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de la propriété avec la vie des hommes, vous prononcerez sur les subsistances; le jour suivant vous poserez les bases de toute constitution libre. Alors tous les ennemis de la liberté tomberont à vos pieds! Mais étouffons les petites passions, car c'est là que nous donnons le signal de la discorde. »

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Séance du 2 décembre. Discours sur les subsistances. Robespierre repousse la théorie de la liberté absolue dont les auteurs, dissertant plus sur le commerce des grains que sur la subsistance du peuple, n'ont mis aucune différence entre le commerce du blé et celui de l'indigo. Si les denrées qui ne tiennent point aux besoins de la vie peuvent être abandonnées aux spéculations les plus illimitées du commerçant, la vie des hommes ne peut être soumise aux mênies chances. Nul homme n'a le droit d'entasser des monceaux de blé à côté de son semblable qui meurt de faim: « Quel est le premier objet de la société? C'est de maintenir les droits imprescriptibles de l'homme. Quel est le premier de ces droits? celui d'exister. La première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d'exister; toutes les autres sont subordonnées à celle-là; la propriété n'a été instituée ou garantie que pour la cimenter; c'est pour vivre d'abord que l'on a des propriétés. Il n'est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes. Les aliments nécessaires à l'homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n'y a que l'excédant qui soit une propriété individuelle et qui soit abandonné à l'industrie des commerçants. Toute spéculation mercantile que je fais aux dépens de la vie de mon semblable n'est point un trafic, c'est un brigandage et un fratricide. D'après ce principe, quel est le problème à résoudre en matière de législation sur les subsistances? le voici assurer à tous les membres de la société la jouissance

de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence; aux propriétaires ou aux cultivateurs le prix. de leur industrie, et livrer le superflu à la liberté du commerce. Je défie le plus scrupuleux défenseur de la propriété de contester ces principes, à moins de déclarer ouvertement qu'il entend par ce mot le droit de dépouiller et d'assassiner ses semblables. Comment donc a-t-on pu prétendre que toute espèce de gêne, ou plutôt que toute règle sur la vente du blé était une atteinte à la propriété, et déguiser ce système barbare sous le nom spécieux de la liberté du commerce. » Il demande donc que des précautions soient prises contre le monopole : « J'ai déjà prouvé que ces mesures et les principes sur lesquels elles sont fondées sont nécessaires au peuple. Je vais prouver qu'elles sont utiles aux riches et à tous les propriétaires. Je ne leur ôte aucun profit honnête, aucune propriété légitime; je ne détruis point le commerce, mais le brigandage du monopole; je ne les condamne qu'à la peine de laisser vivre leurs semblables. Or, rien sans doute ne peut leur être plus avantageux; le plus grand service que le légistateur puisse rendre aux hommes, c'est de les forcer à être honnêtes gens. Le plus grand intérêt de l'homme n'est pas d'amasser des trésors, et la plus douce propriété n'est point de dévorer la subsistance de cent familles infortunées. Le plaisir de soulager ses semblables, et la gloire de servir sa patrie, valent bien ce déplorable avantage. A quoi peut servir aux spéculateurs les plus avides la liberté indéfinie de leur odieux trafic? à être ou opprimés, ou oppresseurs. Cette dernière destinée, surtout, est affreuse. Riches égoïstes, sachez prévoir et prévenir d'avance les résultats terribles de la lutte de l'orgueil et des passions lâches contre la justice et contre l'humanité. Que l'exemple des nobles et des rois vous instruise. Apprenez à goûter les charmes de l'égalité et les délices de la vertu; ou du moins contentezvous des avantages que la fortune vous donne, et laissez

au peuple du pain, du travail et des mœurs. C'est en vain que les ennemis de la liberté s'agitent pour déchirer le sein de leur patrie ils n'arrêteront pas plus le cours de la raison humaine, que celui du soleil; la lâcheté ne triomphera point du courage; c'est au génie de l'intrigue à fuir devant le génie de la liberté. Et vous, législateurs, souvenez-vous que vous n'êtes point les représentants d'une caste privilégiée, mais ceux du peuple français, n'oubliez pas que la source de l'ordre, c'est la justice, que le plus sûr garant de la tranquillité publique, c'est le bonheur des citoyens, et que les longues convulsions qui déchirent les États ne sont que le combat des préjugés contre les principes, de l'égoïsme contre l'intérêt général; de l'orgueil et des passions des hommes puissants contre les droits et contre les besoins des faibles. >>

Séance du 3 décembre. - La discussion sur le procès du roi est rouverte. Il n'y a plus de doute sur ce point: que le roi peut être jugé et qu'il doit l'être par la Convention. Il s'agit d'examiner quelles seront les formes du procès. Robespierre monte, à la tribune pour développer son opinion sur le parti à prendre à l'égard de Louis XVI.

Séance du 4 décembre. Philippeaux demande que la Convention se déclare en permanence jusqu'à ce qu'elle ait statué sur le sort de Louis XVI. Pétion s'y oppose, mais il demande que chaque jour on s'occupe du procès du roi depuis midi jusqu'à six heures. Robespierre demande la parole. Il ne l'obtient qu'à grand' peine, et il cominence son discours par dénoncer, aux applaudissements des tribunes, la violation qui a été faite plusieurs fois en sa personne du droit de représentant, par des manoeuvres multipliées pour étouffer sa voix. Il dénonce l'intention où l'on paraît être de mettre le trouble dans l'Assemblée, en faisant opprimer une partie par l'autre. Puis, arrivant au sujet de la discussion, il dit que la mesure que l'on doit prendre, c'est de juger Louis XVI sur-le-champ, sans désemparer. Il ne s'agit

pas de faire un procès d'après les règles ordinaires. Il faut, « d'après les principes, condamner Louis XVI sur-le-champ à mort en vertu d'une insurrection. >>

Séance du 28 décembre. - Discours de Robespierre contre l'appel au peuple. Il insiste de nouveau sur la nécessité de prendre une décision sans délai. Il déclare qu'il partage avec le plus faible toutes les affections particulières qui peuvent s'intéresser au sort de l'accusé : « Inexorable quand il s'agit de calculer, d'une manière abstraite, le degré de sévérité que la justice des lois doit déployer contre les ennemis de l'humanité, j'ai senti chanceler dans mon cœur la vertu républicaine en présence du coupable humilié devant la puissance souveraine. La haine des tyrans et l'amour de l'humanité ont une source commune dans le cœur de l'homme juste qui aime son pays. Mais, citoyens, la dernière preuve de dévouement que les représentants du peuple doivent à la patrie, c'est d'immoler ces premiers mouvements de la sensibilité naturelle au salut d'un grand peuple et de de l'humanité opprimée. Citoyens, la sensibilité qui sacrifie l'innocence au crime, est une sensibilité cruelle; la clémence qui compose avec la tyrannie, est barbare. Citoyens, c'est à l'intérêt suprême du salut public que je vous rappelle. Quel est le motif qui vous force à vous occuper de Louis? ce n'est pas le désir d'une vengeance indigne de la nation; c'est la nécessité de cimenter la liberté et la tranquillité publique par la punition du tyran. Tout mode de le juger, tout système de lenteur qui compromet la tranquillité publique contrarie donc directement votre but; il vaudrait mieux que vous eussiez absolument oublié le soin de le punir que de faire de son procès une source de troubles et un commencement de guerre civile. Pour retarder votre jugement, on vous a parlé de l'honneur de la nation, de la dignité de l'Assemblée. L'honneur des nations, c'est de foudroyer les tyrans et de venger l'humanité avilie! La gloire de la Convention nationale

consiste à déployer un grand caractère, et à immoler les préjugés serviles aux principes salutaires de la raison et de la philosophie; elle consiste à sauver la patrie et à cimenter la liberté par un grand exemple donné à l'univers. Je vois sa dignité s'éclipser à mesure que nous oublions cette énergie des maximes républicaines, pour nous égarer dans un dédale de chicanes inutiles et ridicules, et que nos orateurs, à cette tribune, font faire à la nation un nouveau cours de monarchie. La postérité vous admirera ou vous méprisera selon le degré de vigueur que vous montrerez dans cette occasion; et cette vigueur sera la mesure aussi de l'audace ou de la souplesse des despotes étrangers avec vous: elle sera le gage de notre servitude ou de notre liberté, de notre prospérité ou de notre misère. Citoyens, la victoire décidera si vous êtes des rebelles ou les bienfaiteurs de l'humanité; et c'est la hauteur de votre caractère qui décidera la victoire. >> « Oui, je le déclare hautement, poursuit Robespierre, je ne vois plus désormais dans le procès du tyran qu'un moyen de vous rarmener au despotisme par l'anarchie! C'est pour cela qu'on veut changer toutes les assemblées de canton, toutes les sections des villes en autant de lices orageuses, où l'on combattra pour ou contre la personne de Louis, pour ou contre la royauté; ce projet ne tend qu'à détruire la Convention elle-même: on remettra en question, jusqu'à la proclamation de la république dont la cause se lie naturellement aux questions qui concernent le roi détrôné. C'est le moyen de provoquer la guerre civile.... C'est se jouer de la majesté du peuple souverain que de lui renvoyer une affaire qu'îl vous a chargés de terminer promptement. Et de quel droit faites-vous l'injure au peuple de douter de son amour pour la liberté? » Puis Robespierre dénonce de nouveau qu'il existe un projet d'avilir la Convention et de la dissoudre : « Déjà, dit-il, pour éterniser la discorde et se rendre maître des délibérations, on a imaginé de distinguer l'Assemblée en majorité et minorité;

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