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comme l'explosion passagère du dépit déjà expié par le repentir.

« Nous du moins, » poursuit Robespierre, «< nous ne serons ni assez stupides ni assez indifférents à la chose publique pour consentir à être les jouets éternels de l'intrigue, pour renverser successivement les différentes parties de notre ouvrage au gré de quelques ambitieux, jusqu'à ce qu'ils nous aient dit : Le voilà tel qu'il nous convient. Nous avons été envoyés pour défendre les droits de la nation, non pour élever la fortune de quelques individus; pour renverser la dernière digue qui reste encore à la corruption, non pour favoriser la coalition des intrigants avec la cour, et leur assurer nous-mêmes le prix de leur complaisance et de leur trahison. Je demande que chacun de nous jure qu'il ne consentira jamais à composer avec le pouvoir exécutif sur aucun article de la constitution, et que quiconque osera faire une semblable proposition soit déclaré traître à la patrie. » Ce discours est fréquemment interrompu par les applaudissements frénétiques de l'extrême gauche et par les rires du centre.

Séance du 5 septembre. Véhémente réplique de Robespierre à Barnave qui demandait que l'Assemblée rapportât son décret par lequel elle avait reconnu les droits des hommes de couleur.

Séance du 17 septembre. Un huissier, porteur d'un décret de prise de corps contre Danton, s'était perinis, afin de mettre à exécution ce décret, de pénétrer dans l'enceinte où les électeurs de Paris procédaient aux élections législatives. L'assemblée électorale avait ordonné l'arrestation de l'huissier. Le fait déféré à l'Assemblée, Robespierre, invoquant le respect dû à la liberté des élections, fut d'avis qu'il était impossible de blâmer l'assemblée électorale, dont l'enceinte avait été violée par un huissier, quelque irrégularité de forme qu'il pût y avoir d'ailleurs dans la conduite des électeurs.

Séance du 29 septembre. - Discours sur les sociétés populaires. Le comité de constitution, par l'application du même principe qui lui avait fait repousser toutes pétitions collectives et qui refusait toute existence politique aux associations de citoyens, proposa un décret qui interdisait aux sociétés populaires toute manifestation collective et toute action sur les actes des pouvoirs constitués et des autorités légales, en laissant subsister d'ailleurs dans son intégrité le droit de réunion. Robespierre s'opposa très-vivement à ce décret et surtout à l'impression et à la distribution comme instruction du rapport de Chapelier qui l'accompagnait, et qui réprouvait les clubs en général, mais surtout les affiliations de sociétés et les journaux de leurs débats. Il fait l'apologie de ces sociétés du sein desquelles sont sortis un très-grand nombre des représentants qui vont succéder à la présente assemblée et qui sont l'espoir de la future Assemblée. Puis abordant la question de principes : « La constitution garantit aux Français le droit de s'assembler paisiblement et sans armes; la constitution garantit aux Français la communication libre des pensées, toutes les fois qu'on ne fait point tort à autrui: d'après ces principes, je demande comment on ose vous dire que la correspondance d'une réunion d'hommes paisibles et sans armes avec d'autres assemblées de la même nature, peut-être proscrite par les principes de la constitution. Si les assemblées d'hommes sans armes sont légitimes, si la communication des pensées est consacrée par la constitution, comment osera-t-on me soutenir qu'il soit défendu à ces sociétés de correspondre entre elles?..... L'affiliation n'est autre chose que la relation d'une société légitime avec une autre société légitime, par laquelle elles conviennent de correspondre entre elles sur les objets de l'intérêt public; comment y a-t-il là quelque chose d'inconstitutionnel, ou plutôt qu'on me prouve que les principes de la constitution que j'ai développés ne consacrent pas ces vérités? » Robespierre continue en faisant

une charge à fond de train contre ceux qui ne parlent le langage de la liberté et de la constitution que pour l'anéantir; « qui cachent des vues personnelles, des ressentiments particuliers sous le prétexte du bien et de la justice; » qui combattent moins pour la cause de la révolution que pour envahir le pouvoir de dominer sous le nom du monarque; « il dénonce amèrement les critiques, les sophismes, les calomnies, et tous les petits moyens employés par de petits hommes qui sont à la fois l'opprobre et le fléau des révolutions. » On se plaint que ces sociétés puissent disposer de la réputation d'un homme: ne serait-ce pas que ce décret est provoqué par l'injure personnelle qu'on a faite à certaines personnes qui avaient acquis une trop grande influence dans l'opinion publique qui les repousse maintenant? — « Est-ce donc un si grand malheur que dans les circonstances où nous sommes l'opinion publique, l'esprit public se développent aux dépens même de la réputation de quelques hommes qui, après avoir servi la cause de la patrie en apparence, ne l'ont trahie qu'avec plus d'audace! Je sais tout ce que ma franchise a de dur, mais c'est la seule consolation qui puisse rester aux bons citoyens, dans le danger où ces hommes ont mis la chose publique, de les juger d'une manière sévère. » On dit que la révolution est finie! Pour lui, il ne le croit pas : « Loin d'approuver l'esprit d'ivresse qui anime ceux qui m'entourent, je n'y vois que l'esprit de vertige qui propage l'esclavage des nations et le despotime des tyrans!... Si je ne suis pas convaincu que ceux qui pensent ainsi sont des insensés, des imbéciles, ma raison me force à les regarder comme des perfides! S'il faut que je tienne un autre langage, s'il faut que je cesse de réclamer contre les ennemis de la patrie, s'il faut que j'applaudisse à la ruine de mon pays, ordonnez-moi ce que vous voudrez; faites-moi périr avant la perte de la liberté!» Le 30 septembre, le président Thouret proclama que l'Assemblée constituante avait ter

miné sa session. A la sortie de la salle, un peuple enthousiaste fit une ovation triomphale à Robespierre et à Pétion'; il leur mit sur la tête des couronnes de chênes; les fit monter dans un carrosse dont les chevaux avaient été dételés, et les ramena en triomphe chez eux, en criant : « Voilà les véritables amis, les défenseurs des droits du peuple 1. » Après la clôture de la session, Robespierre retourna dans son pays, où il fut aussi l'objet d'une véritable ovation. Le 16 octobre, il écrivait à son hôte et ami Duplay : « De Bapaume, plusieurs officiers des deux corps, joints à une partie des officiers de la garde nationale d'Arras, qui étaient venus à ma rencontre, me reconduisirent à Arras, où le peuple me reçut avec des démonstrations d'un attachement que je ne puis exprimer et auquel je ne puis songer sans attendrissement 2. >>

Robespierre ne resta que quelques semaines à Arras. De retour à Paris, il partagea son temps entre ses occupations comme accusateur public près le tribunal criminel de la Seine, et la tribune des Jacobins. Le jour où il reparut dans cette société, Collot d'Herbois, qui présidait, se leva à son entrée : « Je demande, dit-il, que ce membre de l'Assemblée constituante, justement surnommé l'incorruptible, préside la société. » Cette motion fut adoptée par acclamation. Robespierre, prenant alors la parole, dénonça l'empereur d'Autriche, les électeurs de Mayence, de Trèves, de Suisse et de Cologne comme les ennemis de la France. La liberté, s'écria-t-il, ne peut se conserver que par le courage et par le mépris des tyrans : « Il faut dire à Léopold : Vous

1. On jouait à cette époque (septembre 1791) au théâtre Molière, une pièce où Rohan et Condé se trouvaient aux prises avec Robespierre, qui les foudroyait, dit un critique du temps, par sa logique et sa vertu. (Révolutions de Paris, no 113, p. 450.)

2. Après le 9 thermidor, la Société populaire d'Arras fut une des plus empressées à envoyer à la Convention ses félicitations pour avoir par leur énergie délivré la France d'un tyran. »

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violez le droit des gens en souffrant les rassemblements de quelques rebelles que nous sommes loin de craindre, mais qui sont insultants pour la nation. Nous vous sommons de les dissiper dans tel délai... Il faut tracer autour de lui le cercle que Popilius traça autour de Mithridate. »>

Robespierre cependant n'était point partisan de la guerre. Tout le monde connaît les fameux discours qu'il prononça aux Jacobins pour s'opposer à ce que la guerre fût déclarée. Ce dissentiment fut l'origine de sa rupture avec les Girondins ce fut du moins la première circonstance où cet antagonisme s'accusa ostensiblement.

Nous reproduisons plus loin les deux discours que Robespierre prononça, sur la guerre. Brissot et Guadet qu'il avait personnellement attaqués ainsi que leurs amis 1, prirent à leur tour l'offensive et accusèrent Robespierre qui leur répondit par un discours, dont le retentissement ne

1. Les Girondins apportèrent d'abord une grande réserve dans cette lutte et traitèrent Robespierre avec tous les égards dus à un patriote sincère. a Robespierre, disait Louvet, vous tenez seul l'opinion publique en suspens. Cet excès de gloire vous était réservé sans doute. Vos discours appartiennent à la postérité, la postérité viendra entre vous et moi. Mais enfin vous attirez sur vous la plus grande responsabilité en persistant dans votre opinion. Vous êtes comptable à vos contemporains et même aux générations futures. Oui, la postérité viendra se mettre entre vous et moi, quelque indigne que j'en sois. Elle dira: un homme parut dans l'Assemblée constituante, inaccessible à toutes les passions, un des plus fidèles défenseurs du peuple. Il fallait estimer et chérir ses vertus, admirer son courage; il était adoré du peuple qu'il avait constamment servi, et, ce qui est mieux encore, il en était digne. Un précipice s'ouvrit. Distrait par trop de soins, cet homme crut voir le péril où il n'était pas, et ne le vit pas où il était. Un homme obscur était là uniquement occupé du moment présent; éclairé par d'autres citoyens, il découvrit le danger, ne put se résoudre à garder le silence, il alla à Robespierre, il voulut le lui faire toucher du doigt. Robespierre détourna les yeux et retira sa main; l'inconnu persiste et sauve son pays... >>

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