou à faire des chofes, dont la cour de Hanover n'avoit pas trop lieu d'être contente.

Au refte, quelque mal fatisfaits que fuffent les Torys, avant l'avènement du roi à la couronne, il eft certain, que leurs mécontentemens depuis ce temps-là, font augmentés au double; & je ne fai fi on doit beaucoup s'en étonner, lorfqu'on confidere de quelle maniere les miniftres Anglois fe font conduits depuis quatre ans, & combien les mefures, qu'ils

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ont jugé à propos de prendre, ont été peu propres à calmer, & à ramener des efprits, qui, comme j'ai remarqué, étoient déjà un peu aliénés de la Maifon de Hanover. Je prévois aifément, qu'en parlant ainfi, je cours rifque de paffer pour un partisan des Torys, & il n'arrive que trop fouvent en Angleterre, que, lorfqu'un homme n'approuve pas indifféremment tout ce qui eft dit, ou fait par un parti, il eft d'abord regardé comme étant du parti contraire; les neutres n'y trouvent point de place, & font traités, fi je l'ofe dire, plutôt en ennemis communs, qu'en perfonnes défintéreffées. Quoiqu'il en foit, je ne fais pas difficulté d'avouer, que je fuis du nombre de ceux qui croyent, qu'il y a eu des fautes des deux côtés, & comme je me fens fort éloigné d'approuver certaines démarches des Torys, auffi ne puis-je pas croire que les Whigs foient infaillibles, ni que les confeils, qu'ils ont donnés au roi, ayent été tels que le vrai intérêt de Sa Majefté, & le bien de fes royaumes paroiffoient le demander. J'ai déjà infinué, qu'à l'avénement du roi à la couronne les Torys avoient espéré qu'on leur laifferoit quelque part dans l'adminiftration des affaires, & que ceux d'entr'eux qu'on pourroit croire bien intentionnés pour les intérêts de Sa Majefté, & capables en même-temps de la fervir, feroient maintenus dans la poffeffion de leurs charges, & de leurs emplois ; on prétend auffi, que le roi eft parti de Hanover dans l'intention de faire la diftribution de fes graces, & de fes bienfaits, d'une maniere qu'aucun des deux partis ne pût avec raison y trouver à redire, & ceux qui connoiffent l'équité & la modération de ce prince, croiront facilement, que c'étoit-là fon deffein. Quel dommage donc qu'on l'ait détourné! Quel dommage qu'on lui ait confeillé des mefures, qui ne pouvoient guere manquer de produire les fuites qu'on en a vu naître, & qui en pourront encore produire de bien facheufes, à moins qu'on n'y remedie!

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Il étoit, je l'avoue, bien naturel au roi d'avoir de la confiance dans des perfonnes, qui lui avoient été recommandées par fes miniftres, nonfeulement, comme les Anglois les plus affectionnés à fes intérêts, mais auffi comme les gens les plus capables de l'affifter de leurs confeils. On avoue auffi, que ceux que Sa Majefté choifit d'abord, pour le maniement de fes affaires en Angleterre, étoient pour la plupart des perfonnes d'un mérite fort diftingué; mais fi je dis avec cela, qu'il a paru un peu trop d'emportement dans leur conduite, fi je dis, que la haine & l'animofité, qu'ils avoient contre les miniftres de la feue reine, ont eu quelque part aux premiers confeils qu'ils ont donnés au roi, je ne dirai, je crois, que ce que penfent préfentement les gens modérés, & en Angleterre, & ailleurs. En effet, s'ils n'avoient eu en vue que l'intérêt de Sa Majefté, le bonheur & la tranquillité de fes Etats, il eft à préfumer qu'ils s'y feroient pris d'une toute autre maniere qu'ils n'ont fait; ils avoient vu, qu'à l'avénement du roi à la couronne tous les Anglois, pour ainfi dire, ont paru être fatisfaits & contens; Whigs & Torys, fe font empreffés à l'envi de

témoigner leur joie, & de rendre leurs premiers hommages, fans qu'on pût dire, à en juger, felon les apparences, lequel des deux partis eut le plus de zele, & d'affection pour le fervice de Sa Majefté. On a cru, il eft vrai, que les proteftations des Torys en cette occafion, n'étoient pas fi finceres que celles des autres, & je le veux fuppofer falloit-il pour cela irriter, & pouffer à bout une partie auffi confidérable de la nation Angloife? La bonne politique ne demandoit-elle pas plutôt, qu'au commencement d'un regne, on ménageât tout le monde, & qu'on fongeât aux moyens de gagner, & d'attirer dans les intérêts du roi, ceux mêmes qu'on croyoit les moins bien intentionnés? Il femble que, pour peu qu'on foit équitable, & défintéreffé, on doit dire que c'étoit-là le chemin qu'il falloit prendre; mais n'en déplaife aux chefs des Whigs, ils ne croyoient pas trouver leur compte dans ces fortes de ménagemens, & comme ils afpiroient non-feulement à la préférence dans l'eftime du roi, mais auffi à être les feuls difpenfateurs de fes bienfaits, ils ont apparemment jugé que, pour parvenir à ce but, il falloit néceflairement ruiner, & perdre de réputation tous ceux qui n'étoient pas de leur parti; c'eft pourquoi, non contens d'avoir tout mis en ufage, pour rendre les Torys odieux auprès du roi & auprès du prince, non contens de les avoir fait dépouiller de leurs charges & de leurs emplois, ils voulurent encore que les principaux en fuffent punis comme des traîtres, & comme des gens qui avoient vendu à la France les intérêts de leur propre pays, auffi bien que du refte de l'Europe. On fit rechercher la conduite des miniftres, & des généraux de la feue reine; on les accufa de haute trahifon, & de quelques autres crimes; & on n'oublia affurément rien pour faire valoir ces accufations tant auprès des feigneurs qui en devoient juger, que parmi le peuple Anglois, qu'on excitoit de plufieurs manieres à regarder les Torys, comme des ennemis de la patrie, & de la fucceffion proteftante.

Je n'entre pas dans le détail de ce que les Whigs ont dit, pour foutenir leurs accufations contre les Torys; ni de ce que ceux-ci ont allégué pour fe juftifier. On a déjà vu plufieurs écrits de cette forte, de part & d'autre ; &, fi je ne me trompe, le monde raifonnable eft préfentement affez convaincu, que l'affaire des impéachments a été pouffée avec trop de violence, & que les crimes n'ont pas paru fi clairement d'un côté, que l'envie d'accufer de l'autre. D'ailleurs, en fuppofant que les Torys aient été coupables de la plupart des chofes qu'on leur a imputé, il ne s'enfuivra pas, qu'on doive approuver le procédé qu'on a tenu contr'eux. Perfonne n'ignore, que de toutes les vertus royales, la clémence eft celle qui attire le plus l'affection & les cœurs des fujets. On voit auffi dans l'hiftoire, que c'eft la pratique ordinaire des princes, de commencer leurs regnes par des actes d'amniltie & de grace. Le roi Jacques même, quelques défauts qu'il pût avoir d'ailleurs, lorfqu'on propofa à fon avénement à la couronne de noter ceux qui du temps de fon frere avoient opiné à

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fon exclufion, dit, qu'il avoit pardonné tout ce qu'on avoit fait contre
lui lorsqu'il étoit duc d'York. Il me femble donc, qu'on devoit, à plus
forte raifon, s'attendre à une telle générofité d'un prince naturellement clé
ment, & débonnaire comme le roi George & je fuis perfuadé, qu'on
auroit pu s'y attendre, fans courir rifque d'être fruftré dans fon attente,
fi Sa Majefté eut voulu fuivre fes propres lumieres, ou fi fes confeillers
euffent été moins paffionnés ou moins intéreffés. Mais difons les chofes
comme elles font, les Whigs étoient piqués du mauvais traitement, qu'ils
prétendoient avoir reçu des miniftres de la feue reine, & ils voulurent
s'en venger à quelque prix que ce fût; d'ailleurs ils croyoient qu'il étoit
de leur intérêt de faire tellement abattre le parti des Torys, qu'il ne pût
jamais fe relever, ni entrer en concurrence avec eux pour les charges du
gouvernement, qu'ils vouloient poffèder feuls : l'occafion leur étoit favo-
rable, & ils n'avoient, pour ainfi dire, qu'une feule difficulté à furmon-
ter; qui étoit, que le roi leur paroiffoit un prince trop éclairé pour ne sa-
voir pas diftinguer entre leur intérêt & le fien; de forte que de quelque
beaux prétextes qu'ils puffent colorer leur deffein, il étoit à craindre que
Sa Majesté ne découvrit le vrai motif qui les faifoit agir: ils prévoyoient
bien que, pour peu qu'on les foupçonnât de ne chercher que leur propre
établiffement, lorfqu'ils prétendoient avoir beaucoup de zele contre les en-
nemis du gouvernement, pour peu que le roi fût perfuadé que les To-
rys étoient moins criminels qu'on ne difoit, ou (fuppofé qu'il les crut
coupables) pour peu qu'il eût inclination à leur faire grace du paffé, en
ce cas dis-je, les Whigs prévoyoient que leur plan feroit gâté,
& que
quelques-uns de leurs adverfaires, dont on connoiffoit l'habileté & l'expé-
rience, feroient mis dans les emplois. C'eft pourquoi ils fe fervirent de
toute leur adreffe, pour faire croire au roi, & à ceux qui avoient le plus
de crédit auprès de Sa Majefté, que les Torys étoient des gens, auxquels
on ne pourroit jamais le fier, que leur malice contre la Maifon de Hano
ver étoit invétérée, & que nul traitement favorable ne pourroit les ga-
gner on foutenoit que leur conduite par rapport à la paix d'Utrecht, &
les démarches qu'ils avoient faites en faveur du prétendant, étoient des
chofes fi criminelles, que ceux qui avoient le moindre égard pour la juf-
tice, ou pour l'honneur de la nation britannique, devoient tâcher de les
en faire punir au plutôt, & que, jufques à ce qu'on l'eût fait, la personne
du roi ne feroit pas en fureté, ni fon gouvernement affermi.

Il y a de l'apparence, que ces fortes de représentations, qu'une partie du peuple Anglois faifoit contre l'autre, n'auroient pas tant fait d'impreffion fur l'efprit d'un prince équitable comme le roi, fi elles n'avoient pas été appuyées par les confeils de Mr. de Bernftorff, & Mr. de Bothmer, deux miniftres Allemands qui pafferent en Angleterre avec fa majeflé, & qui, étant eux-mêmes prévenus de longue main contre les Torys, ne négligerent apparemment rien, pour faire donner le roi dans leur préjugé

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