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kret, fans ajouter ou retrancher un feul mot de l'ancien texte; ces articles ainfi raffemblés, on les a traduits littéralement en Perfan, fous les yeux d'un des brames; & d'après cette verfion, on les a rendus en Anglois, en prenant des précautions extrêmes pour être fidele. Moins occupé de l'élégance que de l'exactitude, le traducteur a cru qu'il feroit plus excufable de préfenter au lecteur une interprétation trop littérale, qu'une paraphrase embellie; ainfi toute la difpofition du livre, la divifion particuliere des matieres, & les tournures de phrafe, appartiennent en entier aux brames. Le traducteur François a fuivi exactement la verfion Angloise.

Cette lecture pourra donner une idée précife des ufages & des mœurs des Indoux, qu'on a peints en Occident avec des couleurs infideles & d'une maniere désavantageufe. Si l'on veut établir au Bengale un nouveau systême d'administration & de jurifprudence, fi l'on veut fur-tout faire difparoître les abus, les monopoles, les concuffions tyranniques de tant d'efpeces que la compagnie & fes fuppôts y exercent prefqu'habituellement (*), fi l'on veut y adoucir & tempérer les loix de l'Angleterre, fuivant les préjugés particuliers des Indoux, ce livre facilitera ce grand projet. Quelques-uns des réglemens bizares & finguliers qu'on y trouve, font, peut-être, préférables à ceux qu'on voudroit mettre en leur place ils font liés à la religion du pays, & par conféquent très-révérés ; & ils tiennent en outre aux diftinctions du rang, facrées parmi les naturels une longue habitude les a perfuadés de l'équité de ces inftitutions; ils s'y foumettront toujours avec empreffement dès qu'on le leur permettra; & ils fouffriroient même avec peine qu'on voulût les en difpenfer.

Ce code eft remarquable à plufieurs égards; jamais l'administration d'aucun peuple n'ordonna un pareil travail dans des vues auffi nobles, & c'est la premiere fois qu'on eft venu à bout de perfuader aux brames, de révéler leurs fecrets, & de facrifier une partie de leurs intérêts à l'utilité générale. Les favans ont formé différentes conje&tures fur la mythologie des Gentoux ils fe font tous réunis à donner les fables extravagantes dont elle eft remplie, pour des fymboles fublimes de la morale la plus pure. Cette maniere de raifonner, quoique commune, n'eft pas jufte, parce qu'elle fuppofe que ce peuple ne croit pas entiérement à fes livres facrés ces livres nous paroiffent faux & chimériques, mais ils en respectent le fens littéral, comme la révélation immédiate du Tout-puiffant; & leurs préjugés accordent aux bedas du Shafter la même confiance que nous accordons à la bible.

Le défir de rapprocher tous les cultes du nôtre, a enfanté ces allégories, & cette morale myftique & forcée qu'on a prétendu appercevoir dans les expreffions fimples & littérales de toutes les mythologies païennes. On de

(a) Voyez ci-devant l'article BENGALE.

vroit confidérer que l'établiffement d'une religion a été dans tous les pays, le premier pas qu'aient fait les peuples pour fortir de la barbarie, & former une fociété civile; que l'efprit humain, à cette époque où la raison commence à naître, n'a point acquis la facilité d'invention, & la profondeur de pensées néceffaires pour imaginer, arranger & perfectionner un fyftême fuivi d'allégories. Le vulgaire & les ignorans ont toujours pris dans un fens littéral la mythologie de leur nation; & il y a dans l'hiftoire de la civilifation de chaque peuple, un temps où les hommes du rang le plus élevé, font en ce point fur la même ligne que le vulgaire; alors ils n'ont pas plus d'envie, & ils ne font pas plus capables que la populace moderne, de créer des fubtilités myftérieuses.

Des hommes éclairés parmi nous, ont effayé fouvent fans fuccès, de former fur l'hiftoire de la création par Moyfe, des explications fymboliques : ces fyftêmes imaginaires ont difparu au moment où on les a publiés, & la contradiction de ces interprétations chimériques a donné plus de poids à l'interprétation littérale. La foi d'un Indoux (quelque abfurde qu'elle foit,) eft auffi implicite que celle du chrétien, & il croit auffi fermement la révélation qu'il fuppofe defcendue d'en-haut. Les miracles étonnans de Brahma, de Raom & de Kishen, font pour lui des faits incontestables; & le récit qu'on en a écrit lui paroit purement hiftorique.

Sans parler de cette partie de la mythologie des Indoux qu'ils n'ont pas révélée, on peut affirmer pofitivement, que la doctrine de la création telle qu'elle eft expofée dans le difcours des brames, à la tête de ce code, eft donnée ici comme une matiere de fait qu'on doit prendre dans le fens le plus littéral, & comme un article fondamental de la croyance de tous les fideles Indoux; que les compilateurs de cet ouvrage, brames les plus diftingués dans le Bengale par leurs talens, l'entendoient ainfi d'un commun accord; & cela ne peut pas être autrement; ou bien le progrès des sciences, au lieu d'être lent & imperceptible, eft fubit & inftantané; les hommes, dans l'enfance des fociétés, deviennent donc tout-à-coup des théologiens & des philofophes, ou ils ne commencent donc à avoir une religion, que lorfque leur efprit, par le laps des fiecles, eft capable des fpéculations les plus abftraites.

Quand les mœurs d'un peuple fe poliffent, & que fes idées fe développent, on a lieu de préfumer qu'on effaie de réviser & de corriger fa croyance religieufe, & de l'adapter aux progrès que fait fa civilifation; que par la fuite, de prétendus philofophes tâcheront de miner fourdement la doctrine que leurs ancêtres ignorans recevoient avec conviction & avec refpect; & qu'en prenant la manie des allégories & des fymboles, on obfcurcira & défigurera ce texte, que la fimplicité de fon auteur avoit énoncé de la maniere la plus naturelle. Ces innovations font toujours cachées au commun des hommes; & ceux qui ont ofé déchirer publiquement le voile ont été punis de leur témérité.

On connoît très-bien maintenant le but & l'objet des myfteres d'Eleufine, mais on ne peut guere prétendre qu'ils commencerent à la même époque que les myfteres dont ils enfeignoient la fauffeté; il eft probable qu'ils prirent naiffance dans un temps plus éclairé, quand l'efprit des favans voulut percer l'obscurité de la fuperftition, & que la vanité dédaigna de croire à la lettre ces dogmes, que les préjugés populaires ne permettoient pas d'abjurer en public.

Quelques parties de la bible pourroient offrir des exemples qui appuieroient ces argumens: l'hiftoire du bouc émiffaire dans les loix de Moyfe, eft de ce nombre; & elle n'eft pas très-différente d'un inftitution particuliere des Gentoux. L'Auteur infpiré, après avoir décrit les cérémonies préliminaires de ce facrifice, dit :

» Et Aaron placera fes mains fur la tête du bouc émiffaire, & il confef» fera toutes les iniquités des enfans d'Ifraël & tous leurs péchés; & il les » mettra fur la tête du bouc qui fera conduit dans le défert, & le bouc » portera toutes ces iniquités dans une terre inhabitée. »

Quand cette cérémonie s'établit parmi les Juifs, ils étoient à peine fortis de la barbarie; avec des idées, des mœurs & des manieres groffieres, ils ne pouvoient comprendre des myfteres; & fans doute ils croyoient alors de bonne-foi que leurs crimes fe mettoient réellement fur la tête de la victime. Les fages des fiecles fuivans trouverent en cela un préjugé, & ils y virent un emblême mystérieux de la doctrine de l'abfolution. Sans doute on emploie quelquefois l'allégorie; mais je prétends qu'en général la religion, fon origine, eft crue littéralement telle qu'on la profeffe.

Le code que nous allons analyfer, commence par un petit difcours préliminaire qu'ont écrit les brames eux-mêmes: ils y expofent l'objet & l'utilité de cette compilation: ils parlent en hommes dépouillés de toute efpece de fuperftition & de préjugé; ils fe font élevés au-deffus des principes bas & intéreffés qu'on reproche à leur ordre; & ce petit morceau refpire le fentiment, la nobleffe & la bienfaisance. Malgré les avantages de la révélation, peu de chrétiens annonceroient avec un refpe&t & une dignité plus convenables, les grands & fublimes deffeins de la providence, dans tous fes ouvrages, & montreroient une charité plus étendue envers tous les humains. C'eft un article de foi parmi les brames, que Dieu ne permettroit pas un fi grand nombre de religions, s'il n'avoit pas du plaifir à contempler cette variété. Voici le difcours préliminaire en entier.

» Les hommes éclairés & raifonnables qui, en recherchant la vérité, ont » balayé la pouffiere de malice qui rempliffoit leurs cœurs, favent que la » diverfité des religions & des croyances, fource de haine & de jaloufie » pour les ignorans, eft une démonftration manifefte de la puiffance de » l'Etre fuprême; car puifqu'un peintre, en efquiffant une multitude de » figures, & en répandant fur des tableaux une grande variété de couleurs, » fe fait une réputation; puisqu'un jardinier qui plante différens arbuftes,

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& qui fait naître différentes fleurs, devient recommandable; il faut être » inconféquent & avoir une intelligence bornée, pour ne pas confidérer fous le même point de vue, celui qui a créé le peintre & le jardinier. » Les différences & les variétés des chofes créées, font des rayons de l'ef» fence glorieufe du Créateur; & la contrariété des inftitutions eft un type » de fes merveilleux attributs: fa puiffance infinie a tiré des quatre élé» mens, du feu, de l'eau, de l'air & de la terre, tous les êtres du regne » animal, du regne végétal, & du regne minéral, afin d'orner le monde; » & fa bienveillance fans bornes, qui a choifi l'homme pour être le centre » des lumieres, lui a confié le domaine & l'autorité après avoir accordé » la raison & l'entendement à cet être privilégié, elle a étendu fa fupé» riorité fur tous les coins du monde. Dieu a affigné enfuite à chaque tribu » fa croyance propre, & à chaque fecte fa religion particuliere; comme il » a introduit un grand nombre de caftes, & une multitude de coutumes » diverses, il aime dans chaque pays la forme de culte qui y eft obfervée ; » il écoute dans la mofquée les dévots qui récitent des prieres en contant » des grains facrés; il eft préfent aux temples, à l'adoration des idoles ; » il eft l'intime du mufulman, & l'ami de l'Indoux; le compagnon du chré» tien, & le confident du juif; & les hommes d'un efprit & d'une ame » élevés, qui n'ont vu dans les contrariétés des fectes & les différens cultes » de religion, que des effets de la puiffance du Très-Haut, ont gravé » leurs noms d'une maniere immortelle fur les pages de l'hiftoire.

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» Ces efprits tolérans & juftes fe trouvent particuliérement dans l'empire » étendu de l'Indoftan, contrée délicieuse qu'habitent des Turcs, des Perfans, des Tartares, des Scythes, des Européens, des Arméniens & des Abyffins. Comme ce royaume a été long-temps la réfidence des Indoux, » & gouverné par plufieurs rois & rajahs puiffans, la religion des Gen» toux y eft devenue dominante; mais depuis que les armées des Muful>> mans ont ravagé ces provinces, il eft furvenu une révolution; des cou»tumes diverses fe font établies; tout s'adminiftre fuivant les principes de >> la croyance du parti vainqueur: delà font nées des contradictions infinies, & des viciffitudes continuelles dans les arrêts de la juftice le » magiftrat de chaque canton décide toutes les caufes conformément à fa » propre religion, & des Indoux fe voient foumis aux loix de Mahomet. Le défordre & la terreur fe font répandus parmi le peuple, & la juftice »> ne fe rend plus avec équité; c'eft pour cela que le gouverneur-général » des établiffèmens Anglois dans l'inde, l'honorable Warren Haftings, a » conçu le projet de remonter aux principes de la religion des Gentoux, » de raffembler les coutumes des Indoux, de faire traduire les réglemens >> religieux & civils en langue perfane, &, pour l'inftruction de tout le » peuple, de compiler un code qui prévenant à l'avenir toutes les décifions > contradictoires, fourniffe aux juges des moyens d'adminiftrer la juftice d'une » maniere équitable, & fans bleffer la religion & la croyance des fectes par

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>ticulieres. Nous brames, favans dans le Shafter (dont les noms font » écrits plus bas ), (a) nous avons été invités de nous rendre, de toutes > les parties du royaume, au fort Williams de Calcutta, capitale du Bengale, & de la province de Bahar après avoir raffemblé les livres les plus authentiques, tant anciens que modernes, le texte original, écrit » en langue famskrete, a été traduit fidélement par les interpretes en » Perfan. Nous avons commencé ce travail au mois de Mai 1773 (ce » qui répond au mois Jeyt 1180, ftyle du Bengale, ) & nous l'avons fini » à la fin de Février 1775 ( ce qui répond au mois phaùgoon, 1182, » ftyle du Bengale. ) »

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La premiere partie de l'introduction donne l'histoire de la création, précifément telle que la croient les Gentoux on y dit que les quatre grandes tribus primitives proviennent des quatre différens membres de Brahma. Le fort, les devoirs & les travaux impofés à chaque cafte, leur paroiffent être le résultat naturel & inévitable de la maniere dont elles ont été produites, & de la fonction qui préfidoit dans chacun des quatre principaux membres de Brahma.

Le Brame vient de la bouche, (fageffe) pour prier, lire & inftruire. Le chehteree vient du bras, (force) pour tirer l'arc, combattre & gou

verner.

Le bice vient du ventre & des cuiffes, (nourriture) pour pourvoir aux befoins de la vie par l'agriculture & le commerce.

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Le fooder vient du pied, ( fujétion) pour travailler, fervir, voyager. Ces quatre grandes tribus comprennent les divifions primitives d'un état bien réglé. Les ouvriers & les petits marchands étant de moins d'importance, & fervant plutôt au luxe qu'aux befoins de la vie, forment une cinquieme tribu, appellée Burrun-funker, qui fe fous-divife encore en prefque autant de caftes féparées, qu'il y a de genres de trafic ou de travaux particuliers. On dit que le même principe de gouvernement, quoique diversement modifié, regne à la Chine; la loi y oblige chaque homme à embraffer l'état de fon pere, & il eft défendu de fe livrer à une autre profeffion.

Si cette politique des anciens Indoux étoit fage, il faut déplorer leur ignorance dans les objets de fcience-pratique, & fur-tout dans la géographie; ils adoptent fept fpheres, qu'ils regardent comme autant de continens féparés l'un de l'autre par un océan prefque infini, & appartenant tous cependant au même monde qu'ils habitent eux-mêmes.

La feconde partie de l'introduction expofe les qualités néceffaires à un magiftrat (b) & les devoirs de fa place : la plupart des regles qu'on y

(4) On trouve, en effet, les noms d'onze brames jurifconfultes les plus renommés de l'Inde.

(b) C'eft-à-dire, celui qui gouverne.

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