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leur assure le pouvoir de violer impunément celui qu'ils doivent à leur souverain, au peuple qui mérite sans doute autant d'égards que ses délégués et ses oppresseurs. Mais qui voudra à ce prix, osent-ils dire encore, qui voudra être roi, magistrat, qui voudra tenir les rênes du gouvernement? Qui? les hommes vertueux, dignes d'aimer leur patrie et la véritable gloire, qui savent bien que le tribunal de l'opinion publique n'est redoutable qu'aux méchants. Qui encore? les ambitieux mêmes. Et plût à Dieu qu'il y eût sur la terre un moyen de leur faire perdre l'envie ou l'espoir de tromper ou d'asservir les peuples!

En deux mots, il faut ou renoncer à la liberté, ou consentir à la liberté indéfinie de la presse. A l'égard des personnes publiques, la question est décidée.

Il ne nous reste plus qu'à la considérer par rapport aux personnes privées. On voit que cette question se confond avec celle du meilleur système de législation sur la calomnie, soit verbale, soit écrite, et qu'ainsi elle n'est plus uniquement relative à la presse.

Il est juste sans doute que les particuliers attaqués par la calomnie puissent poursuivre la réparation du tort qu'elle leur a fait; mais il est utile de faire quelques observations sur cet objet.

Il faut d'abord considérer que nos anciennes lois sur ce point sont exagérées, et que leur rigueur est le fruit évident de ce système tyrannique que nous avons développé, et de cette terreur excessive que l'opinion publique inspire au despotisme qui les a promulguées. Comme nous les envisageons avec plus de sang-froid, nous consentirons. volontiers à modérer le code pénal qu'il nous a transmis; il me semble du moins que la peine qui sera prononcée contre les auteurs d'une inculpation calomnieuse doit se borner à la publicité du jugement qui la déclare telle? et à la réparation pécuniaire du dommage qu'elle aura causé à celui qui en était l'objet. On sent bien que je ne comprends

pas dans cette classe le faux témoignage contre un accusé, parce que ce n'est point ici une simple calomnie, une simple offense envers un particulier; c'est un mensonge fait à la loi pour perdre l'innocence, c'est un véritable crime public.

En général, quant aux calomnies ordinaires, il y a deux espèces de tribunaux pour les juger, celui des magistrats et celui de l'opinion publique. Le plus naturel, le plus équitable, le plus compétent, le plus puissant, c'est sans contredit le dernier; c'est celui qui sera préféré par les hommes les plus vertueux et les plus dignes de braver les attaques de la haine et de la méchanceté; car il est à remarquer qu'en général l'impuissance de la calomnie est en raison de la probité et de la vertu de celui qu'elle attaque; et que plus un homme a le droit d'appeler à l'opinion, moins il a le besoin d'invoquer la protection du juge: il ne se déterminera donc pas facilement à faire retentir les tribunaux des injures qui lui auront été adressées, et il ne les occupera de ses plaintes que dans les occasions importantes où la calomnie sera liée à une trame coupable ourdie pour lui causer un grand mal, et capable de ruiner la réputation même la plus solidement affermie. Si l'on suit ce principe, il y aura moins de procès ridicules, moins de déclamations sur l'honneur, mais plus d'honneur, surtout plus d'honnêteté et de vertu.

Je borne ici mes réflexions sur cette troisième question, qui n'est pas le principal objet de cette discussion, et je vous propose de cimenter la première base de la liberté par le décret suivant.

L'Assemblée nationale déclare:

10 Que tout homme a le droit de publier ses pensées, par quelques moyens que ce soit; et que la liberté de la presse ne peut être gênée ni limitée en aucune manière.

20 Que quiconque portera atteinte à ce droit doit être regardé comme ennemi de la liberté, et puni par la plus

grande des peines qui seront établies par l'Assemblée nationale.

30 Pourront néanmoins les particuliers qui auront été calomniés se pourvoir pour obtenir la réparation du dommage que la calomnie leur aura causé, par les moyens que l'Assemblée nationale indiquera '.

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Vous avez décrété que l'égalité serait la base des successions. Permettrez-vous que cette loi soit violée par la volonté particulière de l'homme? Conserverez-vous la faculté de disposer, et quelles en seront les bornes? Il est bon de jeter un coup d'œil sur l'état actuel de la législation sur ce point. Dans certains pays la faculté de tester a la plus grande latitude; dans d'autres elle est interdite avec rigueur : c'est

1. Robespierre reproduisit à la tribune de l'Assemblée constituante les principales idées émises dans ce discours, lors de la discussion des articles constitutionnels sur la liberté de la presse (séance du 22 août 1791). Voici quel était l'exorde de ce discours : « Par cela même que la liberté de la presse fut toujours regardée comme le seul frein du despotisme, il en est résulté que les principes sur lesquels elle est fondée ont été méconnus et obscurcis par les gouvernements despotiques, c'est-à-dire dans presque tous les gouvernements. Le moment d'une révolution est peut-être celui où ces principes peuvent être développés avec le moins d'avantage, parce qu'alors chacun se ressouvient douloureusement des blessures que lui a faites la liberté de la presse; mais nous sommes dignes de nous élever au-dessus des préjugés et de tous les intérêts personnels. Robespierre sut-il toujours s'élever ainsi au-dessus des préjugés et des intérêts personnels? Et ne fit-il pas céder trop souvent la liberté de la presse, aussi bien que toutes les autres, devant des considérations de salut public, repoussées solennellement dans ce discours?

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entre ces deux coutumes que vous devez opter, car votre intention n'est pas de conserver deux lois et deux principes contradictoires. L'une de ces lois est fondée sur le vœu de la nature, qui semble exiger l'égalité entre les enfants; mais ce n'est pas là le principe fondamental de cette loi : il en existe un autre d'une importance majeure dans l'état politique, et qui s'applique même aux successions collatérales. Ce principe, c'est que la trop grande inégalité des fortunes est la source de l'inégalité politique, de la destruction de la liberté. D'après ce principe, les lois doivent toujours tendre à diminuer cette inégalité, dont un certain nombre d'hommes font l'instrument de leur orgueil, de leurs passions et souvent de leurs crimes. Les grandes richesses corrompent et ceux qui les possèdent et ceux qui les envient. Avec les grandes richesses, la vertu est en horreur; le talent même, dans les pays corrompus par le luxe, est regardé moins comme un moyen d'étre utile à la patrie, que comme un moyen d'acquérir de la fortune. Dans cet état de choses, la liberté est une vaine chimère, les lois ne sont plus qu'un instrument d'oppression. Vous n'avez donc rien fait pour le bonheur public, si toutes vos lois, si toutes vos institutions ne tendent pas à détruire cette trop grande inégalité des fortunes. Vous avez fait déjà une loi pour les successions; laisserez-vous au caprice d'un individu à déranger cet ordre établi par la sagesse de la loi? Voyez ce qui se passe dans les pays de droit écrit. La loi de l'égalité des successions y règne; mais une autre loi permet à l'homme d'éluder par un testament la disposition de la loi, et la loi est nulle et sans effet. Et quel est le motif de cette faculté? L'homme peut-il disposer de cette terre qu'il a cultivée, lorsqu'il est lui-même réduit en poussière? Non, la propriété de l'homme, après sa mort, doit retourner au domaine public de la société; ce n'est que pour l'intérêt public qu'elle transmet ces biens à la postérité du premier propriétaire; or, l'intérêt public est celui de l'égalité. Il faut

donc que dans tous les cas l'égalité soit établie dans les suc cessions.

Quel motif encore pour préférer la sagesse du testateur à la sagesse de la loi? Consultez la nature des choses et les circonstances où se trouvent ceux qui font des testaments: n'est-il pas dans la nature de l'homme d'être toujours disposé à éloigner dans son imagination le terme de son existence? Son testament lui rappelle l'heure de la mort, et il ne se détermine à le faire que lorsqu'il est affaibli par l'âge, absorbé par la maladie; mais dans tous les temps la cupidité, l'intrigue, lui tendent des piéges. Les testaments sont l'écueil de la faiblesse et de la crédulité, le signal de la discorde dans les familles; ajoutez que presque toujours à la faiblesse se joint le préjugé, cette habitude des chimères qui a encore ses racines sous les débris de la féodalité, cette vanité qui porte l'homme à favoriser l'un de ses enfants pour soutenir la gloire de son nom. Mais, dit-on, l'autorité paternelle sera anéantie. Non, qu'on ne se persuade pas que la piété filiale puisse reposer sur d'autres bases que sur la nature, sur les soins, la tendresse, les mœurs et les vertus des pères. Croit-on que la plus belle des vertus puisse être entée sur l'intérêt personnel et la cupidité? Celui qui ne respecte son père que parce qu'il espère une plus forte part de sa succession, celui-là est bien près d'attendre avec impatience le moment de la recueillir, celui-là est bien près de hair son père. Voyez ces procès éternels, voyez ces manœuvres et ces artifices par lesquels la cupidité abusait de la faiblesse des pères; voyez l'opulence d'un frère insultant à la misère d'un autre frère. Cette loi, qui produit d'aussi funestes effets, qui tend à anéantir les mœurs privées, et par conséquent les mœurs publiques, je ne vous rappellerai pas que le hasard seul l'a transplantée chez nous; je ne vous rappellerai pas que chez les Romains la puissance d'un père sur ses enfants représentait celle d'un maître sur ses esclaves; que cette puis

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