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qu'inspirait au ministre la sympathie qu'on leur témoignait.

Nous ne répéterons pas ici ce qu'on a vu plus haut de la présence des demoiselles Calas dans la galerie de Versailles pendant qu'on y décidait la révision du procès. Ce fut Rose qui se trouva mal. Nanette paraît avoir supporté avec plus d'énergie toutes les angoisses qui remplirent ces cruels moments. On les a vues enfin accompagner toutes deux leur mère dans cette prison. de la Conciergerie, où Carmontelle les a représentées à ses côtés.

Depuis la réhabilitation de leur famille, il n'est fait aucune mention d'elles' jusqu'au mariage de Nanette qui eut lieu le 25 février 1767.

Elle épousa Jean-Jacques Duvoisin, né à Yverdon (Suisse), chapelain de l'ambassade de Hollande, c'està-dire en réalité pasteur de l'Église réformée de Paris. C'est, en effet, aux ambassades des États du Nord que les protestants de Paris ont dû de ne pas rester complétement dépourvus des secours du saint ministère, et d'avoir toujours eu au milieu d'eux des pasteurs en exercice. La Hollande surtout leur rendit cet éminent service. Elle avait été, comme Genève, l'asile des proscrits de la France, même avant Bayle et Descartes, elle possédait, dans plusieurs villes importantes, des Eglises Wallonnes ou de langue française, dès le temps des persécutions qui décimèrent les Pays-Bas espagnols. Aussi les sympathies de la Hollande pour la France protestante ne se démentirent jamais. Les États-Généraux entretin

1. Sauf un Brevet de permission que nous avons trouvé dans les Dépêches du Secrétariat, sous la date du 21 novembre 1764, par lequel le comte de Saint-Florentin autorise Anne Calas à vendre une métairie appelée le Colombier, située à Espérausses en Languedoc, qu'elle a héritée de Anne Pomier, à charge de placer le produit en rentes sur l'Hôtel-de-Ville de Paris. »

On se souvient que les protestants ne pouvaient aliéner leurs biensfonds qu'avec une permission spéciale du ministre.

2. Voir sur Duvoisin, la note 33.

rent deux chapelains d'ambassade à Paris pour maintenir l'Église persécutée; et le dernier d'entre eux, Paul-Henri Marron, devint le premier pasteur de cette Église quand elle fut reconstituée en 1802.

Une lettre de Lavaysse père (collection de M. Fournier) nous apprend qu'à Toulouse la nouvelle de ce mariage fit beaucoup de bruit, et causa une grande joie aux protestants. Il paraît que les protecteurs des Calas leur avaient procuré un brevet du roi qui donnait son approbation expresse à l'union projetée. Ils firent bien. A Toulouse on s'était vengé des succès de Mme Calas par une infâme calomnie contre Nanette. Le mariage de Nanette, le caractère de son mari, enfin le brevet du roi réduisirent à néant ces abominables mensonges. «< Rien n'est plus honorable, Madame, écrit David Lavaysse à Mme Calas en la félicitant sur ce mariage, que le brevet par lequel le Roy y a donné son approbation; le fanatisme de cette ville en a fremi. Mon fils Vidou a dû võus informer de quelle manière ce fanatisme a cru se consoler en faisant courir un bruit odieux et insensé, et qui n'a pas laissé cependant de courir de bouche en bouche et de trouver créance chez un très-grand nombre de gens qui ne cessent de clabauder là-dessus. Je marquais ces derniers jours à mon fils ce que je croyais et que je crois encore qu'il conviendrait de faire pour confondre une si noire imposture. La lettre par laquelle mon fils m'apprit le mariage de Mme Duvoisin a servi utilement à déprévenir tout ce qu'il y a de gens sensés qui l'ont vue, car j'en ai laissé prendre des copies à tous ceux qui l'ont demandé et elles ont beaucoup couru; mais tout le monde ne l'a pas vue et le grand nombre n'aurait pas voulu la voir, pour pouvoir persister dans sa calomnie. »

Ce mariage réjouit aussi Voltaire. En félicitant Mme Calas, il lui écrivait : « Je voudrais que tous vos enfants se mariassent et que votre nom se perpétuàt à

jamais, pour servir d'un témoignage éternel à votre probité et à l'iniquité infâme des juges qui auraient dù avoir sur l'épaule les fleurs de lys sur lesquelles ils osent s'asseoir (2 février 1767.- Collection de M. Fournier). On voit que les années n'avaient en rien amorti la fougueuse verve du vieux défenseur des Calas.

Mme Duvoisin ne se montra point ingrate, continua à correspondre avec la sœur Fraisse, et aussi, quoique à de longs intervalles, avec le bienfaiteur de tous les siens. Voici une nouvelle lettre inédite de Voltaire qui n'a d'importance que par une allusion aux malheurs d'une autre famille protestante, victime d'un procès inique.

<< Le vieux malade de Ferney fait mille compliments à madame Duvoisin, à madame sa mère et à toute sa famille. Il est fâché de laisser en mourant tant d'infortunés dans le monde, et surtout une dame aussi intéressante et aussi vertueuse que madame Bombelles.

Son très-humble et très-obéissant serviteur,

V. 1.

Au bout de treize ans, Mme Duvoisin devint veuve. Le pasteur Duvoisin, dont la santé avait été longtemps chancelante, mourut le 12 mai 1780, dans son logement de la rue Poissonnière. Il avait eu de son second mariage trois fils: le premier mourut au bout de quelques jours; le second vécut moins de trois ans ; le dernier seul arriva à l'âge d'homme 3.

1. Voir la note 34.

2. A l'occasion de la naissance de l'aîné, Voltaire écrivait à Mme Calas :

Je sais bien bon gré à Mme Duvoisin de vous avoir donné un petitfils. Je souhaite qu'élevé par son père et sous vos yeux il devienne un ministre éloquent qui enseigne la tolérance aux hommes. Cette divine tolérance sera mieux reçue dans sa bouche que dans toute autre. Ce sera le fils de Caton qui prêchera la liberté. (Extrait d'une lettre de la collection Fournier.)

3. Voir sur Alexandre Duvoisin la note 35 à la fin du volume. J'ai donné, au bas des lettres de la sœur Fraisse qui se rapportent à leur naissance, les actes de baptême des enfants de Mme Duvoisin; M. Ch. Read a bien voulu en prendre copie sur le registre des baptêmes de l'ambassade de Hollande, au dépôt de l'état civil. (Hôtel-de-Ville de Paris).

On trouvera avec intérêt dans les lettres de la religieuse la cordiale part qu'elle prit à tous les événements de la vie d'Anne Calas, à ses joies et à ses deuils de mère et même à ce mariage avec un pasteur, qui cependant renversait l'espoir qu'elle avait conçu de la marier à un catholique. On verra avec quelque surprise peut-être, lorsque la mauvaise santé et les couches de Mme Duvoisin inquiètent sa vénérable amie, des lettres adressées à un pasteur dans l'exercice de ses fonctions, partir du fond d'un monastère de Toulouse.

La sœur Anne-Julie mourut probablement en 1775 ou peu après, à moins que ses infirmités croissantes ne l'aient empêchée dès ce moment d'écrire à sa chère Nanette.

Restée veuve en 1780, avec un fils de sept ans, Mme Duvoisin vécut assez péniblement auprès de sa mère, à Paris, du peu qu'elle possèdait et d'une pension de 200 florins (400 fr.) que lui accordèrent les États-Généraux en 1784.

Bientôt arrivèrent la révolution française et tous les changements qu'elle amena en Europe. Le Corps législatif de la république batave décida, le 8 octobre 1790, que la pension de Mme Duvoisin lui serait continuée. Malgré cette assurance, la veuve du chapelain eut souvent à réclamer des arrérages, et l'on trouve aux Archives de la Haye plusieurs pétitions appuyées par l'ambassadeur, où elle demande le payement des sommes qui lui étaient dues (1798, 1801). Mme Duvoisin vivait à Paris en 1819' dans une position d'autant plus gênée qu'elle s'imposa souvent, pour son fils Alexandre, des sacrifices trop considérables.

1. Annales protestantes, p. 151. J'ai cherché en vain ce qu'étaient devenues ses lettres à la sœur Fraisse. On pense à Toulouse que les papiers du couvent ont été brûlés le 10 août 1793 avec beaucoup d'autres écrits et une partie des Archives de l'Hôtel-de-Ville. Si les lettres de Mme Duvoisin avaient été conservées jusqu'alors, il est probable qu'elles ont péri dans cette scène de destruction.

Il existe dans la Collection de M. Fournier une note de sa main où elle explique l'opposition qu'elle met à la saisie du mobilier dont faisaient usage son fils et sa belle-fille, auxquels elle avait cédé une partie de son appartement rue de l'Échiquier, 24; elle prouve que ce mobilier est à elle. Malgré le langage digne et contenu de cette note, on y reconnaît les traces évidentes de bien des douleurs et d'un dévouement maternel qui avait accepté depuis longtemps bien des privations.

Une représentation du drame de Ducange fut donnée à son bénéfice vers la fin de cette année. Elle mourut en 1820. Elle avait perdu en avril 1800 sa sœur Rose qui vivait avec elle.

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