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1847.

LA NOMINATION DE M. HÉBERT

28 avril 1847.

M. Hébert paraît devoir être appelé au ministère de la justice. L'inexplicable opposition que M. Hébert, cédant sans doute à d'occultes et de malfaisantes influences, a faite à la Presse, cette opposition ne nous rendra pas injuste pour lui. Nous reconnaitrons volontiers qu'il ne manque ni d'une certaine fermeté de caractère, ni d'un certain talent de tribune; mais n'était-il pas possible, ne le serait-il pas encore de faire un choix plus politique, plus agréable à la majorité de la majorité, et moins périlleux peut-être pour l'existence du cabinet? On ne tombe jamais que du côté où l'on penche, a dit un jour M. Guizot. Nous n'avons pas oublié ces paroles, dont on regrettera peut-être trop tard que nous ayons été les seuls à nous souvenir. Ce n'est pas, suivant nous, de ce côté que la prudence et a la bonne politique » conseillaient au ministère d'aller se recruter. On n'est pas exclusif impunément. Si l'on ne voulait se jeter d'aucun côté, il y avait alors un choix qu'eussent certainement approuvé tous les hommes sensés dont le regard s'étend plus loin que le jour et le lendemain, et qui se préoccupent, avec raison, de la discussion prochaine de plusieurs questions délicates, et du passage inévitable de circonstances difficiles; c'eût été le choix de M. Sauzet, qui a déjà rempli les fonctions de garde-des-sceaux et de mi

nistre des cultes. La nomination de M. Sauzet, en laissant vacante la présidence de la Chambre des députés, permettait d'y rappeler M. Dupin. La nomination de M. Sauzet nous paraissait doublement indiquée par la situation. Let ministère n'a pas été de cette opinion; l'avenir montrera qui, de lui ou de nous, a fait preuve, en cette occasion, du tact politique le plus sûr. Il y a une justice qu'on s'accorde à nous rendre : c'est que le journal que nous dirigeons s'est rarement trompé sur aucune des questions politiques, économiques, administratives ou autres qu'il a dù traiter. Cela s'explique par son indépendance. Rappelons-les sommairement la première question qui se présente à ce journal lorsqu'il paraît, en 1836, c'est l'intervention en Espagne ; il la combat sous toutes ses formes, et le ministère du 22 février se retire pour faire place au ministère du 6 septembre. Où nous eût menés l'intervention ?-A l'occupation plus ou moins prolongée, avec toutes ses conséquences, dont la moins dangereuse eût été de nous faire porter la responsabilité d'un ordre de choses qui n'eût pas tardé à devenir odieux, par cela seul qu'il eût paru imposé. Le ministère du 6 septembre, en succédant au ministère du 22 février, hérite de deux questions à résoudre toutes les deux graves, mais d'une nature différente, l'une politique, l'amnistie, l'autre économique, la question des sucres. Résistant à nos pressantes instances et cédant aux clameurs de quelques ultra-conservateurs, il recule devant l'amnistie, cette grande mesure que M. le duc d'Orléans a pris le soin de glorifier de sa propre main avant de descendre dans la tombe où l'ont suivi tant de regrets. A qui les faits ont-ils donné raison? Au lieu de trancher la question des sucres, comme nous le lui conseillions, par un abaissement radical du droit qui eût doublé la consommation, favorisé le développement de notre marine, sans qu'il fût nécessaire de prononcer l'interdiction légale de la fabrication du sucre de betteraves, il a transigé. En faveur de qui les faits, cette fois encore, se sont-ils prononcés? Le ministère du 6 septembre se modifie en s'éclairant; il devient le ministère du 15 avril. Au

dedans, ce ministère met fin à deux questions devant lesquelles on avait toujours reculé: il promulgue l'amnistie et rend au culte l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, monument dont les ravages attestent le triomphe de l'émeute et l'impuissance du pouvoir à la réprimer et à protéger l'ordre; au dehors, il met fin à deux autres questions non moins délicates la conclusion de l'affaire du Luxembourg et l'évacuation d'Ancòne. Sur ces quatre questions, l'appui le plus ferme de ce journal ne fait pas défaut un seul instant au cabinet; mais où le cabinet et le journal cessent d'être d'accord, c'est sur la présidence de la Chambre des députés à laquelle la Presse demande hautement que M. Guizot soit appelé. Dans le lointain, la Presse apercevait déjà un point noir c'était la coalition qui devait renverser le ministère du 15 avril, et, avant de le renverser, étouffer dans l'urne du scrutin, sous le nombre des boules noires, cet admirable projet de loi qui consacrait l'exécution par l'État des grandes lignes de chemins de fer. Si ce projet, auquel le nom de M. Martin (du Nord), alors ministre des travaux publics, restera honorablement attaché, cût été voté, comme il devait l'être, aujourd'hui toutes les grandes lignes de chemins de fer seraient livrées à la circulation, des départements entiers ne seraient pas menacés de manquer de pain, la place ne fléchirait pas sous le poids des actions de chemins de fer, la Banque de France ne serait pas réduite à aller en Angleterre acheter des lingots à terme, le trésor public ne serait pas exposé à des bruits sinistres qui, même alors qu'ils sont faux, accusent encore un manque de prévoyance et une situation grave. La nomination de M. Guizot à la présidence de la Chambre n'aurait pas eu seulement pour effet d'assurer l'existence du ministère du 15 avril, elle eût encore empêché l'avènement des ministères du 12 mai et du 1er mars. Voir de loin n'empêche pas toujours de voir juste et distinctement. C'est une justice qu'on nous a rendue, mais trop tard. Mal engagée sous le ministère du 12 mai, ce qu'on a appelé la question d'Orient s'aggrave sous le ministère du 1er mars. Pour le district d'Adana, il s'en

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