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modeftie; on imprime enfuite les détails du jugement, & tout le monde les lit avidement, ce qui annonce des imaginations corrompues & des mœurs dépravées.

Mais un ouvrage formé fur un plan auffi vafte que celui de ce code, eft destiné à être lu par les juges & les philofophes, & il eft au-deffus des objections minutieufes que peuvent lui oppofer les efprits étroits; tous les cenfeurs délicats qui font choqués, ou du moins qui prétendent l'être, en entendant prononcer certains crimes, font accufés fouvent de l'être beaucoup moins quand il eft queftion de les commettre; d'ailleurs, pour que des fujets foient inftruits, & que le magiftrat fuprême ait un guide, la description des délits ne peut pas être trop détaillée ni trop particuliere. Les CHAP. X, XI, XII, XIII, XIV & XV, contiennent les loix concernant les baux & locations, les achats & les ventes, les bornes & limites, les partages dans la culture des terres, la police des villes & des campagnes, les dommages faits à une récolte, les injures, &c. Les légiflateurs entrent dans de grands détails fur toutes ces matieres, & il faut convenir que quelques-unes de leurs loix portent l'empreinte d'une profonde raison qui feroit honneur à nos tribunaux modernes, mais il y en a aussi de puériles, de contradictoires, d'abfurdes même, qui cependant ne laiffent pas d'être en vigueur, parce qu'elles tiennent à des préjugés auffi fortement enracinés dans l'efprit des Indoux, que les principes de la faine morale le font dans l'ame du fage.

CHAP. XVI. Celui-ci traite des violences qu'un homme peut faire à un autre, & de ce qui précede l'attaque : tous ces détails fi finguliers font fondés fur la pureté que chaque Gentoux attribue à fa cafte; on y voit en outre prefque toutes les mal-propretés fpécifiées exactement & ftrictement défendues; & la peine eft toujours proportionnée au rang des coupables, & aux circonftances où ils fe trouvent. Les mêmes idées de fouillure par le contact de quelque chofe de mal-propre, femblent avoir été foigneufement inculquées aux juifs par Moyfe; & le dix-neuvieme chapitre des nombres a un rapport évident avec l'efprit & le fens de celui-ci, quoiqu'ils different dans l'énumération des objets qui produifent des fouillures ces réglemens étoient néceffaires chez un peuple, dont l'état & le rang dans la fociété dépendoient de la fuite de toute communication illicite; c'eft pour cela qu'on a défendu ce qui précede ces fortes d'actions, ainfi que les actions elles-mêmes; & il n'eft pas befoin de rendre autrement raifon de l'énumération tautologique de chaque maniere poffible d'attaquer un homme, ainfi que des gradations les plus minutieufes par lefquelles on en vient aux coups.

CHAP. XVII. Le chapitre fur le vol contient une réponse complete à toutes les objections qu'on peut faire contre l'article du code, dont j'ai déjà parlé, qui traite des regles que doivent, fuivre les voleurs dans le partage de leur butin; car prefque toutes les efpeces poffibles de

fraude ou de vol font ici indiftin&tement condamnées. Parmi les différens châtimens, on trouve plufieurs fois, ceux, » de couper les cheveux, de » rafer avec l'urine d'un âne, &c.; « ces punitions reffemblent au pilori, plutôt deftiné à affliger & tourmenter l'efprit que le corps, & à prévenir le châtiment corporel par le fentiment de la honte & du déshonneur. Après l'expulfion de fa cafte, ces peines font regardées par tous les Indoux, comme la dégradation la plus terrible. Quelques auteurs imaginent que cette punition chaffe réellement de la tribu dont on eft membre; mais ils fe trompent, ce font feulement des humiliations paffageres, & une efpece d'avertiffement, qu'à la premiere offense, le glaive de la justice frappera la tête du coupable.

Les peines impofées, dans la troisieme fection de ce chapitre, à ceux qui volent en fecret, comprennent la plupart des fupplices qu'ordonnent les tribunaux anciens & modernes. La corde & la crucifixion femblent avoir été les peines le plus ordinairement infligées par les Juifs, mais leurs loix ordonnoient auffi celle du feu, comme on le voit par le vingt-unieme chapitre du Lévitique » fi la fille d'un prêtre s'aviliffant elle-même, en faifant les fonctions d'une proftituée, profane la dignité de fon pere, elle

> fera brûlée. «

Le crime de voler des hommes, dont parle le code, n'eft point particulier aux Gentoux; car il eft auffi défendu, fous peine de mort, dans le Deuteronome, chapitre 24: » fi un homme eft furpris enlevant quelques» uns de fes freres, des enfans d'Ifraël, pour les vendre, tu feras punir » de mort, & tu écarteras cette pefte du milieu du peuple. «

Cette partie de la compilation énonce un grand nombre de crimes, punis de différentes peines capitales, contre l'opinion générale, adoptée en Europe, que l'adminiftration des Gentoux, extraordinairement douce, n'aimoit pas à priver les coupables de la vie; peut-être qu'on a eu cette idée, parce que depuis que l'Empire Tartare eft devenu abfolu dans l'Inde, quoiqu'on ait permis aux Indoux (comme aux Juifs en captivité), de vivre fuivant leurs réglemens & leurs loix, on ne les a pas laiffés les maîtres de les fuivre lorfqu'elles décernoient des peines de mort. On trouve ici des exemples d'une févérité qui pourroit paroître outrée, fi, dans les loix des Juifs, on n'en voyoit pas beaucoup de pareils. L'ordre donné par Moyfe, de lapider un fils rebelle ou une fille qui n'eft pas vierge; celui de Samuel, de tailler Agag en pieces; des nations entieres maffacrées d'après une profcription générale; & mille autres paffages, prouvent que les loix de la plupart des nations de l'antiquité étoient fort dures; & s'il y a en Angleterre (comme on le dit), quatre-vingt efpeces de félonies, toutes fujettes à une peine capitale, la législation des Gentoux n'eft guere plus fanguinaire.

La premiere partie de cette fection traite en particulier des vols commis par la cafte des brames; & fi ces coupables privilégiés ne font pas foumis

à des peines capitales; on leur impofe d'ailleurs des châtimens terribles : on peut conclure de-là que cette exemption eft fondée sur le respect dû à la fainteté de leurs fonctions & de leur caractere, plutôt que fur l'injufte préférence que fe font attribuée ces législateurs.

CHAP. XVIII. De la violence. Il n'eft pas feulement queftion dans ce chapitre des violences qu'un particulier peut exercer contre un autre; mais auffi des concuffions & autres injuftices qu'un magiftrat, un juge peut commettre contre un ou plufieurs particuliers. » Si un magiftrat, dit la loi, » exige de force & d'une maniere violente, une amende d'un homme qui » n'est pas coupable, ou accorde des graces à un coupable, il fera con» damné au double de ce qu'il aura exigé ou accordé. »

CHAP. XIX. Les dix-neuvieme & vingtieme chapitres peignent, d'une maniere très-fidele, les mœurs afiatiques. Pour les hommes fans préjugés, ce tableau ne paroîtra ni indécent, ni mal-honnête; ils ne le jugeront que reffemblant. Les vices, ainfi que les modes, ont leur origine & leur décadence, non-feulement dans le caractere des individus, mais dans celui des nations entieres; on les voit s'établir, régner, & s'évanouir tour à tour, pour faire place à d'autres. Si l'on trouve ici quelques idées contraires à notre maniere de penfer, ou des crimes qui ne font pas défendus parmi nous, il faut l'attribuer à l'effet différent que produit fur l'efprit humain, la différence des climats, des coutumes, des mœurs, &c. 11 ne feroit donc pas raisonnable de critiquer la cinquieme fection de ce dixneuvieme chapitre, parce qu'elle traite d'un délit abfurde en lui-même, qui ne doit pas arriver fouvent, & qui n'a jamais été défendu par nos légiflateurs (a); ces objections décéleroient un grande ignorance de la nature humaine, ainfi que des principes les plus communs de l'adminiftration des Etats; car les loix pénales (excepté pour les crimes les plus ordinaires) ne s'établiffent que lorfque l'expérience a prouvé qu'elles font abfolument indifpenfables; ainfi le parricide ne fe trouve pas dans les premieres inftitutions du légiflateur de Sparte.

En Afie, la virginité de la femme a toujours été la condition la plus effentielle du mariage: cette précaution eft une fuite de la chaleur du tempérament des deux fexes, & de la jaloufie univerfellement répandue parmi les hommes : le premier acte d'incontinence a toujours été jugé fort dangereux pour la fuite; & Moyfe confidéroit ce crime fous un point de vue auffi férieux que les Gentoux, puifqu'il ordonne de lapider une fille qui ne fe trouve pas vierge à fon mariage. Si les Indoux font auffi déli

(a) Peines contre ceux qui mettent le doigt dans le pudendum d'une femme non-mariée: C'eft le titre de cette fection qui condamne le coupable, tantôt à une amende, tantôt à perdre un ou deux doigts, fuivant la griéveté du délit, & la différence des caftes. La loi about même l'homme qui a pris cette indécente liberté avec une fille d'une cafte inférieure, lorfqu'elle y a confenti.

cats que les Juifs, il ne doit point paroître extraordinaire, qu'une fection particuliere de ce code, condamne tout ce qui peut violer la virginité, & en détruire les moyens même fans copulation, & devenir par-là également funefte pour les femmes.

Le meilleur moyen de conferver la vertu d'une femme, eft d'écarter toutes les tentations, & par conféquent les précautions qu'on prend fur cela font raisonnables; voilà pourquoi, au commencement de ce chapitre, on interdit jufqu'aux différentes gradations de la galanterie chez les Afiatiques; en puniffant ainfi tout ce qui conduit à l'offenfe, le légiflateur annonce un tendre intérêt en faveur du coupable; il lui donne des avis falutaires dès le moment où il commence à fe perdre, & avant que l'accomplissement du crime ne le foumette à la derniere rigueur de la foi.

CHAP. XX. Il ne fera pas hors de propos de dire, à l'occafion de ce chapitre, que les brames, compilateurs de ce code, étoient fort avancés en âge, l'un d'eux avoit plus de 80 ans, & le plus jeune en avoit 35; car ils font des obfervations & des cenfures très-peu galantes fur la conduite & le mérite du beau fexe. Salomon qui avoit autant d'expérience des femmes qu'aucun des brames, étoit à peu près du même fentiment, comme le prouvent un grand nombre de paffages de fes proverbes; un verfet du trentieme chapitre, reffemble tellement à une fentence de cette partie du code, que l'un paroît avoir été prefque littéralement transcrit de l'autre. "Il y a trois chofes insatiables, & une quatrieme qui ne dit » jamais c'eft affez; le tombeau; os vulve; la terre, qui fans ceffe » demande une plus grande quantité d'eau; & le feu, qui ne dit jamais » c'eft affez ».

Il est inutile de rapporter ici le paffage du code, & de faire des commentaires fur ce rapprochement. L'auteur des proverbes & les compofiteurs des shafters, ne pouffent pas la critique & l'injuftice jufqu'à nier la poffibilité de la vertu dans les femmes; mais ils difent que les exemples en font rares, & que les femmes de mérite ne s'obtiennent que par un grand nombre d'actes de piété, ou comme dit Salomon : " qu'une femme prudente vient du Seigneur ".

Les regles établies dans ce chapitre, pour conferver au mari l'autorité domeftique, font des reftes de cette difcipline particuliere de l'Afie, qui a exifté de tout temps, fuivant les écrivains facrés & profanes. Dans cette partie du monde, les femmes ont toujours été les fujetes des hommes & enfermées dans un harem, ou occupées au-dehors à des travaux groffiers, peu convenables à leur délicateffe. Les princeffes Troyennes lavoient leur linge à la riviere. Quand le ferviteur d'Abraham apperçut Rebecca pour la premiere fois, elle portoit une cruche fur fon épaule, & elle alloit abreuver les chameaux. "Deux femmes moudront le bled au moulin", dit le prophete. On peut obferver que Salomon faifant l'éloge d'une bonne femme, dit qu'elle fe leve, tandis qu'il est encore nuit ": on doit fup

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poser qu'ainfi il la loue de ce qu'elle fe leve avant son mari :' on remarquera que les Gentoux exigent cette qualité d'une bonne femme.

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La fin de ce chapitre traite du courage fingulier des femmes qui fe brûlent fur le corps de leurs maris. On y lit: il eft convenable qu'une époufe fe brûle fur le corps de fon mari ", & on lui offre une récompenfe proportionnée à fes fouffrances. Quoique ce ne foit pas là le ftyle abfolu d'un commandement cette injonction eft furement affez directe pour être réputée devoir religieux; la feule preuve qu'elle n'eft pas pofitive, c'eft qu'on fe contente d'ordonner une chafteté inviolable aux veuves qui ne veulent pas fuivre leur mari. Les brames femblent regarder ce facrifice comme un des premiers devoirs de leur religion: il y a cependant des cas où ils en difpenfent; par exemple, une femme ne doit pas fe brûler fi elle eft enceinte, fi fon mari meurt loin d'elle, à moins qu'elle ne puiffe fe procurer fon turban & fa ceinture pour les mettre fur le bûcher; il y a d'autres exceptions de la même nature, que les brames cachent avec foin aux yeux du peuple, parmi les myfteres de leur foi; mais d'après ce qu'on m'a dit, & d'après ce que j'ai vu, il eft für que cette coutume n'eft pas tombée en désuétude dans l'Inde, comme l'a publié un célébre écrivain.

Voici ce chapitre XXme, en entier. Le lecteur y fera tel commentaire qu'il jugera convenable.

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» Un homme doit le jour & la nuit contenir tellement fa femme dans » la foumiffion qu'elle ne puiffe rien faire de sa propre volonté : une » femme qui eft maîtreffe de fes actions, fe comporte toujours mal, quoi» qu'elle vienne d'une cafte fupérieure.

» Tant que la femme ne fera pas mariée, fon pere prendra foin d'elle; » tant qu'elle fera jeune, fa mere en aura foin, & dans la vieilleffe fon » fils en prendra foin. Si avant le mariage d'une femme, fon pere meurt, »le frere, ou le fils du frére, ou tels autres proches parens du pere en » prendront foin; quand après le mariage fon mari meurt, fi la femme » n'a pas fait d'enfant mâle, les freres & les fils des freres, & tels autres » proches parens du mari en prendront foin; s'il n'y a point de freres, » de fils de freres, ou d'autres proches parens pareils du mari, les fils ou » les fils des freres du pere de cette femme en prendront foin; s'il n'y » en a aucun, le magiftrat en prendra foin: dans tous les états de la vie, >> fi ceux qui feront chargés de prendre foin de la femme n'en prennent » pas foin, ils feront condamnés à des amendes par le magiftrat, chacun » fuivant fa faute.

» Si un mari eft foible & dans l'abjection, il tâchera néanmoins de gar» der fa femme avec précaution, afin qu'elle ne foit point incontinente & » qu'elle ne contracte pas de mauvaises habitudes.

»Si un homme ne peut pas garder fa femme en la menaçant & en la > retenant chez lui, il lui donnera une fomme confidérable d'argent, il la

rendra

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