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de libéralité entre vifs, une tradition opérée par deffaifine & faifine, déshéritance & adhéritance vest & deveft, ont des différences confidérables tant fur la forme que fur le fond.

Ces différences qui ne concernent que la forme font peu importantes, & leur explication jetteroit dans un trop grand détail. Voyez d'ailleurs l'article

DEVOIRS DE LOI.

Au fond, 1°. quelques-unes admettent l'appréhenfion de fait, ou, ce qui eft la même chofe, la poffeffion réelle, comme pouvant suppléer à la deffaifine & faifine. Telle eft celle de Senlis, article 212.

2°. D'autres préfentent la jouiffance de dix années comme équipollente à la formalité du nantiffement: telle eft celle de Vermandois. Voyez NAN

TISSEMENT.

3°. Quelques-unes n'exigent la deffaifine & saifine que pour une certaine espèce de Donations.

4°. Mais la plus remarquable de toutes ces différences eft celle qui tombe fur l'effet que produit envers l'héritier du donateur, l'omiffion de cette formalité, ou de ce qui en tient lieu.

Quelques unes de ces coutumes, telle que celle de Senlis, article 212, exigent expreffément que la faifine foit prife du vivant du donateur, & par-là fuppofent néceffairement que ce défaut annulle la Donation au profit des héritiers.

C'eft auffi ce qui a été, dans la coutume de Senlis, jugé par un arrêt que nous rapportons fous le mot NANTISSEMENT, S, I.

Plufieurs autres, Amiens, Boulonnois, châtellenie de Lille, gouvernance de Douai, décident au contraire expreffément, que le donataire qui n'a pas pris failine du vivant du donateur, peut

poursuivre l'effet de la Donation contre l'héritier, & que celui-ci eft obligé de la lui délivrer.

On peut joindre à ces coutumes celles d'Artois; elle n'eft point textuelle fur la question comme les précédentes: mais de ce qu'elle dit feulement, que pour acquérir droit réel fur un immeuble, il faut deffaifine & faifine ou mife de fait dûment décrétée, on en conclut, dans la province, qu'il faut dif tinguer le droit personnel qui résulte d'un contrat, d'avec le droit réel. Tout engagement, dit-on, de la part du propriétaire qui aliène fa chofe, produit contre lui un droit perfonnel, jus ad rem, qui donne à l'acquéreur une action pour fe la faire délivrer. Mais le droit réel, le jus in re, ne peut s'acquérir que par la deffaifine & faifine. Ainfi, tant qu'il n'y a point eu de tradition, la propriété reste dans la main de l'aliénateur, & elle paffe à fon héritier. Mais l'obligation perfonnelle qui lioit le défunt, lie également fon héritier; en forte que l'effet du défaut de tradition ne profite véritablement qu'aux créanciers & aux tiers acquéreurs.

C'eft d'après ces raifons que l'on a toujours regardé comme valables les Donations d'immeubles fitués en Artois, dont la tradition n'a point été faite du vivant du donateur. Le confeil d'Artois en a délivré un acte de notoriété le 30 décembre 1697, & c'eft ce qu'a confirmé un arrêt du parlement de Paris du 23 août 1703, rapporté par Brunel en fes obfervations fur le droit coutumier, chapitre 6, nombre 46.

Mais cette jurifprudence, & les articles des coutumiers d'Amiens, de Boulonnois, de la châtellenie de Lille, qui l'ont érigée en loi expreffe, ne font-ils pas abrogés par l'ordonnance de 1731? C'eft la queftion que nous nous fommes propofé cideffus d'examiner.

Il y a des raifons fpécieuses pour l'affirmative. D'abord, difent les fectateurs de cette opinion, il faut convenir que les difpofitions de ces coutumes paroiffent inconféquentes.

Les rédacteurs de ces lois n'ont point fenti la différence effentielle qui exifte, & qu'ils avoient établie eux-mêmes entre les aliénations à titre onéreux & les Donations.

Toute convention produit fans doute une obligation perfonnelle contre celui qui l'a confentie & contre fon héritier. Celui qui vend s'étant engagé à livrer la chose vendue, ne peut pas exciper de ce qu'il n'a point fait une Donation qu'il s'étoit obligé de faire. Son héritier, qui eft tenu de fes faits & promeffes, n'en peut pas exciper davantage. Le défaut de tradition dans le cas de vente, ne peut donc profiter qu'aux tiers qui ne font point tenus des obligations perfonnelles du vendeur; tels que fes créanciers & des tiers - acqué

reurs..

y

Mais ce principe ne peut recevoir d'application au cas d'une libéralité entre vifs. La tradition eft requise comme appartenante au caractère d'irrévocabilité qui en fait l'effence. A la vérité le donateur qui a donné fans tradition, eft lié perfonnellement; mais le donataire n'eft encore propriétaire de rien. Il n'a qu'une action pour le faire livrer la chofe. Le donateur en peut éluder l'effet en vendant ou donnant à un tiers qui feroit préféré s'il étoit faifi. Ce feroit une fraude fans doute de part du donateur, mais elle ne le foumettroit qu'à des dommages & intérêts qui pourroient être infructueux. D'ailleurs cette forme de donner pourroit ouvrir la porte à une collufion entre le donateur & le donataire, qui éluderoit la règle

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donner & retenir ne vaut. Le caractère de la Donation eft que le donateur préfère le donataire à luimême, & non à fes héritiers. Si le donateur ne s'ôtoit pas toute faculté directe ou indirecte de difpofer de la chofe donnée, il pourroit ne donner qu'au préjudice de fes héritiers, en convenant tacitement avec le donataire qu'il ne réclameroit la chofe donnée après fon décès, qu'en cas qu'il n'en eût pas difpofé, faculté qui lui refteroit tant qu'il ne feroit pas exproprié par la tradition.

Ainfi, le défaut de tradition du vivant du donateur doit profiter à l'héritier, puisque c'est lui que la loi envisage dans l'établissement de cette formalité.

Les coutumes d'Amiens, de Boulonnois, & de la châtellenie de Lille, vont donc contre leur propre principe, lorfqu'elles difpenfent, relativement à l'héritier, de la formalité de la tradition qu'elles exigent relativement à des tiers. Elles établiffent pour principe que le donateur n'eft point exproprié fans deffaifine & faifine; que la

chose donnée demeure dans la fucceffion. Mais fi le donateur n'eft point exproprié, la Donation n'est donc point parfaite; & fi elle n'eft point parfaite, elle ne peut militer contre l'héritier.

Mais quelque inconféquente que foit la difpofition de ces coutumes, nul doute qu'elle n'ait dû être obfervée jufqu'à l'ordonnance de 1731.

Examinons fi elle doit encore l'être depuis que cette loi a fimplifié, affermi, & épuré tous les principes de la matière des Donations.

L'ordonnance de 1731, en réduifant toutes les formes de difpofer à celles de la Donation entre vifs & du teftament, a fixé de la manière la plus formelle le caractère propre à la Donation entre

vifs: elle profcrit hautement toute condition qui tend a en altérer l'irrévocalité.

L'article 15 veut que la Donation entre vifs ne puiffe comprendre que les biens préfens, parce qu'il ne peut pas y avoir de tradition irrévocable des chofes futures. Le même article veut que la Donation des meubles, lorfqu'elle ne contient point de tradition réelle, contienne un état des meubles donnés. L'article 16 déclare nulles les Donations mêmes qui n'ont pour objet que les biens préfens fi elles font faites à condition de payer les dettes & charges de la fucceffion du donateur, ou d'autres que celles qui exiftent au temps de la Donation. Enfin, l'ordonnance déclare généralemeut nulles toutes les Donations faites fous des conditions dont l'exécution dépend de la feule volonté du donateur.

Ces difpofitions établiffent de la manière la plus formelle, que l'irrévocabilité eft l'ame des Donations, & la nullité qu'elles prononcent est autant en faveur des héritiers qu'au profit des créanciers & tiers détenteurs.

Or nous avons démontré plus haut que la formalité de la tradition tient effentiellement à ce principe de l'irrévocabilité; qu'elle en dérive & qu'elle en forme le sceau.

Il ne fuffit point que le donateur foit lié perfonnellement par un lien irrévocable, il faut auffi que la propriété foit vraiment transférée irrévocablement. Il ne fuffit pas que le donateur foit lié de droit, il faut qu'il le foit de fait.

Si une Donation avoit été faite fous la condition expreffe de pouvoir aliéner ou hypothéquer, elle feroit nulle aux termes de l'ordonnance. Mais dans les coutumes de nantissement, une Donation

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