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une centaine d'écrits pour ou contre, il y avait un seul parti à prendre: ne consulter les auteurs modernes, les avocats et Voltaire le premier, qu'à titre de renseignements, remonter aux sources originales et ne juger que sur des témoignages contemporains, solidement établis.

Dès lors, c'est aux Archives de l'État qu'il fallait surtout recourir. Il s'y trouve des documents de trois ordres différents et d'une importance décisive. C'est d'abord le procès, qui n'existe tout entier que là'. Lorsque le Grand Conseil cassa les sentences rendues. à Toulouse en première instance par les Capitouls, et en appel par le Parlement, il ordonna que des copies certifiées de toute la procédure fussent envoyées aux nouveaux juges. Malgré la mauvaise grâce et les délais. considérables qu'y mit le Parlement, il finit par obéir, et tous ces documents, vérifiés sous ses yeux, furent transmis par lui-même au tribunal des Maîtres des Requêtes. On y joignit plus tard les pièces, non moins importantes, que produisirent les Calas pour obtenir la sentence du Conseil et entin tous les actes de la dernière information, faite à Paris par Dupleix de Bacquencourt.

Il était nécessaire, une fois familiarisé avec toute cette procédure, d'aller à Toulouse pour pouvoir comparer avec la collection Parisienne celle qu'on y garde dans les archives du Palais de Justice. Elle se compose des originaux, tandis que celle de Paris ne contient que des copies, mais certifiées par les mêmes autorités. D'un autre côté, elle est beaucoup moins complète, et cela sous un double rapport. La collection de la procédure toulousaine a été longtemps égarée à l'époque de la Révolution, et quelques feuilles n'ont pas été retrou

1. Section judiciaire 8. 2009.

vées ou se sont perdues plus tard'. De plus, elle ne comprend naturellement que la double information des Capitouls et du Parlement; celle de Paris seule a pu se grossir des pièces du troisième et du quatrième procès devant le Grand Conseil et devant les Maîtres des Requêtes. Or, nous montrerons que devant les deux tribunaux de Toulouse le procès fut conduit de telle sorte qu'il ne parvint à eux que des témoignages tous défavorables (sauf un seul), et que les dépositions, les arguments, les faits justificatifs, tout ce qui pouvait servir les accusés ne parut que devant les juges de Versailles et de Paris. Aussi n'y a-t-il rien d'étonnant à ce que la plupart des personnes qui ont vu seulement les pièces toulousaines croient les Calas coùpables; si ces mêmes personnes lisaient les documents moins volumineux et tout différents, des deux dernières instructions, elles porteraient peut-être un jugement tout opposé. Il n'appartient qu'à des esprits éminents et très-exercés, comme l'ancien procureur général de Toulouse, aujourd'hui conseiller à la Cour de Cassation, M. Plougoulm, de découvrir, dans les pièces mêmes sur lesquelles Calas a été condamné à Toulouse, la pleine certitude. de son innocence.

Une seconde série de renseignements d'une haute valeur se trouve à Paris aux Archives; ce sont les mi

1. Il y a cependant à Toulouse quelques pièces accessoires qu'on ne possède pas à Paris, et dont je me suis empressé de prendre connaissance. Ce sont la Consultation demandée par le Procureur du Roi Charles Lagane à un théologien de l'ordre de Saint-Dominique, le Père Bourgis (voir p. 155); trois arrêtés rendus contre le procureur Duroux fils, et un autre, prononcé dans l'affaire de l'assesseur Monyer (p. 120); enfin un arrêt très-long et très-circonstancié qui établit, après le supplice de Calas, les droits des créanciers de sa succession; et quelques autres documents sur ce règlement d'intérêts. Ces pièces se trouvent dans la copie que nous désignerons sous le nom de feu M. Gastambide.

nutes des dépêches dictées de 1761 à 1766 par le comte de Saint-Florentin, secrétaire d'État. Nous donnons, à la suite de notre travail, un choix de ses lettres, et nous en citerons beaucoup d'autres, soit dans le cours même de notre discussion, soit dans les notes placées à la fin du volume. On y verra que ce ministre dirigea secrètement et approuva tout ce qui eut lieu.

Nous publions en même temps plusieurs lettres adressées de Toulouse à M. de Saint-Florentin par les juges de Calas ou par d'autres personnages influents de l'époque, et qui se trouvent dans une autre section de ces mêmes Archives 2. Placées ainsi en regard les unes des autres, les nouvelles que reçoit le ministre et les instructions qu'il donne s'éclairent mutuellement d'une vive lumière et fournissent de précieux éléments au jugement qu'il s'agit d'établir.

Ces quatre séries officielles, dont trois à Paris et une à Toulouse, sont complétées par une suite de dix-sept pièces qui émanent de M. de Saint-Priest, intendant du Languedoc, en résidence à Montpellier, et d'Amblard, son subdélégué à Toulouse. J'en dois la communication à M. Benoît, professeur à la Faculté de médecine, qui a eu l'extrême obligeance de répondre à ma demande en copiant lui-même ces dépêches sur les originaux, avec une exactitude rigoureuse jusqu'à en respecter l'orthographe vieillie. C'est, du reste, une garantie de précision et de correction que nous avons tenu à donner partout où nous l'avons pu3.

1. Dépêches du Secrétariat (série E. 8522 et suiv.) 2. Section historique 1818. Dossier de 19 pièces.

3. Archives de la préfecture de l'Hérault. (Liasse série C, no 279. Dossier Affaire Calas). M. Rathery a bien voulu me faire savoir qu'une copie de ces pièces a été communiquée à l'Académie de législation de Toulouse par M. Belhomme, archiviste du Languedoc. Cette

J'ai reçu de mon ami M. Charles Read divers documents recueillis par la Société d'Histoire du Protestantisme français et d'autres qu'il a rassemblés lui-même. Je citerai parmi les premiers quelques lettres inédites, provenant de l'ancienne collection Lajariette à Nantes, et copiées dans cette ville par M. le pasteur Vaugiraud; parmi les derniers, plusieurs actes de l'état civil relevés par M. Read, à l'Hôtel de Ville de Paris, sur les registres de la chapelle de l'ambassadeur de Hollande et ceux du cimetière des protestants avant la Révolution.

Après les dépôts publics, il fallait consulter les papiers de famille. Avec les Calas un jeune homme, Gaubert Lavaysse, avait été impliqué dans ce terrible procès, du 13 octobre 1761 au 9 mars 1765. Une de ses sœurs, qui épousa l'écrivain La Beaumelle, avait réuni en trois volumes in-8° une collection très-intéressante de pièces relatives à cette affaire, contenant des mémoires imprimés, des lettres inédites, des articles de journaux copiés par elle et jusqu'aux épigrammes, aux petits vers de l'époque. Employé avec discrétion et critique, un pareil recueil était un trésor inappréciable. Ces volumes, conservés d'abord au château de la Nogarède, près de Mazières (Ariége), par Mme Gleizes, fille de La Beaumelle, se trouvent, depuis la mort de cette dernière, au château de Lavelanet (Haute-Garonne), en la possession de sa belle-sœur Mme Auguste Gleizes de Caffarelli'. Malgré les scrupules et l'hésitation bien naturelle qu'éprouvait Mme Aug. Gleizes à se séparer

Compagnie a fait déposer les documents qui lui étaient adressés dans ses archives (Recueil de l'Académie de législation de Toulouse, t. IV, p. 195, mai 1855). — Ce sont ces mêmes lettres que M. Salva a publiées depuis, les croyant moins connues qu'elles ne l'étaient.

1. Mme veuve Gleizes, née Jenny de Caffarelli, est décédée au château de Lavelanet le 16 février 1869, à l'âge de 73 ans.

de ces précieux volumes, elle m'a fait l'honneur de me les envoyer à Paris et de les laisser longtemps entre mes mains. Je ne puis trop lui en témoigner ici ma respectueuse gratitude.

La Beaumelle prit une part active à la défense de la famille accusée. Il s'était même procuré une copie légalisée de la plupart des actes de la procédure toulousaine. Un autre membre de sa famille, son neveu, M. Maurice Angliviel, ancien bibliothécaire au dépôt de la Marine, héritier de tous ses manuscrits, a bien voulu me les faire connaître et me fournir, en outre, nombre de renseignements utiles.

M. Léonce Destremx, arrière-neveu de Cazeing qui partagea un moment la captivité des Calas, a retrouvé au château de Saint-Christol trois lettres de Mme Calas et de sa fille Nanette à Cazeing, et d'autres papiers de famille qu'il a bien voulu m'envoyer. Je dois également à M. Charles Meynier, de Nîmes, deux lettres de Jean Calas.

A la Bibliothèque du Louvre, j'ai reçu les plus gracieux encouragements de M. Barbier, qui porte avec distinction un nom illustré par son père dans la science bibliographique et qui m'a initié, non-seulement aux richesses du dépôt public qui lui est confié, mais encore à d'autres qui lui appartiennent en propre. La bibliothèque considérable et toute spéciale réunie par M. Beuchot, son beau-père, et qui lui a servi pour son édition de Voltaire, m'a été ouverte, ainsi que les notes manuscrites qu'il a laissées. J'y ai trouvé soit en indications, soit en livres, des ressources que j'avais cherchées vainement partout ailleurs.

Il ne suffisait pas d'explorer les diverses Bibliothèques de Paris; j'ai visité en 1850 celle de Genève, dont le directeur, feu M. Privat, était d'une famille alliée à

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