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soit un objet indifférent pour la liberté? Ignorez-vous que tous les peuples qui l'ont connue ont réprouvé cette institution, ou ne l'ont envisagée qu'avec effroi? Combien de précautions ne devez-vous donc pas prendre pour préserver d'une influence dangereuse la liberté! Vous savez que c'est par elles que les gouvernements ont partout subjugué lesnations; vous connaissez l'esprit des cours; vous ne croyez point aux conversions miraculeuses de ces hommes dont le cœur est dépravé et endurci par l'habitude du pouvoir absolu, et vous soumettez l'armée à des chefs attachés naturellement au régime que la Révolution a détruit! »

18 juin.

Robespierre est élu accusateur public au tri

bunal de Paris'.

Séance du 23 juin. - Robespierre demande que des couronnes civiques soient décernées aux citoyens qui ont arrêté le roi à Varennes 2.

Séance dn 26 juin. Il parle contre le projet de décret qui ordonne que des commissaires nommés par l'Assemblée

1. Les électeurs de Versailles et de Paris le nommèrent en même temps accusateur public du département. Il déclina avec regret l'honneur que lui faisaient << ses chers citoyens de Versailles, et il les en remercia par une longue lettre où il leur exprime tous ses sentiments de gratitude. Mais il accepta ces fonctions à Paris. A ce sujet, il écrivait à un de ses amis d'Arras : « Les électeurs de Paris viennent de me nommer accusateur public du département de Paris, à mon insu et malgré les cabales. Quelque honorable que soit un pareil choix, je n'envisage qu'avec frayeur les travaux pénibles auxquels cette place importante va me condamner, dans un temps où le repos m'était nécessaire. Mais je suis appelé à une destinée orageuse, il faut en suivre le cours; jusqu'à ce que j'aie fait le dernier sacrifice que je pourrai offrir à ma patrie. »

2. A la suite de l'événement de Varennes l'Assemblée résolut de choisir un gouverneur au dauphin. A cette occasion Marat, dans l'Ami du peuple, désigna pour ce choix, à défaut de Montesquieu, Robespierre, « le seul homme, disait-il, qui pût le suppléer par la pureté du cœur, l'amour de l'humanité et les vues politiques.

recevront les déclarations du roi et de la reine; c'était déroger aux principes de l'égalité des citoyens devant la loi. La reine est une citoyenne, le roi est un citoyen comptable de la nation, et en qualité de premier fonctionnaire public, il doit être soumis à la loi. C'est donc aux juges du tribunal de l'arrondissement des Tuileries, chargés de l'information, qu'appartient également le droit de recevoir les déclarations du roi et de la reine1.

1. Le 22 juin, Robespierre avait prononcé au club des Jacobins un grand discours où il dénonçait la fuite du roi comme une conspiration évidente des ennemis de l'extérieur coalisés avec les ennemis de l'intérieur : : « Ce qui m'épouvante, moi, messieurs, c'est cela même qui me paraît rassurer tout le monde. Ici j'ai besoin qu'on m'entende jusqu'au bout. Ce qui m'épouvante, encore une fois, c'est précisément cela même qui paraît rassurer tous les autres : c'est que depuis ce matin, tous nos ennemis parlent le même langage que nous. Tout le monde est réuni; tous ont le même visage, et pourtant il est clair qu'un roi qui avait quarante millions de rente, qui disposait encore de toutes les places, qui avait encore la plus belle couronne de l'univers et la mieux affermie sur sa tête, n'a pu renoncer à tant d'avantages sans être sûr de les recouvrer. Or, ce ne peut pas être sur l'appui de Léopold et du roi de Suède, et sur l'armée d'outre-Rhin qu'il fonde ses espérances: que tous les brigands d'Europe se liguent, et encore une fois ils seront vaincus. C'est donc au milieu de nous, c'est dans cette capitale que le roi fugitif a laissé les appuis sur lesquels il compte pour sa rentrée triomphante; autrement sa fuite se-. rait trop insensée. Vous savez que trois millions d'hommes armés pour la liberté seraient invincibles : il a donc un parti puissant et de grandes intelligences au milieu de nous, et cependant regardez autour de vous, et partagez mon effroi en considérant que tous ont le même masque de patriotisme. » Robespierre démontre que le comité militaire regorge de traîtres, » que les ministres s'entendent avec l'Assemblée pour vendre la France aux étrangers. Il prévoit les plus grands malheurs : « Comment pourrions-nous échapper? Antoine commande les légions qui vont venger César! et c'est Octave qui commande les légions de la république. On nous parle de réunion, de nécessité de se serrer autour des mêmes hommes. Mais

Séance du 14 juillet. - Discours sur l'inviolabilité royale. - Robespierre se prononce formellement contre l'inviolabilité, qui ne lui paraît pas être autre chose que la consécration d'une impunité monstrueuse : « Le crime légalement impuni est en soi une monstruosité révoltante dans l'ordre social, ou plutôt il est le renversement absolu de l'ordre social. Si le crime est commis par le premier fonctionnaire public, par le magistrat suprême, je ne vois là que deux raisons de plus de sévir : la première, que le coupable était lié à la patrie par un devoir plus saint; la seconde,

quand Antoine fut venu camper à côté de Lépidus, et parla aussi de se réunir, il n'y eut bientôt plus que le camp d'Antoine, et il ne resta plus à Brutus et à Cassius qu'à se donner la mort.

« Ce que je viens de dire, je jure que c'est dans tous les points l'exacte vérité. Vous pensez bien qu'on ne l'eût pas entendue dans l'Assemblée nationale. Ici même, parmi vous, je sens que ces vérités ne sauveront point la nation, sans un miracle de la Providence, qui daigne veiller mieux que vos chefs sur les gages de la liberté. Mais j'ai voulu du moins déposer dans votre procès-verbal un monument de tout ce qui va vous arriver. Du moins, je vous aurai tout prédit; je vous aurai tracé la marche de vos ennemis, et on n'aura rien à me reprocher. Je sais que par une dénonciation, pour moi dangereuse à faire, mais non dangereuse pour la chose publique; je sais qu'en accusant, dis-je, ainsi la presqu'universalité de mes confrères, les membres de l'Assemblée, d'être contre-révolutionnaires, les uns par ignorance, les autres par terreur, d'autres par ressentiment, par un orgueil blessé, d'autres par une confiance aveugle, beaucoup parce qu'ils sont corrompus, je soulève contre moi tous les amours-propres, j'aiguise mille poignards, et je me dévoue à toutes les haines; je sais le sort qu'on me garde; mais si dans les commencements de la révolution, et lorsque j'étais à peine aperçu dans l'Assemblée nationale, si lorsque je n'étais vu que de ma conscience, j'ai fait le sacrifice de ma vie à la vérité, à la liberté, à la patrie; aujourd'hui, que les suffrages de mes concitoyens, qu'une bienveillance universelle, que trop d'indulgence, de reconnaissance, d'attachement, m'ont bien payé de ce sacrifice, je recevrai presque comme un bienfait, une mort

que comme il est armé d'un grand pouvoir, il est bien plus dangereux de ne pas réprimer ses attentats. Le roi est inviolable, dites-vous: il ne peut pas être puni: telle est la loi... Vous vous calomniez vous-mêmes! Non, jamais vous n'avez décrété qu'il y eût un homme au-dessus des lois, un homme qui pourrait impunément attenter à la liberté, à l'existence de la nation, et insulter paisiblement, dans l'opulence et dans la gloire, au désespoir d'un peuple malheureux et dégradé! Non, vous ne l'avez pas fait si vous aviez osé porter une pareille loi, le peuple français n'y aurait

qui m'empêchera d'être témoin des maux que je vois inévitables. » Camille Desmoulins, qui rapporte ce discours dans les Révolutions de France et de Brabant, ajoute qu'alors il se leva les yeux pleins de larmes, en s'écriant : « Nous mourrons tous avant toi, et toute l'assemblée entraînée comme lui par un mouvement involontaire fit un serment de se rallier autour de Robespierre. A partir du 21 juin se dessine vraiment le rôle politique de Robespierre: il se sépare des constitutionnels, il s'identifie dans la cause du peuple mais on peut dire aussi qu'il identifie à la cause du peuple, ses propres sentiments. « Dans ces journées, dit M. Edgar Quinet dans son livre la Révolution, je crois surprendre le fond de la nature de Robespierre. Il fit alors ce qu'il a fait dans toutes les occasions où il fallait agir: il vit partout des traîtres. Ses discours, encore contenus dans l'Assemblée, sont d'autant plus effarés au dehors. Il dénonce, aux clubs, tous ses collègues de la Constituante. S'il eut pu le 22 juin 1791, mettre ses paroles en pratique, en sortant des Jacobins il aurait dû faire arrêter tous les membres de l'Assemblé et les mener à l'échafaud, puisqu'il les tenait pour complices. Ainsi le principe de terreur qu'il contenait en lui se manifeste à ce moment. Terreur sans motif, sans fondement, sans raison comme l'événement le montra le lendemain. Mais cette même crise de panique que Robespierre a subie par l'évasion du roi, illa subira plus tard en d'autres circonstances; et, devenu alors plus puissant, il pourra alors réaliser ses paroles et ses menaces, sans qu'il soit mieux démontré que l'établissement de la Terreur ait eu sa nécessité ailleurs que dans l'esprit ébranlé et les imaginations. ombrageuses de celui qui lui a donné son nom. »

pas cru, ou un cri d'indignation universelle vous eût appris que le souverain reprenait ses droits! L'inviolabilité du roi décrétée dans la constitution est intimement liée à la responsabilité des ministres. Il en résulte que le roi ne peut commettre aucun mal en administration, puisque aucun acte du gouvernement ne peut émaner de lui. Mais il ne peut s'agir d'un acte personnel à un individu revêtu du titre de roi. La meilleure preuve qu'un système est absurde, c'est lorsque ceux qui le professent n'oseraient avouer les conséquences qui en résultent. Or, c'est à vous que je le demande... Législateurs, répondez vous-mêmes, sur vousmêmes: Si un roi égorgeait votre fils sous vos yeux (murmure), s'il outrageait votre femme et votre fille, lui diriezvous Sire, vous usez de votre droit; nous vous avons tout permis!... Permettriez-vous au citoyen de se venger? Alors vous substituez la violence particulière, la justice privée de chaque individu à la justice calme et salutaire de la loi; et vous appelez cela établir l'ordre public, et vous osez dire que l'inviolabilité absolue est le soutien, la base immuable de l'ordre social!... Mais, messieurs, qu'est-ce que toutes ces hypothèses particulières, qu'est-ce que tous ces forfaits auprès de ceux qui menacent le salut et le bonheur du peuple?... Le roi est inviolable! Mais avez-vous étendu cette inviolabilité jusqu'à la faculté de commettre le crime? Et oserez-vous dire que les représentants du souverain ont des droits moins étendus pour leur sûreté individuelle que celui dont ils sont venus restreindre le pouvoir, celui à qui ils ont délégué, au nom de la nation, le pouvoir dont il est revêtu? Le roi est inviolable! Mais les peuples ne le sont-ils pas aussi? Le roi est inviolable par une fiction; les peuples le sont par le droit sacré de la nature; et que faites-vous en couvrant le roi de l'égide de l'inviolabilité, si vous n'immolez l'inviolabilité des peuples à celle des rois! (Applaudissements de la minorité du côté gauche.) Il faut en convenir, on ne raisonne de cette manière que dans la cause

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