Page images
PDF
EPUB

de l'autorité, » très-habile1 à prendre sur le fait, avec une rapidité et une précision irrésistibles, les maisons de jeux clandestines. Mais ses qualités même et l'impétuosité de son caractère « qui l'embarquaient sans réflexion dans les démarches les plus fausses » le rendaient incapable des fonctions calmes et sereines de l'impassible justice. C'était un de ces hommes dangereux qu'une police habile sait utiliser en les dominant, mais à qui le sanctuaire des lois devrait être rigoureusement interdit. Malheureusement, à cette époque, ce n'étaient pas là deux domaines distincts, et le vague de ses attributions offrait au fougueux Capitoul mille occasions d'en dépasser les limites.

Il était gonflé de son importance au point de s'attirer sans cesse des mortifications qu'il eût pu éviter en se te nant à sa place. En voici un exemple assez singulier. Il trouva mauvais que les affiches de théâtre ne portassent aucune mention des Capitouls, et fit ajouter, audessous de l'autorisation d'usage, ces mots: Et par permission de MM. les Capitouls. Là-dessus, réclamation des personnages qui jusqu'alors avaient seuls brillé en tête des affiches toulousaines; conflit de pouvoirs ; dénonciation au ministre secrétaire d'État; et le tout finit par une lettre de ce dernier où il blâme l'ambitieux David et met fin à l'orgueilleuse innovation qu'il s'était permise2.

Un autre esclandre, où il paraît avoir obtenu l'avantage, quoique évidemment il eût tort, précéda de peu l'affreuse histoire des Calas. La Beaumelle3 que David avait surpris et arrêté dans une maison où l'on jouait (celle

1. Histoire du Languedoc.

2. Archives impériales. — Dépêches du Secrétariat.

3. Bien connu par ses démêlés avec Voltaire, son édition des Lettres de Mme de Maintenon et beaucoup d'autres écrits, dont le dernier, publié par sa famille en 1856, est une Vie de Maupertuis. Nous aurons à raconter la part qu'il prit à l'affaire Calas et qui est à peu près ignorée : mais nous ne considérerons point ses assertions comme des preuves suffisantes, sachant que son caractère ardent et ses écrits ne méritent pas une confiance entière.

de la comtesse de Fontenille), le 9 janvier 1760, fut condamné par les Capitouls; puis, en ayant appelé, il fut absous par le Parlement. Son acquittement et un mémoire qu'il avait publié pour sa défense irritèrent David qui se vengea par un affront impardonnable. Le 3 octobre 1761, dix jours avant la mort de Marc-Antoine Calas, il fit désarmer son ennemi en plein jour sur la place Royale, comme n'étant pas noble et n'ayant pas droit de porter l'épée. La Beaumelle prouva qu'il avait reçu des lettres de noblesse en Danemark, où il avait résidé quelques années. En tout cas, à cette époque où une multitude de roturiers portaient l'épée sans même avoir de prétexte à donner. l'acte brutal du Capitoul ne valait pas mieux dans le fond que dans la forme.

J'ai cité à dessein ces deux faits, parce qu'ils sont complétement étrangers aux Calas, et font connaître le plus acharné de leurs persécuteurs sans préjuger en rien leur procès.

Nous avons d'ailleurs, pour connaître David, deux sortes de témoignages, également irrécusables, ses propres lettres au comte de Saint-Florentin1, que nous avons copiées sur les originaux aux Archives de l'État et celles que lui écrivit ce ministre *. Les premières décèlent en David un zèle aveugle pour le service du roi, non sans un vif désir d'en être récompensé, ce qu'il demande sans cesse. Son fanatisme catholique est celui d'un agent subalterne, aux yeux duquel désobéir au roi ou aux Capitouls, ne pas croire au pape ou blasphemer contre Dieu, c'est commettre un seul et même péché, le péché irrémissible de la rébellion. Un protestant, pour lui, est un ennemi de l'État, de l'Église, de Dieu mème, et par conséquent un protestant est capable de tous les crimes.

1. Voir plus bas : Pièces justificatives, lettres III, XIII, XV, XXI, XXIV. 2. note 4, et Pièces justificatives, X.

Sa présomption, sa parfaite satisfaction de lui-même, éclatent dans une lettre où il rend compte de l'arrestation que nous venons de raconter. Il ne se contente pas de faire de belles promesses: « Je suis cette procédure avec vigueur et je ne perds pas un moment pour y donner toutes les suites qu'exige une affaire de pareille nature. » Il se vante d'avoir jusque-là bien rempli son devoir: «Quoique le chef du Consistoire soit absent et que je le représente par ma charge, néanmoins mon expérience ne m'a pas laissé douter de procéder ainsi que je l'ai fait. » Nous le verrons dans cette même correspondance se plaindre au ministre de ce que ses collègues ne secondent pas son zèle. On frémit en l'entendant promettre de redoubler son zèle et son attention pour contenir le bon ordre. On sait ce qu'il entend par là.

Quant aux lettres du ministre, elles sont plus significatives encore. Il écrit, le 25 octobre 1764, à l'intendant du Languedoc, M. de Saint-Priest:

« Il y a longtemps que je m'aperçois qu'en général le caractère trop entreprenant de ce Capitoul le porte à vouloir s'emparer de toute l'autorité au préjudice de ses confrères. Je lui écris pour lui en marquer tout mon mécontentement. »

Voici cette lettre, qui porte, dans la table d'un des volumes manuscrits des dépêches du Secrétariat, le titre très-exact de semonse (sic):

A M. DAVID DE BEAUDRIGUE.

<< Il me revient, M., depuis assez longtemps des plaintes contre vous. Je sais qu'elles sont fondées, que vous affectez en toute occasion sur les autres Capitouls une supériorité que vous n'avez point, et que vous cherchez à vous emparer seul d'une autorité qui vous est commune avec eux. Vous venez d'en donner de nouvelles preuves à l'occasion de la vacance de la place d'Enseigne du guet de la ville, et je ne peux différer plus longtemps à vous marquer mon mécontentement d'une pareille conduite. A l'égard de la nomination que vous avez faite du Sr Bonneau fils, le Roi l'a entièrement désapprouvée. S. M. a cassé la délibération qui la

contient, et s'est déterminée à nommer un autre sujet par une or donnance que j'envoye à M. de St-Priest qui vous fera connaître les intentions de S. M. à ce sujet. »

Il s'agit ici non des Calas, mais d'une troisième affaire où David laissa percer les défauts de son caractère. Il nous suffira d'en indiquer une quatrième qui fut la dernière; le Capitoul fut révoqué à l'occasion d'une difficulté qui s'élève souvent encore dans tous les pays catholiques, la sépulture refusée à des protestants'.

Voici, en tout cas, un exemple, sinon de sa mauvaise foi, au moins de la tyrannie qu'il exerçait.

Les deux demoiselles Calas, leur frère Louis, quelques autres rares amis, se concertaient sur ce qu'on pouvait tenter pour la défense des prisonniers. Ils eurent lieu de croire que, pour cacher l'irrégularité de quelque acte légal, omis d'abord mais suppléé après coup, David l'avait antidaté et peut-être même y avait ajouté. un mot important. Ils firent présenter par leur procureur une requête d'inscription en faux. Cette démarche, qui du reste ne nous paraît point justifiée par les pièces, irrita profondément le Capitoul; il eut le crédit de faire condamner le procureur Duroux, coupable

1. La lettre suivante du ministre à M. de Bonrepos, procureur-général au Parlement, qui intercédait en faveur de David, achève de le faire connaître. Elle prouve bien que l'affaire des funérailles de deux Anglais morts à Toulouse fut moins la cause que le prétexte de la destitution de David. Cette lettre est datée du lendemain de la réhabilitation de Calas, et M. de Saint-Florentin, très peu satisfait de ce grand acte de justice, laisse deviner, plutôt qu'il ne l'avoue, la véritable cause du châtiment infligé au Capitoul.

10 mars 1765.

<< J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire en faveur du sieur David. Ce qui est arrivé en dernier lieu à cause de l'inhumation de deux Anglais décédés à Toulouse, n'est pas le seul motif qui ait déterminé le Roi ordonner sa destitution. Il était revenu à Sa Majesté beaucoup d'autres plaintes très-graves contre ce Capitoul. Elles ont été approfondies, et, comme ce n'est qu'en grande connaissance de cause que Sa Majesté a prononcé contre lui, ce serait inutilement qu'on lui proposerait de révoquer sa décision. >>

D'autres torts plus graves encore ont été reprochés à David, mais sans preuves suffisantes. (Voir la note 5 à la fin du volume.)

d'avoir instrumenté contre lui, à lui faire des excuses solennelles et à trois mois de suspension '. Cette vengeance épouvanta les gens de loi à tel point que nous verrons la famille Calas chercher en vain, dans le cours du procès, un procureur qui voulùt agir pour elle.

Il nous reste à expliquer la nature des pouvoirs étendus que David exerçait à Toulouse.

Tandis qu'ailleurs les conseillers municipaux portaient le titre d'Echevins, Toulouse, qui se vantait de conserver les traditions romaines, nommait les siens Capitouls, et sa maison de ville porte encore le titre fastueux de Capitole. Il est dit, dans la légende du patron de la ville, saint Sernin ou Saturnin, qu'il fut jugé au Capitole de Toulouse par les magistrats romains; et l'on tenait à conserver ce nom qui rappelait à la fois Rome païenne et la légende catholique. Les Capitouls n'étaient pas seulement chargés de l'administration et de la police municipales; ils avaient « haute et basse justice dans la ville et son gardiage ou territoire. Des documents d'époques très-diverses, telles que les paroles de Coras au seizième siècle, citées en tète de ce chapitre, et un Discours de Charles Lagane au dix-huitième, signalent les usurpations de pouvoir, l'outrecuidance et le peu de capacité judiciaire de ces étranges magistrats.

[ocr errors]

En effet, un des principaux acteurs dans le drame sanglant des Calas, le plus zélé complice de David, le procureur du roi Charles Lagane, avait écrit (avant de devenir Capitoul lui-mème) un Discours contenant l'histoire des jeux Floraux et celle de Dame Clémence2. Il y prouvait que le titre légal et ancien des Capitouls était celui de Consules Tolosæ, et qu'on les appela Capitulares parce

1. Voir sa quatrième lettre au comte de Saint-Florentin. (Pièces just. XXI.)

2. Voir la note 6.

« PreviousContinue »