Page images
PDF
EPUB

morts pour la cause communc. Citoyens, le peuple qui vous a envoyés a tout ratifié. Votre présence ici en est la preuve; il ne vous a pas chargés de porter l'œil sévère de l'inquisition sur les faits qui tiennent à l'insurrection, mais de cimenter par des lois justes la liberté qu'elle lui a rendue. L'univers, la postérité ne verra dans ces événe ments que leur cause sacrée et leur sublime résultat; vous devez les voir comme elle. Vous devez les juger, non en juges de paix, mais en hommes d'État et en législateurs du monde. Et ne pensez pas que j'aie invoqué ces principes éternels, parce que nous avons besoin de couvrir d'un voile quelques actions répréhensibles. Non, nous n'avons point failli, j'en jure par le trône renversé, et par la république qui s'élève. >>

On lui reproche d'avoir eu part aux massacres de septembre: « Ceux qui ont dit qu'il avait eu la moindre part à ces événements sont des hommes ou excessivement modestes ou excessivement pervers. Quant à l'homme qui, comptant sur le succès de la diffamation dont il avait d'avance arrangé tout le plan, a cru pouvoir imprimer impunément que je les avais dirigés, je me contenterais de l'abandonner au remords, si le remords ne supposait une âme. Je dirai pour ceux que l'imposture a pu égarer, qu'avant l'époque où ces événements sont arrivés, j'avais omis de fréquenter le conseil général de la Commune; l'Assemblée électorale dont j'étais membre avait commencé ses séances; je n'ai appris ce qui se passait dans les prisons que par le bruit public, et plus tard que la plus grande partie des citoyens, car j'étais habituellement chez moi ou dans les lieux où mes fonctions publiques m'appelaient. » Mais ces événements aussi, tout déplorables qu'ils puissent paraître, il faut les envisager d'un point de vue plus élevé : « On assure qu'un innocent a péri, on s'est plu à en exagérer le nombre; mais un seul c'est beaucoup trop, sans doute; citoyens, pleurez cette méprise cruelle, nous l'avons pleurée dès longtemps; c'était

un bon citoyen; c'était donc l'un de nos amis. Pleurez même les victimes coupables réservées à la vengeance des lois, qui ont tombé sous le glaive de la justice populaire; mais que votre douleur ait un terme comme toutes les choses humaines. Gardons quelques larmes pour des calamités plus touchantes. Pleurez cent mille patriotes immolés par la tyrannie; pleurez nos citoyens expirants sous leurs toits embrasés; et les fils des citoyens massacrés au berceau ou dans les bras de leurs mères. N'avez-vous pas aussi des frères, des enfants, des épouses à venger? La famille des législateurs français, c'est la patrie, c'est le genre humain tout entier, moins les tyrans et leurs complices. Pleurez donc, pleurez l'humanité abattue sous leur joug odieux· Mais consolez-vous, si, imposant silence à toutes les viles passions, vous voulez assurer le bonheur de votre pays et préparer celui du monde. Consolez-vous, si vous voulez rappeler sur la terre l'égalité et la justice exilées, et tarir, par des lois justes, la source des crimes et des malheurs de vos semblables. La sensibilité qui gémit presque exclusivement pour les ennemis de la liberté m'est suspecte. Cessez d'agiter sous mes yeux la robe sanglante du tyran, ou je croirai que vous voulez remettre Rome dans les fers. En voyant ces peintures pathétiques des Lamballe, des Montmorin, de la consternation des mauvais citoyens, et ces déclamations furieuses contre des hommes connus sous des rapports tout à fait opposés, n'avez-vous pas cru lire un manifeste de Brunswick ou de Condé? Calomniateurs éternels, voulez-vous donc venger le despotisme? voulez-vous flétrir le berceau de la république ? voulez-vous déshonorer aux yeux de l'Europe la révolution qui l'a enfantée, et fournir des armes à tous les ennemis de la liberté? Amour de l'humanité, vraiment admirable, qui tend à cimenter la misère et la servitude des peuples, et qui cache le désir barbare de se baigner dans le sang des patriotes! » D'accusé, Robespierre se fait accusateur à son tour. Il termine en ces

termes : « Vous saurez un jour quel prix vous devez attacher à la modération de l'ennemi que vous vouliez perdre. Et croyez-vous que si je voulais m'abaisser à de pareilles plaintes, il me serait difficile de vous présenter des dénonciations un peu plus précises et mieux appuyées? je les ai dédaignées jusqu'ici. Je sais qu'il y a loin du dessein profondément conçu de commettre un grand crime à certaines velléités, à certaines menaces de mes ennemis, dont j'aurais pu faire beaucoup de bruit. D'ailleurs, je n'ai jamais cru au courage des méchants. Mais réfléchissez sur vous-même; et Voyez avec quelle maladresse vous vous embarrassez vousmêmes dans vos propres piéges..... Vous vous tourmentez depuis longtemps pour arracher à l'assemblée une loi contre les provocateurs au meurtre: qu'elle soit portée; qu'elle est la première victime qu'elle doit frapper? N'est-ce pas vous qui avez dit calomnieusement, ridiculement, que j'aspirais à la tyrannie? N'avez-vous pas juré par Brutus, d'assassiner les tyrans? Vous voilà donc convaincu par votre propre aveu, d'avoir provoqué tous les citoyens à m'assassiner. N'ai-je pas déjà entendu de cette tribune même, des cris de fureur répondre à vos exhortations? Et ces promenades de gens armés, qui bravent au milieu de nous l'autorité des lois et des magistrats! Et ces cris qui demandent les têtes de quelques représentants du peuple, qui mêlent à des imprécations contre moi, vos louanges et l'apologie de Louis XVI! Qui les a appelés! qui les égare! qui les excite! Et vous parlez de lois, de vertu, d'agitateurs..... Mais sortons de ce cercle d'infamies que vous nous avez fait parcourir, et arrivons à la conclusion de votre libelle. Indépendamment de ce décret sur la force armée, que vous cherchez à extorquer par tant de moyens, indépendamment de cette loi tyrannique contre la liberté individuelle et contre celle de la presse, que vous déguisez sous le spécieux prétexte de la provocation au meurtre, vous demandez pour le ministre une espèce de dictature

militaire, vous demandez une loi de proscription contre les citoyens qui vous déplaisent, sous le nom d'ostracisme. Ainsi vous ne rougissez plus d'avouer ouvertement le motif honteux de tant d'impostures et de machinations; ainsi vous ne parlez de dictature que pour l'exercer vous-mêmes sans aucun frein; ainsi vous ne parlez que de proscriptions et de tyrannie, que pour proscrire et tyranniser; ainsi vous avez pensé que, pour faire de la Convention nationale l'aveugle instrument de vos coupables desseins, il vous suffirait de prononcer devant elle un roman bien astucieux, et de lui proposer de décréter sans désemparer, la perte de la liberté et son propre déshonneur! Que me reste-t-il à dire contre des accusateurs qui s'accusent euxmêmes?... Ensevelissons, s'il est possible, ces méprisables manœuvres dans un éternel oubli. Puissions-nous dérober aux regards de la postérité ces jours peu glorieux de notre histoire, où les représentants du peuple, égarés par de lâches intrigues, ont paru oublier les grandes destinées auxquelles ils étaient appelés. Pour moi, je ne prendrai aucunes conclusions qui me soient personnelles; j'ai renoncé au facile avantage de répondre aux calomnies de mes adversaires par des dénonciations plus redoutables. J'ai voulu supprimer la partie offensive de ma justification. Je renonce à la juste vengeance que j'aurais le droit de poursuivre contre mes calomniateurs. Je n'en demande point d'autre que le retour de la paix et le triomphe de la liberté. Citoyens, parcourez d'un pas ferme et rapide votre superbe carrière. Et puissé-je, aux dépens de ma vie et de ma réputation même, concourir avec vous à la gloire et au bonheur de notre commune patrie! »>

Louvet voulut répliquer, mais il ne put obtenir la parole. Barbaroux se présenta à son tour pour dénoncer Robespierre. « Il signera sa déclaration, il la gravera sur le marbre, dit-il. On refuse également de l'entendre. Il descend à la barre pour soutenir son accusation en qualité de péti

tionnaire et réclame la faculté que l'on accorde à tout simple citoyen. Un grand tumulte s'élève dans l'Assemblée. Une voix s'élève dans le bruit : « Si Robespierre était pur, il demanderait la parole pour ses adversaires! » Barère propose de décréter l'ordre du jour, motivé ainsi qu'il suit: « Considérant que la Convention nationale ne doit s'occuper que des intérêts de la république, etc. » « Je ne veux pas de votre ordre du jour, s'écria Robespierre, si vous mettez un préambule qui me soit injurieux! » La Convention adopte l'ordre du jour pur et simple, après avoir voté l'impression du discours de Robespierre; et le soir, les Jacobins célébrèrent le triomphe de Robespierre. Robespierre dit dans ses Lettres à ses commettants, en rapportant les incidents de cette séance de la Convention que « sa justifig cation fut éclatante et le triomphe de la vérité complet. »

L'instruction du procès du roi devant la Convention fut commencée dans la séance du 7 novembre, par un rapport de Mailhe présenté au nom du comité de législation. Des débats qui se prolongèrent pendant plusieurs séances, s'engagèrent d'abord sur cette question : le roi peut-il être jugé? Ce fut dans la séance du 30 novembre, à l'occasion d'une discussion sur les moyens de rétablir la tranquillité publique, que Robespierre opina pour la première fois dans le procès « Je demande qu'au sein de cette Assemblée reviennent pour jamais l'impartialité et la concorde; je demande de proposer un moyen sûr de confondre les complots de tous les ennemis de la Convention nationale, c'està-dire de tous les partisans du royalisme et de l'aristocratie!... Ce moyen, le voici. Je demande que demain le tyran des français, le chef, le point de ralliement de tous les conspirateurs, soit condamné à la peine de ses forfaits. Je demande à prouver en dix minutes que tant que la Convention différera la décision de ce procès, elle réveillera toutes les factions; elle ranimera toutes les espérances des amis de la royauté. Après demain vous concilierez les droits

« PreviousContinue »