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La cinquieme loi eft d'observer inviolablement les paroles que l'on donne à la guerre.

LA A cinquieme loi du droit des Gens, eft que les accords que l'on fait à la guerre, foient facrés. Si les nations civilifées ne les obfervoient pas, leur maniere de faire la guerre feroit cruelle & barbare, & mefféante à l'humanité & à leur caractere. Les accords confiftent dans les capitulations des fortereffes, dans la promeffe que certaines troupes, qui font en danger d'être prifes par l'ennemi, font de ne point fervir contre lui pendant un temps déterminé dans les paroles d'honneur que les officiers prifonniers donnent, dans les fufpenfions d'armes, & dans quantité d'autres conventions qui fe font dans les différentes occafions de la guerre. Si une nation ne tenoit pas ces fortes de conventions, fes ennemis ne les obferveroient pas non plus dans les mêmes circonftances: le droit des Gens les y autorife, & tout ce qu'il en résulteroit, c'eft que la guerre en feroit plus cruelle & plus deftructive.

On n'a contraint les Turcs à tenir les capitulations qu'ils accordent aux fortereffes qu'ils prennent, qu'au moyen des repréfailles; on leur a fait fentir par-là qu'il étoit de leur intérêt de le faire.

De quelque qualité que foient les ennemis auxquels on a à faire, quand ce feroient des fujets révoltés, contre l'autorité la plus légitime, on eft obligé de remplir les conventions qu'on fait avec eux, tant qu'ils ont les armes à la main. Dans le fiecle dernier, le général de l'empereur en Hongrie, ne voulut pas d'abord tenir les conventions qu'il avoit faites avec les mécontens, & faifoit empaler, ou enterrer vifs tous les prisonniers qu'il faifoit; mais il fe vit bientôt contraint de ceffer fes horribles cruautés, parce que les Hongrois ne tinrent plus leur parole, & firent de même empaler, ou enterrer vifs tous les foldats de l'empereur qu'ils prirent. Ce feroit donc un très-mauvais principe pour les Etats qui fe font réunis, que de refufer de tenir les conventions faites à la guerre, fous prétexte que l'ennemi à qui ils ont à faire, a manqué aux loix de l'union; la qualité de l'ennemi, ni celle de la guerre, ne font rien à de femblables conventions. Tout ce qui pourroit arriver en ne les obfervant pas c'eft que l'ennemi payeroit un mal par un autre mal semblable, & il feroit méfféant à des nations policées, de donner lieu à un retour de cruautés & de barbarie dans la guerre, en violant des conventions facrées par leur nature. La loi naturelle, qui ordonne le foin de la confervation, ne peut jamais donner le droit de violer un traité fait fous les armes, puifque c'eft ordinairement le foin de fa confervation, qui donne lieu à ces traités; ainfi, quand les officiers qui ont donné leur parole d'honneur, fervent contre l'ennemi, ou contre fes alliés, fans avoir été échangés, ou rançonnés, fous prétexte qu'ils n'ont aucun autre moyen pour fubfifter, leur raifon, quelque fpécieufe qu'elle foit, n'eft abfolument d'aucune valeur, car, en fe faifant

relâcher fur leur parole, ils ont affez fait entendre qu'ils pouvoient fe procurer leur fubfiftance d'une autre maniere; & fi les espérances qu'ils avoient leur ont manqué, leur devoir exigeoit d'eux qu'ils retournaffent prifonniers chez l'ennemi; ils y auroient trouvé la fubfiftance, & peut-être encore la diftinction que mériteroit une action de cette efpece.

La fixieme loi eft que les ambasadeurs doivent jouir de la fureté & de la liberté la plus parfaite.

SI I le droit des Gens exige que les Etats laiffent un chemin libre au retour de la paix, lorfqu'ils fe font la guerre, il veut bien plus évideniment encore que pendant la paix ils donnent un libre cours à la négociation des affaires qu'ils peuvent avoir contr'eux. C'eft là, la fixieme loi du droit des Gens d'où réfulte les privileges des ambaffadeurs. Mr. de Montesquieu a fi bien développé les principes & la fource de leurs droits, que je ne rapporterai que ce qu'il eu dit.,, Le droit des Gens a voulu que les prin» ces s'envoyaffent des ambaffadeurs : & la raifon tirée de la nature de la » chofe, n'a pas permis que ces ambaffadeurs dépendiffent du fouverain » chez qui ils font envoyés, ni de fes tribunaux. Ils font la parole du prince » qui les envoie; & cette parole doit être libre: aucun obftacle ne doit » les empêcher d'agir : ils peuvent feulement déplaire, parce qu'ils par»lent pour un homme indépendant: on pourroit leur imputer des crimes, » s'ils pouvoient être punis pour des crimes; on pourroit leur fuppofer des dettes, s'ils pouvoient être arrêtés pour dettes; un prince qui a une » fierté naturelle, parleroit par la bouche d'un homme qui auroit tout à craindre. Il faut donc fuivre, à l'égard des ambaffadeurs, les raisons tirées » du droit des Gens, & non pas celles qui dérivent du droit politique. Que s'ils abufent de leur être représentatif, on le fait ceffer, en les ren» voyant chez eux; on peut même les accufer devant leur maître, qui » devient par-là leur juge, ou leur complice." On appercevra facilement que les droits des ambaffadeurs découlent immédiatement du principe général du droit des Gens; car, fi les princes fouhaitent que les ambaffadeurs qu'ils envoient jouiffent d'une liberté entiere, & d'une parfaite fureté, il faut que les ambaffadeurs qu'ils reçoivent, aient chez eux toute la liberté & toute la fureté poffible.

La feptieme eft qu'aucun peuple n'ofe troubler la fociété des autres

peuples.

LA feptieme & derniere loi du droit des Gens, eft, qu'aucune nation,

foit pendant qu'elle eft en guerre, foit pendant qu'elle eft en paix, ne trouble, ni le commerce, ni les affociations que les autres peuples font entr'eux. Une nation peut, à la vérité, rompre, à fon gré, tout commerce

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& toute affociation avec les autres peuples, en ce qui la concerne; mais elle ne peut jamais être en droit d'interrompre le commerce que les autres nations font entr'elles; parce qu'elle bleffe par-là la liberté naturelle des peuples, qui eft leur plus grand bien, & une qualité qui leur est ef

fentielle.

Ceci eft encore une conféquence immédiate du principe général du droit des Gens car, aucun Etat ne pouvant fouhaiter qu'on trouble fon commerce, il ne doit troubler celui d'aucun autre.

Il fuit delà que les ports doivent être fûrs & le commerce libre, même en temps de guerre, à l'égard des puiffances neutres.

Chez les nations policées, les ports doivent être libres, & avoir leur cours ordinaire, même dans les pays ennemis; parce qu'en Europe, les ports des différentes nations ont entr'elles un enchaînement qu'on ne peut rompre, fans faire tort aux puiffances neutres. L'avantage que l'ennemi retire en rompant la communication des ports eft petit, & fes fujets en reçoivent tant de préjudice, que l'Etat s'en trouve léfé, & ne retire de fa faute que de la honte. Rien ne bleffe tant ce principe fublime & fi honorable à l'humanité, de fe faire dans la guerre auffi peu de mal qu'il eft poffible, & de n'en faire qu'autant que fon véritable intérêt le demande, que la fuppreffion des ports, puisque c'est un mal qui ne produit aucun bien.

Il en eft de même des autres obftacles que l'on met au commerce, & à la navigation des puiffances neutres. Il fuit du principe que nous venons d'établir, qu'elles doivent jouir de toute fureté & de toute liberté à cet égard: & la raifon dit auffi, que ces nations neutres ne doivent point fouffrir des affaires d'un peuple étranger, auxquelles elles ne prennent aucune part. Il eft donc inconteftable, qu'il faut ici fe conformer aux maximes du droit des Gens: tant qu'une nation ne fait aucun acte d'hoftilité, tant qu'elle n'entreprend rien qui puiffe renforcer l'ennemi, ou qui puiffe lui fervir à prolonger fa défenfe, tant qu'elle ne lui donne aucun fecours, fon commerce & fa navigation doivent être parfaitement libres.

Une nation neutre peut être regardée comme ennemie en deux cas : 1o. Quand elle porte à l'ennemi des vivres & des munitions de guerre, qu'il n'auroit pu fe procurer fans expofer fes vaiffeaux, fi cette nation ne les lui avoit pas portées. 2°. Quand elle fait, pour l'ennemi, un commerce qu'il n'auroit pû continuer par lui-même, à caufe du danger où il auroit expofé fes vaiffeaux. Une nation eft dans ce cas, lorfqu'elle va chercher les marchandises qui font dans les colonies de l'ennemi, qu'elle les exporte pour l'ennemi; & qu'elle importe dans ces mêmes colonies, & pour l'ennemi, des denrées & les marchandifes d'Europe, lorfque la crainte enpêche l'ennemi d'y envoyer fes propres vaiffeaux. Elle fe met au lieu & place de l'ennemi: elle eft fon facteur, fon agent.

Une nation ceffe d'être neutre, dès qu'elle entreprend ce commerce,

& elle n'a point à fe plaindre, lorsqu'on traite fes vaiffeaux comme ceux des ennemis.

Les nations neutres ont derniérement objecté, que le commerce qu'elles faifoient avec les colonies ennemies, étoit pour leur propre compte. Mais fi elles ne faifoient pas commerce avant la guerre, il est évident que ce n'est là qu'un pur prétexte : & il faudroit qu'une nation fut bien fimple, pour fouffrir qu'on mit paifiblement fous fes yeux les richeffes de fes ennemis à couvert à la faveur d'une pareille raison.

Tous ces principes font fi inconteftablement conformes au droit des Gens, à la faine raifon, & à l'équité naturelle, qu'il faudroit être auffi aveugle par foi-même, que les marchands Hollandois le font par l'appât du gain, pour n'en pas fentir la vérité.

En général, les vrais principes du droit des Gens, exigent, qu'eu égard à la liberté, & à la fureté dont les nations neutres doivent jouir dans leurs commerces, on examine quel commerce & quelle navigation elles faifoient avant la guerre, & qu'on les laiffe libres de les continuer, de quelque nature qu'ils foient.

Si elles portoient habituellement des vivres & des munitions à la nation ennemie, avant la guerre, je ne crois pas que le vrai droit des Gens permette de les empêcher de continuer à le faire. Il eft vrai, que par là elles renforcent l'ennemi, & qu'elles le mettent en état de prolonger la guerre ; mais quelle maxime de la raison, ou du droit des Gens, peut nous mettre en droit de chercher notre avantage, au préjudice d'un tiers innocent, que la guerre ne regarde pas? Et quel eft le principe raisonnable, qui puiffe obliger une nation à difcontinuer fon commerce, pour une guerre qui s'éleve entre deux nations étrangeres; & à laquelle elle ne prend point de part.

Le vrai principe du droit des Gens eft, qu'on peut enlever les munitions & les vivres qu'on porte à l'ennemi, mais en les payant leur véritable valeur. Je fais que j'ai contre moi le droit des Gens que l'ufage a établi parmi nous, mais des nations raifonnables & policées ne doivent-elles pas changer ce qu'il y a de défectueux dans leur droit des Gens lorfqu'elles le reconnoiffent.

GENTOUX, OU INDOUX, Peuples qui habitent l'Inde ou l'Indoftan.

C'EST EST par erreur qu'on a fait fignifier au mot Gentoux, les docteurs de la religion des Brames. Gent ou Gentoo veut dire un animal en général, & dans une acception plus refferrée, le genre-humain, les hommes. Dans la langue famskrete, & même dans le jargon moderne du Bengale, cha

que

que cafte à fa dénomination particuliere, mais il n'y a point de terme générique qui comprenne toute la nation. Peut-être que les Portugais, à leur premiere arrivée dans l'Inde, entendant les naturels exprimer le genrehumain par ce mot fouvent répété, l'appliquerent aux Indoux eux-mêmes d'une maniere spéciale? Peut-être encore qu'ils trouverent un rapport marqué entre le mot Gentoo, & le mot gentil qui fignifie Païen.

Du code des Gentoux ou Indoux.

L'IMPORTANCE du commerce de l'Inde, & les avantages que retire la Grande-Bretagne des pays que poffede la compagnie dans le Bengale, ayant excité l'attention du Parlement; il s'eft occupé de tout ce qui pouvoit mériter l'attachement des Indoux, ou donner de la ftabilité aux conquêtes Angloifes. Rien n'eft plus propre à remplir ces deux objets que la tolérance en matiere de religion, & la rénovation des anciens réglemens de l'Inde, qui n'attaquent point les loix ou l'intérêt de l'Angleterre.

C'eft à l'ufage conftant de cette grande maxime qu'on doit attribuer la plupart des fuccès des Romains; ce peuple fameux permettoit à fes fujets étrangers d'exercer leur religion & d'obéir à leurs propres loix; quelquefois même, par une politique encore plus adroite, il adoptoit une partie de la mythologie des nations vaincues, lorfqu'elle étoit compatible avec fes propres fyftêmes.

La compagnie a voulu imiter un fi bel exemple, & en tirer un pareil fruit, en ordonnant une compilation des loix des Gentoux : c'eft le feul ouvrage où l'on publie les véritables principes de la jurifprudence des Gentoux, fous les aufpices de leurs plus refpectables pundits (a): mais ce n'eft pas fans peine que M. Haftings, gouverneur-général des établissemens Anglois dans l'Inde, eft parvenu à raffembler les plus favans des brames, & à les engager à rédiger ce code de bonne-foi & avec l'exactitude dont ils étoient capables. Du refte, il prouve qu'on a tort de croire en Europe que les Indoux n'ont d'autres loix écrites que celles qui ont rapport au cérémonial bizarre de leurs fuperftitions.

Les profeffeurs des loix contenues dans ce code, parlent encore la langue originale dans laquelle elles furent compofées : cette langue eft abfolument ignorée du peuple, qui a accordé à ces docteurs des biens & des privileges confidérables dans toutes les parties de l'Indoftan, & qui leur témoigne d'ailleurs un refpe&t qui approche de l'idolâtrie, en reconnoiffance de l'utilité que leurs études procurent au public. Pour compiler ce code, on a fait venir de tous les cantons du Bengale, les brames jurifconfultes, les plus habiles; ils ont tiré chaque fentence des différens originaux écrits en fams

(a) Brames jurifconfultes,

Tome XX.

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