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elles-mêmes ou d'employer le ministère d'un défenseur officieux.

Le discours de Robespierre est intéressant par les applications que l'on peut y trouver contre la corporation des avocats telle qu'elle a été rétablie en 1810 et telle qu'elle est encore organisée aujourd'hui : « A qui appartient le droit de défendre les intérêts des citoyens? Aux citoyens eux-mêmes, ou à ceux en qui ils ont mis leur confiance. Ce droit est fondé sur les premiers principes de la raison et de la justice: il n'est autre chose que le droit essentiel et imprescriptible de la défense naturelle. S'il ne m'est pas permis de défendre mon honneur, ma vie, ma liberté, ma fortune par moi-même, quand je le veux et quand je le puis, et, dans le cas où je n'en ai pas les moyens, par l'organe de celui que je regarde comme le plus éclairé, le plus vertueux, le plus humain, le plus attaché à mes intérêts; si vous me forcez à les livrer à une certaine classe d'individus que d'autres auront désignés, alors vous violez à la fois et cette loi sacrée de la nature et de la justice, et toutes les notions de l'ordre social, qui, en dernière analyse, ne peuvent reposer que sur elles... Ces principes sont incontestables. »>

Robespierre rend hommage à l'ancien barreau, mais c'est pour mieux faire ressortir combien toutes les restrictions en cette matière sont contraires aux principes qui ont prévalu en 1789 : « Cette fonction seule échappa à la fiscalité et au pouvoir absolu du monarque. La loi tint toujours cette carrière libre à tous les citoyens ; du moins n'exigea-telle d'eux que la condition de parcourir un cours d'études faciles, ouvert à tout le monde, tant le droit de la défense naturelle paraissait sacré dans ce temps-là? Aussi, en déclarant, sans aucune peine, que cette profession même n'était pas exempte des abus qui désoleront toujours les peuples qui ne vivront point sous le régime de la liberté, suis-je du moins forcé de convenir que le barreau semblait montrer encore les dernières traces de la liberté exilée du

reste de la société ; que c'était là où se trouvait encore le courage de la vérité, qui osait réclamer les droits du faible opprimé contre les crimes de l'oppresseur puissant; enfin ces sentiments généreux qui n'ont pas peu contribué à une révolution, qui ne s'est faite dans le gouvernement que parce qu'elle était préparée dans les esprits. Si la loi avait mis au droit de défendre la cause de ceux qui veulent nous la confier, une certaine restriction, en exigeant un cours d'études dégénéré presque entièrement en formalité, elle semblait s'être absoute elle-même de cette erreur par la frivolité évidente du motif... En dépit des maximes qui jusqu'à ce moment avaient paru le résultat d'une profonde sagesse, vous convenez tous que, sous aucun prétexte, pas même sous le prétexte d'ignorance, d'impéritie, la loi ne peut interdire aux citoyens la liberté de défendre euxmêmes leur propre cause. »S'attaquant alors directement au plan de l'arrêté : « Voilà, continua-t-il, les priviléges que vous avez proscrits rétablis sur la ruine du droit le plus sacré de l'homme et du citoyen; voilà, en dépit du décret qui proscrit jusqu'au costume des gens de loi, par la raison qu'ils ne doivent point former une classe particulière, voilà le corps des gens de loi récréé sous une forme beaucoup plus vicieuse que l'ancienne!... Chez quel peuple libre a-t-on jamais conçu l'idée d'une pareille institution? Ces citoyens illustres qui, en sortant des premières magistratures, où ils avaient sauvé l'État, venaient devant les tribunaux sauver un citoyen opprimé, avaient-ils pris l'attache des édiles, ou des juges qu'ils venaient éclairer? Les Romains avaient-ils des tableaux, des concours et des priviléges? Quand Cicéron foudroyait Verrès, avait-il été obligé de postuler un certificat auprès d'un directoire et de faire un cours de pratique chez un homme de loi? Oh! les Verrès de nos jours peuvent être assez tranquilles; car le système du comité n'enfantera pas des Cicérons. Ne vous y trompez pas, on ne va point à la liberté par des routes diametralement

opposées. Si le législateur ne se défend pas de la manie qu'on a reprochée au gouvernement, de vouloir tout régler, s'il veut donner à l'autorité cè qui appartient à la confiance individuelle, s'il veut faire lui-même les affaires des particuliers, et mettre pour ainsi dire les citoyens en curatelle, s'il veut se mettre à ma place pour choisir mon défenseur et mon homme de confiance, sous le prétexte qu'il sera plus éclairé que moi sur mes propres intérêts, alors, loin d'établir la liberté politique, il anéantit la liberté individuelle et appesantit à chaque instant sur nos têtes le plus ridicule et le plus insupportable de tous les jougs... Je conclus et je me borne à établir ce principe, qui me paraît devoir être l'objet actuel de votre délibération et de votre premier décret : « Tout citoyen a le droit de défen» dre ses intérêts en justice, soit par lui-même, soit par » celui à qui il voudra donner sa confiance. »>

Séance du 27 décembre. — Robespierre s'élève contre la disposition du plan du comité qui érige les officiers de la maréchaussée en magistrats de police. Il soutient qu'ils ne peuvent être que les exécuteurs des ordonnances de police, mais qu'ils ne peuvent avoir aucune initiative. A ce propos il présente des considérations élevées sur le caractère de la police, qu'il définit une justice provisoire :

« Le juge absout ou condamne; le magistrat de police décide si un citoyen est assez suspect pour perdre provisoirement sa liberté et pour être remis sous la main de la justice l'une et l'autre ont un objet commun, la sûreté publique; leurs moyens diffèrent en ce que la marche de la police est soumise à des formes moins scrupuleuses, en ce que ses décisions ont quelque chose de plus expéditif et de plus arbitraire. Mais remarquez que l'une et l'autre doivent concilier, autant qu'il est possible, la nécessité de réprimer le crime avec les droits de l'innocence et de la liberté civile, et que la police même ne peut, sans crime, outre-passer le degré de rigueur ou de précipitation qui

peut être absolument indispensable pour remplir son objet; remarquez surtout que de cela même que la loi est obligée de laisser plus de latitude à la volonté et à la conscience de l'homme qu'elle charge de veiller au maintien de la police, plus elle doit mettre de soin et de sollicitude dans le choix de ce magistrat, plus elle doit chercher toutes les présomptions morales et politiques qui garantissent l'impartialité, le respect pour les droits du citoyen, l'éloignement de toute espèce d'injustice, de violence et de despotisme. « Ce danger, ce malheur de perdre la liberté avant d'être convaincu, et quoique l'on soit innocent, dit le rapporteur des deux comités, est un droit que tout citoyen a remis à la société, c'est un sacrifice qu'il lui doit. » Mais c'est précisément par cette raison qu'il faut prendre toutes les précautions possibles pour s'assurer que ce sera l'intérêt général, que ce sera le vœu et le besoin public, et non les passions particulières qui commanderont ces sacrifices et qui réclameront ce droit; c'est-à-dire, pour ne pas faire d'une institution faite pour maintenir la sûreté des citoyens le plus terrible fléau qui puisse la menacer. Si ces principes sont incontestables, mon opinion est déjà justifiée.

« J'en tire déjà la conséquence que des officiers militaires ne doivent pas être magistrats de police: ce n'est que sous le despotisme que des fonctions aussi disparates, que des pouvoirs aussi incompatibles peuvent être réunis, ou plutôt cette réunion monstrueuse serait elle-même le despotisme le plus violent, c'est-à-dire le despotisme militaire... Il est surtout une garantie qu'il n'est pas permis de négliger, ajoute Robespierre; c'est celle que vous avez vous même cherchée en exigeant que les fonctionnaires publics qui doivent décider des intérêts des citoyens soient nommés par le peuple. Quand les citoyens soumettent leur liberté aux soupçons, à la volonté d'un homme, la moindre condition qu'ils puissent mettre à ce sacrifice, c'est sans doute qu'ils choisiront eux-mêmes cet homme-là; or les

officiers de la maréchaussée ne sont pas choisis par le peuple... Je cherche en vain, je l'avoue, conclut l'orateur, en quoi l'ancien régime était plus vicieux que celui-là; je ne sais pas même s'il ne pourrait pas nous faire regretter jusqu'à la juridiction prévotale, moins odieuse sous beaucoup de rapports, et qui parut un monstre politique, précisément parce qu'elle remettait dans les mêmes mains une magistrature civile et le pouvoir militaire. »

ANNÉE 1791.

Séance du 4 janvier. - Dans la discussion sur l'organiation des jurés, il réclame l'admission des preuves écrites : il veut que les dépositions des témoins soient rédigées par écrit, afin d'être plus facilment pesées et discutées par les jurés : il lui paraît périlleux que ceux-ci puissent statuer sur le sort d'un accusé d'après les traces fugitives que de simples déclarations verbales peuvent laisser dans leur esprit.

Séance du 13 janvier.

Il réclame la liberté des théàres. « Rien ne doit porter atteinte à la liberté des théâtres... Ce n'est pas assez que beaucoup de citoyens puissent élever des théâtres, il ne faut point qu'ils soient soumis à une inspection arbitraire. L'opinion publique est seule juge de ce qui est conforme au bien. Je ne veux donc pas que par une disposition vague on donne à un officier municipal le droit d'adopter ou de rejeter tout ce qui pourrait lui plaire ou lui déplaire par là on favorise les intérêts particuliers et non les mœurs publiques '. >>

1. Robespierre devait plus tard se départir de ses opinions absolues sur la liberté des théâtres, aussi bien que sur la liberté de la presse. Dans l'un de ses discours à la Convention contre les Girondins, il leur reproche d'avoir fait ordonner par un décret la représentation d'une pièce aristocratique (l'Ami des lois), qui avait déjà fait couler le sang, et que la sagesse des magistrats du peuple avait interdite.

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