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CHAPITRE XXX

Le prince Louis-Napoléon Bonaparte.

Ses premiers rapports avec le gouvernement provisoire. Son élection. Discussions sur son admission. Mouvements populaires.

Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, né aux Tuileries, le 20 avril 1808, troisième fils d'Hortense de Beauharnais, mariée à Louis-Napoléon, roi de Hollande, était personnellement très-peu connu en France à l'époque où il fut élu représentant.

Sa mère, exilée en 1815, l'avait emmené avec elle en Suisse et l'avait fait élever sous ses yeux, avec son frère aîné, dans le château d'Arenenberg, où elle demeura presque continuellement depuis cette époque, sans que le gouvernement de la Restauration parût en prendre ombrage.

En 1830, Louis-Napoléon était entré, à Rome, dans une conspiration contre le gouvernement temporel du pape. En 1831, il se jeta dans l'insurrection des Romagnes. On se rappelle que son frère y perdit la vie. Peu de temps après, la duchesse de Saint-Leu, venue incognito en France, crut pouvoir obtenir du roi Louis-Philippe l'autorisation d'y rester. Mais ses démarches furent infructueuses, et la loi de bannissement ayant été renouvelée par les Chambres,

Le premier enfant de la reine Hortense, était mort à la Malmaison, en 1807, un an avant la naissance du prince Louis.

le 11 avril 1832, Louis-Napoléon Bonaparte fixa en Suisse son séjour définitif.

Pendant plusieurs années, il suivit, en qualité de volontaire, l'école d'application d'artillerie à Thun; fut successivement nommé bourgeois de la commune de Salenstein, citoyen de Thurgovie, président de la Société fédérale des carabiniers thurgoviens, capitaine dans le régiment d'artillerie de Berne1 et membre du grand conseil. En 1834, il publia, sous le titre de Manuel d'artillerie, une brochure. qui fut assez estimée des hommes spéciaux, pour qu'on l'attribuât au général Dufour, et cela malgré les plus formelles dénégations du général qui niait absolument avoir eu la moindre part à cet opuscule.

Louis-Napoléon s'était fait bien voir en Suisse, surtout des classes inférieures. Ses libéralités, ses manières douces, l'hospitalité qu'exerçait à Arenenberg la duchesse de SaintLeu, le soin extrême qu'elle prenait d'y attirer les hommes marquants dans tous les partis, disposaient en sa faveur l'opinion publique; toutefois, on ne concevait pas du neveu de l'Empereur une opinion très-haute. Son précepteur, le républicain Lebas, depuis membre de l'Institut, lui trouvait une intelligence médiocre; les plus bienveillants, en lui donnant des louanges, vantaient surtout son application à l'étude, sa politesse, sa tenue et sa simplicité; mais lui, dans son for intérieur, aspirait à une autre renommée. Tout enfant, il parlait avec une assurance surprenante de son étoile. Simple dans ses manières, modeste pour luimême, il attachait à son nom un orgueil sans bornes. De

1 Dans une lettre écrite en allemand, adressée par le prince Louis à la date de Baden, 14 juillet 1834, à l'avoyer de Berne, pour le remercier de l'envoi de son brevet, nous lisons ce passage curieux : << Ma pairie, ou plutôt le gouvernement de ma patrie, me repousse parce que je suis le neveu d'un grand homme; vous êtes plus juste. Je suis fier de pouvoir me compter parmi les défenseurs d'un État où la souveraineté du peuple est la base de la Constitution et où tout citoyen est prêt à sacrifier sa vie pour la liberté et l'indépendance de sa patrie. >>

puis la mort de son frère aîné et celle du duc de Reichstadt, il disait ouvertement, sans jamais prononcer le mot d'Empire, qu'il serait un jour le chef de la démocratie française. Ses dédaigneuses prodigalités n'étaient pas d'un particulier riche, mais d'un prince du sang. Bien qu'habituellement réservé, il avait parfois des accents de domination qui le trahissaient. Tacite, Lucain, Machiavel, l'histoire de Cromwell, étaient ses lectures favorites. Enfin, celui qui l'aurait alors observé avec attention, eût découvert en lui, sous la pâleur de sa physionomie presque immobile, sous l'indolence de son langage, sous un flegme incroyable dans une aussi grande jeunesse, la fixité ardente d'une ambition concentrée.

La reine Hortense excitait ses secrets instincts; elle lui parlait sans cesse de l'Empire; consultait les devins sur son avenir; lui prédisait qu'il régnerait un jour; et comme elle était possédée de cette pensée unique, elle s'attachait à la lui inculquer par tous les moyens en son pouvoir1. Le hasard la servit en envoyant à son aide un homme d'un esprit singulier qui devait en peu de temps systématiser, répandre au dehors et traduire en faits ce que l'on commença, dès lors, d'appeler à Arenenberg l'idée napoléonienne.

Vers la fin de l'année 1854, M. de Persigny, allant en Allemagne, s'arrêta au château d'Arenenberg. On ne l'y connaissait pas. C'était un homme d'une naissance obscure; son nom était Fialin. Sa famille, sans fortune, et qui habitait un village du département de la Loire, n'ayant pu lui donner aucune éducation, l'avait fait entrer au service comme simple soldat. L'imagination inquiète du jeune Fialin, le désir de se pousser dans le monde, le déterminèrent, lorsqu'il eut fait son temps, à quitter le régiment où il n'avait pu dépasser le grade de brigadier. Il vint à

1 Dès l'année 1823, du vivant du duc de Reichstadt, elle déclarait que le sang autrichien serait un motif d'exclusion à l'empire des Français, et que le prince Louis serait appelé à succéder au trône de Napoléo n

Paris, à peu près sans ressources, sans autre introduction dans la société officielle qu'une lettre pour un membre du conseil d'État, M. Baude. Ses prétentions paraissaient plus que modestes. Il sollicitait d'entrer, comme simple employé, dans l'administration des douanes. Mais, tout à coup, s'étant introduit dans un salon où il noua des rapports assez intimes avec des personnes influentes, il changea de langage, quitta son nom de famille, prit le nom de sa commune, se fit appeler de Persigny, et obtint, on ne sait trop comment, du ministre de la guerre, d'être envoyé en Allemagne, afin d'y étudier l'élève et l'amélioration de la race chevaline.

Ce fut à cette occasion qu'il traversa la Suisse et reçut de la reine Hortense une hospitalité qu'il reconnut amplement et de la manière qui devait lui être le plus agréable, en livrant à ses rêves maternels un aliment nouveau. M. de Persigny avait récemment parcouru la Lorraine et l'Alsace. Il raconta au prince Louis et à sa mère qu'il avait trouvé partout, dans les auberges, dans les casernes, dans les cabarets, l'image de l'Empereur. « Partout, disait-il, le sou« venir de Napoléon est vivant dans l'imagination popu«laire. Le peuple attache au nom de Bonaparte des souve«<nirs mêlés de république et d'empire, de gloire et de « patriotisme, tandis que les Bourbons de l'une et de l'autre « branche signifient pour lui les désastres de 1814, les « traités de 1815, la domination des prêtres et des nobles, « le règne des avocats et des journalistes, une charte oc«troyée ou consentie, un parlement anglais, enfin, auquel «< il ne saurait rien comprendre. >>

M. de Persigny ajoutait qu'après avoir beaucoup réfléchi sur cette popularité latente, mais incontestable et universelle du nom de Bonaparte, il en était arrivé à la conviction qu'en invoquant le principe de la souveraineté du peuple, le neveu, l'héritier de l'Empereur, serait assez puissant pour renverser la quasi-légitimité des princes de la famille d'Orléans.

«En 1830, disait encore M. de Persigny, pendant que la bourgeoisie de Paris crie: Vive la Charte ! le peuple crie: Vive Napoléon II! Depuis lors, pas une année ne s'est écoulée sans troubles. Les émeutes du 12 mai, des 5 et 6 juin; la Vendée, Lyon, Grenoble insurgés; les attentats de Fieschi, d'Alibaud, sont autant de signes manifestes de la haine qui couve en France contre la royauté escamotée par la maison d'Orléans. Les partis extrêmes, républicains ou légitimistes, s'entendront sur le principe du droit national, le seul qu'il faille ouvertement invoquer; l'armée tressaillira de joie à la vue des aigles impériales... »

Ces discours et d'autres analogues, souvent renouvelės dans les fréquentes visites de M. de Persigny au château d'Arenenberg, ces observations qui ne manquaient pas de justesse, développées d'une façon spécieuse devant des personnes intéressées par leur passion à y donner créance, furent la première origine du complot de Strasbourg.

Le prince Louis Bonaparte s'attacha, en qualité de secrétaire, M. de Persigny, qui rentra en France avec le ferme dessein de se vouer tout entier au triomphe de la cause bonapartiste, et qui prit, dès ce jour, pour devise, ces deux mots significatifs : Je sers. Il s'employa activement et habilement à nouer, au nom du prince, des relations utiles. Il vit, sous prétexte de leur remettre le Manuel d'artillerie, tous ceux d'entre les officiers de l'armée que l'on pouvait espérer séduire. Le même prétexte introduisit M. de Persigny auprès d'Armand Carrel.

L'opinion de Carrel, qui conduisait alors le parti républicain, ne lui parut pas défavorable à l'idée napoléonienne. Armand Carrel appartenait, en effet, à la tradition jacobine beaucoup plus qu'à l'école libérale. Dans son Histoire de la contre-révolution en Angleterre, il avait fait l'éloge de Cromwell, de sa violence inévitable : « Partout et dans tous les temps, avait-il écrit, ce sont les besoins qui ont fait les conventions appelées principes, et toujours les principes se sont tus devant les besoins. » Les projets

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