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soit à leurs curés, ils encourraient la peine de l'excommunication'. Si la publication de cet avertissement ne produisait pas l'effet qu'on en attendait, le même monitoire était fulminé, c'est-à-dire que dans les églises, avec un cérémonial effrayant, on prononçait l'excommunication contre tous ceux qui s'abstenaient de déposer. Dès ce moment, ils étaient damnés s'ils venaient à mourir sans s'être réconciliés avec l'Église et surtout s'ils s'approchaient des sacrements. Dans une ville aussi catholique que l'était Toulouse, on se figure à peine l'impression produite par ces actes étranges, où les terreurs de l'enfer devenaient des moyens de procédure 2.

Des règles sévères étaient prescrites au rédacteur de ce formidable document. Avant tout, il devait être conçu à décharge aussi bien qu'à charge, c'est-à-dire qu'on devait menacer également ceux qui n'auraient pas le courage de déposer pour les accusés et ceux qui négligeraient de témoigner contre eux. Cette impartialité du monitoire était d'autant plus indispensable que les prévenus à cette époque ne pouvaient faire citer aucun témoin et qu'en outre on pratiquait rigoureusement la règle d'après laquelle aucun témoin n'était admissible, s'il se présentait de son propre mouvement, ou s'il parlait de faits qui n'étaient point mis en question. C'étaient ce qu'on appelait des faits extra articulos, en de

1. Voir sur les monitoires : Ordonnance de 1670, titre 7.— Édit d'avril 1675, art. 26, 28, etc. Traité du Monitoire de Bouault. - Traités des Faustin Hélie, Histoire et Théorie de

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Crimes, de Soulage, II, 122.

la Procédure criminelle, p. 622.

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2. Voici une déclaration, entre bien d'autres, qui montre que les menaces d'un Monitoire n'étaient pas sans effet (Arch. Imp.):

A Toulouse, ce 1er novembre 1761.

On prétend que je suis dans le cas de l'excommunication par le chef du monitoire parce que j'avois ouy dire par une personne que M. Laplaigne avait instruit, avec le Père Latour, le petit Calas, mort. Si je suis dans le cas, je rendray mon audition quand j'en serai requis.

DARLES, maitre en chirurgie, signé.

3. Testis se offerens repellitur a testimonio.

hors des articles. Il était admis en principe qu'un témoin ne prouve que pour les questions pour lesquelles il a été reçu à serment; en effet, le serment ne s'appliquait alors qu'à une série de questions posées à l'avance et l'on disait d'un témoin qui sortait de ces limites Non juratus eo casu deponit, il dépose en ce cas sans avoir juré.

Si donc le monitoire n'était pas conçu à décharge comme à charge, ceux qui avaient du bien à dire des accusés étaient contraints de se taire; ils n'avaient aucun droit, aucun moyen de faire entendre ce qu'on ne leur demandait pas, ce qu'on ne cherchait pas à savoir. Il suffisait ainsi de la rédaction partiale d'un monitoire pour annuler ou rendre impossible d'avance et d'un seul coup toute déposition favorable. C'est précisément ce qui est arrivé dans l'affaire qui nous occupe. Lavaysse père écrit que le procureur du roi et les Capitouls dédaignèrent de faire assigner plusieurs témoins qui s'étaient présentés à leur curé pour révéler des faits à décharge. Il ne faut pas s'en étonner. Ces témoins avaient tort; le monitoire ne les avait nullement autorisés. Lorsque le procès fut révisé, c'est-à-dire après le supplice de Calas, un témoin nouveau que nous avons cité déjà, le chanoine Azimond, termina en ces termes sa déposition, très-importante pour les ac

cusés:

Au surplus, je déclare que j'aurois déposé le contenu de la « présente déclaration dans le cours de l'instruction criminelle ⚫ intentée contre le sieur Jean Calas, si j'en eusse été requis ou « si le Monitoire m'y eut autorisé. C'est ce que je certifie comme « véritable.

• Signé : AZIMOND, Prêtre, chanoine de Montpezat. >>

Un négociant de Nîmes nommé Griolet, qui avait fréquenté trois ans la famille Calas, répondit le 13 fé

1. Lav., 2.

vrier 1762 à Nanette qui l'avait prié de rendre témoignage en faveur de ses parents: il refusait d'aller déposer en leur faveur parce que « celui qui va faire une révélation en justice sans être assigné à cet effet, rend son témoignage suspect et rejetable 1. » Ce n'était que trop vrai.

On a reproché encore de nos jours aux Calas de n'avoir eu qu'un témoin à produire (dans la première et la seconde instruction du procès), pour prouver que Marc-Antoine était resté protestant, tandis qu'une foule de témoins déclaraient le contraire. Il est vrai, mais ce n'est pas tout; ce témoin unique et courageux, M® Challier, dut user de ruse pour se faire admettre, déclarant à son curé qu'il avait à faire une déposition très-grave et lui laissant croire que c'était en faveur de l'accusation.

On remarquera à ce sujet que la publication d'un monitoire érigeait en juges d'instruction tous les curés, tous les vicaires, tous les prêtres en exercice; aussi existe-t-il au dossier une foule de dépositions écrites qui souvent commencent par les mots : Par-devant nous, et qui sont signées d'un prêtre de paroisse, quelquefois même d'un religieux attaché à une église. Ce fait, dans un procès où le protestantisme lui-même se trouval incriminé à chaque instant, mettait donc l'instruction de l'affaire entre les mains, non d'un magistrat, mais du clergé, de tout le clergé à la fois. Disons cependant que le monitoire devait au moins émaner d'un tribunal ecclésiastique et non de l'archevêque, bien moins encore d'un vicaire général. On ne sait pourquoi Lagane

-

1. La lettre est en original aux Archives Impériales. 2. M. Huc, Procès, etc. Nous trouvous parmi les papiers de Mme Calas une liste de plus de trente témoins à décharge, qui tous auraient dû être cités par les Capitouls et dont plusieurs furent entendus lors du procès de révision. (Collection de M. Fournier.)

3. Mariette (1 Mém.) cite à ce sujet le texte suivant :

<< C'est au seul Official ou autre juge de la juridiction Ecclésiastique conten

et David violèrent cette loi; fut-ce par ignorance des formes? Il est difficille d'en soupçonner Lagane. Ou bien pensèrent-ils faire accepter plus facilement leur monitoire, entaché partout de partialité et d'illégalité, en s'adressant au vicaire de l'archevêque1 absent, et non à un tribunal, plus jaloux peut-être de l'observation des règles?

La loi apportait, il est vrai, un tempérament nécessaire à l'immense puissance des auteurs d'un monitoire; elle leur interdisait, non-seulement de nommer, mais aussi de désigner les personnes incriminées'.

Ces préliminaires nous paraissent indispensables pour que le lecteur puisse juger, comme il le mérite, le monitoire suivant. Une affiche de ce Monitoire se trouve aux Archives. Elle contient, outre le document lui-même, les demandes d'autorisation adressées par Me Pimbert, avocat du roi, aux Capitouls et à l'archevêque, avec la réponse des premiers, et celle de l'abbé de Cambon, vicaire général, pour le second. Dans ces pièces, on leur demande de « faire publier monitoires sur des cas très-graves, intéressants pour la religion. » C'était supposer à l'avance, dans une affiche légale apposée sur tous les murs, que Marc-Antoine Calas était mort pour la religion, c'est-à-dire tué par ses parents pour s'être fait catholique. En ce seul mot tout le procès était jugé d'avance.

tieuse à accorder les Monitoires, non à l'Évêque ou à ses Grands Vicaires; sinon il y aurait abus dans cette obtention. >>

(LACOMBE, Dict. canoniq., p. 418.)

1. C'était Arthur-Richard Dillon. Il eut pour successeur en 1763 Étienne-Charles de Loménie de Brienne, qui devint archevêque de Sens, cardinal et premier ministre.

2. Ordonn., t. 7, art. 4. « Les personnes ne pourront être ni nommées ni désignées par les monitoires, à peine de cent livres d'amende contre la partie, et de plus grande s'il y échet. »>

« C'eût été, dit avec raison M. Faustin Hélie, livrer leurs noms à la publicité, lorsque leur innocence pouvait être démontrée plus tard. » Ce qui eût été contraire à l'esprit de la procédure par inquisition, c'est-àdire secrète.

3. Arch. imp. Section historique, K, 848. Dans les Archives du parle

MONITOIRE.

1° Contre tous ceux qui sauront, par ouï dire ou autrement, que le sieur Marc-Antoine Calas aîné avoit renoncé à la religion prétendue Réformée dans laquelle il avoit reçu l'éducation; qu'il assistoit aux cérémonies de l'Église catholique et romaine; qu'il se présentoit au sacrement de pénitence, et qu'il devoit faire abjuration publique après le 13 du présent mois d'octobre, et contre tous ceux auxquels Marc-Antoine Calas avoit découvert sa résolution.

2o Contre tous ceux qui sauront, par ouï dire ou autrement, qu'à cause de ce changement de croyance, le Sr Marc-Antoine Calas étoit menacé, maltraité, et regardé de mauvais œil dans sa maison; que la personne qui le menaçoit, lui a dit que s'il faisoit abjuration publique, il n'auroit d'autre bourreau que lui.

3o Contre tous ceux qui savent, par ouï dire ou autrement, qu'une femme qui passe pour attachée à l'hérésie, excitoit son mari à de pareilles menaces, et menaçoit elle-même Marc-Antoine Calas.

4° Contre tous ceux qui savent, par ouï dire ou autrement, que le 13 du mois courant au matin, il se tint une délibération dans une maison de la paroisse de la Daurade, où la mort de Marc-Antoine Calas fut résolue ou conseillée, et qui auront le même matin, vu entrer ou sortir de ladite maison un certain nombre desdites personnes.

5 Contre tous ceux qui savent, par ouï dire ou autrement, que le même jour, 13 du mois d'octobre, depuis l'entrée de la nuit jusques vers les dix heures, cette exécrable délibération fut exécutée, en faisant mettre Marc-Antoine Calas à genoux, qui, par surprise ou par force, fut étranglé ou pendu avec une corde à deux nœuds coulants ou baguelles, l'un pour étrangler, et l'autre pour être arrêté au billot, servant à serrer les balles, au moien desquels Marc-Antoine Calas fut étranglé et mis à mort par suspension ou par torsion. 6° Contre tous ceux qui ont entendu une voix criant à l'assassin, et de suite, Ah! mon Dieu, que vous ai-je fait? faites-moi grâce: la même voix étant devenue plaignante et disant: Ah! mon Dieu, ah! mon Dieu!

7° Contre tous ceux auxquels Marc-Antoine Calas auroit communiqué les inquiétudes qu'il essuioit dans sa maison, ce qui le rendoit triste et mélancolique.

ment de Toulouse, il en existe autant d'exemplaires qu'il y eut de publications faites dans chaque paroisse, chaque curé ayant renvoyé le monitoire avec l'indication manuscrite des jours et heures où il a été lu au peuple.

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