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prétendue dénonciation, si ce n'est le résultat grossier de la plus làche de toutes les intrigues? Ce serait à moi de vous dévoiler la coalition criminelle qui, depuis longtemps, ne cesse de faire circuler l'erreur et l'imposture dans les quatre-vingt-trois départements, par le canal des papiers périodiques dont elle dispose, et qui déjà, peut-être, avait armé un grand nombre d'entre vous de préventions sinistres, avant que vous fussiez arrivés sur ce théâtre de la révolution. C'est elle qui cherche à semer la division dans le sein de cette assemblée, en déclarant une guerre absurde aux membres qui la connaissent et qu'elle craint. C'est elle qui cherche à déchirer la république, en calomniant sans cesse le peuple de Paris et tous les mandataires qu'il a honorés de sa confiance; c'est elle, en un mot, qui s'attache à vous faire regarder les bons citoyens comme une faction, pour empêcher que l'on aperçoive la seule faction véritable qui s'oppose encore à l'établissement de la liberté. Il me suffit, dans ce moment, de vous inviter à observer avec attention toutes ces démarches; ne jugez les hommes et les choses que par ce que vous aurez vu et entendu vousmêmes; prévenez au moins, par une sage impartialité, les conséquences funestes d'un système d'intrigue et de calomnie, qui semble nous présager les plus grands maux. Occupez-vous uniquement du bonheur d'un grand peuple et de l'humanité. Combien de lois salutaires auraient pu enfanter ces séances perdues et déshonorées par des déclamations imbéciles contre la ville de Paris, c'est-à-dire à peu près contre la vingt-cinquième partie de la population qui compose le peuple français! Commencez dès ce moment par décréter l'unité et l'indivisibilité de la république, comme on vous l'a déjà proposé. Décrétez même, si vous le jugez convenable, la peine de mort contre ceux qui pourraient proposer la dictature; et parcourons ensuite d'un pas rapide, la carrière glorieuse où le peuple nous a appelés. » Barbaroux monta ensuite à la tribune pour prouver la

dénonciation faite contre Robespierre. Il raconte qu'avant le 10 août, lorsqu'il vint à Paris à la tête des Marseillais, on les invita à venir chez Robespierre; là, on leur dit qu'il fallait se rallier aux citoyens qui avaient acquis le plus de popularité : « Le citoyen Panis nous désigna nommément Robespierre comme l'homme vertueux qui devait ètre le dictateur de la France. Nous lui répondimes que les Marseillais ne baisseraient jamais le front ni devant un roi, ni devant un dictateur. Voilà ce que je signerai, et ce que je défie Robespierre de démentir. » Ce fut Panis qui se chargea de démentir le récit de Barbaroux : « Je ne lui ai jamais dit un mot de dictature, ni de Robespierre. Je ne sais ce que je dois admirer le plus ou de la lâcheté, ou de l'invraisemblance, ou de la fausseté de sa délation! Quelles sont les preuves qu'il vous a données? quels sont ses témoins? (Moi! s'écria Rebecqui 1.) Vous êtes l'ami de Barbaroux et de plus dénonciateur, je vous récuse. »L'incident en resta là, Marat ayant pris la parole pour se disculper à son tour des accusations dont il avait aussi été l'objet.

Séance du 29 octobre. Le ministre de l'intérieur Roland lit un rapport sur la situation de Paris, dans lequel il signale l'état anarchique entretenu par les anticipations de

(1) Rebecqui avait ouvert le feu contre Robespierre: il avait pris si à cœur cette lutte que le 9 avril il envoya sa démission de la Convention par la lettre suivante :

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Il existe une loi qui condamne à la mort quiconque oserait porter atteinte à la liberté, en vous proposant un roi. Eh bien! Robespierre vous a proposé un chef, un régulateur, et Robespierre n'a pas porté sa tête sur l'échafaud. Vous avez porté la peine de mort contre quiconque attenterait à la représentation nationale. Eh bien, le 27 décembre 1792 et le 10 mars 1793, on a formé aux Jacobins le projet d'assassiner les représentants du peuple, et tous ces crimes sont impunis. Comme je ne puis, ni ne veux siéger plus longtemps dans une assemblée qui n'a pas le courage de frapper les coupables, je donne ma démission. La démission de Rébecqui fut acceptée.

sans discussion.

la Commune sur les autorités constituées : « L'idée de la souveraineté du peuple, disait Roland, rappelée avec affectation par les hommes qui ont intérét à persuader au peuple qu'il peut tout pour lui faire faire ce qu'ils veulent; cette idée, mal appliquée, détachée de la suite des principes dont elle fait partie, a familiarisé avec l'insurrection, et en a inspiré l'habitude comme si l'usage devait en être journalier; on a perdu de vue qu'elle est un devoir sacré contre l'oppression, mais une révolte condamnable dans l'état de liberté. » Roland termine son rapport en donnant lecture d'une lettre adressée au ministre de la justice, qui indique le dessein de renouveler contre certains membres de la Convention les massacres de septembre. Il était dit à ce sujet dans cette lettre : « Buzot, Vergniaud, Lasource, etc., voilà ceux que l'on nomme pour être de la cabale Roland; ils ne veulent entendre parler que de Robespierre. » On demande l'impression du rapport et son envoi aux départements. Robespierre s'y oppose en soutenant que ce rapport n'est qu'un roman diffamatoire contre la Commune de Paris. Les murmures couvrent sa voix; il s'élève contre le président qui ne veut lui conserver ni la parole, ni le silence. Il parvient à obtenir un peu de calme. Il porte à tous ses collègues le défi de l'accuser en face, en articulant des faits positifs contre lui. A ces mots, Louvet s'écrie: « Je demande la parole pour accuser Robespierre.»-Et nous aussi, s'écrièrent Barbaroux et Rebecqui. Voici comment Robespierre rend compte lui-même de cet incident : « Robespierre s'écrie qu'il est temps d'arrêter enfin un système de calomnie dont le ministre Roland est un des principaux artisans, et dont le but est de favoriser les projets d'une coalition qui cherche à démembrer la république. La coalition déploie toutes ses forces pour étouffer sa voix. Il somme tous les complices de la diffamation de monter à la tribune pour articuler des faits précis. Louvet se présente et tire de sa poche un discours volumineux; il parle deux heures

contre les Jacobins, contre la Commune, contre toutes les autorités constituées de Paris, contre la députation de ce département, et surtout contre Robespierre qu'il accuse formellement d'avoir aspiré à la dictature. Robespierre demande qu'il lui soit fixé un jour pour répondre. L'Assemblée ajourne la discussion au lundi suivant... >>Il résulte du Moniteur que c'est lui-même qui, après avoir demandé la parole, redoutant sans doute la disposition où se trouvait l'Assemblée, réclama un ajournement à huitaine.

Robespierre répondit à Louvet dans la séance du 5 novembre. Les accusations dirigées contre lui étaient vagues: il lui fut facile de les repousser. On l'accuse d'avoir conspiré pour parvenir au pouvoir suprême. Mais n'avait-il pas le premier, avant le 10 août, appelé la Convention comme le seul remède des maux de la patrie. Cette accusation d'ailleurs est in vraisemblable. Où étaient ses trésors? où étaient ses armées? où était la force qui l'eût rendu capable d'exécuter un pareil projet? On lui reproche ses rapports avec Marat; mais ils n'ont eu ensemble qu'une unique entrevue, au mois de janvier 1792, et ils furent si loin de s'entendre, que Marat écrivit en toutes lettres dans son journal, « qu'il l'avait quitté, parfaitement convaincu qu'il n'avait ni les vues, ni l'audace d'un homme d'État 1. » On lui reproche d'avoir exercé aux Jacobins un despotisme d'opinion qui ne pouvait être regardé que comme l'avant-coureur de la dictature. Mais qu'est-ce que le despotisme de l'opinion, à moins que ce ne soit l'empire naturel des principes! Or cet empire n'est point personnel à tel homme qui les énonce; il appartient à la raison universelle et à tous les hommes

(1) Voici en quels termes Marat s'exprimait à ce sujet : « Cette entrevue me confirma dans l'opinion que j'avais toujours eue de lui, qu'il réunissait aux lumières d'un sage sénateur l'intégrité d'un véritable homme de bien et le zèle d'un vrai patriote, mais qu'il manquait également et des vues et de l'audace d'un homme d'État.

qui veulent écouter sa voix. Ça a été la force de la société des Jacobins d'avoir dénoncé les ennemis de la patrie, abattu le despotisme. Et s'il était vrai qu'il eût en effet obtenu aux Jacobins cette influence qu'on lui suppose gratuitement, que pourrait-on en induire contre lui? Élevant le débat à là véritable hauteur où il eût dû rester, il justifie le conseil, général révolutionnaire de la Commune de Paris, aux actes duquel il était fier de s'être associé. « Citoyens, voulez-vous une révolution sans révolution? quel est cet esprit de persécution qui est venu réviser pour ainsi dire celle qui a brisé nos fers? Mais comment peut-on soumettre à un jugement certain les effets que peuvent entraîner ces grandes commotions? Qui peut après coup marquer le point précis où devaient se briser les flots de l'insurrection populaire? A ce prix, quel peuple pourrait jamais secouer le joug du despotisme? Car s'il est vrai qu'une grande nation ne peut se lever par un mouvement simultané, et que la tyrannie ne peut être frappée que par la portion des citoyens qui est plus près d'elle, comment ceux-ci oseront-ils l'attaquer, si après la victoire les délégués, venant des parties éloignées de l'Etat, peuvent les rendre responsables de la durée ou de la violence de la tourmente politique qui a sauvé la patrie? Ils doivent être regardés comme fondés de procuration tacite pour la société tout entière. Les Français, amis de la liberté, réunis à Paris, au mois d'août dernier, ont agi à ce titre au nom de tous les départements; il faut les approuver ou les désavouer tout à fait. Leur faire un crime de quelques désordres apparents ou réels, inséparables d'une grande secousse, ce serait les punir de leur dévouement. Ils auraient droit de dire à leur juges si vous désavouez les moyens que nous avons employés pour vaincre, laissez-nous les fruits de la victoire. Reprenez votre constitution et toutes vos lois anciennes mais restitueznous le prix de nos sacrifices et de nos combats. Rendeznous nos concitoyens, nos frères, nos enfants qui sont

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